Publié le 18 novembre 2021 par : M. Morel-À-L'Huissier, M. Guy Bricout, M. Meyer Habib, Mme Métadier.
Dans un délai d’un an après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement sur la notion d’hyper-ruralité, les territoires concernés et les politiques à mener pour permettre à ces territoires de lutter plus efficacement contre leurs problématiques structurelles, notamment en matière de différenciation des politiques de l’État.
Dans une étude publiée le 30 avril 2021, l’INSEE a finalement modifié la conception statistique de la ruralité qui n’est plus définie « en creux » par rapport aux espaces urbanisés.
Un mea culpa discret attendu depuis longtemps : les communes rurales ne sont plus « toutes les communes non-urbaines ». Désormais, le calcul s’appuie principalement sur le critère de la densité de la population partageant les communes françaises en quatre types : les communes « peu denses » et « très peu denses » forment la ruralité, et les « denses » et « de densité intermédiaire », les espaces urbains.
Selon cette conception, 88 % des communes et 33 % de la population sont rurales en France, ce qui nous place comme le second pays le plus rural d’Europe après la Pologne, la moyenne européenne étant de 28 %.
Cette distinction en quatre types dont deux au sein de la ruralité introduit à demi-mot le concept d’hyper-ruralité, qui concernerait 26 % du territoire et accueillerait 5,4 % de la population.
Au-delà du concept, ces territoires hyper-ruraux se distinguent, outre la faible densité de population, par un fort vieillissement de sa population, un enclavement fort, des ressources financières limitées, un manque d’équipement et de services et des perspectives limitées.
L’hyper-ruralité ce sont des zones où les handicaps naturels et d’accès aux services publics et privés se cumulent et où rien n’est possible sans un accompagnement fort et spécifique de l’État, comme le soulignait le rapport du sénateur de la Lozère Alain Bertrand.
Fruit d’une histoire récente marquée par l’exode rural, une métropolisation et des dynamiques urbaines centralisatrices notamment en matière d’emploi et d’activité économique, les campagnes ont vu se réduire les possibilités de création de richesse, d’offres de métiers qualifiés, de formations, d’accompagnement, etc.
La notion de fracture territoriale n’est aujourd’hui plus un mythe et décrit une réalité d’inégalités entre territoires, d’une France à plusieurs vitesses. Malgré la diffusion des progrès techniques et technologiques, malgré l’élévation générale du niveau de vie et des standards éducatifs, les territoires hyper-ruraux souffrent de la persistance et de la conjugaison de leurs principaux handicaps. À cela s’ajoute l’éloignement des pôles de décision qui sont les seuls lieux pris en référence pour la décision publique et privée.
Ces territoires hyper-ruraux ne sont pour autant pas des territoires de seconde zone. Ils sont des acteurs clés en matière de production agricole et peuvent l’être également en matière de patrimoine, de zones d’expérimentation et de solidarité comme cela est le cas de la Lozère en matière de handicap. Dès lors, ces territoires sont à voir avant tout comme sources d’opportunités.
La gravité de la situation des territoires hyper-ruraux est sous-estimée, voire masquée, par la nature des indicateurs et critères couramment employés, ainsi que la manière dont ils sont interprétés. Par exemple :
– Si le taux de chômage y est vu comme faible, c’est du fait de l’exode des populations ainsi recensées vers des zones urbaines plus propices aux opportunités d’emploi.
– Si le revenu moyen n’y est pas toujours faible, cela est souvent dû au poids relatif plus important des emplois publics et aux aides spécifiques accordées aux exploitations agricoles (compensations de handicaps naturels ou contraintes particulières).
– Si l’hyper-ruralité n’est pas considérée comme un désert médical, c’est parce que l’indicateur principal est le nombre de médecins rapporté à la population. Si on s’intéresse en revanche à l’accès aux soins (comme, par exemple, la distance à une pharmacie ou le risque létal suite à AVC ), on constate à l’inverse l’inéquité dont souffrent les territoires hyper-ruraux, leurs habitants mais aussi les touristes et visiteurs de passage.
– Si l’enjeu essentiel du logement est clairement mis en évidence dans les métropoles et les « zones tendues » où le marché ne fournit pas une offre suffisante pour satisfaire la demande, il masque les problèmes majeurs de l’hyper-ruralité en matière d’habitat : mauvais état du parc de logement, vétusté, insalubrité, précarité énergétique, impossibilité d’accueillir des populations nouvelles par manque d’offre adaptée et donc déprise des centres bourgs...
– Si les infrastructures de transport de l’hyper-ruralité sont les moins modernisées, c’est en rapport au critère de priorité lié à l’importance du trafic qu’elles supportent, sans prendre en compte des critères de nécessité de sécurité ou le fait qu’une infrastructure non performante augmente le report vers d’autres itinéraires et entretienne la faiblesse du trafic.
Pourtant partie vivante de la République, ces territoires lui sont indispensables.
La crise de la Covid-19 a su mettre en exergue le désir de nombreux Français de revenir à un mode de vie plus simple, plus calme, en dehors des grandes métropoles. Les zones hyper-rurales ont vu leur population s’accroitre et parfois se pérenniser à la faveur de la généralisation du télétravail.
Les difficultés que peuvent rencontrer de nombreux citoyens dans les zones urbaines : insécurité, manque de logement, hausse des prix, stress accru, ne se retrouvent pas dans les zones hyper-rurales où le cadre de vie se veut plus proche, accessible et solidaire.
Largement dotés en termes de patrimoines naturels, paysager, historique, culturel... de qualité et garants de leur pérennité pour le compte du pays voire du monde entier , les territoires hyper-ruraux disposent d’un potentiel majeur en termes de ressourcement et d’aménités devenu indispensables à la vie citadine, donc à la réussite de la métropolisation elle-même.
De nombreux travaux indiquent que ce potentiel, pour peu qu’il soit préservé et mis en valeur, peut déboucher sur une économie présentielle et touristique à la fois diffuse et redistributive (par opposition à une industrie touristique concentrée, pour laquelle les territoires littoraux, de montagne... sont plus avantagés), pouvant elle-même soutenir des services nécessaires à la population permanente de ces territoires, qui profite à son tour de l’attractivité du territoire.
Outre ces dimensions touristique, patrimoniale et récréative, la complémentarité des territoires hyper-ruraux avec les autres territoires s’affirme également dans la gestion et la valorisation des ressources naturelles et productives dont ils disposent avec un réel avantage : espace, eau, énergie, sol et sous-sol, patrimoine biologique, biomasse, productions agricoles et forestières (quantitatives ou de niche) en abondance constituent, a fortiori dans la perspective de la transition écologique et énergétique, des potentialités pouvant être mises au service de l’économie locale et plus largement de l’ensemble des territoires.
L’optimisation de l’usage de ces ressources, renouvelables ou non, suppose de s’appuyer sur une vision stratégique de développement territorial qui soit pensée de façon systémique, dans cet esprit « gagnant – gagnant ».
Faute de reconnaissance de l’hyper-ruralité à ce jour, aucun dispositif spécifique n’existe en sa faveur. Elle bénéficie en revanche de la plupart des outils conçus pour accompagner les territoires ruraux au sens large.
Pour y répondre, l’État doit reconnaitre pleinement ces territoires hyper-ruraux et y apporter une vision stratégique d’aménagement systémique, en dehors d’une approche de concurrence avec les autres territoires, mais tournée vers une complémentarité de fait aux territoires d’hypercentralisation.
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