La séance est ouverte à douze heures cinq.
Nous accueillons maintenant M. Sébastien Colas, en charge de l'Observatoire de la mer et du littoral, spécialiste des questions et enjeux démographiques des littoraux au ministère de la transition écologique et solidaire, M. Valéry Morard, adjoint au chef de service des données et des études statistiques, sous-directeur de l'information environnementale, et M. Gérard-François Dumont, professeur à la Sorbonne.
Messieurs, nous souhaitons que vous fassiez le point des évolutions des concentrations de populations dans les zones littorales en distinguant les zones de métropole et celles d'outre-mer, et que vous nous informiez des différenciations liées à la distance à la mer. Pouvez-vous présenter les évolutions estimées des concentrations de populations pour les décennies à venir, les conséquences de cette concentration croissante, notamment en termes d'aménagement, d'artificialisation des sols ainsi que d'accueil des populations, les incidences en cas d'événements climatiques majeurs ? Peut-on également tirer un enseignement de l'âge des populations qui sont plus présentes sur les littoraux français ? Pouvez-vous préciser quelles sont les principales zones préoccupantes et les risques auxquels pourraient faire face ces zones – submersion, tsunami, inondation, ouragan ? Quels sont les autres États dont on peut penser qu'ils font face aux mêmes problématiques que les nôtres ? Ces phénomènes de concentration le long du littoral sont-ils mondiaux ?
Le service des données et des études statistiques est très attaché à la qualité du chiffre. Il est important pour nous de rappeler que le service statistique français est organisé autour de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), mais aussi autour d'autres pôles ministériels qu'on appelle services statistiques ministériels. Notre service a cette responsabilité pour le ministère de la transition écologique et solidaire qui intervient dans les champs de l'environnement, du logement et de la construction, de l'énergie et des transports. Il est évident que ce regard transversal sur les politiques est utile et, en tant que service statistique, nous sommes associés et avons accès à tout le traitement des données, notamment démographiques et socio-économiques, que va présenter M. Colas.
Nous sommes également le point focal de l'Agence européenne de l'environnement et d'Eurostat pour les questions qui relèvent de notre responsabilité.
Voilà ce que je tenais à rappeler en préambule, car on a parfois tendance à oublier qu'au sein même des ministères il existe des services chargés des questions statistiques qui sont là pour répondre aux besoins qu'expriment les commanditaires qui peuvent venir, via le Conseil national de l'information statistique (CNIS), des directions générales du ministère. Nous travaillons par exemple avec l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC) et la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). Nous sommes ainsi amenés à rencontrer les personnes que vous venez d'auditionner, dans le cadre des aspects croisés climat, risques, etc.
Nous avons donc à la fois un rôle de traitement et de diffusion de l'information.
En préambule, je précise que l'on entend par littoral l'ensemble des communes littorales où la loi s'applique, c'est-à-dire 869 communes en métropole, réparties sur vingt-six départements, et 105 communes dans les cinq départements ultramarins, avec évidemment les collectivités d'outre-mer.
Qu'il s'agisse du littoral métropolitain ou des départements ultramarins insulaires, on constate que la pression humaine est nettement plus forte en bord de mer que pour la moyenne métropolitaine. Il y a donc plus d'habitants, plus de touristes, plus de constructions, plus d'artificialisation, une disparition des terres agricoles nettement supérieure dans un territoire soumis à des aléas naturels.
Sur le document qui vous a été distribué, dès qu'on parle du littoral métropolitain, on retrouve ce ratio de 2,5. C'est un peu le nombre d'or, puisque la densité de population est deux fois et demie plus forte en bord de mer que la moyenne, que le niveau d'artificialisation des terres est lui aussi deux fois et demie supérieur, que les terres agricoles disparaissent deux fois et demie plus vite et que la densité de construction de logements est deux fois et demie plus élevée. On note un nombre de lits touristiques par commune seize fois plus important que la moyenne métropolitaine.
L'installation d'habitants sur le littoral n'est pas un phénomène récent. On arrive à le documenter avec des données de l'INSEE depuis la fin du XIXe siècle. On constate une accélération de l'arrivée de nouveaux habitants sur le littoral depuis les années cinquante.
La population de l'ensemble de la France a augmenté d'environ 0,6 % par an en moyenne au cours des cinquante dernières années. La hausse est de 0,7 % sur le littoral métropolitain et de 1,5 % pour le littoral des cinq départements ultramarins, soit 2,5 fois plus que la moyenne nationale.
On constate de nettes différences entre les territoires littoraux en métropole : il y a globalement une opposition assez marquée entre le Nord et le Sud du pays, la délimitation étant l'estuaire de la Gironde. Sur le littoral de la façade maritime sud-atlantique – la Charente-Maritime et l'ex-Aquitaine –, la population a augmenté à un rythme d'à peu près 1 % par an au cours des cinquante dernières années, contre 0,9 % en Méditerranée, 0,5 % dans le Nord atlantique et la Manche ouest, qui comprend la Bretagne et les Pays de la Loire, et seulement 0,2 % en Manche est–Mer du Nord, qui inclut les Hauts-de-France et les deux Normandie, la population étant en recul sur ce littoral depuis les années 1980.
Dans le détail, les plus fortes progressions sur les littoraux de métropole sont toutes localisées dans les départements du Sud, mais je ne voudrais pas vous noyer de chiffres – ils figurent dans le document que je vous ai adressé hier. Les principales augmentations concernent l'Hérault, les Landes, le Gard, les Pyrénées-Orientales, les deux départements de Corse et la Gironde. À l'inverse, la population du littoral de la Somme a diminué de 0,2 % en rythme annuel lors des cinquante dernières années, tandis que d'autres populations ont stagné ou très peu augmenté, comme dans la Seine-Maritime, le Finistère, le Pas-de-Calais, la Manche et le Nord, c'est-à-dire uniquement des littoraux situés au nord. Ils ont pour point commun de compter de grandes villes industrialo-portuaires qui ont perdu beaucoup d'habitants dans la période considérée.
Pour ce qui est de la densité de population – je n'ai pu traiter que les données du recensement de l'INSEE de 2014 –, on constate aussi une nette variabilité s'agissant des communes littorales.
Les densités de population sont fortes, voire très fortes, dans les départements insulaires d'outre-mer : il y a plus de 350 habitants par kilomètre carré dans les communes littorales de la Réunion et de la Martinique, et plus de 500 à Mayotte. La densité est en revanche très faible en Guyane, avec environ 5 habitants par kilomètre carré, même s'il faut garder en tête que les communes littorales de ce département sont vastes et s'enfoncent très profondément dans les terres, alors que la population est seulement localisée en bord de mer : il est donc compliqué d'avoir une vision exacte de la densité de population sur le littoral à partir des données communales.
En métropole, les densités sont fortes en Méditerranée et en Manche est–Mer du Nord, avec des valeurs supérieures à 350 habitants par kilomètre carré, étant entendu que le littoral méditerranéen est passé en tête depuis une dizaine d'années. La densité de population sur le littoral est intermédiaire dans le Nord atlantique et la Manche ouest, avec près de 250 habitants par kilomètre carré, et relativement faible dans le Sud atlantique, avec à peine 150 habitants par kilomètre carré. Là aussi, les communes des Landes et de la Gironde sont très vastes et vont loin dans les terres, alors que la population est plutôt concentrée dans un premier rideau littoral et rétro-littoral. Les densités de population sont les plus élevées dans le Nord – plus de 800 habitants par kilomètre carré –, le Pas-de-Calais, la Seine-Maritime, la Loire-Atlantique, les Pyrénées-Atlantiques, l'Hérault, les Bouches-du-Rhône, le Var et les Alpes-Maritimes : on tourne autour de la moyenne des pôles urbains métropolitains et l'on se rapproche d'une bande urbaine continue sur ces littoraux. Les densités sont, en revanche, faibles dans certains départements : la Somme, qui compte 78 habitants par kilomètre carré, ce qui est en deçà de la moyenne métropolitaine, mais aussi la Gironde, les Landes et la Corse – avec environ 70 habitants par kilomètre carré.
Nous avons poussé le travail au-delà des densités de population par communes : certains modèles nous permettent d'exploiter les données sans tenir compte des limites administratives. Nous avons pu le faire pour le littoral métropolitain et celui des quatre départements d'outre-mer « historiques », c'est-à-dire hors Mayotte, dont le système statistique n'est pas encore totalement complet.
Dans les quatre premiers départements ultramarins, nous disposons notamment d'estimations de la densité de population entre 0 et 500 mètres de la mer, et de 5 000 à 10 000 mètres. Comme en métropole, on constate une nette décroissance de la population selon la distance à la mer. La population dépasse 1 000 habitants par kilomètre carré à moins de 500 mètres des côtes à la Réunion, elle avoisine 500 habitants par kilomètre carré dans les Antilles, et 100 en Guyane. Il s'agit d'un paramètre important pour les aléas naturels : ils ont tendance à être plus forts en bord de mer, où la population est plus nombreuse.
La situation est légèrement différente en métropole, car ce n'est pas entre 0 et 500 mètres de la côte que la densité de population est la plus forte, mais entre 500 et 1 000 mètres, les 500 premiers mètres étant plutôt réservés aux résidences secondaires. Sur les façades littorales d'un certain nombre de départements, la population dépasse tout de même 600 habitants par kilomètre carré à proximité immédiate des côtes, c'est-à-dire à moins de 500 mètres du rivage, notamment dans les Alpes-Maritimes, les Pyrénées-Atlantiques, les Bouches-du-Rhône, le Nord, le Var, les Pyrénées-Orientales, la Loire-Atlantique, l'Hérault et le Pas-de-Calais, où l'on dépasse la valeur moyenne des pôles urbains : il y a, je l'ai dit, l'équivalent d'un pôle urbain continu à proximité de la mer.
Globalement, un peu plus d'un million de métropolitains résident à moins de 500 mètres des côtes, et un peu plus de 8 millions à moins de dix kilomètres de la mer, ce qui représente environ un huitième de la population métropolitaine.
L'évolution de la population dans la plupart des collectivités d'outre-mer est nettement supérieure à ce que l'on observe au niveau national. La population de la Polynésie, par exemple, a augmenté de 1,9 % en moyenne entre les années 1960 et 2013, celle de la Nouvelle-Calédonie de 2,2 %, celle de Saint-Barthélemy de 3,1 %, et celle de Saint-Martin de 4,3 %. Seules quelques collectivités d'outre-mer ont eu des évolutions assez modérées, comme Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna. Les densités de population les plus élevées se trouvent à Saint-Martin – environ 600 habitants par kilomètre carré –, à Saint-Barthélemy – plus de 400 – et à Mayotte – autour de 500. Les valeurs sont nettement plus faibles ailleurs. Il y a actuellement 600 000 habitants dans les collectivités d'outre-mer.
Par ailleurs – j'ai omis de le signaler tout à l'heure –, on compte 1,8 million d'habitants dans les communes littorales des cinq départements ultramarins et 6,3 millions dans celles de métropole.
Regardons maintenant comment, et pourquoi, la population évolue dans les communes littorales de la métropole et de l'outre-mer. L'essentiel des façades des départements littoraux a une population qui augmente ; les seules dont la population diminue dans la période récente, entre 2009 et 2014, sont la Manche, le Pas-de-Calais, le Nord, la Seine-Maritime, la Martinique, la Guadeloupe et les Alpes-Maritimes – c'est une première pour ce département, où l'on commence à observer une diminution de la population des communes littorales. La question est à expertiser davantage dans le détail, mais une telle évolution est certainement liée aux prix de l'immobilier : on a de plus en plus de mal à vivre dans ces communes, où les résidences secondaires deviennent de plus en plus nombreuses, prenant peu à peu la place des résidences principales. Dans le Pas-de-Calais, le Nord et la Seine-Maritime, on constate une diminution de la population liée à des départs non compensés par un solde naturel qui serait très positif. La Manche et la Somme connaissent à la fois des départs et un solde naturel négatif, ce qui conduit à avoir davantage de personnes âgées que de jeunes. Sur les autres façades littorales, on observe une augmentation de la population dans la période récente, pour l'essentiel du fait d'un solde migratoire nettement positif – c'est ce que l'on appelle l'héliotropisme – et supérieur à un solde naturel qui est négatif dans de nombreux cas. Là aussi, on trouve plus de personnes âgées que de jeunes.
Je n'ai pas préparé de transparent sur ce dernier point, mais il doit être pris en compte quand on examine les risques naturels en bord de mer : la population y est de plus en plus âgée. Dans les communes littorales, l'indice de vieillissement, c'est-à-dire le rapport entre la population d'au moins soixante-cinq ans et celle de moins de vingt ans, est nettement supérieur à la moyenne métropolitaine, le record étant détenu par le Centre atlantique – la Vendée et la Charente-Maritime –, le Sud atlantique et une partie du littoral de l'Occitanie, mais pas la Côte d'Azur, contrairement à ce que l'on pense souvent. Le phénomène est bien plus marqué sur le littoral atlantique, essentiellement en Centre atlantique.
En ce qui concerne les départements ultramarins, la population diminue dans les Antilles, où les soldes naturels sont positifs mais ne compensent pas les départs, tandis qu'elle augmente nettement à la Réunion et en Guyane, en raison de soldes naturels très élevés, qui compensent largement l'existence de soldes migratoires négatifs.
Pour ce qui est des années à venir, l'INSEE a publié de nouveaux scénarios il y a très peu de temps et je n'ai donc pas encore la possibilité de faire de mise à jour – je pourrai néanmoins adresser à votre mission des éléments complémentaires dans un ou deux mois, une fois les données traitées. Les derniers scénarios utilisent des chiffres de 2007. Le scénario dit « central » reprend les paramètres démographiques récents qui sont projetés sur une trentaine ou une quarantaine d'années en ce qui concerne les départements métropolitains et les quatre départements ultramarins « historiques ».
Selon ce scénario, on s'attend à une hausse de 19 % de la population dans les départements littoraux entre 2007 et 2040, soit 4,5 millions d'habitants supplémentaires, et à une augmentation de 13 % dans les départements non littoraux, ce qui représente 5,1 millions d'habitants. La croissance devrait notamment être très forte en Guyane, à la Réunion, sur l'essentiel de l'arc atlantique et en Occitanie, par opposition à la région Provence-Alpes-Côtes-d'Azur (PACA), la Corse, les Hauts-de-France et la Normandie. Sur la façade de la Manche est et de la Mer du Nord, la population n'augmenterait que de 4 %, contre près de 27 % sur l'arc atlantique et 19 % en Méditerranée. Les communes littorales en métropole et dans les départements d'outre-mer pourraient gagner jusqu'à 1,4 million d'habitants, pour un total de plus de 9 millions en 2040.
Autre paramètre important, on assisterait à la poursuite du vieillissement de la population, et pas seulement en métropole : en Guadeloupe et à la Martinique, la part des plus de soixante ans serait multipliée par deux.
L'accueil des touristes dans les communes littorales ne figurait pas dans vos questions, mais ce facteur me paraît également essentiel. Il y a en effet plus de lits touristiques que d'habitants dans ces communes : on arrive à plus de 7,5 millions de lits touristiques « classiques » si l'on prend en compte les hôtels, les campings et les résidences secondaires – la statistique publique a encore du mal à appréhender les lits du type « Airbnb » ou encore les gîtes. Cela représente plus de 8 000 lits par commune littorale en métropole et un rapport de 7,6 millions de lits touristiques pour 6,3 millions d'habitants. Les communes littorales disposent, à elles seules, de près de 50 % des emplacements de campings et de près de 40 % des lits dans des résidences secondaires, alors qu'elles n'occupent que 4 % du territoire.
Les façades littorales de certains départements – tous en Méditerranée – comptent plus de 600 000 lits : c'est le cas de l'Hérault, du Var et des Alpes-Maritimes. Près de 3,5 millions de lits touristiques sont concentrés en Méditerranée, contre 1,3 million dans le Sud atlantique, plus de 2 millions dans le Nord atlantique et la Manche ouest, et seulement 900 000 dans la Manche est et la Mer du Nord. L'accueil touristique a aussi un impact fort sur la variation de la population au cours de l'année – sur ce point, je pourrai vous adresser un transparent complémentaire si vous le souhaitez. L'INSEE a mené une étude pour les ministères de la défense et de la santé en 2005 – elle n'a jamais été refaite depuis – afin d'estimer jour par jour le nombre de personnes présentes dans chaque département. Dans ceux situés en bord de mer, le maximum était atteint autour du 15 août, avec l'équivalent de 120 ou 130 % de la population résidente, contre 98 % au mois de février. C'est un autre paramètre important : un aléa naturel n'aura pas du tout le même impact le 15 août que début mars.
Conséquence directe de la forte densité de population et de l'accueil touristique, le taux d'artificialisation et de construction est nettement plus élevé en bord de mer qu'en moyenne métropolitaine ou nationale. La densité de construction de logements entre 2000 et 2012, évaluée en mètres carrés par kilomètres carrés, est 2,8 fois plus élevée sur le littoral qu'en moyenne métropolitaine. Il faut aussi retenir que plus on s'éloigne des pôles urbains, vers le périurbain et l'espace rural, plus la spécificité littorale est forte. Alors que l'on construit 1,2 fois plus dans les pôles urbains littoraux que dans l'ensemble des pôles urbains, le facteur est de 2,5 pour les couronnes périurbaines et de 3,5 pour l'espace rural, avec une très nette progression de l'artificialisation dans les communes rurales de bord de mer. Environ 15 % du territoire des communes littorales de métropole est artificialisé, contre à peine 6 % en moyenne, et le taux s'élève à près de 30 % à moins de 500 mètres des côtes. On a donc une chance sur trois de tomber sur un territoire artificialisé quand on pointe un bord de mer sur la carte. Il en est de même outre-mer : 40 % du territoire réunionnais et autour de 25 % de celui des Antilles sont artificialisés à moins de 500 mètres des côtes.
Du fait de la densité de population et de l'artificialisation, les outils d'urbanisme sont davantage sollicités en bord de mer. La quasi-totalité des communes littorales de métropole et d'outre-mer disposent ainsi d'un plan local d'urbanisme (PLU) ou d'un plan d'occupation des sols (POS) en cours de révision, la moyenne nationale étant d'un peu plus de 50 %. Même constat pour les schémas de cohérence territoriale (SCOT), la part des communes situées dans le territoire d'un SCOT est bien plus élevée en bord de mer.
J'en termine avec trois types de zones à risque : les zones basses, les côtes en érosion et les zones à tsunami dans les Antilles. Au préalable, il faut tout de même garder en tête qu'une vision statistique ne remplacera jamais une approche locale faisant appel à des données nettement plus fines. Celles que nous pouvons mobiliser au plan national permettent d'avoir une idée des secteurs problématiques, mais les plans de prévention des risques ou d'autres travaux locaux sont évidemment bien plus précis.
En métropole, les côtes en érosion représentent à peu près 25 % du linéaire côtier. Deux tiers d'entre elles sont sableuses, et 40 % des côtes rocheuses sédimentaires, c'est-à-dire à falaises calcaires, reculent, comme sur la côte d'Albâtre ou au Pays basque. Les plus forts reculs ont lieu dans le Pas-de-Calais – plus des trois quarts du littoral sont concernés –, dans la Seine-Maritime – environ les trois quarts sont touchés – le Calvados et la Vendée – 40 % –, l'Aquitaine – 38 % – et la courte façade maritime du Gard, au niveau du delta du Rhône – autour de 58 %. Environ 250 000 personnes vivent à moins de 500 mètres de ces côtes. Il ne s'agit pas d'un aléa, car le littoral ne va pas reculer de 500 mètres en peu de temps, mais les données statistiques actuelles ne permettent pas de réaliser un travail plus fin. Sociologiquement et démographiquement, les personnes concernées sont en général plus âgées que la moyenne et disposent de revenus plus élevés. En effet, ce sont essentiellement des côtes sableuses qui reculent ; or, qui dit côtes sableuses dit tourisme, stations balnéaires et donc coût d'installation plus élevé. Environ 45 000 personnes résident sur la côte de la Manche est et de la Mer du Nord, surtout dans le Pas-de-Calais, où les côtes sont sableuses, et dans la Seine-Maritime – où se trouvent les falaises du Pays de Caux –, à peu près 56 000 personnes dans le Nord atlantique et la Manche ouest, essentiellement dans le Finistère, les Côtes-d'Armor et en Vendée, où des communes touristiques importantes sont concernées, notamment les Sables-d'Olonne, Crozon, Perros-Guirec et Saint-Jean-de-Monts, près de 30 000 personnes dans le Sud atlantique, dont la moitié en Charente-Maritime, dans des communes touristiques telles que Royan, Biarritz ou Arcachon, et environ 120 000 personnes en Méditerranée, surtout sur la Côte d'Azur – à Fréjus et Hyères.
À peu près 800 000 personnes résident dans des zones basses, c'est-à-dire submersibles en cas d'événement centennal – en Méditerranée, il s'agit typiquement de toutes les zones situées à moins de 2,5 mètres d'altitude. Sur ce total, 200 000 personnes résident à moins d'un kilomètre des côtes, là où le risque de submersion est le plus fort. En tout, 5 600 kilomètres carrés sont concernés – des zones de polders, des lagunes, des marais littoraux ou encore des estuaires. Environ 60 000 habitants se trouvent dans des zones basses à moins d'un kilomètre de la côte en Manche est–Mer du Nord, notamment dans les Wateringues, qui correspondent à l'ancien estuaire de l'Aa. Il s'agit d'une des zones basses les plus étendues mais aussi les plus importantes par ses enjeux humains et par la présence de sites classés « Seveso » et de centrales nucléaires. À cela s'ajoutent les trois estuaires picards – les baies d'Authie, de Canche et de la Somme –, l'estuaire de la Seine, la partie du Calvados située entre la Dives et l'Ornes, ainsi que les sites historiques de la seconde Guerre mondiale dans la baie des Veys. Dans le Nord atlantique et la Manche ouest, 57 000 personnes habitent dans des zones situées à moins d'un kilomètre de la côte, notamment la baie du Mont-Saint-Michel, le Golfe du Morbihan, les marais de Guérande, l'estuaire de la Loire, le marais breton à proximité de Noirmoutier, le marais poitevin et la baie de l'Aiguillon. Dans le Sud atlantique, 35 000 personnes sont concernées, en particulier dans le marais Poitevin et celui de Brouage, dans l'île de Ré, à Oléron, dans l'estuaire de la Gironde et dans le bassin d'Arcachon. En Méditerranée, un peu plus de 55 000 personnes habitent dans des zones basses qui sont certes peu étendues, mais densément peuplées. Il s'agit essentiellement des lidos et des lagunes du Languedoc-Roussillon, de la Camargue, de la presqu'île de Giens et des abords de l'Argens à Fréjus.
Sur les secteurs à tsunami dans les Antilles françaises, un grand travail a été réalisé par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) afin de déterminer les secteurs concernés en tenant compte du plancher océanique et de la plaque tectonique caraïbe. Différents scénarios de tsunamis, dus à la subduction ou au volcanisme, ont permis de déterminer quels sont les secteurs les plus exposés. Avec nos modèles, nous avons estimé qu'il y a environ 100 000 personnes vivant à moins de 500 mètres des côtes correspondant à une exposition élevée ou très élevée. Cela représente à peu 13 % de la population des Antilles – 70 000 personnes en Guadeloupe et 30 000 en Martinique.
Merci pour votre invitation à contribuer à vos travaux. Je me concentrerai surtout sur votre sixième question, relative aux États dont on peut penser qu'ils font face aux mêmes problématiques que les nôtres : j'essaierai de montrer quelles leçons on peut tirer des expériences étrangères, étant entendu que la diversité géographique de la France fait qu'elle cumule tous les cas possibles.
J'aimerais aussi préciser que je dirige une revue intitulée « Population & Avenir ». S'agissant des questions de risque, l'une de nos préoccupations est d'apporter des connaissances aux populations. Certains numéros de la revue sont ainsi destinés aux collégiens et aux lycéens. Nous allons également publier avec le réseau Canopé – anciennement Centres régionaux de documentation pédagogique (CRDP) – un livre sur les populations et le développement durable. La dernière livraison de « Population & Avenir » comporte en particulier un dossier sur Saint-Barthélemy et Saint-Martin pour les lycéens.
Que signifie la connaissance du risque ? Il faut combiner deux éléments : d'une part, l'aléa, c'est-à-dire la possibilité que se déclenchent des événements climatiques majeurs sur un territoire donné ; d'autre part, la vulnérabilité, qui revient à se demander si les populations sont plus ou moins exposées.
Il n'est pas inintéressant de considérer les stratégies développées dans d'autres pays, car on voit qu'elles sont extrêmement différentes. J'aborderai successivement Tuvalu, les Maldives, Kiribati, la Louisiane, la Floride et les Pays-Bas, avant de conclure sur les enseignements à retenir.
Tuvalu, qui comprend neuf atolls, a un territoire de 26 kilomètres carrés. Si je puis présenter la situation un peu brutalement, la stratégie suivie repose sur un abandon éventuel du territoire, dans l'idée qu'il va être submergé et qu'il faut donc envisager de déménager. D'où, notamment, des négociations avec la Nouvelle-Zélande qui ont débouché sur un programme d'émigration. Les exigences pour l'installation d'habitants de Tuvalu sont très fortes, notamment en matière de connaissances linguistiques et de capacités professionnelles, mais cela reste quand même le principal point mis en avant par les autorités de Tuvalu.
Les Maldives ont adopté une stratégie fondamentalement différente, dans un contexte géographique qui est assez distinct, puisque le pays compte 200 îles habitées : l'ensemble formé par les différents archipels est beaucoup plus grand que Tuvalu. La stratégie retenue est celle d'une réorganisation territoriale. Comme il y a des risques de submersion et que les autorités estiment ne pas être en mesure de construire des digues dans toutes les îles, car cela représenterait des budgets considérables, on a commencé par l'île principale, qui abrite la capitale, en faisant pour l'essentiel appel au Japon dans la mesure où les Maldives ne disposent pas nécessairement des compétences techniques nécessaires. On n'assure par ailleurs la protection que de certaines autres îles, où l'on conseille très fortement aux populations de se regrouper, quitte à abandonner le reste du territoire à la mer. Cela encourage des migrations depuis des espaces considérés comme risquant d'être perdus un jour, les services publics, comme les écoles, étant conservés dans seulement quelques îles.
Dans le cas de Kiribati, deux stratégies se cumulent. La première ressemble, dans une certaine mesure, à celle des Maldives : on utilise des techniques « dures », à savoir la construction de digues, ou plus douces pour essayer de protéger l'oekoumène de l'élévation du niveau de la mer. Parallèlement, la décision a été prise d'acheter des terres dans les îles Fidji, en vue d'un repli dans des territoires non submergés par la mer.
Dirigeons-nous maintenant vers la mer des Caraïbes pour évoquer deux États américains : la Floride et la Louisiane.
Le cas de la Louisiane est celui dont on a le plus parlé au cours des dernières années, à cause du cyclone Katrina qui a causé 1 800 morts en 2005, ce qui est considérable. Chacun connaît la raison fondamentale : l'évacuation a été organisée beaucoup trop tard et il a fallu procéder presque individuellement dans un certain nombre de situations, par hélicoptère – pour un coût énorme – et en affrétant des centaines de bateaux et de camions militaires. L'expérience de Katrina montre qu'une réponse locale tardive ne peut pas être suppléée par une réponse nationale – ou fédérale aux États-Unis : dans ce pays, on considère qu'il faut sept jours pour qu'une telle réponse arrive, ce qui risque d'être trop lent.
Le cas de la Louisiane mérite d'être comparé à celui de la Floride, qui a subi en octobre de la même année le cyclone Wilma, l'un des plus forts que l'État ait connus. Sur les 18 millions de personnes concernées – un chiffre colossal –, on a déploré un seul décès, causé par la chute d'un arbre.
Il convient de s'interroger sur des mortalités aussi différentes – 1 800 morts d'un côté, un seul de l'autre – dans le même pays, les États-Unis, avec le même système administratif. Je ne parle pas des milliers de morts en Haïti, causées par de simples tempêtes.
Le premier élément tient à la qualité de l'information sur le risque, transmise par les autorités à l'ensemble de la population. Le deuxième élément, c'est l'évacuation des personnes, décidée à J-7, très en amont de l'arrivée du cyclone, dans un territoire doté d'un réseau autoroutier assez dense, complété à cette période par une signalétique très précise qui indiquait aux automobilistes quelle direction emprunter. Troisième élément qui contribue à abaisser la vulnérabilité des populations, l'habitude : les habitants étaient informés et connaissaient le risque - certains d'entre eux doivent évacuer deux fois par an. Le moins que l'on puisse dire est que les autorités de Louisiane ont été particulièrement défaillantes. Ces expériences sont éclairantes pour les littoraux français.
Il est intéressant de voir comment les Pays-Bas, qui sont dotés de terres basses, ont réagi aux risques de submersion marine. C'est quatre ans après les événements gravissimes de 1953, lorsque 1 835 personnes ont péri noyées, que le plan « Delta » a été lancé. Ce plan d'aménagement, prévoyant la construction d'infrastructures telles que des barrages, des digues ou des écluses, a fonctionné : aucun des événements climatiques subis depuis par les Pays-Bas n'a eu de conséquences comparables.
Le pays, bien informé des risques d'élévation du niveau de la mer, a arrêté en 2012 un nouveau « plan Delta ». De nombreux travaux sont prévus d'ici 2050 et certains sont déjà engagés- pour un investissement de 20 milliards d'euros. La logique est quelque peu différente du plan précédent, essentiellement défensif. Il ne s'agit pas seulement de couler du béton, et de renforcer évidemment les digues du Zuidersee, mais d'agir de façon indirecte : recharge des dunes naturelles, création de bancs de sable artificiels, en intégrant une stratégie de développement durable. Selon les hypothèses en cours, l'élévation du niveau de la mer pourrait entraîner la submersion de 59 % du territoire, ce qui obligerait 9 millions de Néerlandais à déménager sur les terres fermes et aurait un impact économique majeur, dans la mesure où la plus grande partie de l'activité économique se situe dans les zones potentiellement inondables.
Quels enseignements tirer de ces différentes expériences étrangères ? Le premier, c'est que la connaissance des aléas est essentielle. Bien sûr, nous avons en France des experts, mais l'ensemble de la population doit être bien informée. Différents programmes scolaires devraient participer de cette meilleure connaissance.
L'aménagement du territoire est une autre façon de lutter contre les aléas, notamment contre la submersion marine, qu'il s'agisse de mettre en oeuvre des mesures « dures », comme des barrages, des digues, ou des mesures « souples » comme le rechargement des dunes.
Si les décideurs jouent un rôle important, les citoyens doivent être conscients des risques et de la nécessité de partir temporairement. Ils doivent avoir anticipé l'événement, pour protéger leur maison par exemple, avant de quitter les lieux. La gestion de la crise est essentielle pour que les choses se passent le moins mal possible.
Enfin, la réflexion face à ces événements majeurs doit prendre en compte plusieurs dimensions : la dimension sociale – partage des connaissances et des attitudes –, la dimension économique – capacité à retrouver le dynamisme économique antérieur –, et la dimension environnementale.
Je conclurai donc sur un paradoxe. La question démographique n'est pas l'essentiel : ce qui compte, c'est l'éducation des populations, la prévention des événements, la mise en oeuvre de politiques d'aménagement du territoire. Il importe de disposer de données quantitatives, mais tout réside dans l'approche qualitative de la gestion des événements climatiques majeurs.
Merci, messieurs, pour vos interventions. Il est important de mettre en perspective les évolutions démographiques des zones au regard de l'intensification des phénomènes et de regarder comment s'organiser au mieux, en s'inspirant de ce qui se fait dans d'autres pays.
Travaillez-vous en réseau pour comparer ces données et progresser vers les solutions pouvant être apportées de manière cohérente sur l'ensemble du sol européen ?
Nous pourrons vous fournir des éléments de réponse par écrit.
Merci de mettre votre expertise à notre service. Vos données permettent de concevoir des plans de prévention des risques. Je voudrais savoir si des études ont été menées à la suite d'événements climatiques tels que la tempête Xynthia, pour déterminer l'impact socio-économique à court, moyen et long terme sur un territoire donné baisse du chiffre d'affaires des entreprises, estimation des dégâts matériels et humains, taux de remboursement des assurances, diminution des flux touristiques.
Vous avez évoqué les SCOT et les PLU, mais il apparaît que certains territoires littoraux en sont dépourvus. Cela me semble regrettable, dans la mesure où ces outils permettent de concevoir une urbanisation qui assure correctement l'interface terremer. Ils donnent aux élus locaux une vision à long terme, ce qui n'est pas toujours le cas, et contribuent à régler le problème de la densification de l'urbanisation des littoraux.
À la suite de Xynthia, des décisions locales ont été prises pour que de tels événements n'entraînent plus les mêmes conséquences. Je citerai l'exemple, que M. le rapporteur connaît bien, de l'aménagement des quais du Pouliguen. Mais si des réponses ont été apportées ça et là, il n'existe pas à ma connaissance de plan d'ensemble.
J'estime que l'élaboration des SCOT est relativement opaque pour les citoyens, et que ces processus mériteraient d'être revus. Par ailleurs, un SCOT nécessite une préparation de six ans, basée sur des chiffres de l'INSEE parfois vieux de trois ans, si bien que lorsque le SCOT est publié, les dynamiques territoriales ont beaucoup changé. Il s'agit à mes yeux d'un outil à repenser fondamentalement : il complique la vie des élus et de leurs collaborateurs, qui doivent respecter des obligations administratives plutôt que de se concentrer sur les problèmes de terrain.
Permettez-moi de nuancer vos propos : le SCOT est un espace de rencontre et de neutralité politique, qui permet aux élus de travailler ensemble, sur la base d'une culture commune. L'élaboration collective d'un SCOT demande du temps : ce n'est pas une procédure, mais un processus. Il faut se réjouir que, pour la première fois, la loi ait permis aux élus de réfléchir aux orientations qu'ils souhaitent pour leur territoire sans que les choses ne tombent d'en haut.
Souvent, les territoires qui ont élaboré un SCOT ont transformé leur syndicat de SCOT en pays ou en pôle d'équilibre territorial et rural. Par ailleurs, le SCOT doit être évalué tous les six ans. Enfin, le SCOT peut être doté d'un volet littoral, qui prend en compte, par exemple, les activités marines. Il s'agit aussi d'un outil de contractualisation avec l'État, les régions, les départements : lorsque l'on écrit un projet de territoire qui concerne tous les aspects – équipements, infrastructures –, on réfléchit à un périmètre qui a du sens. Cela permet d'appliquer, dans une démarche de cohérence territoriale, les déclinaisons de la loi littoral à des espaces où elle ne s'impose pas forcément. La démarche n'est pas que négative !
Vous avez raison, monsieur le rapporteur ! Il serait absurde de dire que les SCOT sont un mauvais outil, élaboré sans concertation. Mais je pense que le système des SCOT doit être amélioré. Il faut bien dire que les expériences sont diverses, et je ne parle pas des SCOT qui résultent de mauvais copier-coller, effectués par des consultants quelconques, qui ont parfois oublié de changer le nom du territoire !
Cet échange est intéressant car il montre que la sensibilisation et l'éducation de nos concitoyens à la question du risque commencent avec l'appropriation de cette connaissance par les décideurs. Ces lieux d'échange que sont les SCOT permettent aux élus de prendre conscience du sujet avant de tendre cette passerelle vers la population.
À ma connaissance, il n'existe pas d'étude centrée sur les impacts socio-économiques de la tempête Xynthia, madame la députée, mais je vous ferai parvenir les éléments que je pourrai trouver sur cette question.
Un mouvement profond comme le recul du cordon dunaire sur le littoral atlantique, observé en 2016, a affecté durablement le marché de l'immobilier. Toutefois, les évolutions du prix du foncier ne sont pas seulement liées aux catastrophes. On observe que lorsqu'il existe une prescription publique, un PPRI (plan de prévention des risques d'inondation) ou un PPRSM (plan de prévention des risques de submersion marine), les tendances décrites par Sébastien Colas s'inversent. Ainsi, un zonage différent est en train de se mettre en place dans les villes concernées par les inondations. On peut espérer que, avec un peu de retard – je n'épiloguerai pas sur la gestion de Xynthia et le retard des PPRI –, la prescription publique sera en mesure d'inverser certaines des tendances naturelles décrites ce matin.
La séance est levée à treize heures.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 18 janvier 2018 à 11 h 30
Présents. – Mme Justine Benin, M. Bertrand Bouyx, M. Lionel Causse, M. Stéphane Claireaux, Mme Claire Guion-Firmin, M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, Mme Sophie Panonacle, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Hugues Renson, Mme Maina Sage
Excusé. – M. Philippe Gomès
Assistait également à la réunion. – Mme Sophie Auconie