Confiance dans l'institution judiciaire — Texte n° 4091

Amendement N° CL66 (Rejeté)

Publié le 29 avril 2021 par : M. Savignat, M. Boucard, M. Breton, M. Ciotti, M. Diard, M. Gosselin, M. Huyghe, M. Kamardine, M. Marleix, M. Pradié, M. Schellenberger, M. Viala.

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Le paragraphe 3 de la section 3 du chapitre II du titre III du livre IV du code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l’article 432‑12, après la première occurrence du mot : « public », sont insérés les mots : « , par un magistrat » et les mots : « ou le paiement » sont remplacés par les mots : « , le paiement ou le jugement des litiges » ;

2° Au premier alinéa de l’article 432‑13, après le mot : « fonctionnaire », il est inséré le mot : « , magistrat ».

Exposé sommaire :

Les projets de loi organique et ordinaire élargissent la participation aux formations de jugement de magistrats à temps partiel (magistrats à titre temporaire, magistrats honoraires et désormais avocats honoraires) qui, par nature, ne bénéficieront pas des garanties d’indépendance et d’impartialité que la Constitution accorde aux magistrats de carrière. Leur participation à la fonction judiciaire ne sera pas exclusive d’autres intérêts professionnels, économiques ou financiers.

Cette situation amène à questionner le maintien en l’état des règles pénales régissant le délit de prise illégale d’intérêt. Celui-ci fait l’objet d’une définition légale et jurisprudentielle très large puisqu’il est constitué en présence d’un intérêt quelconque (matériel ou moral, direct ou indirect, indépendant d’un avantage personnel et même potentiellement compatible avec l’intérêt général). Aucune intention frauduleuse n’est requise. Par ailleurs, sont assujettis à cette infraction les dépositaires de l’autorité publique investis d’un pouvoir de contrainte ou de décision, les personnes chargées d’une mission de service public et les détenteurs d’un mandat électif public, dès lors qu’existe, au moment de l’acte, une responsabilité dans la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement de l’affaire dans laquelle réside cet intérêt quelconque.

Aux fins de protéger l’ordre social et l’exemplarité publique, la Cour de cassation a adopté des solutions très dures, parfois qualifiées d’excessives par les élus locaux. Un arrêt du 22 octobre 2008 affirmait ainsi que « l'intérêt, matériel ou moral, direct ou indirect, pris par des élus municipaux en participant au vote des subventions bénéficiant aux associations qu'ils président entre dans les prévisions de l'article 432-12 du code pénal ; qu'il n'importe que ces élus n'en aient retiré un quelconque profit et que l'intérêt pris ou conservé ne soit pas en contradiction avec l'intérêt communal ». Ces attendus très stricts ont d’ailleurs conduit à plusieurs reprises le Sénat à proposer la redéfinition de la prise illégale d’intérêt au cours des dix dernières années.

Toutefois, la rédaction de la loi et son interprétation par la jurisprudence excluent du périmètre du délit une catégorie particulière d’agents dépositaires de l’autorité publique : les magistrats ne sont pas susceptibles d’en répondre car ils n’exercent pas une fonction de surveillance, d’administration, de liquidation ou de paiement.

Cet état du droit était déjà sujet à critique. La presse a rapporté au cours des dernières années des éléments qui interrogent, jusqu’à la Cour de cassation. En avril 2018, le Canard enchaîné révèle que trois hauts-magistrats ont participé au jugement d’une affaire dans laquelle l’une des parties les rémunérait par ailleurs pour des colloques ou des formations. En fin d’année dernière, un autre haut-magistrat avait cherché à influencer des décisions de justice au profit d’une femme avec laquelle il entretenait une relation. Dans les deux cas, ces comportements ont donné lieu à la saisine du Conseil supérieur de la magistrature à des fins disciplinaires, mais ils n’ont pas reçu de suite pénale.

Cependant, cette lacune du droit pénal pouvait se justifier au regard de la protection particulière que la Constitution accorde aux magistrats en général et aux magistrats du siège en particulier, et aux prescriptions de la loi organique statutaire qui rend peu probables les conflits d’intérêts. Tel n’est plus le cas dès lors que le projet de loi et le projet de loi organique entendent qu’une part plus importante de l’activité juridictionnelle, et notamment des jugements criminels, soit prise en charge par d’autres que des magistrats de carrière. Comme l’indiquait le Conseil constitutionnel dans une décision 94-355 DC du 10 janvier 1995, « ces magistrats, qui n'ont pas entendu embrasser la carrière judiciaire, et qui aux termes de l'article 41-14 peuvent exercer une activité professionnelle concomitamment à leurs fonctions judiciaires, se trouvent, quant à leur rémunération, dans une situation spécifique ». Ils ont effectivement d’autres activités, d’autres clients, d’autres employeurs, en un mot d’autres intérêts.

Dès lors, il n’apparaît plus possible de laisser demeurer un simple interdit disciplinaire dans le cas où ces conflits d’intérêts viendraient mettre en cause l’impartialité du magistrat. Le droit en vigueur, excessivement sévère envers toutes les autres catégories d’élus et d’agents publics, ne peut rester muet. La violation de l’obligation d’impartialité ne saurait se solder par la seule perte de l’honorariat ou des fonctions de magistrat temporaire, quand une simple erreur de vote en conseil municipal donne lieu à une condamnation correctionnelle.

En conséquence, le présent amendement prévoit que la poursuite, par un magistrat, d’un intérêt personnel quelconque dans l’exercice de ses missions judiciaires soit constitutif du délit de prise illégale d’intérêt.

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