Publié le 9 mai 2019 par : M. Vallaud, Mme Karamanli, Mme Untermaier, Mme Pau-Langevin, M. Saulignac, Mme Pires Beaune, Mme Rabault, M. Aviragnet, Mme Bareigts, Mme Battistel, Mme Biémouret, M. Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Carvounas, M. Alain David, Mme Laurence Dumont, M. Faure, M. Garot, M. David Habib, M. Hutin, M. Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Letchimy, Mme Manin, M. Potier, M. Pueyo, Mme Tolmont, Mme Vainqueur-Christophe, Mme Victory.
Cet amendement a été déclaré irrecevable après diffusion en application de l'article 98 du règlement de l'Assemblée nationale.
Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à permettre à toute organisation syndicale représentée dans au moins un des trois conseils supérieurs de la fonction publique d'alerter le Parlement sur des situations de non-application de lois constatées par des agents publics dans l’exercice de leurs missions. À sa demande l'organisation syndicale sera alors auditionnée par les commissions des deux chambres ayant examiné le texte concerné par ce signalement.
Dans son rapport 2018, le Défenseur des Droits souligne les inégalités, la ségrégation, la relégation, la régression de droits fondamentaux, d’un grand nombre de Françaises et de Français, et au final un affaiblissement de la nation, du fait de l’affaiblissement des services publics.
Or la Fonction Publique constitue pour une bonne part les Services Publics. Derrière chaque Service Public, qu’il relève de l’État, des collectivités territoriales ou de l’hôpital, il y a des fonctionnaires qui œuvrent chaque jour à rendre effectifs les droits proclamés par nos lois.
Comme le rappelait le Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique en 2007 «Notre pays, sous l’Ancien Régime comme depuis la Révolution, s’est principalement constitué autour de l’État ; un État unitaire, doté d’un exécutif fort, garantissant la cohésion d’une nation diverse : territoires, communautés, individus. Mais la passion française pour le principe d’égalité a aussi constitué un terrain favorable au développement des services publics considérés comme l’outil privilégié de mise en œuvre de ce principe. »
Comme le souligne le Défenseur des Droit toujours dans son rapport 2018 «Tenus d'assurer une continuité d'action et de s'adapter aux besoins des usagères et usagers, porteurs des valeurs d'intérêt général, les services publics sont perçus de longue date comme constitutifs à la fois du lien social et du lien qui unit chacun à l’État, garant de la cohésion nationale.
Ce lien est d'autant plus fort que les services publics garantissent l'accès de toutes et tous à de nombreux droits fondamentaux tels que le droit à la santé, au logement, à l'éducation, à la justice, à l'hébergement d'urgence, etc. et assurent une fonction de redistribution des richesses et des biens en faveur de groupes sociaux, de familles, de personnes mais aussi de zones géographiques. Ils sont donc également porteurs d'une valeur essentielle : la solidarité.»
En effet, pour que nos droits, à chacune et chacun, existent, il faut que les institutions politiques de notre République organisent une délibération démocratique seule à même d’exprimer la volonté générale et de voter nos lois communes (Article VI de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen de 1789). Mais pour que ces droits proclamés, ces droits de mots et de papier, gagnent nos villes et nos campagnes, accompagnent nos vies, pour que les parents bénéficient d’aides à la venue de leurs enfants, pour que ces enfants soient accueillis en crèche, soient scolarisés, pour que nos aînés soient accompagnés, pour que nous soyons toutes et tous soignés, pour que notre droit de propriété soit respecté, pour que notre sécurité soit assurée, pour que notre état civil soit sécurisé, etc., il faut des femmes et des hommes qui œuvrent chaque jour au service des lois de notre République, à ce que ses droits soient servis au public. Ce sont nos fonctionnaires.
Ces femmes et ces hommes dont le métier n’est pas au service d’un intérêt particulier, d’un intérêt privé, mais consacré à l’intérêt général.
Puisqu’ils ont entre leurs mains la réalisation de nos droits, l’exécution de nos lois, la préservation de l’intérêt général, tout à la fois, ils nous doivent beaucoup comme nous leur devons beaucoup. C’est la raison pour laquelle le droit qui s’applique à leur situation professionnelle ne peut pas être le droit du travail qui encadre les contrats privés. Il faut pour œuvrer à la mise en œuvre de l’intérêt général des obligations et des garanties particulières.
Il faut se contraindre à un devoir de réserve, il faut être à la disposition de l’employeur public et pouvoir être muté, changé d’affectation, selon ce que commande l’intérêt général qui vise à donner à chacun selon ses besoins dans un soucis d’égalité (contrairement aux services privés qui proposent à chacun selon ses moyens), renoncer à tout cumul d’activité pour se consacrer exclusivement à l’intérêt général. C'est ce que résume les « lois de Rolland » en posant les principes de continuité, d'égalité et de mutabilité du service public, qui sont le pendant de la nécessité pour l'État de satisfaire en tout temps, de façon égale et la plus adaptée possible, les besoins essentiels de la population. Principes qui n'ont pas d'équivalent en droit privé. Mais il faut aussi être protégé de l’influence et de l’éventuel arbitraire politique. Les fonctionnaires servent nos lois et nos décrets, pas les élus temporaires de notre République. Il faut accepter des conditions d’engagement compatibles avec l’enjeu de la continuité des services publics. Notre droit, nos institutions, s’inscrivent dans des durées qui dépassent les durées personnelles. Le culte de la vitesse ou de la mobilité ne sont pas compatibles avec les exigences de l’intérêt général. Cet enjeu de continuité, cette nécessaire protection de l’arbitraire, sont au nombre des justifications d’une protection de l’emploi, qui protège effectivement le fonctionnaire, mais à travers lui l’impartialité de la mise en œuvre de nos droits.
Cette même impartialité suppose également que les agents de la fonction publique soient au service du public en ce que nous sommes toutes et tous des sujets de droit, et non des particuliers qui viendraient faire valoir leurs intérêts personnels. Comme le rappel le Conseil d’État dans son rapport public pour l'année 1999 : «C'est au nom de ce seul intérêt (général) que l'administration dispose de pouvoirs exorbitants, qui ont d'ailleurs pour contrepartie des servitudes publiques, et impose des contraintes aux administrés. Le rapport inégal qui s'instaure entre l'administration et les citoyens ne peut être justifié qu'à condition de protéger un intérêt public des revendications des particuliers. ». Nous ne pouvons pas nous adresser aux Services Publics comme à des services commerciaux. Ici ce n'est pas le client qui est roi, c'est le droit élaboré par le peuple souverain. Dans notre relation aux services publics, c'est l'intérêt général qui est servi, non les intérêts particuliers. Il faut donc que les fonctionnaires disposent aussi de garanties et de protections vis-à-vis des administrés que nous sommes et qui peuvent par moment ne plus faire clairement cette distinction.
Le statut des fonctionnaires est donc là pour protéger l’intérêt général.
Mais c’est aussi au regard de la particulière importance des missions confiées aux services publics et donc aux fonctionnaires que toute personne s’estimant lésée s’agissant du respect de ses droits et libertés du fait du fonctionnement d’un tel service, peut saisir le défenseur des droits. C’est là un droit constitutionnel assuré à chaque française et chaque français par l’article 71-1 de notre Constitution.
Mais ne doutons pas que l’empêchement d’accès à leurs droits par les citoyennes et citoyens est aussi un empêchement pour les fonctionnaires de réaliser le cœur de leur mission, la mise en œuvre des droits proclamés par notre République. Le Parlement a voté il y a moins de deux ans une loi « pour un Etat au service d’une société de confiance ». Il n’est nul besoin de rappeler que la confiance est une relation réciproque sous peine de ne pas être. Soyons confiants dans le fait que les fonctionnaires qui ne peuvent délivrer un service ou un droit que la loi accorde à une personne sont atteints dans leur exigence professionnelle. Comme le disait Anicet Le Pors lors des débats parlementaires de 1983 sur la rénovation du statut des fonctionnaires, «ils n’ont pas leur raison d’être en eux-mêmes, leur activité ne vaut que par le service qu’ils rendent au public. ».
Ainsi les fonctionnaires sont-ils une partie prenante à part entière du « cycle » de nos lois et de nos droits. Ce n’est pas par hasard que dans les travaux d’élaboration des projets de loi le Parlement a un constant souci d’auditionner les organisations représentatives des fonctionnaires ayant en charge l’application des politiques publiques et dispositions législatives concernées. Et il en va de même lorsqu’il s’agit de contrôler l’application de lois ainsi que de leur évaluation.
Et ces fonctions de contrôle d’application sont par ailleurs aujourd’hui en phase de renforcement tant à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat. La proposition de résolution du 29 avril 2019 tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée présentée par son Président M. Richard Ferrand, propose en son article 36 la systématisation de la nomination dès le début de la procédure du co-rapporteur d’opposition chargé avec le rapporteur d’un texte, d’assurer le suivi de la mise en application de celui-ci. Cette disposition, qui entraîne avec elle la systématisation de la possibilité d’un rapport sur l’étude d’impact d’un projet de loi en commission, renforcera la capacité de chaque commission à conduire un contrôle d’application et une évaluation législative du texte visé. Le Sénat quant à lui vient d’adopter le 07 mai 2019, à l’unanimité, une proposition de résolution présentée par les sénatrices et sénateurs socialistes et républicains, tendant à modifier le Règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôle de l’application et de l’évaluation des lois, en prévoyant notamment un contrôle d’application non pas uniquement six mois après la promulgation d’une loi mais de manière régulière.
C’est pourquoi, tant pour donner la possibilité aux fonctionnaires d’œuvrer pleinement à leurs missions de mise en œuvre de l’intérêt général se déclinant dans les droits reconnus par nos lois à chaque Française et à chaque Français, que pour palier l’éventuelle non saisie du défenseur des droits par des personnes lésées, ainsi que pour assurer une alerte en continu du Parlement quant à des difficultés d’application du droit en vigueur, il est proposé de donner aux fonctionnaires, par l’intermédiaire de leurs organisations syndicales représentatives, la possibilité d’alerter le Parlement sur la non application d’une disposition législative et la non application d’un droit en résultant, qu’ils auraient constaté dans l’exercice de leurs missions.
Une telle possibilité vise à renforcer l’effectivité de leurs droits pour l’ensemble des Françaises et des Français, à compléter les prérogatives des fonctionnaires de manière à leur permettre d’exercer pleinement et de la manière la plus satisfaisante possible leur mission au service du public et de l’intérêt général, ainsi qu’à offrir au Parlement un dispositif d’alerte continu quant à des lacunes dans l’application du droit en vigueur.
Alors que la Fonction Publique est là pour appliquer les lois et règlements, il ne peut pas être de bonne organisation publique, ni de bonne relation entre le public et sa fonction publique, ni de bonne organisation managériale des agents publics, que de laisser ceux-ci confrontés à l’inapplicabilité de droits dont ils ont la charge de la réalisation, sans aucun recours possible.
Enfin, s’agissant de l’obligation qu’instaure cet amendement à l’endroit de nos Assemblées d’entendre les organisations syndicales représentatives des fonctionnaires dans le cadre de l’exercice de ce droit d’alerte, l’Article L1 du code du travail qui prévoit que «Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation.» et que «Lorsqu'elles font connaître leur intention d'engager une telle négociation, les organisations indiquent également au Gouvernement le délai qu'elles estiment nécessaire pour conduire la négociation.», qui ne dispose pas d’assise constitutionnelle, nous laisse à penser que le dispositif proposé par cet amendement est légistiquement recevable.
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