Publié le 8 avril 2019 par : M. Fabien Roussel, M. Dufrègne, Mme Bello, M. Brotherson, M. Bruneel, Mme Buffet, M. Chassaigne, M. Dharréville, Mme Faucillon, M. Jumel, Mme Kéclard-Mondésir, M. Lecoq, M. Nilor, M. Peu, M. Serville, M. Wulfranc.
Après l’article 209‑0 A du code général des impôts, il est inséré un article 209‑0 Abis ainsi rédigé :
« Art. 209‑0 Abis. – I. – Pour les sociétés membres d’un groupe mentionné au II et domicilié hors de France, les bénéfices imposables sont déterminés par la part du chiffre d’affaires du groupe réalisée en France dans le total du chiffre d’affaires réalisé en France et hors de France, rapportée aux bénéfices d’ensemble du groupe.
« II. – Le groupe au sens du I du présent article comprend les entités juridiques et personnes morales établies ou constituées en France ou hors de France.
« III. – À son initiative ou par désignation de l’administration fiscale, une société membre du groupe mentionné au II est constituée seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû par l’ensemble du groupe en France.
« IV. – Pour les sociétés étrangères ayant une activité en France et dont la société-mère est domiciliée à l’étranger, les bénéfices imposables sont déterminés selon les mêmes modalités.
« V. – Pour chaque État ou territoire dans lequel le groupe mentionné au II est implanté ou dispose d’activités, les sociétés mentionnées au I et les sociétés étrangères mentionnées au IV transmettent à l’administration fiscale les informations suivantes :
« 1° Nom des implantations et nature d’activité ;
« 2° Chiffre d’affaires ;
« 3° Bénéfice ou perte avant impôt.
« VI. – En cas de refus de se soumettre à l’obligation du III du présent article, les sociétés mentionnées au I et les sociétés étrangères mentionnées au IV font l’objet d’une interdiction d’exercer sur le territoire français.
« VII. – Le I s’applique au groupe mentionné au II dont le chiffre d’affaires total est supérieur à 100 millions d’euros.
« VIII. – Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport identifiant les conventions fiscales bilatérales qu’il convient de renégocier en vue d’éviter la double imposition. »
Apple, McDonald’s, Amazon, Starbucks, Nike, Ikea... ces multinationales qui réalisent des bénéfices importants dans notre pays payent-elles pour autant chez nous des impôts à leur juste mesure ? Ou bien profitent-elles des paradis fiscaux actuels et toujours autorisés dans l’Union européenne pour en payer le minimum ? La réponse est connue.
Derrière ces mots « évasion fiscale » et « optimisation fiscale » se dissimule une sourde entreprise de démolition du consentement à l’impôt. En refusant de s’acquitter de leurs impôts là où elles exercent leur activité, dans une quête obsessionnelle du profit, ces multinationales tournent délibérément le dos aux principes fondateurs de la démocratie. Non seulement elles s’affranchissent du pacte social sur lequel repose toute société civilisée, mais elles siphonnent avec cynisme les recettes des États, par centaines de milliards de dollars chaque année. Concrètement, le manque à gagner représente des écoles en moins, des hôpitaux en souffrance, des routes mal entretenues, des services publics supprimés… Cet abandon nourrit la colère des peuples, soumis à des politiques d’austérité d’autant plus injustes qu’elles prennent source dans l’égoïsme des plus fortunés. Sur un champ de bataille, une telle attitude porterait un nom : la désertion. Mais sur le vaste terrain du capitalisme débridé, tous les coups sont permis, dans la négation désinvolte de toute notion de solidarité. Et nous, simple citoyen, ou même chef d’entreprise de PME, qui payons nos impôts en France, nous devenons les victimes de cette délinquance en col blanc.
Depuis plusieurs années, le panorama de la triche fiscale planétaire se dévoile dans une dimension effrayante. Les millions de documents accumulés signent un constat accablant, synthétisé en 2018 par les économistes Thomas Torslov, Ludvig Wier et Gabriel Zucman : 40 % des profits des multinationales, soit 600 milliards de dollars (529,5 milliards d’euros) échappent à l’impôt grâce au transfert artificiel dans des paradis fiscaux. L’évasion est d’autant plus massive qu’elle s’appuie sur des failles juridiques béantes et des techniques éprouvées. Ces mécanismes sont notoirement connus et leur efficacité est un camouflet infligé publiquement aux États : en 2016, les entreprises américaines ont ainsi enregistré plus de profits en Irlande qu’en Chine, au Japon, au Mexique, en Allemagne et en France réunis. Et sur ces profits colossaux, elles se sont vu infliger le taux redoutable de… 5,7 %. Un exemple d’actualité : Amazon. L’entreprise américaine ne règle que 8 millions d’euros d’impôts en France, en paye bien moins que N’Golo Kanté au Royaume-Uni. Aux États-Unis, l’entreprise bénéficie même d’un impôt sur les sociétés… négatif !
Avec de telles pratiques, l’Union européenne perd chaque année l’équivalent de 20 % du montant de l’impôt sur les sociétés. Mais pourquoi se gêner quand nul obstacle juridique, soutenu par une réelle volonté politique, ne se dresse sur la route du paradis fiscal ? Le capital voyage librement et s’installe là où il est le moins taxé. Des multinationales choisissent tout simplement le lieu d’implantation de leur siège social en fonction de l’impôt le plus faible qu’un État leur accorderait. Et les taux d’impôts sont tirés par le bas, dans chaque pays, dans une concurrence fiscale terrible qui vide les caisses des États.
Face à l’ampleur du phénomène, il ne faut pas se résoudre à l’impuissance. Nous devons agir à tous les niveaux :
- Au niveau mondial, car ce fléau touche tous les peuples, qu’ils soient citoyens de pays aux économies avancées, de pays en développement ou de paradis fiscaux !
- Au niveau de l’OCDE, où des travaux intéressants ont été conduits ces dernières années
- Au niveau européen : nous sommes dans un marché unique dans lequel la liberté de circulation des capitaux est consacrée et qui continue pourtant d’accepter l’existence de paradis fiscaux et d’une course au moins-disant fiscal en son sein
- Au niveau national : nous devons de toute urgence moderniser notre système d’imposition des sociétés, largement caduc, dépassé, d’un autre temps. Tel est le sens de cet amendement, issu de la proposition de loi n°1584 visant à instaurer un prélèvement à la source des bénéfices des multinationales, déposée en janvier dernier par les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR).
Le principe de cet amendement est simple : les multinationales, qu’elles soient actives dans le secteur du numérique ou non, doivent payer leurs impôts là où elles réalisent leur activité, et non dans les paradis fiscaux ! Problème : ces multinationales masquent leurs bénéfices réalisés en France via des schémas complexes d’optimisation fiscale. C’est pourquoi nous proposons d’imposer ces bénéfices avant qu’ils ne sortent du pays.
Le « terrain de jeu » de ces multinationales est mondial ? Adaptons enfin notre fiscalité en prenant appui sur les données mondiales, consolidées, de ces entreprises pour déterminer les bénéfices qui doivent être imposables dans notre pays. Le chiffre d’affaires et les bénéfices réalisés au niveau mondial doivent ainsi servir de base à ce nouvel impôt sur les sociétés. Ces informations devront obligatoirement être transmises à notre administration fiscale. Ensuite, le niveau du chiffre d’affaires réalisé par ces entreprises dans notre pays déterminera le niveau des bénéfices imposables en France.
Prenons l’exemple d’une multinationale active dans la vente en ligne et qui réalise 50 milliards de bénéfices au niveau mondial. 15 % de son chiffre d’affaires se fait en France. 15 % de ses bénéfices mondiaux seraient donc imposables en France, soit 7,5 milliards d’euros. Ainsi, l’impôt dû par ces entreprises correspondrait à la réalité économique de leurs activités sur notre territoire.
Le système que nous proposons fonctionne déjà parfaitement ailleurs, dans des pays comme les États-Unis, l’Allemagne ou le Canada, où un impôt sur les sociétés peut aussi être perçu au niveau local. L’État de Californie établit ainsi son propre impôt sur les sociétés à un taux d’environ 10 %, qui s’ajoute à l’impôt américain sur les sociétés, désormais fixé à 21 %. Si Coca-Cola fait 10 % de ses ventes en Californie, alors 10 % de ses profits sont taxables en Californie !
La France peut parfaitement appliquer un mécanisme qui a déjà fait ses preuves dans d’autres pays, au niveau fédéral. Une telle réforme modifierait complètement le paysage de la concurrence fiscale. Elle rendrait caducs les mécanismes de délocalisation artificielle des profits et indiquerait aux États le chemin à suivre pour récupérer des recettes injustement détournées.
Notre pays entamerait ainsi la nécessaire mutation de son modèle d’imposition des sociétés.
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