Mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis du xxie siècle

Réunion du lundi 9 septembre 2019 à 17h05

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle

Lundi 9 septembre 2019

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.

(Présidence de M. Stéphane Viry, président de la mission d'information de la Conférence des présidents)

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. François de Singly.

Comme vous le savez, notre mission a décidé de commencer ses travaux en abordant le sujet de l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle sous un angle général, en engageant la discussion avec des chercheurs, philosophes ou universitaires ayant chacun des points de vue ou des analyses différents, complémentaires parfois mais aussi divergents, et qu'il nous intéresse d'entendre.

Monsieur de Singly, professeur de sociologie vous avez consacré de nombreux ouvrages et études à la sociologie de la famille et ses évolutions au travers de divers prismes : le lien familial, le couple, les adolescents ou le divorce. Nous avons donc souhaité avoir votre analyse face aux évolutions récentes des structures familiales.

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Nous souhaitons engager une réflexion générale et collective susceptible de nous aider à répondre aux défis que pose la société du XXIe siècle à la politique familiale.

Le premier défi est d'ordre démographique.

Le deuxième défi est d'ordre sociétal. Si la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes est votée prochainement dans le cadre de la loi sur la bioéthique, elle aura des conséquences tant sociétales que juridiques.

Enfin, le troisième défi est d'ordre social. Si nous pouvons être fiers de notre système de protection sociale, il est aujourd'hui questionné sur bon nombre de sujets.

C'est dans ce cadre que nous vous interrogeons aujourd'hui.

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François de Singly, professeur émérite de sociologie, Université Paris Descartes

Je ne suis pas un spécialiste des politiques publiques en général ou des politiques familiales en particulier, même si je m'intéresse au domaine politique dans le cadre de mes travaux. Je suis en revanche sociologue de la famille depuis 1970, et ai eu à ce titre la chance de disposer d'un terrain d'étude qui n'a cessé d'évoluer, à l'aune de questionnements nombreux pour la plupart encore d'actualité.

Pour comprendre la situation présente, marquée par un sentiment d'accélération de certaines transformations, il me semble utile d'adopter un point de vue historique.

À mon sens, l'événement le plus important survenu dans l'histoire de la famille occidentale depuis la fin du XIXe est le passage progressif au mariage amoureux. Selon la plupart des historiens, ce dernier commence à devenir une évidence après la guerre de 1914-1918. Ce changement s'est toutefois opéré dans un contexte démographique difficile marqué par le manque d'hommes. Des compromis ont donc été trouvés en certains cas. Il m'est arrivé ainsi de rencontrer de vieilles dames qui avaient hésité à l'époque entre le célibat – condition encore considérée comme presque infamante pour les femmes – et le renoncement au mariage amoureux.

Pendant quelques décennies, on a cru que l'alliance entre le mariage et l'amour allait constituer un aboutissement extraordinaire, les individus ayant enfin pris possession de cette institution étrange qu'était le mariage arrangé. Mes propres parents, mariés en 1936, avaient d'ailleurs accepté cette situation.

En réalité, une logique individuelle s'est imposée progressivement à cette époque dans la conception du mariage. La reconnaissance amoureuse consiste à se faire reconnaître par quelqu'un en tant qu'individu unique. Le mariage amoureux s'est inscrit en ce sens dans une logique de la personne. A contrario, le mariage arrangé, forme dominante du mariage dans presque toutes les cultures à travers l'histoire, était contracté non entre deux individus ou deux personnes uniques, mais entre un fils et une fille. Il s'agissait d'un mariage contracté dans l'intérêt de deux familles, de deux lignées.

L'amour tel qu'on le perçoit dans le mariage amoureux s'est construit historiquement aux alentours des XIIe-XIIIe siècles, avec la naissance de l'amour courtois. Dans ce cadre, les femmes souhaitaient être reconnues non plus en tant que « filles de » mais comme des personnes uniques. Mais il est intéressant de noter que le mariage et l'amour étaient conçus comme absolument contraires dans les cours d'amour de cette époque. Le mariage amoureux était donc interdit.

Le mariage n'obéissait alors pas à la logique de l'amour, mais avait pour but la reproduction, tant biologique que sociale, et s'inscrivait à ce titre dans le temps long. Cependant, il est faux de dire que l'amour relève quant à lui du temps court. Il est faux de dire qu'il dure trois ans. En réalité, l'amour n'a pas de durée préétablie. Tant que deux personnes s'aiment, cela peut continuer.

Pendant des siècles, nous avons donc respecté le mariage. Les premières unions amoureuses qui se sont nouées au XIXe étaient d'ailleurs des unions adultères. Le mariage amoureux a consisté en ce sens à rendre l'adultère amoureux compatible avec la reproduction sociale. Mais la logique de reconnaissance sociale, publique, qui y était à l'œuvre s'est avérée parfois insuffisante. Les femmes ont été sur ce point les moteurs de l'évolution de la famille, en demandant notamment la séparation lorsqu'elles considéraient qu'elles n'avaient pas à rester avec quelqu'un qu'elles n'aimaient plus. À partir des années 1960, une séparation progressive s'est donc opérée par rapport à la conception antérieure du mariage amoureux. Nous nous sommes demandé notamment si le mariage ne renforçait pas en un sens l'instabilité éventuelle de l'amour, à rebours donc de la croyance qui prédominait dans les années 1930 selon laquelle le mariage renforçait le lien amoureux (croyance qui a duré 40 ans dans l'histoire du monde, uniquement en Occident).

Progressivement, la logique affective a donc déstabilisé l'institution du mariage. C'est la raison pour laquelle le divorce par consentement mutuel a été réinstauré en 1975 sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Il avait initialement été mis en place légalement en 1792. Le mariage était alors perçu comme une union civile, obéissant à une logique contractuelle et pouvant à ce titre être rompue. En 1975, ce n'était pas tout à fait la même logique à l'œuvre. En effet, le mariage a été considéré alors comme pouvant être rompu en tant que mariage amoureux, non en tant que contrat.

La réinstauration de la possibilité du divorce par consentement mutuel a entraîné des séparations, lesquelles ont débouché sur des familles monoparentales ou sur des familles recomposées. Cependant, la famille monoparentale comme la famille recomposée ne constituent pas à proprement parler de nouveaux modèles familiaux. Personne ne rêve d'avoir une famille recomposée. En revanche, chacun rêve de trouver quelqu'un qui le reconnaisse et d'avoir des enfants avec cette personne, cette union devant durer ce qu'elle durera.

Il arrive souvent, et le domaine de la politique familiale ne fait pas exception, que d'importants changements se fassent silencieusement. C'est ce qui s'est produit dans les années 1970, durant lesquelles le mariage a été déstabilisé non par le divorce mais par le concubinage sans que personne en fasse mention. Il n'existe ainsi pas, à ma connaissance, d'association de familles d'union libre à l'union nationale des associations familiales (UNAF). Or le concubinage s'est imposé progressivement dans la société. Des tentatives de canalisation du phénomène ont été effectuées au début. On a ainsi rebaptisé le concubinage « cohabitation juvénile ». À l'époque, ce phénomène apparaissait comme une émanation de mai 1968 et ne semblait pas devoir s'inscrire dans la durée. Or aujourd'hui 58 % des naissances se font hors mariage en France.

Ce changement a conduit à une autre évolution à mon sens fondamentale et trop souvent sous-estimée : la fin de la distinction entre les enfants légitimes et les enfants naturels. Historiquement, le mariage a pour fonction de garantir un contour pour les enfants devant percevoir l'héritage. D'un point de vue sociologique, la fonction universelle du mariage est donc celle de la transmission.

Récemment, plusieurs instituts de statistiques dont l'institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et l'institut national d'études démographiques (INED) ont fait apparaître dans leurs tableaux la notion de « famille traditionnelle », entendue comme un couple vivant avec des enfants tous nés dans le cadre de ce couple. Or la véritable définition de la famille traditionnelle est la suivante : un couple marié vivant avec des enfants nés dans le cadre de ce couple. J'ai vu de la même façon un tableau construit par un institut de statistiques européen qui signalait que la notion de « couple marié » pouvait s'appliquer indifféremment à des couples mariés et à des couples non mariés. En un sens, les statistiques officielles ont donc entériné l'inutilité de la notion de mariage. Nous pourrions donc nous demander, dans le cadre de la politique familiale, au nom de quoi le mariage est maintenu, sa fonction principale s'appuyant sur la distinction entre les enfants légitimes et les enfants naturels et cette distinction ayant été supprimée.

Il a fallu cependant attendre l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation pour que disparaisse en droit français la distinction entre la filiation légitime et la filiation naturelle, et la loi de ratification du 16 janvier 2009 pour que cette disparition soit concrétisée. Des résistances s'exprimaient donc dans la société contre cette évolution.

Il s'agissait néanmoins d'un grand mouvement social anti-institutionnel, porté par l'idée que l'institution du mariage n'était pas forcément utile. Cette idée se retrouvait d'ailleurs également chez des personnes mariées. Ainsi, dans les années 1970 un sondage d'opinion avait montré que 40 % des personnes mariées interrogées considéraient que le mariage n'était pas quelque chose d'important dans leur vie. De même, aujourd'hui, en dehors d'une petite minorité le mariage n'apparaît pas comme une certitude ou un aboutissement nécessaire lorsqu'un couple se forme. Il peut arriver que l'un des deux membres du couple le demande, mais il peut arriver également que cela ne se produise pas, auquel cas il n'y a pas de mariage. Il est d'ailleurs assez étonnant de noter que des mariages se produisent parfois après 15 ans de vie commune sans que cela puisse réellement s'expliquer. Le mariage n'est donc pas refusé en tant que tel, ni au contraire regardé comme une assurance, mais considéré comme un « petit plus » susceptible ou non de survenir dans un couple. C'est là une question qu'il me semblerait intéressant de creuser au regard des politiques familiales.

Par ailleurs, de nombreuses personnes s'inquiètent depuis les années 1970 des transformations de la famille. Une grande partie des associations familiales partage ces inquiétudes.

D'un point de vue sociologique, la fonction universelle de la famille est de mettre de l'ordre entre les générations. La structure sociale du temps T+1 dépend pour partie en ce sens de la structure sociale du temps T. Mais cette fonction universelle de la famille entre en conflit avec une autre idéologie à l'œuvre en France depuis la Révolution : celle d'une société méritocratique fondée sur le principe de l'égalité des chances. En effet, la famille est fondamentalement anti-égalité des chances. Une famille qui fonctionne s'inscrit dans une logique de reproduction des inégalités. Chacun se mobilise ainsi pour que ses enfants réussissent. Nous acceptons que d'autres que nous bénéficient de l'ascenseur social à condition que cet ascenseur ne dispose pas de deux boutons.

Or il est assez surprenant de noter que cette fonction de la famille de contribution à l'ordre social, qui fait qu'un enfant d'ouvriers n'a pas les mêmes chances dans la vie qu'un enfant de cadres, n'a pas bougé. Elle est aussi bien assurée aujourd'hui qu'en 1970. En réalité, contrairement à ce que disent les tenants de l'idée de la fin de la famille, du point de vue de la reproduction sociale la famille se porte à merveille. Cette fonction sociologique s'est même plutôt renforcée avec le temps.

Historiquement, au moment de la Révolution française, les conservateurs n'avaient pas comme mot d'ordre l'égalité. La famille était donc perçue spontanément comme relevant de la droite, en tant qu'elle était facteur d'ordre dans les générations, bien qu'elle ne soit abstraitement ni de droite ni de gauche.

Ces remarques me conduisent à une question importante sur laquelle il me semblerait d'ailleurs intéressant de former un petit groupe de réflexion : comment articuler les politiques familiales, prises au sens large, avec une politique d'égalité des chances ? Il s'agit là à mon sens de l'un des nœuds des tensions républicaines.

En France, peuple de petits paysans et de petits commerçants, la logique de reproduction sociale s'appliquait historiquement dans le cadre de la transmission du patrimoine (la terre, le commerce), donc d'un capital économique, généralement passé au fils aîné. Aujourd'hui, cette logique s'appuie principalement sur une volonté de transmission du capital scolaire. Si je suis diplômé, je me mobilise pour que mes enfants, garçons et filles, obtiennent un diplôme au moins équivalent, quelle que soit leur position à l'intérieur de la fratrie. Or la reproduction sociale entendue en ce sens « universitaire » s'est renforcée depuis les années 1970. Mais cet élément est peu évoqué dans les ouvrages consacrés aux évolutions de la famille.

Je souhaiterais à présent évoquer la question de l'individualisation. Norbert Elias, sociologue allemand, a écrit : « L'identité du je [en tant qu'identité individuelle] prime sur l'identité du nous ». À mon sens, les transformations de la famille ont découlé de nouvelles définitions des individus et des je. Or la principale transformation du je qui a bouleversé l'identité du nous à l'intérieur de la famille a été celle de la femme. En effet, l'identité du je féminin historique était d'assurer le bon fonctionnement de la famille. En tant que telle, la femme n'avait pas, historiquement, de je, contrairement aux hommes qui étaient des individus à part entière.

Nous avons trop souvent tendance à faire coïncider l'émergence du je féminin avec les mouvements féministes de 1968. Je vous invite à lire la pièce de théâtre Une maison de poupée, d'Ibsen, parue en 1879. Tout est là. Dans cette pièce, un mari que sa femme veut quitter lui répond « Abandonner ton foyer, ton mari, tes enfants. […] Tu manqueras à tes devoirs les plus sacrés. […] Tu es épouse et mère avant tout. » À cela sa femme objecte : « Je n'y crois plus. Je crois que je suis avant tout un être humain, avec les mêmes droits que toi, ou que du moins je dois tâcher de l'être. » Or dans de nombreux entretiens que j'ai aujourd'hui avec des femmes qui veulent se séparer de leurs maris, les mêmes mots sont employés. Les femmes ont ainsi porté la revendication suivante : la famille et le couple sont possibles à condition qu'ils n'écrasent pas leur je, leur identité.

Une autre dimension a également contribué à l'évolution de la famille : la transformation de l'identité de l'enfant. Un enfant d'aujourd'hui n'est pas comparable à un enfant, par exemple, de 1958. Or les logiques d'affirmation des adolescents d'aujourd'hui au sein de leur famille et les fonctionnements basés sur la négociation qui en découlent proviennent de cette transformation de l'identité de l'enfant.

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J'aimerais vous entendre sur les évolutions de la filiation. Nous commencerons ce soir l'examen en commission du projet de loi bioéthique, dont le titre I ouvrira probablement l'accès à la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes. Nous nous interrogerons également sur les conséquences juridiques et sociétales de cette disposition sur la filiation. Je souhaiterais vous entendre sur ce point.

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François de Singly, professeur émérite de sociologie, Université Paris Descartes

Je n'ai pas forcément vu venir ce type d'évolution. À titre d'exemple, en 1990 j'ai dirigé un ouvrage collectif auquel ont contribué les 40 meilleurs spécialistes du moment, intitulé La famille. L'état des savoirs. Or les termes d'homosexualité et de couple homosexuel en étaient absents. Et personne, à l'époque, ne m'a questionné sur ce point. Le social évolue donc plus rapidement que les associations familiales et que les chercheurs.

La famille a évolué ces derniers temps à l'aune d'une suite de déconnexions. Le mariage s'est déconnecté de la logique affective. De nouvelles formes d'union voient le jour, avec par exemple les couples à double logement. De manière générale, la notion de couple perd son évidence. Quoique l'on en pense et quel que soit le qualificatif qu'on veuille lui attribuer, cette évolution est factuelle. Si, pour la plupart des gens, trouver quelqu'un qui me reconnaisse demeure important, il se forme de plus en plus de nous partiels. Deux personnes peuvent ainsi avoir du plaisir à se retrouver, mais sans s'embarrasser l'un l'autre à domicile.

À mon sens, il s'agit là d'une question plus fondamentale que celle de l'ouverture de la PMA aux couples lesbiens. Un certain nombre de femmes pense en effet qu'il n'est pas nécessaire de s'embarrasser d'un homme. Même si l'amour hétérosexuel demeure une toile de fond qui se retrouve dans les séries, l'imaginaire, etc., sa logique est donc aujourd'hui ébranlée. Certaines femmes se demandent ainsi lors des entretiens que j'ai avec elles : « Pourquoi s'embarrasser d'un autre enfant ? » Il arrive également souvent que les femmes cessent d'assurer la préparation du repas du soir une fois que leurs enfants ont quitté le foyer familial. Or comme les techniques qui existent aujourd'hui permettent aux femmes de la penser seule, la relation mère-enfant a gardé son évidence. À ce titre, il est intéressant de noter que le ministère de l'Éducation nationale, qui affiche pourtant une volonté de lutter contre les stéréotypes, parle encore de l'école maternelle. Sur le fond, le lien mère-enfant n'a jamais perdu de sa pertinence. Il est d'ailleurs mentionné par les psychologues et les psychanalystes dès qu'ils oublient le politiquement correct. Il y a là une réelle continuité.

Historiquement, l'homme est défini par l'autorité. Cependant la loi n° 70-459 du 4 juin 1970 relative à l'autorité parentale a supprimé la notion de puissance paternelle. Auparavant, le mariage amoureux s'est construit au XIXe siècle contre la loi du père. L'histoire de la famille occidentale est donc marquée par une perte progressive de l'importance des hommes, qui peut aller aujourd'hui jusqu'à la perte de leur place. Le déclin de la psychanalyse est à ce titre significatif. Des années 1980 aux années 2000, la psychanalyse française, très lacanienne, avait pour concept central la loi du père. Presque tous les psychanalystes de France ont d'ailleurs pris position contre le pacte civil de solidarité (PACS). Or la psychanalyse est aujourd'hui en déclin par rapport aux logiques idéologiques dominantes. En revanche, les textes officiels de l'Église catholique s'appuient sur un argumentaire de type psychanalytique.

Alors qu'une telle évolution était inenvisageable en 1980, aujourd'hui les mouvements idéologiques rendent pensable à mon sens la filiation dans le cadre de la PMA pour toutes, y compris avec l'accent mis sur la fonction maternelle. Il est intéressant de noter par ailleurs qu'en 2012 l'UNAF affirmait que le mariage et la filiation étaient indissociables, alors que la moitié des naissances se faisait déjà hors mariage. En réalité, si le monde peut sembler nous échapper, il n'y aura peut-être pas forcément de révolution.

D'ailleurs, d'ici trente ou quarante ans, lorsque nous disposerons de statistiques suffisamment nombreuses sur ce point, nous ne constaterons aucune différence entre les couples mariés homosexuels et les couples mariés hétérosexuels du point de vue de la reproduction sociale. Pour un niveau de diplôme donné, la même logique de reproduction s'appliquera. Nous l'avons expérimenté avec le concubinage. En réalité, la famille est souple.

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Vous avez souligné que la reproduction sociale était restée inchangée depuis 1970. En cela, nos politiques publiques sont à mon sens un échec.

Sur la question de savoir comment articuler les politiques familiales avec la recherche de l'égalité des chances, il me semble qu'en permettant l'émancipation de chacun et en réparant ce que l'on appelle les inégalités de destin nous pouvons y parvenir d'une manière ou d'une autre. Je ne suis donc pas d'accord avec vous lorsque vous dites que la famille est anti-égalité des chances. Lorsque l'on se trouve dans une famille populaire dotée de faibles moyens, nous n'avons pas envie que nos enfants reproduisent ce schéma. Nous rêvons au contraire d'une meilleure condition pour eux. En cela, la famille n'est pas selon moi contre l'égalité des chances.

Par ailleurs, comment voyez-vous l'évolution du rôle du père dans la politique familiale du XXIe siècle ?

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Si la femme a toujours été présente pour s'occuper du bien-être de la famille, l'homme a toujours été présent pour s'occuper de la défendre. Il a donc historiquement toujours eu un rôle particulier. Dans ce contexte, je ne comprends pas pourquoi la femme n'aurait pas eu de je alors que l'homme en aurait eu un.

La famille a vocation à assurer la reproduction. Or elle n'assure pas l'égalité des chances. Il revient donc à l'État de pallier la rupture d'égalité des chances entre les familles par le biais des politiques familiales. Mais la société évolue, et nous nous retrouvons aujourd'hui avec une multitude de modèles familiaux du fait de cette évolution. Croyez-vous que les politiques familiales doivent s'adapter à partir des logiques existantes ou devons-nous axer nos réflexions sur des politiques familiales complètement différentes de celles d'aujourd'hui ?

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François de Singly, professeur émérite de sociologie, Université Paris Descartes

La place du père n'est pas une chose évidente. Le père est défini, y compris dans la psychanalyse lacanienne, comme celui qui interdit la confusion entre la mère et l'enfant. Il est celui qui les sépare. Jusqu'en 1970, la fonction du père était définie comme une fonction d'autorité. Or cette fonction ne nécessite pas forcément de présence. D'une certaine façon, dans cette conception, un bon père est un père absent, d'autant plus qu'il lui faut se dévouer pour subvenir aux besoins de la famille, faire des heures supplémentaires, etc.

Aujourd'hui, une exigence de présence s'impose pour qu'il y ait un lien entre les parents et les enfants. Les parents sont tenus de s'occuper de leurs enfants. Le congé de paternité a d'ailleurs été mis en place dans cette optique. A contrario, dans la conception précédente le père absent pouvait être un excellent père. Son je pouvait alors se développer, quel que soit son milieu social, par l'accès à d'autres (dans son travail, notamment). La femme au foyer était pour sa part enfermée dans deux rôles. Or plus l'on a de rôles, plus l'on peut développer un je. Les hommes avaient alors la possibilité historiquement de multiplier leurs rôles, y compris sur le plan de la sexualité. Les femmes n'avaient pas cette possibilité. Historiquement, l'individualisation des hommes et des femmes ne s'est donc pas faite au même moment ni de la même façon. L'individualisation des femmes s'est faite notamment sous une forme à mes yeux exceptionnelle : en prenant soin. C'est ce que l'on appelle le care. Le care est en effet, en tout cas en Occident, historiquement féminin.

S'agissant de la place du père, il s'est produit un peu la même chose que pour le mariage. En effet, cette place a pour ainsi dire disparu. Une femme me racontait ainsi en entretien qu'elle « laissait dire » son mari, le laissait « taper sur la table », mais qu'ensuite ses enfants et elle en souriaient.

La place du père doit aujourd'hui être définie selon des logiques nouvelles. Les pères doivent notamment être présents. En entretien, il arrive souvent que l'on me raconte que les enfants, alors qu'ils racontent leur journée à leur mère en rentrant de l'école, partent lorsque leur père est de retour à la maison. Car c'est presque un étranger qui arrive. Et 80 % des confidences des enfants sont destinées à leur mère et non à leur père. Comme une logique de reconnaissance interindividuelle ou interpersonnelle prévaut également dans le rapport parents/enfants, le rôle traditionnel de la mère a pu se moderniser puisqu'il pouvait répondre à cette demande de reconnaissance. A contrario, les pères ont un travail considérable de conversion identitaire à produire. Ce travail n'est pas impossible, mais difficile.

À mon sens, la place du père aujourd'hui est d'être un parent comme la mère. Je suis en effet persuadé que la différence des sexes n'est pas au centre de la relation interindividuelle, du point de vue du care notamment. Un homme peut prendre soin de son enfant. C'est dans la contrainte du travail domestique, malheureusement souvent mal distribuée, que s'instaurent des liens personnels. Jouer cinq minutes en rentrant du travail ne suffit pas.

S'agissant de la question de l'égalité des chances, les politiques de rectification du destin ne joueront pas directement sur la famille. À titre d'exemple, la décision de scolarisation des enfants dès deux ans montre que bien l'on considère qu'un enfant aura plus de chances s'il est laissé moins longtemps à sa famille. De même, les enfants de familles « supérieures » accumulent des ressources en dehors de leurs familles, pendant les grandes vacances par exemple. Cependant, je n'ai jamais dit qu'il n'y avait pas dans les familles populaires d'aspiration à une vie meilleure. Mais comme cette aspiration fonctionne mal objectivement, nous entrons dans une période d'incroyance sur ce point.

Enfin, l'école étant aujourd'hui le capital central de la transmission, il serait intéressant de réunir des commissions sur le sujet fondamental du couple école/famille. Auparavant, le père avait le pouvoir absolu de désigner l'héritier de son capital. Aujourd'hui, les pères n'ont pas la possibilité de décider de l'ordre hiérarchique des diplômes obtenus par leurs enfants. C'est l'institution scolaire qui prend cette décision. Le grand pouvoir des pères a donc été transféré à l'école. C'est d'ailleurs pour cette raison que des résistances à la scolarisation s'expriment dans certains pays, en particulier pour la scolarisation des filles, puisque cette scolarisation est un facteur de déstabilisation masculine et de déstabilisation du pouvoir des pères.

La séance s'achève à dix-huit heures cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle

Présents. - Mme Pascale Boyer, Mme Nathalie Elimas, M. Gilles Lurton, Mme Zivka Park, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Stéphane Viry

Excusés. - Mme Christine Cloarec-Le Nabour, Mme Jacqueline Dubois, Mme Laure de La Raudière, Mme Frédérique Meunier