La mission d'information procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Georges Bensoussan, historien, ancien professeur agrégé d'histoire, ancien directeur éditorial du Mémorial de la Shoah (Paris).
La séance est ouverte à 10 heures 30.
Cette mission d'information a été créée le 3 décembre 2019, dans un contexte assez particulier sur lequel nous allons revenir puisque notre interlocuteur, M. Bensoussan, est particulièrement engagé sur les questions d'antisémitisme. En effet, cette mission d'information a été créée concomitamment à une proposition de résolution très discutée sur l'assimilation de l'antisionisme à de l'antisémitisme. Même si la résolution a été largement approuvée par l'Assemblée, elle fait encore débat. Elle est donc à l'origine de nos travaux d'audition.
Ce rapport dressera l'état des lieux des différentes formes de racisme ; il proposera des mesures et des pistes de réflexion pour essayer de rendre plus effective la lutte contre le racisme dans toutes ses formes. La question est évidemment ancienne et nous ne prétendons pas la couvrir totalement ou la résoudre de manière simple.
Dans le cadre de la poursuite de ces auditions, que nous avons commencées en écoutant des universitaires, nous avons l'honneur de recevoir ce matin Georges Bensoussan. Monsieur Bensoussan, vous êtes historien, spécialiste en particulier de l'histoire de l'antisémitisme, ancien rédacteur en chef de la Revue d'histoire de la Shoah et responsable éditorial du Mémorial de la Shoah. Vous êtes connu pour avoir écrit Les territoires perdus de la République en 2002, ouvrage dans lequel vous avez constaté pour la première fois un nouvel antisémitisme au sein des banlieues françaises où vivent bien souvent des populations issues de l'immigration et en particulier de l'immigration maghrébine.
Vos conclusions avaient à l'époque suscité la polémique mais elles rejoignent, à la lumière de ce que nous voyons et entendons, un constat qui est partagé par de nombreux intellectuels ainsi que par des personnes de terrain, notamment des élus.
Vous avez également dirigé en 2017 l'ouvrage Une France soumise qui porte le sous-titre important Les voix du refus. Cet ouvrage est glaçant de réalisme jusqu'à remettre en cause certaines certitudes bien installées dans la pensée de notre pays.
Nos travaux ne sont pas nés des manifestations que nous avons connues à la sortie du confinement. Il est important de le rappeler : ce n'est pas l'actualité qui guide cette mission, même si elle aura nécessairement un impact.
Nous avons parfois vu se dessiner lors de nos auditions un antagonisme entre différentes formes de racismes. Même si nous voudrions rester très universels dans cette mission, nous ne pouvons pas nier ce phénomène. Existe-t-il une « concurrence des racismes » ? Pourquoi l'antisémitisme ne devrait-il ou ne pourrait-il pas être traité comme un racisme ?
Nous souhaitons vivement entendre votre opinion sur le sujet, d'autant que vous décrivez des racismes qui changent selon le lieu où ils se situent. Dans nos propositions, nous aurons à cœur de réconcilier toutes ces luttes éparses. Comprendre leurs différences nous permettra peut-être d'y apporter des solutions, universelles si possible, mais appropriées en tout cas.
Je voudrais simplement rappeler en propos liminaire des éléments que vous connaissez sans doute puisque vous êtes spécialistes de la chose publique.
La césure dans la progression des actes antisémites a eu lieu en l'année 2000 : nous comptabilisions avant 2000 moins d'une centaine d'actes par an alors que, depuis l'année 2000, nous enregistrons 400, 600, 700, 800 voire 900 actes par an.
Le premier élément connu et important, confirmé par le ministère de l'intérieur et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), est que la moitié des actes racistes en France – en englobant les actes antisémites – concernent la « communauté juive », avec des guillemets que j'expliquerai si l'occasion se présente. Cela signifie que 50 % des actes racistes visent une minorité qui constitue, selon les estimations, entre 450 000 et 550 000 personnes – chiffre probablement en nette baisse depuis quinze ans – soit 0,7 % de la population. On ignore le nombre exact de juifs vivant en France car il n'existe pas de statistiques dites ethniques.
La deuxième chose importante est de savoir si ce phénomène constitue une spécificité française, européenne ou occidentale. Pour ce qui est des meurtres, sans parler des propos ou des discours, il s'agit bien d'une spécificité française. Depuis 2002, seize Juifs ont été tués par des Français dont douze sur le territoire métropolitain. C'est un phénomène inédit depuis la fin de la guerre, dont on ne trouve pas l'équivalent en Europe, même dans des pays à large tradition antisémite comme l'Autriche. Même dans la Hongrie de Viktor Orbán, il n'y a pas de meurtre antisémite.
La troisième chose dont il faut être bien conscient c'est que le sentiment qui domine aujourd'hui dans la communauté juive, que l'on interroge les juifs de Bordeaux, Toulouse, Paris ou Marseille, c'est la crainte. C'est ce fait qui m'a amené à écrire Les territoires perdus de la République puis Une France soumise.
Je rappelle que l'ouvrage Les territoires perdus de la République a été accueilli en 2002 par un silence total. Au début, il n'y a pas eu de polémique. L'expression a certes été retenue, elle a été reprise par Jacques Chirac, mais le livre n'était pas lu. C'est seulement après l'attentat de Charlie Hebdo que Fayard m'a demandé de faire une troisième édition augmentée d'une postface, et ensuite le livre s'est énormément vendu.
En 2013, on a posé la question suivante aux communautés juives respectives de Grande-Bretagne et de France : avez-vous l'intention d'émigrer au cours des cinq prochaines années ? Alors que, en Angleterre, seulement 17 % des juifs répondaient positivement, en France, un juif sur deux pensait partir.
Nous ne connaissons pas les chiffres des départs à l'exception des départs vers l'État d'Israël, grâce aux statistiques de l'Agence juive. Entre l'année 2000 et la fin de l'année 2020, 60 000 départs ont été enregistrés, c'est-à-dire plus de 10 % de la communauté juive. Nous n'avons pas de chiffres sur les retours mais, pour connaître assez bien l'alya francophone en Israël, j'estime qu'il y a de 15 à 30 % de retours, ce qui est beaucoup. Les parents d'enfants adolescents sont ceux qui reviennent le plus souvent car l'intégration des adolescents est très difficile. Il n'en reste pas moins que 70 % des juifs partis en Israël y restent. Il existe de terribles difficultés d'intégration, en particulier la langue et l'accès au travail.
Nous n'avions jamais assisté à une telle vague de départs vers Israël car la France a toujours été un pays de faible départ. En effet, la France n'a pas une longue tradition sioniste, au contraire. C'est en France que que le fondateur du sionisme politique, Theodor Herzl, s'est heurté aux résistances les plus dures, à la fin du XIXe siècle.
Il existe par ailleurs des départs vers d'autres pays mais nous ne pouvons pas les comptabiliser. Nous savons seulement qu'il se produit des départs importants vers les États-Unis, et vers la communauté francophone du Canada, au Québec. Je me trouvais en novembre pour mon travail à Montréal. J'y ai tenu deux conférences et j'y ai rencontré énormément de Français, jeunes – des pères et mères de famille d'une quarantaine d'années – qui avaient émigré avec leurs enfants depuis moins de cinq ans.
Un autre phénomène, que vous connaissez sans doute mais qu'il faut préciser, est « l'archipélisation » du territoire français, une communautarisation dont Jérôme Fourquet fait le diagnostic implacable. Vous en avez la confirmation dans le regroupement géographique de plus en plus net des juifs. La communauté de Seine-Saint-Denis a perdu 80 % de sa population depuis dix ans. Sur 300 familles juives à La Courneuve en 2010, il n'en reste plus que 80 aujourd'hui. En moyenne sur l'ensemble du département, le chiffre est de 80 %.
À l'inverse, on constate un regroupement des communautés juives dans le 17e arrondissement, quartier qui n'était pas spécifiquement juif il y a trente ans et où l'on trouve désormais boucheries et restaurants kasher et synagogues. Il y aurait environ 40 000 juifs dans le 17e arrondissement, c'est-à-dire davantage que la population juive de Belgique ! Il existe également un important regroupement à l'est de Paris, dans les communes de Saint-Maur-des-Fossés, Saint-Mandé et Vincennes.
Un autre indice très inquiétant est l'évolution de l'enseignement privé juif. En 1990, 8 000 élèves étaient scolarisés dans l'enseignement privé juif alors que, à la rentrée 2014, il y en avait 32 000. Dans une communauté pourtant de plus en plus laïque, de plus en plus sécularisée, on peut penser qu'un que l'essor de l'enseignement privé juif s'explique par un souci du religieux. Mais depuis les attentats de Charlie Hebdo et surtout de l'Hyper Cacher – qui a eu lieu juste à côté d'une grande école juive, on remarque également, et c'est nouveau, une certaine désaffection de l'école juive et des classes ferment.
Je voudrais revenir sur la raison pour laquelle j'ai mis tout à l'heure « communauté juive » entre guillemets. Il n'existe pas « une » communauté juive en France, mais des communautés juives, avec un clivage très fort entre la communauté juive « à l'ancienne » – le notable israélite du XIXe siècle – et l'essentiel de la communauté juive arrivée dans les années 1950-1960 du Maghreb (surtout d'Algérie et un peu de Tunisie) et qui vit souvent dans des quartiers populaires. De fait, la perception de l'antisémitisme n'est pas la même selon les couches sociales auxquelles on s'adresse.
Lors de la sortie des Territoires perdus de la République, la Fondation pour la mémoire de la Shoah en France – qui venait d'être créée par la mission Mattéoli – m'a invité à venir rencontrer les directeurs. J'ai trouvé en face de moi trois personnes dubitatives. Elles se demandaient si nous n'étions pas de grands « délirants » ; elles ne croyaient pas en ce que nous avancions. Il a fallu du temps pour que cette fraction de la communauté juive accepte la réalité d'un antisémitisme de plus en plus violent, verbalement d'abord. Nous n'étions pas les premiers à le dire mais ceux qui l'ont dit avant nous n'ont pas été entendus. Je pense à Christian Jelen qui, à la fin des années 1990, avait dénoncé le phénomène dans un livre.
J'ai été invité à faire une conférence à la synagogue de Sarcelles en mai 2018 et, lorsque j'y suis allé, j'ai éprouvé un choc personnel. Quand je suis arrivé, huit gendarmes gardaient la synagogue, par groupes de deux, lourdement armés avec gilets pare-balles. Il y avait des caméras partout et le service de protection de la communauté juive tout autour. On m'a carrément exfiltré de la voiture pour m'emmener au sein de la synagogue qui était transformée en Fort Knox, totalement fermée. J'ai fait une conférence sur le sujet qui m'avait été demandé devant une assemblée franchement dépressive et c'est le constat que je fais dans toutes les communautés juives devant lesquelles je vais pour parler de mes travaux généraux d'historien. Je constate partout le même désarroi, le même sentiment de solitude et d'abandon. J'ai vu à Sarcelles quelque chose de poignant. C'est une communauté vieillissante ; les jeunes sont de plus en plus en train de partir. À la fin de l'entretien, on me demandait : « Faut-il partir ? »
Quel que soit le sujet de mes conférences, d'ailleurs, c'était toujours la question que l'on me posait. Aujourd'hui, même lorsque je parle de l'Alliance israélite universelle ou de mes anciens livres d'histoire du sionisme ou de la fin de la présence juive en terre arabe, les gens en arrivent toujours à me poser des questions qui n'ont pas de rapport avec le sujet ; mais alors qu'on me demandait il y a dix ans « Faut-il partir ? » on me demande aujourd'hui : « Quand faut-il partir ? ».
Pour les plus jeunes, l'émigration est presque devenue une évidence. Pour les plus âgés, c'est plus difficile. Comment envisager l'émigration dans un pays qui reste un pays étranger ? Au fond, Israël n'est pas leur pays. Israël n'est pas le pays des juifs ; c'est le pays des Israéliens. Les Israéliens forment une nation, avec une langue, une culture. Quand on ne possède pas la langue, l'intégration est très difficile.
Il existe donc un sentiment d'abandon qui m'avait beaucoup frappé en 2016 déjà, lorsque nous préparions Une France soumise, un an et demi avant le mouvement des « gilets jaunes ». Lorsque nous interrogions des membres du corps enseignant, des cadres hospitaliers, des médecins de ville, des médecins des urgences, des membres des compagnies républicaines de sécurité (CRS), des cadres de la police, des surveillants de prison, de nombreux travailleurs sociaux… J'ai eu le sentiment que le clivage entre la France des gilets jaunes et une certaine France « parisienne » des élites et des médias existait déjà dans la communauté juive. J'ai eu le sentiment que l'on avait tendance à mettre de côté la communauté juive, à édulcorer un certain nombre de faits qui lui arrivaient comme on a eu tendance depuis des années, surtout du côté d'une certaine classe médiatique, à évacuer les classes populaires. La mise à l'écart de la « communauté juive » et la mise à l'écart de toutes ces classes populaires qui se sont réveillées brutalement avec les gilets jaunes étaient en fait deux phénomènes parallèles.
Il y a un clivage profond entre une certaine France des élites, dans les centres-villes, et les classes populaires. Christophe Guilluy l'a très bien montré dans ses différents livres, Fourquet l'a confirmé dans L'Archipel français, ainsi que Jean-Pierre Le Goff. Ils sont nombreux à avoir fait ce constat. Lorsque je regarde le taux d'abstention qui monte en flèche depuis quarante ans, je ne peux qu'entendre l'écho de ce que j'ai entendu de la part d'un grand nombre de Français de toutes conditions, plutôt des classes moyennes ou populaires, et d'un grand nombre de juifs qui ont le même profond chagrin d'un pays qui les abandonne et dans lequel ils ne se reconnaissent plus. C'est quelque chose qui serre vraiment le cœur.
Je voudrais dire un dernier mot : à mon avis, l'immense majorité des juifs de France ne quitteront pas notre pays. Il existe toutefois des indices inquiétants. Je vais donner l'exemple de Toulouse. Une grande « communauté juive » y avait construit il y a dix ans un centre à la fois culturel et religieux, très vaste, à côté du canal : le centre Hebraïca. Je m'y suis rendu deux fois ces dernières années pour une conférence, or le centre est vide. On m'a expliqué que, depuis l'affaire Merah, la moitié des juifs de Toulouse avaient quitté la ville.
C'est pour cela que je voudrais terminer ce propos liminaire par cette réflexion : si je dis qu'à mon sens un grand nombre de juifs ne partiront pas, c'est tout simplement parce qu'ils n'ont pas les moyens de partir et parce que l'émigration est un arrachement, parce qu'ils aiment la France. Ce qui m'a frappé chez les émigrants français ces quatre dernières années en Israël, c'est que, lorsqu'ils me posaient des questions sur la situation française, il n'y avait pas cette joie mauvaise à laquelle on pouvait s'attendre en disant « Ah ! On vous l'avait bien dit ; le pays est en train de s'enfoncer. » Au contraire, il y avait chez tous une peine profonde de voir ce que devenait leur pays. Je n'ai jamais senti, chez aucun de mes interlocuteurs, Israéliens de fraîche date et Français de longue date, une telle joie mauvaise. Chez tous, j'ai vu le même sentiment de perte, le même chagrin. J'insiste sur le mot « chagrin » car c'est ce qui revient et qui est vraiment poignant.
Si je dis qu'ils ne partiront pas, quel sera leur avenir ? Je crains que l'avenir soit à la marranisation et à la concentration géographique, c'est-à-dire à une sorte de partition du territoire. Les juifs se concentrent dans le 17e, dans l'est de Paris ; ils se rassemblent dans les quartiers où ils bénéficient d'un minimum de sécurité. Lorsque je parle de marranisation, cela signifie qu'ils vont se faire le plus discrets possible. Cécile Chambon, journaliste au Monde, avait consacré un très bel article d'une double page à l'antisémitisme dans les cités en novembre 2017. On y lisait cette phrase : « Ne pas s'exposer est devenu pour beaucoup de juifs une priorité. » Elle avait tout à fait raison : les signes extérieurs de judéité sont effacés. Par exemple, on ne montre plus l'étoile de David, on range la kippa derrière une casquette. Les juifs sont de plus en plus nombreux à retirer la mezouzah de leur porte et à la mettre à l'intérieur alors qu'elle se trouve traditionnellement à l'extérieur du chambranle. Dans les écoles juives, la consigne est de se disperser immédiatement à la sortie. Tout cela est connu et nous avons affaire à des gens qui vivent de plus en plus dans la crainte, avec de surcroît un repli sur eux‑mêmes et donc une radicalisation de leur attitude.
Merci infiniment pour ce propos liminaire. Je voudrais que nous rentrions dans la question de l'antisionisme, qui est inséparable de la question de l'antisémitisme. Même si cette forme d'antisémitisme a toujours été très présente, il semble s'être produit un glissement de l'antisémitisme des ligues, de l'extrême droite et du racisme antisémite du XXe siècle à un antisémitisme lié à certains « territoires perdus » que vous évoquiez. On a également le sentiment que ce racisme ne s'exprime pas tant parce que les personnes sont juives que parce qu'elles constituent une communauté blanche assimilée, à tort ou à raison, à une classe dominante.
Je pose donc une double question. Comment voyez-vous l'équivocité de la question antisioniste ? Recouvre-t-elle totalement ou partiellement l'antisémitisme qui s'exprime aujourd'hui dans certains territoires de la République ? Faites-vous la différence entre le racisme antijuif qui s'exprime aujourd'hui et une certaine forme de racisme anti-Blancs qui recouvre en fait souvent la question de l'antisémitisme ?
Tout d'abord, l'idée selon laquelle l'antijudaïsme ou l'antisémitisme traditionnel français aurait totalement disparu est fausse, mais on peut dire qu'il s'est largement édulcoré.
Je ne sais pas comment appeler l'antisémitisme « traditionnel » car il est difficile de désigner les choses en France et c'est précisément ce qui empêche le débat. Tant que nous ne pouvons pas nommer, nous ne pouvons pas poser de diagnostic et, sans diagnostic, il n'y a pas de remède. Tant que la parole ne sera pas libre, nous n'avancerons de toute façon pas.
Contrairement aux idées reçues, l'antisémitisme était fort en France en 1945. Nous pourrions penser qu'après la catastrophe du génocide – qui n'est pas encore très connue en 1945 – l'antisémitisme aurait reculé, mais c'est faux. Je rappelle que, en 1954, lorsque Pierre Mendès France est nommé président du Conseil, il se produit en France une vague d'antisémitisme terrible. Des membres de l'extrême droite, dont Poujade qui était déjà au Parlement en 1954 tiennent alors des propos antisémites. À l'inverse, lorsque Dominique Strauss-Kahn était sur la voie de l'Élysée en 2010-2011, il n'y a pas eu de vague antisémite. Même sur les réseaux sociaux, personne ne l'a attaqué sur ce fondement. Globalement, l'antisémitisme français que l'on pourrait mesurer par la question « Accepteriez-vous de voir un jour un juif président de la République ? » a donc beaucoup reculé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ce serait malhonnête de penser que l'antisémitisme « traditionnel » aurait perduré de la même façon ; je dirais qu'il a existé de façon résiduelle jusqu'aux années 2000-2010. Aujourd'hui, on constate une recrudescence de l'antisémitisme traditionnel, en particulier autour de la nébuleuse Soral, véritable industrie de l'antisémitisme. Alain Soral a beaucoup de personnes qui le suivent sur les réseaux sociaux et qui lisent ses ouvrages. Son livre Kontre Kulture, publié aux éditions Blanche il y a une dizaine d'années a été vendu à 200 000 exemplaires. Un agitateur comme Thierry Meyssan a également beaucoup de partisans. Toutefois, rien à voir avec les années 1930 : cet antisémitisme reste marginal et, dans la plus grande partie de la société française, les réflexes antisémites ont beaucoup reculé, même s'il existe toujours des préjugés.
C'est grâce aux travaux des historiens que la connaissance du génocide s'est progressivement imposée et, à partir du moment où le génocide est devenu de plus en plus présent dans la conscience occidentale, l'antisémitisme est devenu inaudible. Comment peut-on être antisémite après Auschwitz ? C'est très difficile. La connaissance du génocide s'est installée en France, et dans l'Occident en général, non pas en 1945 mais plutôt en une vingtaine d'années, en particulier à partir des années 1960 avec le travail des historiens. Le premier de ces historiens, à l'échelle mondiale, est d'ailleurs un Français, Léon Poliakov, qui a réalisé la première grande étude sur le génocide en 1951. Il fut suivi par Raul Hilberg qui aborda le sujet en 1955 dans sa thèse, à une époque où personne ne travaillait sur ce thème et où il a fallu six ans pour trouver un tout petit éditeur à Chicago.
L'antisionisme est-il une forme d'antisémitisme ? Léon Poliakov, le meilleur historien de l'antisémitisme français, a publié en vingt ans, chez Calmann-Lévy, une gigantesque Histoire de l'antisémitisme en quatre volumes. Il avait très bien établi, dès 1969, non pas en idéologue mais en historien, que l'antisionisme était bien le nouveau visage de l'antisémitisme. Vladimir Jankélévitch, deux ans plus tard, disait exactement la même chose dans ses fameux textes réunis sous le titre L'Imprescriptible. Il reste à savoir s'ils ont raison sur le fond et donc à comprendre en quoi l'antisionisme est, ou n'est pas, de l'antisémitisme.
Qu'est-ce que l'antisionisme ? L'antisionisme est un débat totalement légitime, qui n'a rien à voir, jusqu'en 1948, avec l'antisémitisme. Vous savez que le mot « sionisme » date de 1890 mais que le mouvement sioniste est apparu quelques années avant le mot. Le sionisme est l'idée qu'il faudrait rétablir la patrie juive en terre d'Israël parce que c'est la terre des ancêtres, parce que c'est la terre qui parle hébreu, et parce que la Bible est écrite en hébreu, pas en araméen. C'est, en un mot, l'idée qu'il existe un lien entre cette terre et ce peuple et que, si demain ce peuple devait se ré-enraciner territorialement, il ne pourrait le faire qu'à cet endroit. Le fait est que tous les projets sionistes ailleurs (il y a eu l'Argentine, le Wisconsin, la Crimée, le Birobidjan avec Staline) ont échoué.
L'antisionisme est un débat très virulent, au sein même du monde juif. Le monde juif orthodoxe, qui est très important, est viscéralement antisioniste car il pense qu'on ne peut pas faire advenir l'État juif avant la venue du Messie. Il existe de surcroît un précédent historique : Sabbataï Tsevi, le faux messie du XVIIe siècle qui a entraîné derrière lui des foules entières de juifs d'Afrique du Nord, de Hollande et même du Yémen. C'était un faux messie et, à partir de ce moment, le monde orthodoxe s'est bien sûr beaucoup méfié de tout courant messianique. Tous les courants révolutionnaires, marxistes ou non, le Bund en tête, sont également très antisionistes.
D'après le travail des historiens, les principales sources de l'antisionisme avant 1945 se trouvent du côté de l'Église catholique. Par exemple, L'Osservatore Romano du Vatican prend dès 1890 position contre le sionisme dans la revue des Jésuites Études, avant même que l'on entende parler de Theodor Herzl. L'extrême droite et tous les courants d'extrême droite, aussi bien français qu'autres, tels que les courants maurassiens par exemple ou les courants fascistes des années 1930 en France, sont antisionistes. Toute la presse de la collaboration était viscéralement antisioniste, à l'exception notable du catholique Marcel Déat.
Pour résumer mon propos, l'Église catholique (dans sa frange la plus ultra), l'extrême droite et le nazisme sont antisionistes. Le Pape refuse absolument toute concession au sionisme comme le montrent les discussions interminables entre les dirigeants sionistes et le Vatican dans les années 1920-1930. Le premier grand texte nazi de Rosenberg est un texte consacré à la question sioniste en 1921. Hitler lui-même a constamment dit qu'il n'existerait jamais d'État juif.
L'antisionisme s'ancre donc dans les milieux juifs et dans les milieux non juifs. L'antisionisme est également très fort dans les courants révolutionnaires : la Troisième Internationale communiste par exemple est antisioniste car elle considère le sionisme comme un mouvement bourgeois qui ne résout pas la question juive.
Ce débat « Faut-il ou non créer un État juif ? » est donc totalement légitime mais, le 14 mai 1948, à la suite du plan de partage de l'ONU, l'État d'Israël est créé et ce débat n'a plus de raison d'être. La question ne se pose plus dès lors que l'État juif existe. On peut critiquer la politique israélienne bien évidemment, mais ce n'est pas de l'antisionisme : c'est la critique d'un État. Se prévaloir de l'antisionisme après le 14 mai 1948 signifie, si l'on parle franchement, qu'on souhaite la destruction de cet État d'Israël. C'est ce que Pierre-André Taguieff nomme « un permis de démolition de l'État juif ».
Pour répondre à votre question, je pense que, effectivement, l'antisionisme est devenu l'habillage le plus « soft », le plus politiquement correct, de l'antisémitisme.
La grande erreur de beaucoup d'analyses est d'essayer de capter les mots et le vocabulaire des années 1930 dans le discours antisémite d'aujourd'hui alors que la rhétorique a changé. Au contraire, l'antisémitisme parle maintenant le langage de l'antiracisme, en disant : « Regardez, vous avez fondé un État basé sur le racisme et l'apartheid. Vous êtes indignes d'avoir vécu ce que vous avez vécu avec la Shoah, vous êtes les nouveaux parangons du racisme via le sionisme et c'est au nom de l'antiracisme que nous vous condamnons, sionistes et, derrière vous, les juifs tellement attachés à ce principe de l'identité » – alors que le judaïsme n'a en réalité aucune base raciale (dans le judaïsme, n'importe qui peut devenir juif demain : il suffit de se convertir).
Vous m'aviez posé d'autres questions ?
Oui, je vous avais posé une question sur le rapprochement que vous pouviez faire entre le racisme anti-Blancs et le racisme envers la « communauté juive ».
La « communauté juive » est une des communautés les plus acceptées mais les actes contre elle sont de plus en plus violents et de plus en plus fréquents. Quelle en est l'explication ? Dans vos ouvrages, en particulier dans Les Territoires perdus de la République, vous disiez que l'antisémitisme traditionnel avait évolué. Pourquoi cet antisémitisme a-t-il évolué ? Qui s'en est saisi ? Pourquoi le retrouve-t-on dans les banlieues qui sont de leur côté victimes d'autres formes de racisme ou de discrimination ?
Nous avions auditionné il y a quelques semaines M. Fredj, du Mémorial de la Shoah, qui nous a dit qu'il faudrait d'abord s'occuper des discriminations que subissent certains jeunes avant qu'ils puissent comprendre ce qu'est l'antisémitisme et pourquoi c'est mal. Partagez-vous ce point de vue qui pourrait nous guider dans les politiques publiques à mettre en place ?
Vous avez raison : la « communauté juive » est l'une des plus acceptées qui soit, comme les enquêtes de Dominique Reynié et d'autres l'ont montré. Les actes antijuifs, qui sont violents à la différence de la situation des années 1960, proviennent d'une minorité, d'une toute petite minorité de la population.
Vous avez parlé des banlieues, ces fameux « territoires perdus ». C'est effectivement de là que vient l'essentiel de ces actes. Est-ce parce que ces populations de banlieues sont victimes de discriminations ? Est-ce lié au conflit israélo-arabe qui aurait été « importé » en France comme on l'entend souvent ? Il y a effectivement une coïncidence entre l'explosion de 2000 et l'intifada. Je ne me prononcerai pas sur ces questions.
Je pense que ces regroupements socio-ethniques de population dans les banlieues sont, en eux-mêmes, très problématiques. Le fait qu'il existe de tels regroupements au lieu d'une dilution de cette population à l'échelle nationale pose problème. Pourquoi trouve-t-on par exemple 46 % de logements sociaux dans le 20e arrondissement et si peu dans le 7e ou à Neuilly ? Une dilution de la population sur le territoire national favoriserait l'intégration. Pourquoi avons-nous ces cités ethniques qui sont des ghettos dans ces territoires, qui ne peuvent que nourrir le sentiment de l'abandon ? Ce sentiment est réel, indéniable. Face à cet abandon, on trouve le sentiment que la « communauté juive » est privilégiée, qu'elle est une partie du monde des riches, des Blancs (cette confusion entre le monde juif et le monde blanc et riche est indéniable, en France comme aux États-Unis), qu'il n'y en a « que pour elle » avec sa mémoire.
À cet égard je pense que la mémoire de la Shoah, telle qu'elle est actuellement promue en France, est contre-productive. Je ne parle pas de l'enseignement qui est au contraire très bien fait ; nous sommes probablement le pays d'Europe qui enseigne le mieux la Shoah. Je parle de la transformation de la mémoire de la Shoah en religion civile, qui a peut-être aussi eu des effets destructeurs. Par exemple, les visites officielles systématiques après chaque acte antisémite ou la rediffusion sur toutes les chaînes en même temps de Nuit et Brouillard au moment de la profanation de Carpentras (ce qui est d'autant plus absurde que le film n'est pas consacré à la Shoah !).
La mémoire de la Shoah est confondue avec la lutte contre l'intolérance et le racisme alors que cela n'a rien à voir. La mémoire de la Shoah est une réflexion politique sur la façon dont une société de masse, développée et culturellement élevée, en arrive à concevoir un meurtre inimaginable. Le camp de Treblinka est quelque chose d'inconcevable, qui n'a rien à voir avec les massacres d'autrefois, ni avec les Arméniens ni même avec le Rwanda plus tard. Cela ne signifie pas que c'est plus digne ou moins digne d'intérêt, mais c'est autre chose sur le plan anthropologique. Réduire la mémoire de la Shoah à une leçon, à un prêchi-prêcha, à une sorte de catéchisme un peu « bêbête » sur la tolérance, sur l'antiracisme, sur la nécessité de s'aimer les uns les autres et de promouvoir le vivre-ensemble, c'est dénaturer la portée politique de l'enseignement de la Shoah.
Il est impossible de comprendre l'évolution de l'antisémitisme sans comprendre que la France a connu en quarante ans une évolution démographique importante. En quarante ans s'est produit un choc démographique en France. De nouvelles populations sont arrivées ; une partie de ces nouvelles populations provient de l'ancien empire colonial français, d'Afrique du Nord, où la culture antijuive faisait partie de la culture traditionnelle. Tous les historiens le savent.
Le problème aujourd'hui, en France, est que dire cela expose à être poursuivi devant les tribunaux pour essentialisation et racisme. C'est pourquoi je vous dis que, tant que la parole ne redeviendra pas libre, tant que nous ne pourrons pas effectuer une analyse culturelle et anthropologique, comme l'a fait Hugues Lagrange dans Le Déni des cultures en 2010 en étudiant les émeutes de 2005-2007, tant que nous ne pourrons pas réellement nommer ce qui se passe, nous n'avancerons pas. Tout le monde condamne l'antisémitisme mais personne ne parle des antisémites. Tant que nous ne pourrons pas nommer les antisémites, nous n'avancerons pas. Je ne les nommerai pas ce matin, parce que je suis déjà passé devant la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris.
Tant que nous vivrons dans un pays où la liberté de parole est de plus en plus muselée, nous n'avancerons pas. Regardez ce qu'il se passe avec la fin de la revue Le Débat. Pierre Nora et Marcel Gauchet l'ont dit : la fin de la revue Le Débat n'est pas liée à des raisons financières mais au fait que le débat politique ou intellectuel n'est plus possible actuellement en France. Nous sommes dans l'anathème, dans l'invective, dans la condamnation, dans la judiciarisation de la parole. À la moindre parole dissidente, c'est la 17e chambre. Il n'existe plus de parole libre. De ce fait, j'arrête là mon témoignage et je ne peux plus parler. Je ne pourrai parler qu'à l'étranger.
Je ne peux donc pas dire qui sont les antisémites. Je sais simplement, parce que j'ai consacré cinq ans de ma vie à l'histoire des derniers siècles des juifs en terre arabe, que je suis tombé dans les archives de l'Alliance israélite universelle sur des archives des polices britanniques, italiennes et françaises, en particulier des archives diplomatiques françaises du protectorat du Maroc et de la Tunisie, archives datant des XIXe et XXe siècles, la réalité d'un antijudaïsme fréquent dans la culture populaire et je crois que cet antijudaïsme a été importé en France.
Un certain nombre de gens qui ne viennent pas de ces communautés nient cette réalité. Je pense à ce journaliste de Libération qui, après Charlie Hebdo, sur le plateau de 28 minutes à Arte, a eu le courage de dire, sans jamais revenir sur ses paroles ensuite : « Oui, c'est vrai, dans les rédactions, quand il y a des viols et des tournantes dans les banlieues et que nous savons qui sont les agresseurs, nous changeons les prénoms. » Lorsque nous en arrivons là, le débat est forcément tronqué, il n'est plus possible.
J'ai donc travaillé durant cinq ans sur ces archives et j'ai publié en 2012 Juifs en pays arabes qu'aucun historien n'a réfuté. Ce travail est basé sur des archives ; je suis historien, pas idéologue ni journaliste. J'ai mis au jour un antijudaïsme du quotidien ; la condition juive est telle que, dès que la décolonisation s'est profilée dans les années 1950, au Maroc, en Tunisie, en Algérie, en Libye, en Syrie, en Irak… les juifs ont fui en masse. Un million de juifs se trouvaient en terre arabe en 1945 ; il en reste 4 000 alors qu'il n'y a pas eu de génocide ou d'expulsion de masse. Les départs ont été liés à la crainte, à l'absence de perspectives économiques, à la spoliation ; des Juifs ont été volés, surtout en Libye, en Syrie et en Irak. Le cas des Juifs d'Algérie est différent car il s'apparente au cas des Pieds-noirs.
Voici la réalité : il existe un antisémitisme importé que connaissent bien et que pourront confirmer les gens issus de ces communautés. Je pense au dramaturge algérien Karim Akouche qui dit que, dans sa communauté, à l'école primaire, on lui a appris à détester les juifs. Je pense à Boualem Sansal qui m'a téléphoné avant mon procès en 2017, pour me proposer de témoigner. Il a envoyé une lettre à la présidente pour dire que tout ce que je disais était parfaitement vrai. Je pense à l'ingénieur Mohamed Louizi que je connais personnellement et qui m'a également dit que ce que j'affirmais était vrai. Je pense à ce professeur au lycée Averroès de Lille qui m'a défendu et qui l'a payé cher. Il a dû quitter son lycée au bout de quatre mois en disant à Libération qu'il n'avait jamais entendu une telle somme de propos antisémites.
Ce déni de nos élites est très frappant alors même que les principaux intéressés, ceux qui connaissent ces communautés, disent que cette réalité existe, qu'il faut la combattre et que nous ne pouvons pas la combattre tant que nous ne la nommons pas. Nous ne pourrons trouver les remèdes que si nous désignons réellement le mal. Il ne suffira pas de faire de la morale.
Encore une fois, je ne suis pas certain que l'enseignement répété de la Shoah soit la solution idoine. Ceux qui travaillent sur le sujet, sur le terrain, ont très bien compris qu'il fallait commencer par parler à ces enfants de leurs propres souffrances : la colonisation, la décolonisation, l'esclavage surtout. On peut ensuite montrer comment le discours antijuif s'insère dans un discours raciste plus général même si l'antisémitisme n'est pas tout à fait un racisme comme les autres. Il existe une différence avec les autres formes de racisme qui n'implique pas davantage de considération mais qui est simplement d'ordre anthropologique.
Je connais moins Paris que vous mais à Lyon, à Villeurbanne, se trouve un quartier où vivent énormément de Juifs, qui affichent tout de même leur intégrité. Ce n'est pas un quartier de banlieue mais plutôt un quartier dans lequel la population est assez bien intégrée. Je m'y rends régulièrement et à chaque fois que je m'y promène, j'ai cette inquiétude que les choses se referment, que des gens qui ne sentent pas appartenir à cette communauté s'en aillent et que l'on finisse par nourrir encore davantage cette crainte qui peut entraîner par un mécanisme de cercle vicieux un repli de ces communautés.
Oui, j'ai constaté partout que les communautés étaient inquiètes, très inquiètes, sauf dans un cas : à Strasbourg. J'ai vu à Strasbourg une communauté vivante, pas spécialement inquiète, optimiste même, malgré les quelques agressions dont elles peuvent être victimes et qui viennent d'ailleurs souvent, dans cette région où la tradition en matière d'antisémitisme est encore vivace, du vieil antisémitisme français d'extrême droite.
Pour tout le reste, je confirme vos propos. Je suis allé à Lyon il y a quelques années et j'ai vu la même chose. J'ai observé également ce repli à Bordeaux où se trouve une petite communauté, ainsi qu'à Marseille. Dans les communautés de la région parisienne, on voit partout des caméras, des vigiles. Vous avez raison : cela provoque chez ces juifs un repli de plus en plus grave avec également une radicalisation du vote par exemple. Il y a un divorce, non seulement entre les communautés nouvelles et un certain nombre de notables israélites « à l'ancienne », mais également entre eux et le pays qui est le leur, et qu'ils ne veulent pas quitter.
Je rebondis sur votre défense de la liberté de parole. Diriez-vous que nous sommes allés trop loin lorsque nous avons légiféré en 1990, justement dans le but de protéger certaines communautés d'insultes racistes et antisémites ? Une véritable liberté parole permettrait-elle au moins d'avoir un débat franc et sincère sur certains sujets ? Vous sentez-vous aujourd'hui « muselé » par la loi Gayssot de 1990 ?
Il y a eu la loi Pleven en 1972 puis la loi Gayssot en 1990 puis d'autres lois mémorielles. À l'époque j'avais défendu les lois mémorielles et je ne comprenais pas l'attitude de Pierre Nora qui leur était hostile. Aujourd'hui, je me pose des questions et je me demande si Pierre Nora n'avait pas raison, si ces lois n'ont pas un effet « boomerang », si ces lois qui étaient censées protéger ne nous reviennent pas aujourd'hui en pleine figure pour empêcher le débat. Je ne sais pas quelle est la solution mais je pense que ces lois n'ont pas forcément produit l'effet qui était escompté.
Je pense que le propos était clair. Même si vous avez eu la prudence de ne pas nommer certaines choses, je crois que nous l'avons parfaitement compris au travers de vos écrits, de vos prises de position et de nos sensibilités personnelles.
Je voudrais ajouter que certaines prises de position, vous condamnent à la mort sociale, même quand vous êtes relaxé devant le tribunal. Vous n'êtes plus invité, les éditeurs se méfient de vous. C'est cela, la mort sociale. Il faut savoir ce que cela signifie. Pourtant, la justice m'a blanchi trois fois.
Je souhaite qu'à la suite des observations que vous avez faites, autant de nos compatriotes que possible puissent sortir de ce déni du réel. Je retiens la notion de chagrin et de tristesse que vous avez évoquée à plusieurs reprises. Si ce rapport peut permettre de trouver des voies de ré‑enchantement, nous en serions ravis et nous allons poursuivre nos travaux en ce sens. Merci beaucoup, monsieur Bensoussan.
La séance est levée à 11 heures 30.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter
Réunion du mardi 8 septembre 2020 à 10 h 30
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Bertrand Bouyx, M. Robin Reda, Mme Michèle Victory