Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 19 mai 2020 à 8h30

La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 19 mai 2020

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission, et de M. Éric Woerth, Président de la commission des Finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

La séance est ouverte à 8 heures 30.

I. Audition, commune avec la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, de M. Bruno Le Maire, ministre de l'Économie et des finances, sur le projet de plan de relance européen

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La réponse des institutions européennes à la crise économique issue de la crise sanitaire a été massive et rapide, du point de vue tant juridique que budgétaire.

Nous entrons dans une deuxième phase de gestion de la crise ; il s'agit non plus seulement de soutenir dans l'urgence une économie arrêtée, mais de la relancer. La Commission européenne va présenter, d'ici à la fin du mois, un plan de relance dont les grands axes ont déjà été annoncés : il s'appuiera à la fois sur le budget pluriannuel de l'Union et sur un instrument de relance spécifique.

Dans ce cadre, nous ne pouvons que nous féliciter de l'annonce commune franco-allemande d'hier. Nous aimerions que vous en précisiez l'ambition, et que vous la replaciez dans le contexte des autres aides européennes.

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Parmi les trois filets de sécurité européens – ligne de précaution du mécanisme européen de stabilité, soutien aux systèmes nationaux de chômage partiel et fonds de garantie de la Banque européenne d'investissement ­– quels seront ceux auxquels la France est susceptible de recourir, et quand seront-ils opérationnels ?

Le plan de relance européen est indispensable pour limiter les divergences entre États selon les capacités de rebond dont ils disposent. On peut se féliciter de l'impulsion donnée hier par la France et l'Allemagne. Comment ont réagi les autres États membres, comme l'Italie, et quels sont les écueils éventuels de ce projet ? Selon quelles modalités la dette européenne ainsi contractée serait-elle remboursée ?

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Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances

La récession qui affectera la zone euro en 2020 est évaluée à 7,7 %, bien pire que celle de 2009 qui avait été de 4,5 %. Elle frappe tous les États européens, mais plus violemment encore ceux dont les marges de manœuvre budgétaire sont moindres : plus de 9 % de récession pour l'Italie, l'Espagne et la Grèce, mais autour de 6 % pour l'Allemagne, l'Autriche et la Finlande, qui ont davantage de réserves budgétaires.

Cette récession diversement répartie emporte un risque majeur de fragmentation de la zone euro et du marché intérieur. Si chaque État apporte une réponse différente à la crise, les disparités existantes risquent d'être redoublées, ce qui pourrait signer la fin de la construction européenne. Ainsi, la Commission européenne a donné son accord pour un montant total d'aides d'État de 2 000 milliards d'euros dans l'ensemble de l'Union européenne : l'Allemagne en a prévu 990 milliards sous forme de prêts et de garanties, soit quasiment la moitié du total, alors que la France en est à 350 milliards et l'Espagne à moins de 100 milliards.

Les chefs d'État et les ministres des finances ont la responsabilité d'amortir le choc, mais surtout de nous doter d'instruments européens pour une relance coordonnée, solidaire et forte. Nous sommes en passe de relever ce défi.

La première réponse forte a été donnée par la Banque centrale européenne (BCE), sous la forme de programmes d'achat de titres obligataires permettant d'apporter les liquidités nécessaires aux États et aux entreprises. Après les 250 premiers milliards d'euros d'achats prévus, Christine Lagarde a annoncé 750 milliards d'euros de rachats d'obligations supplémentaires, soit, au total, 1 000 milliards d'euros de soutien.

La deuxième réponse forte a été apportée par les ministres des finances de la zone euro, le 9 avril dernier. Après des dizaines d'heures de négociation, nous nous sommes accordés sur un cadre global de relance économique européenne reposant sur quatre piliers, les trois premiers – le mécanisme européen de stabilité (MES), le mécanisme SURE et les prêts de la Banque européenne d'investissement (BEI) – ayant été débloqués immédiatement, le dernier restant à préciser. Il s'agit du plan de relance qui a connu une avancée importante hier.

Au sein du mécanisme européen de stabilité, nous avons inscrit une ligne de trésorerie spécifique pour répondre à la pandémie : elle pourra être mobilisée par tous les États membres à hauteur de 2 % de leur PIB, sans conditionnalité en matière de réforme. C'est ce point qui a été très discuté, parce que précisément contraire aux conditions d'accès originelles au MES. De fait, nous avons tiré les leçons de la crise de 2009 : poser une condition de rétablissement des finances publiques à l'utilisation d'un mécanisme de relance, c'est tuer l'efficacité de ce mécanisme. On ne peut être efficace qu'en procédant étape par étape : d'abord, le soutien public, qui implique d'engager des dépenses publiques, y compris par des baisses d'impôt sur les entreprises, pendant plusieurs mois pour soutenir notre économie ; ensuite, le redressement des comptes publics et le remboursement de la dette. Rien ne serait pire que de mélanger les étapes en appuyant en même temps sur l'accélérateur et sur le frein : la sortie de route serait garantie. La dette n'est ni éphémère, ni perpétuelle : elle devra être remboursée mais le moment venu.

Au total, 240 milliards d'euros pourront être mobilisés au titre du MES à l'échelle de la zone euro. Cette ligne de crédit a pour vertu majeure d'adresser aux marchés le signal de la solidarité européenne, et d'éviter des écarts de taux d'intérêt trop importants entre les États membres ; la simple annonce du dispositif a d'ailleurs permis une stabilisation de ces écarts.

Deuxième dispositif du pacte global, d'un montant de 100 milliards d'euros, le nouvel instrument SURE consiste en l'octroi de prêts de l'Union européenne aux États membres pour financer les dépenses liées au soutien à l'emploi, en particulier le chômage partiel. Sur la demande d'un État, l'UE empruntera de l'argent sur les marchés pour le lui prêter avec la garantie des États membres, l'idée étant qu'il vaut mieux dépenser de l'argent public et lever de la dette que de voir se multiplier le nombre de chômeurs. Le chômage partiel nous a permis d'éviter une hémorragie sociale telle qu'en connaissent les États-Unis, où 21 millions de personnes se sont retrouvées au chômage en quelques semaines. En soutenant ce dispositif, l'UE pose le premier jalon de l'affirmation d'un vrai modèle social européen, ce dont on ne peut que se féliciter. La France est d'ailleurs prête à avoir recours à l'instrument SURE pour marquer sa détermination en la matière.

Le troisième dispositif est le fonds de la BEI, garanti par les États membres à hauteur de 25 milliards d'euros. Il permettra de générer jusqu'à 200 milliards d'euros de financement pour les entreprises, et pourrait être conclu aujourd'hui lors de la réunion des ministres des finances de l'Union européenne. Ce fonds doit prendre des risques en soutenant des entreprises fragilisées par la crise ; il devra donc bénéficier en priorité aux PME, qui sont particulièrement victimes du choc économique.

Ces trois premiers dispositifs, adoptés définitivement le 9 avril, seront opérationnels très prochainement ; ils représentent 540 milliards d'euros de prêts aux États.

Pour le quatrième pilier, nous étions parvenus à un accord de principe sur un fonds de relance financé par une dette mutualisée ; il restait à en régler la question fondamentale des modalités de financement. Deux conceptions radicalement différentes s'opposent en la matière : pour l'une, il ne peut s'agir que de prêts accordés par la Commission européenne aux États, qui les remboursent ensuite – c'est le chacun pour soi ; pour l'autre, défendue par la France, lever de la dette en commun présente l'intérêt financier de mutualiser le taux d'intérêt et de créer de la convergence financière au sein de la zone.

L'intérêt est aussi politique : il s'agit de marquer de la solidarité entre les États membres, d'aider en priorité les pays les plus touchés par le coronavirus en les faisant bénéficier des taux d'intérêt réduits de l'Allemagne et des États du Nord. Nous n'avons cessé de plaider en faveur de cette solution. La décision prise hier par le Président Emmanuel Macron et par la Chancelière Angela Merkel est historique : pour la première fois, la France et l'Allemagne s'accordent sur la nécessité de lever de la dette en commun et annoncent un montant – 500 milliards d'euros – pour nous faire sortir de cette crise économique sans précédent. Je veux saluer cet accord qui a permis de débloquer une situation politiquement et financièrement dangereuse, et je souhaite que les autres États membres le soutiennent, car c'est l'avenir de l'Union européenne qui est en jeu.

Nous disposons désormais des instruments nécessaires pour garantir une relance forte et efficace au niveau européen, et d'un financement de 1 000 milliards d'euros au total.

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Quand et comment pensez-vous obtenir l'accord des autres pays européens, notamment de l'Autriche et des Pays-Bas ? Quand ce plan sera-t-il actionné et comment s'articulera-t-il avec les plans nationaux ?

En France, allons-nous voir se multiplier les plans sectoriels ou envisagez-vous un plan de relance plus global ? Y aura-t-il un troisième projet de loi de finances rectificative d'ici au mois de juin ?

Des contreparties seront-elles demandées aux États qui profiteront du fonds de relance européen ?

Cette avalanche de milliards d'euros, via le MES et la BEI, est difficile à décrypter et donne un peu le tournis. Il faudra, à un moment ou à un autre, rembourser cette dette : avez-vous des scenarios de remboursement ?

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Le fonds de relance proposé hier par la France et l'Allemagne insufflerait une dynamique des plus ambitieuses en Europe. Autoriser la Commission à émettre de la dette européenne et valider le principe de transferts budgétaires massifs en direction des États les plus touchés par la crise sanitaire, voilà bien une innovation qui, en levant des tabous, marquerait un sursaut européen. Espérons que le moteur franco-allemand entraînera les autres États dans son sillage.

L'idée est que la Commission européenne puisse emprunter 500 milliards d'euros sur les marchés, grâce au relèvement du plafond de ses ressources propres dans le budget européen : aujourd'hui limité à 1,2 %, pourrait-il atteindre 2 % ? L'Allemagne soutiendra-t-elle la création de nouvelles ressources propres, telles que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ou la taxe numérique, actuellement négociée au sein de l'OCDE ? Augmenter les ressources propres de l'Union européenne permettrait de sortir du principe du juste retour.

Le fonds serait adossé au cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, en cours de négociation. Puisque ce fonds sera utile dès 2020, y aurait-il un dispositif transitoire ?

Enfin, aujourd'hui, le conseil Ecofin se penche sur le régime de l'activité partielle. La France a-t-elle intérêt à recourir au programme SURE ?

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Comment le plan de relance va-t-il s'articuler avec le cadre financier pluriannuel ? A quelle date pouvons-nous espérer un accord sur ce cadre financier ?

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L'accord d'hier soir a ouvert un espace politique. La présentation par la Commission le 27 mai du plan de relance européen est très attendue, notamment concernant l'articulation du fonds de relance avec le CFP : va-t-on créer un nouveau programme spécifique, ou bien une partie du fonds sera-t-elle intégrée dans les programmes existants ? Y aura-t-il des conditions d'accès à ce fonds ?

N'est-ce pas parce que nous les avons insuffisamment ciblés dans le précédent CFP que la crise a été particulièrement grave dans les pays du Sud ?

Pensez-vous que les réformes engagées depuis trois ans en France ont aidé le Président de la République à négocier ce fonds de relance avec l'Allemagne ?

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Cet accord est une bonne nouvelle pour l'Union européenne, mais j'ignore si le « moteur franco-allemand » sera assez fort, compte tenu du sentiment d'infériorité que nous pouvons nourrir vis-à-vis de l'Allemagne, qui a mieux géré la crise sanitaire et aborde la relance en meilleure posture que la France.

Ce plan de 500 milliards d'euros sera-t-il suffisant pour sauver le passé et l'avenir, alors qu'on avait parlé de 2 000 milliards ? Il faut à la fois sauver les secteurs les plus touchés par la crise – le tourisme, la culture, l'industrie textile, l'économie de proximité –, soutenir les secteurs en transition que sont l'aéronautique et l'automobile, et développer les secteurs innovants, comme le numérique, la santé ou la défense. La France est-elle prête pour la transition et la relance, alors que la poursuite des réformes est compromise ?

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Cet accord est une excellente nouvelle et j'espère que nos partenaires nous suivront. Il manifeste une forme de solidarité et apporte une réponse par le haut aux interrogations de la Cour constitutionnelle allemande, qui reproche à la Banque centrale européenne de faire de la politique budgétaire indirectement : désormais, l'Union le fait directement.

Comment ces sommes seront-elles dépensées ? Plutôt que de remettre des enveloppes aux États, mieux vaudrait que la Commission européenne finance directement des entreprises, des acteurs publics ou des collectivités. Quel serait, dans ce cas, le rôle de chaque État ?

Quelle serait la part des subventions et celle des prêts ? Le Président de la République a clairement parlé de transferts budgétaires, ce qui n'a pas été le cas de la Chancelière. Il faut distinguer clairement les cas où l'Europe aura une fonction de catalyseur et fera le travail des acteurs économiques et financiers, d'une part, et ce qui relève d'un mécanisme de transfert, d'autre part.

Les négociations du prochain CFP ne vont-elles pas retarder l'entrée en vigueur du fonds de relance ? Comment les deux vont-ils s'articuler ?

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Je me réjouis, moi aussi, de cet accord, mais souvenons-nous du plan Juncker : à l'Assemblée nationale, il nous a fallu deux ans pour savoir ce qu'il avait financé. Quels sont les secteurs que le plan de relance pourrait financer ? Quelles industries du secteur de la santé permettrait-il de relocaliser en Europe ?

L'aéronautique est le seul secteur qui a une démarche européenne, avec Airbus. Concrètement, comment la transition va-t-elle se passer pour cette chaîne logistique européenne ?

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La relance européenne doit favoriser l'innovation, l'enseignement et la formation, et servir une croissance plus équilibrée, sans creusement d'écart entre les différents États européens. Comment faire en sorte que le plan de relance favorise la transition numérique, industrielle et écologique ?

La crise montre qu'il nous faut repenser nos chaînes de production et diminuer notre dépendance vis-à-vis de la Chine. N'est-elle est pas aussi l'occasion de refonder les relations économiques de l'Europe avec les États d'Afrique ?

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Je suis moins enthousiaste que mes collègues. Sur la forme, le couple franco-allemand a agi unilatéralement alors que les Vingt-sept avaient mandaté la Commission européenne pour évaluer les besoins de chacun. On pouvait attendre autre chose du monde d'après ! Sur le fond, contrairement à ce que l'on entend souvent, les pays du Nord ne sont pas hostiles à un plan de relance. Ils ont fait des propositions intéressantes, qui passeraient par le CFP, avec plus d'argent les premières années, et les programmes existants, avec une évaluation des besoins de chacun et des critères de conditionnalité. Chercher un accord avec nos partenaires aurait mieux valu qu'une opération de communication !

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Nous donnons acte de ce que le plan de relance proposé affiche la vertu de la solidarité. Les députés communistes et progressistes demandent depuis longtemps un fonds européen financé par la BCE pour subventionner les investissements des États dans les services publics et la transition écologique. Quels seront les critères du plan de relance que vous avez présenté ? Permettra-t-il de relancer les services publics en France ?

Ce plan s'appuie sur une levée d'emprunts, qu'il faudra bien rembourser, avez-vous dit – pour notre part, nous estimons que cette dette doit être gelée. Dans quelques années, les marchés financiers vont donc nous réclamer des économies dans nos dépenses publiques. On continue comme avant ! Qui paiera la dette et la charge de la dette ?

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Il est vrai qu'une relance trop hétérogène au sein de la zone euro aurait risqué de la faire éclater, mais il est gênant que deux pays décident pour tous les autres. Du reste, 500 milliards d'euros, ce n'est pas suffisant : c'est trois fois moins que ce que préconisait Thierry Breton et quatre fois moins que ce qu'a demandé le Parlement européen.

Peut-on vraiment parler d'absence de conditionnalité lorsqu'on demande aux États une « politique économique saine » et un « ambitieux programme de réforme » ? Pour la Commission européenne, ces réformes ne sont rien d'autre que des plans d'austérité ! Mieux vaudrait admettre que la dette ne sera pas remboursée.

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Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances

L'accord franco-allemand, décisif, était une condition indispensable, mais il reste à convaincre les autres membres de la zone euro, en particulier l'Autriche, le Danemark, la Suède et les Pays-Bas, ce qui ne sera pas facile. Les grands États doivent assumer leur poids économique et leur responsabilité politique en donnant l'impulsion quand c'est nécessaire.

La discussion sur le fonds de relance aura lieu au Conseil européen de juin. Nous aurons donc le temps d'y travailler en amont avec nos partenaires européens.

En France, la relance est orchestrée en trois temps. Le premier est celui de la résistance à un choc économique d'une violence comparable à celle de la grande récession de 1929. Les prêts garantis par l'État, les reports de charges sociales et fiscales, le fonds de solidarité et le chômage partiel ont été autant de moyens de résister.

Le deuxième temps, qui commence, consiste à apporter des réponses spécifiques aux secteurs pour lesquels il est le plus urgent d'agir. Des mesures ont déjà été prises pour l'hôtellerie, la restauration, les bars et les cafés, le sport, l'événementiel, la culture. Un plan de soutien à l'industrie automobile devrait être annoncé sous quinze jours ; il visera à la fois la demande et l'offre. Un autre sera présenté avant le 1er juillet pour l'aéronautique. Un troisième projet de loi de finances rectificative est en préparation pour financer ces plans sectoriels.

Troisième temps, un plan de relance à proprement parler aura pour objectif de bâtir à l'horizon de dix ans une économie compétitive et décarbonée, en concertation avec les parlementaires, les organisations syndicales et patronales et les économistes.

Les 500 milliards d'euros du fonds de relance européen doivent permettre de soutenir les secteurs les plus touchés. Il y aura, en effet, des contreparties en matière de transition écologique. Et ceux qui ont la critique facile seront sans doute les premiers à demander cette aide financière pour les industries et les sous-traitants de leur circonscription.

Ce fonds ne sera sans doute pas disponible avant début 2021. Jusqu'à cette date, nous pourrons nous appuyer sur les 540 milliards d'euros déjà débloqués par l'accord du 9 avril – mécanisme européen de stabilité, programme SURE et fonds de la BEI.

Le financement en fonds propre de la BEI complétera les aides de Bpifrance aux entreprises et aux start-up de la technologie pour des investissements par définition risqués. Les géants du numérique sortant renforcés de la crise, il faut protéger nos pépites d'éventuels rachats. C'est aussi l'objet du décret relatif aux investissements étrangers en France.

Le CFP devrait être adopté en même temps que le fonds de relance. Ce dernier sera, toutefois, autonome : il sera temporaire au lieu d'être renouvelé tous les sept ans et il sera financé par de la dette commune plutôt que par les contributions des États.

Il n'y a pas lieu de nourrir un sentiment d'infériorité vis-à-vis de l'Allemagne. Avant la crise, le taux de croissance de la France était deux fois supérieur à celui de son voisin allemand, notre pays était le plus attractif de toute la zone euro en matière d'investissements étrangers, et le taux de chômage était descendu à 8 %. Ces résultats démontrent que nos intuitions économiques étaient les bonnes, et il faudra poursuivre dans cette voie le moment venu. L'enjeu du XXIe siècle n'est d'ailleurs pas la rivalité entre la France et l'Allemagne, mais plutôt l'entente de ces deux pays avec les autres États européens pour résister à la concurrence chinoise et américaine. La France a les moyens de cette ambition.

Le fonds serait géré directement par la Commission européenne et bénéficierait aux régions et aux secteurs les plus touchés par la crise, par exemple les entreprises de décolletage de la vallée de l'Arve, durement atteintes par la baisse d'activité de l'industrie automobile. Le plan de relance permettrait ainsi de lutter contre la délocalisation industrielle, à quelques conditions : se situer en haut de l'échelle technologique, être attractif fiscalement, développer les compétences et les qualifications. Défendre la relocalisation sans ces leviers ne serait que du vent.

Ce plan opère un véritable renversement de position et ouvre des portes : pour la première fois, l'Allemagne accepte de lever de la dette en commun pour financer des dépenses budgétaires. Malgré les résistances qui persistent, c'est un beau combat pour l'Union européenne.

Les prêts de la BEI compléteront le plan Juncker, dont la France a été le premier bénéficiaire en raison de la solidité de son écosystème technologique, et qui se prolongera dans le cadre du programme InvestEU. Tout le secteur de la technologie sera ainsi soutenu financièrement.

Le fonds de relance doit, par ailleurs, nous permettre de soutenir la filière aéronautique et ses 3 000 sous-traitants. Alors que le risque est grand d'abandonner l'investissement et le soutien à l'innovation, il faut faire en sorte que cette filière reste l'une des plus performantes de la planète face à ses concurrents chinois et américain.

L'aide aux pays africains, une préoccupation constante, sera plutôt du ressort du Fonds monétaire international.

Cet accord n'a rien d'une opération de communication : c'est une percée concrète et historique, et chacun devrait s'en réjouir.

Quant à l'idée d'utiliser le levier du budget européen, elle ne me paraît pas pertinente : ce serait plus coûteux et nous en tirerions un moindre bénéfice.

Le programme SURE, qui permet de financer le chômage partiel, témoigne de la force du modèle social européen.

Il importe d'affirmer que la dette sera remboursée, sans quoi aucun investisseur n'acceptera de la financer. Sa charge sera d'ailleurs faible, car le taux sera proche de zéro du fait d'une levée en commun. Elle sera, en outre, étalée sur une longue période, probablement supérieure à dix ans.

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Quelle est la capacité d'endettement soutenable de la France ?

À quand la mise en place pour tous les secteurs d'un prix minimum du carbone au sein du système d'échanges de quotas d'émissions de l'Union européenne ?

Comment mesurer la dette écologique européenne sans outils de performance et de comptabilité reconnus à l'échelle européenne ?

Enfin, quelles mesures entendez-vous prendre pour le secteur vitivinicole ?

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Peut-on ajouter aux conditions d'éligibilité du programme de prêts le respect des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) puis, dans le cadre de la reprise, considérer les performances extra-financières des entreprises ? Si ce mécanisme de solidarité européenne fonctionne, peut-on espérer l'élaboration d'un budget fort et pérenne ?

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Le fonds de relance est-il compatible avec le droit européen et les constitutions nationales, en particulier la doctrine de la Cour constitutionnelle allemande ?

Comment rembourser une telle dette sans de nouvelles ressources propres ? « Il s'agira d'un complément exceptionnel, intégré dans la décision relative aux ressources propres, avec un volume et une date d'expiration clairement spécifiés, et qui sera lié à un plan de remboursement contraignant au-delà du prochain CFP sur le budget de l'Union européenne » : pouvez-vous expliciter cet extrait de la déclaration commune ?

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Envisagez-vous de faire aboutir le projet de taxation des géants du numérique, dont le produit pourrait opportunément constituer une nouvelle ressource ?

Comment pensez-vous aplanir les divergences persistantes au sein de l'Union européenne au sujet de l'accroissement des ressources propres ?

Comment s'assurer que le fonds bénéficiera bien aux régions et secteurs les plus touchés ?

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Comment évaluez-vous le risque d'une absence d'accord entre les Vingt-sept, qui remettrait en cause la solidarité européenne ?

Quels seront les critères d'éligibilité du fonds de 500 milliards d'euros, et quel sera son mécanisme de mise en œuvre ?

Quelles sont les priorités de la politique industrielle européenne ? Le soutien aux secteurs nationaux en crise ne risque-t-il pas de la faire passer au second plan ?

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Le plan de relance va permettre de dégager des marges et de distribuer des dividendes. La course au moins-disant fiscal n'a-t-elle pas des limites ? La France ne devrait-elle pas prendre des initiatives de ce point de vue, notamment à l'égard des géants du numérique, pour disposer de recettes nouvelles ?

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Sachant que l'Espagne souhaitait la création d'un fonds doté de 1 500 milliards d'euros, 500 milliards sont-ils suffisants ? La dette ne devrait-elle pas être émise sous la forme d'obligations perpétuelles, comme le suggère Madrid ?

Afin d'éviter une nouvelle crise de la dette dans les pays du Sud, le remboursement devrait passer par le budget européen, et non se faire en fonction de ce que chaque État aura perçu. Envisage-t-on la création de nouvelles ressources propres, par exemple l'instauration d'une taxe carbone aux frontières de l'UE ?

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Vous avez peu parlé de la relance du tourisme, une activité pourtant indispensable à l'économie européenne.

L'accord conclu va-t-il permettre de déroger aux règles européennes en matière de taux de TVA, notamment sur la vente de masques ?

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Quelle place l'objectif de neutralité carbone occupera-t-il dans le plan de relance européen ? Le versement des fonds sera-t-il assorti de conditions d'inscription dans la transition écologique ? L'endettement des pays dépendra-t-il de la prise en compte de l'objectif de neutralité carbone ?

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Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances

Il n'y a pas de tension sur les marchés pour financer notre dette – les écarts de taux avec l'Allemagne sont limités à environ cinquante points de base –, ce qui tient à la crédibilité de la signature française et au soutien constant de la BCE au financement des obligations d'État. Pour que les perspectives économiques soient les plus claires possible pour les marchés, des soutiens sectoriels et des orientations économiques correspondant à un plan de relance bien structuré sont essentiels.

Défendant l'idée d'une relance verte, je suis favorable à ce que le plan de relance soit assorti de conditions écologiques. Le reporting des entreprises doit dépasser le cadre financier pour tenir compte du bilan environnemental et des engagements sociaux, notamment en matière d'égalité femmes-hommes. La crise doit donc pouvoir être utilisée comme un levier pour améliorer la compétitivité de l'économie, mais aussi son caractère durable et responsable.

Le plan de relance est compatible avec les traités européens, et politiquement cohérent avec nos choix nationaux. Lors de la crise de 2009, la stratégie du stop-and-go a échoué, ce qui nous montre qu'il ne faut pas faire les choses simultanément, mais de façon séquencée, c'est-à-dire rembourser la dette par la croissance. L'autre leçon à tirer, c'est qu'il faut conditionner les aides au caractère respectueux de la transition écologique et de la lutte contre le réchauffement climatique des investissements.

On peut envisager de nouvelles ressources propres, qui pourraient être aussi bien la taxe sur les transactions financières ou la taxe carbone aux frontières, la taxation minimale des entreprises ou la taxe sur les géants du numérique.

En début de quinquennat, nous avons engagé une baisse de la fiscalité sur le capital, puis sur les ménages, ce qui a augmenté l'attractivité du territoire français et soutenu le pouvoir d'achat des ménages, notamment de ceux qui paient l'impôt sur le revenu ; nous avons supprimé l'ISF, mais maintenu un impôt sur la fortune immobilière. La fiscalité sur le capital doit permettre de continuer à investir dans l'industrie. Si je suis contre le rétablissement de l'ISF, je ne suis pas pour autant favorable au moins-disant fiscal : nous devons mener des combats pour avoir une fiscalité plus juste et plus efficace.

Les géants du numérique, premiers bénéficiaires de la crise économique, doivent être taxés à un juste niveau afin d'éviter la cartellisation de l'économie de ce secteur. Si aucun accord ne peut être trouvé dans le cadre de l'OCDE, c'est la taxe nationale mise en œuvre en France qui s'appliquera aux revenus des GAFA en 2020.

Notre deuxième combat, livré aux côtés de l'Allemagne, est celui de la taxation minimale, qui rapportera beaucoup plus que le rétablissement de l'ISF. Il s'agit d'éviter l'optimisation ou l'évasion fiscale des grandes multinationales qui font des profits en France mais payent dans d'autres États un impôt sur les sociétés limité à 2 % ou 3 %. Nous voulons que l'imposition sur les grandes sociétés soit au minimum de 12,5 %. Ce combat est plus difficile à mener, mais il est plus rentable pour les finances publiques françaises, plus efficace pour l'attractivité de notre territoire et plus juste d'un point de vue global. Le moins-disant fiscal est une mauvaise chose à la fois pour la solidarité européenne et pour le financement des services et des biens publics ; la taxe carbone aux frontières de l'UE, la taxation minimale et la taxe sur les géants du numérique sont les vrais combats fiscaux du XXIe siècle.

Nous étudions la proposition espagnole de financement de la dette, mais nous estimons qu'il faudra, un jour ou l'autre, la rembourser.

Seraient éligibles au fonds de relance tous les États touchés violemment par la crise du covid-19, sur la base de critères à la fois économiques et sanitaires – impact sur l'économie, nombre de morts, incidence sanitaire. Une fois déclaré éligible, un État rembourserait en fonction de ses capacités, c'est-à-dire de son PNB, et non de ce qu'il aurait touché. Certains, très affectés par la crise, vont toucher plus que d'autres mais vont rembourser moins, du fait de leur PNB : si ce transfert budgétaire est parfois critiqué, la France et l'Allemagne y voient un indispensable mécanisme de solidarité européenne.

Le plan de relance du tourisme a déjà été présenté. Il est vital pour les centaines de milliers d'entreprises et les millions de salariés français concernés qu'on apporte un soutien massif à l'hôtellerie et à la restauration, ainsi qu'à tous les secteurs de la culture et de l'événementiel qui font vivre ce secteur dramatiquement touché par la crise. Nous avons décidé d'exonérer de charges sociales pour quatre mois les entreprises du secteur, de prolonger le fonds de solidarité autant que nécessaire et de rendre éligibles à celui-ci les entreprises jusqu'à 2 millions d'euros de chiffre d'affaires et 20 salariés – nous avons doublé ces deux critères – et de créer un prêt garanti « saison » qui permettra aux entreprises d'emprunter à hauteur de leurs trois meilleurs mois en 2019, ce qui peut représenter jusqu'à 70 % ou 80 % de leur chiffre d'affaires annuel, alors que la limite est actuellement de 25 %. Le remboursement se faisant avec un an de décalage, les entreprises pourront rembourser après la saison 2021, ce qui va leur donner une bouffée d'air aussi bienvenue que méritée.

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Au nom de nos deux commissions, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et je vous félicite pour l'accord obtenu avec l'Allemagne, que nous allons suivre de près.

La séance est levée à 10 heures 30.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Présents. - M. Patrice Anato, M. Jean-Louis Bourlanges, M. André Chassaigne, Mme Typhanie Degois, Mme Marguerite Deprez-Audebert, Mme Coralie Dubost, Mme Françoise Dumas, Mme Frédérique Dumas, Mme Valérie Gomez-Bassac, Mme Carole Grandjean, Mme Christine Hennion, M. Michel Herbillon, M. Alexandre Holroyd, Mme Caroline Janvier, M. Christophe Jerretie, Mme Nicole Le Peih, M. Patrick Loiseau, Mme Danièle Obono, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Damien Pichereau, M. Jean-Pierre Pont, M. Joaquim Pueyo, M. Éric Straumann, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Jean-Noël Barrot, Mme Émilie Bonnivard, Mme Danielle Brulebois, M. Fabrice Brun, M. Philippe Chassaing, M. Francis Chouat, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, M. Jean‑Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, M. Bruno Duvergé, M. Nicolas Forissier, M. Bruno Fuchs, M. Joël Giraud, Mme Olivia Gregoire, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Vincent Ledoux, M. Marc Le Fur, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Marie-Ange Magne, M. Jacques Marilossian, M. Jean-Paul Mattei, Mme Cendra Motin, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, M. Benoit Potterie, M. François Pupponi, Mme Valérie Rabault, M. Robin Reda, M. Xavier Roseren, Mme Claudia Rouaux, M. Fabien Roussel, M. Laurent Saint-Martin, M. Jacques Savatier, M. Éric Woerth

Assistaient également à la réunion : Mme Manon Aubry, Mme Sylvie Brunet, Mme Aurore Lalucq, Mme Stéphanie Yon‑Courtin, députés européens