Publié le 23 juillet 2020 par : Mme Genevard, M. Bouchet.
Supprimer cet article.
Depuis l’adoption des premières lois de bioéthique, en 1994, le droit français se caractérise par une constante recherche d’équilibre entre les nécessités du progrès scientifique et technique et la préservation des valeurs humaines et sociales fondamentales. Cette recherche d’équilibre, constitutive d’un véritable modèle de législation, est fondée sur la conviction du législateur français selon laquelle tout ce qui est techniquement possible n’est pas toujours socialement ou éthiquement acceptable. C’est ainsi qu’en matière d’assistance médicale à la procréation, la loi française a fait le choix d’admettre les techniques les moins problématiques et d’interdire rigoureusement celles qui portaient atteinte aux valeurs sociales fondamentales. La gestation pour autrui a ainsi été refusée en 1994, avant que le clonage reproductif ne le soit à son tour lors de la première révision des lois de bioéthique, par la loi du 6 août 2004. Quant aux techniques autorisées, insémination artificielle, fécondation in vitro et leurs pratiques associées (congélation des gamètes et des embryons), elles ont été cantonnées dans un cadre conceptuel destiné à garantir à l’enfant à naître une filiation vraisemblable. L’enjeu, sachons le dire, était crucial tant sur le plan éthique que sous l’angle technique car il s’agissait de faire entrer la filiation consécutive à l’utilisation d’une technique d’assistance médicale à la procréation, fût-elle exogène, dans les dispositions du Code civil consacrées à la filiation charnelle. Ainsi, qu’ils aient été conçus par assistance médicale à la procréation ou non, les enfants voient leur filiation établie sur le fondement de la vraisemblance biologique.
C’est pour satisfaire cet objectif, fondé sur la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant imposée par l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, que l’article L. 2141‑2 du Code de la santé publique réserve le recours à l’assistance médicale à la procréation à un couple, formé d’un homme et d’une femme, vivants et en âge de procréer. C’est aussi pour éviter que ces techniques ne soient utilisées pour artificialiser sans nécessité la procréation humaine que le même texte la réserve aux indications médicales : la stérilité ou le risque de transmission d’une maladie. En 1998, le Comité consultatif national d’éthique déclarait ainsi que « les conditions de l’accès à l’AMP sont fondées sur un choix de société, à savoir l’intérêt de l’enfant à naître et à se développer dans une famille constituée d’un couple hétérosexuel »[1].
En ouvrant l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes l’article 1er du projet de loi rompt cet équilibre fragile. Or, contrairement à ce qui a été souvent prétendu, les couples de femmes ne subissent en la matière aucune discrimination qui imposerait les modifications projetées. Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 mai 2013[2], la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt du 15 mars 2012[3] et le Conseil d’État dans son arrêt du 28 septembre 2018[4] ont en effet rappelé que la discrimination suppose de traiter différemment des situations identiques. Or, toujours d’après ces hautes juridictions, les couples de sexe différent ne sont pas, au regard de la procréation, dans la même situation que les couples de même sexe.
En outre, parce qu’elle conduira à priver l’enfant à naître de toute possibilité d’avoir un père, l’évolution projetée fait courir le risque, au détriment de celui-ci, d’un préjudice d’affection dont l’État devra rendre compte un jour. Dans son avis n° 126 du 15 juin 2017, le Comité consultatif national d’éthique affirmait en effet que « dans le cadre parental résultant du choix des couples de femmes et des femmes seules, l’enfant n’aurait, dans son histoire, aucune image de père, connu ou inconnu, mais seulement celle d’un donneur »[5]. Il poursuivait en déclarant « cela pose la question de la place du père dans la structure familiale et de sa fonction dans le développement de la personnalité et de l’identité de l’enfant ». Surtout, il déplorait l’inexistence d’études fiables sur l’absence de préjudice subi par les enfants ainsi procréés. Or, la Cour de cassation a retenu, dans un arrêt du 14 décembre 2017, qu’un enfant souffrait nécessairement de l’absence définitive de son père, et que ce préjudice, constitué dès avant sa naissance, ouvrait la voie à une action indemnitaire[6]. Par conséquent, en ouvrant l’assistance médicale aux couples de femmes et en privant l’enfant de toute filiation paternelle, le projet s’écarte de la prudence élémentaire et de l’application du principe de précaution.
Pour toutes ces raisons il convient de supprimer l’article 1er.
Les dispositions contenues à l’article 1er du projet de loi ouvrent l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes. Ils méconnaissent à l’enfant la possibilité de jouir d’une filiation vraisemblable et le privent définitivement de père. Cette modification, qui n’est imposée par aucune discrimination qu’il s’agirait de combattre, méconnaît l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle fait courir le risque de préjudices dont l’État devra rendre compte lorsque les enfants délibérément privés d’un père en demanderont réparation.
[1] CCNE, avis n° 60, p. 6
[2] Cons. const., 17 mai 2013, n° 2013669, DC.
[3] CEDH, 15 mars 2012 , Gas et Dubois c. France, n° 25951/07.
[4] CE, 1ère et 4ème ch. réunies, 28 sept. 2018, n° 421899
[5] CCNE, avis 126, 15 juin 2017.
[6] Cass. 2ème civ., 14 déc. 2017, n° 1626.687, P+B+I, JCP G, 19 février 2018, jurisp. 204, note J.-R. Binet.
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