Publié le 2 décembre 2021 par : M. Chassaigne, M. Dufrègne, M. Brotherson, M. Bruneel, Mme Buffet, M. Dharréville, Mme Faucillon, M. Jumel, Mme Kéclard-Mondésir, Mme Lebon, M. Lecoq, M. Nilor, M. Peu, M. Fabien Roussel, M. Wulfranc.
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport retraçant le bilan de l’action de l’État ces dernières années pour répondre à la situation critique de la médecine scolaire, les modalités envisagées de recrutement et de gestion des personnels et les améliorations attendues sur le fonctionnement des différentes actions menées dans le cadre de la médecine scolaire. Ce rapport fait l’objet d’un débat en séance publique dans chacune des deux assemblées. »
Les auteurs de cet amendement souhaitent que le rapport prévu à l'article 41 A porte sur les carences et les défaillances de l'Etat à assurer ses engagements en matière de médecine scolaire depuis des années au regard de la situation critique de la médecine scolaire, plutôt que de chercher à se défausser de ses responsabilités dans un domaine qui concerne l'école et les Ministères de l'Education nationale et de la Santé.
Depuis plus de dix ans, et notamment le rapport de novembre 2011 sur l’évaluation de la médecine scolaire au Comité d’évaluation et de contrôles des politiques publiques de l’Assemblée nationale réalisé par les députés Gérard Gaudron et Martine Pinville, la dégradation sans précédent des conditions d'exercice de la médecine scolaire est connue mais n'a été suivie d'aucune mesure d'ampleur de la part de l'Etat.
Ce véritable abandon d'une politique publique essentielle a des conséquences désastreuses pour le suivi de la santé des enfants et des élèves, comme le rappelle une nouvelle fois le dernier rapport de Pierre Brégué, Président honoraire de l’Académie nationale de médecine intitulé "La médecine scolaire en France en 2021. Un bastion fort de la santé des enfants et des adolescents qu’il faut préserver" :
Ce rapport est accablant pour l'Etat. Il précise que "les seules statistiques de l’éducation nationale portent sur la visite des enfants de 6 ans, qui est l’indicateur d’activité actuellement retenu. Or, cette visite est très hétérogène sur le territoire français et elle n’est pas réalisée dans certaines régions en raison du manque de médecins. Les visites obligatoires ne sont souvent pas réalisées en raison des autres tâches: enfants malades, handicaps, examens à la demande des chefs d’établissement etc..
Le taux des visites pour les élèves de 6 ans fut estimé à 71% d’après des enquêtes déjà anciennes du ministère de l’éducation nationale. Mais depuis 2018 l’indicateur « visite de 6 ans » n’est plus calculé que pour les élèves en situation prioritaire (REP+, REP). On ne connait donc plus la situation pour l’ensemble des élèves, car la DGESCO ne dispose plus, depuis longtemps, de données statistiques complètes : elles ne remontent pas au ministère en raison du défaut de personnel et aussi du refus de collecter les données. D’autre part, le ministère comptabilise ensemble les visites médicales et le bilan infirmier. Une enquête pratiquée en 2015-2016 par l’Association des médecins scolaires du Syndicat SNMSU-UNSA montrait que 57% seulement des enfants auraient bénéficié d’un dépistage infirmier et/ou d’un examen médical.
La seule exception concerne les onze grandes villes qui ont des médecins municipaux. Les taux de visites réalisées y dépassent 70%, car le nombre de médecins est important et ils ne se consacrent qu’aux PMI et au primaire.
D’après le dernier rapport de la Cour des comptes, la charge des visites de 6 ans par les médecins scolaires de l’Education nationale a augmenté de 17% entre 2013 et 2018. De ce fait, le nombre d’enfants non vus par un professionnel de santé, médecin ou infirmière, a doublé depuis notre rapport de 2017. Cette situation s’observe dans la plupart des départements français avec des écarts allant de 440 visites à 6000 par médecin [6]. Il faut ajouter la visite obligatoire en PMI à 3-4 ans, instaurée en 2019 en raison de la scolarité obligatoire à 3 ans. Si la PMI n’a pas assez de médecins il appartient aux médecins de l’éducation nationale d’assurer cette visite, ce qui aggravera encore le poids de leurs charges.
Une telle carence pénalise les élèves issus des milieux défavorisés qui n’ont pas d’accès régulier à un médecin généraliste ou à un pédiatre.
D’autre part, il n’existe pas de politique d’évaluation pour la détection des troubles d’apprentissage et du langage, la prise en charge du handicap ou l’accueil individualisé des enfants atteints de maladies chroniques, alors qu’ils se sont tous considérablement accrus ces dernières années.
Se pose alors la question de l’utilité de cette visite médicale puisqu’elle n’est pas homogène pour tous et sur tout le territoire. Pour pallier le manque de médecins on s’oriente vers la séquence suivante: repérage par la famille ou les enseignants, détection par l’infirmière et diagnostic par le médecin. Mais en cas d’absence de la visite à 6 ans la détection précoce des troubles n’est pas faite et se trouve repoussée au CM2 et à la visite infirmière des 12 ans, ce qui est un échec de prévention.
Ceci va totalement à l’encontre des objectifs du parcours éducatif de santé. Les médecins scolaires se posent donc aujourd’hui la question de la priorité entre le dépistage individuel de tous les enfants ou un dépistage ciblé homogène et plus efficace.
En raison de la gravité de ce dysfonctionnement, le Premier ministre avait demandé une évaluation de la médecine scolaire au ministre de l’EN en avril 2015 [16]. La lettre de mission s’accompagnait d’une fiche de cadrage très détaillée sur les principales difficultés rencontrées et l’évaluation avait été confiée à trois inspections générales : Education nationale, Affaires sociales et Administration de l’éducation nationale et de la recherche. Les résultats sont demeurés confidentiels et en 2017 le Sénateur rapporteur de la loi de finances sur l’enseignement invita le ministère « à publier ce rapport et à en suivre les recommandations », en particulier celles visant à « garantir des modes de travail coopératifs entre médecins et infirmiers » et à « porter les effectifs réels des médecins scolaires à hauteur des effectifs budgétaires grâce à des mesures d’attractivité renforcées ».
Le rapport revient également sur le fait que : "La diminution du nombre de médecins scolaires met en péril la prévention en santé scolaire et l’éducation pour la santé. [...] Tous les experts et les rapporteurs consultés s’accordent depuis plusieurs années à constater que les missions ne font que se multiplier pour la promotion de la santé alors que le nombre de médecins scolaires ne fait que décroître. En 2006 il existait 1392 médecins titulaires et 423 vacataires équivalents temps plein, au 1er juin 2016, 1 035 médecins étaient en fonction dont 1 027 en Académies, et, en 2018, 960 équivalent-temps-plein, soit un effondrement des effectifs proche de 50% depuis 2006. La pyramide des âges est également extrêmement inquiétante puisqu’en 2016 l’âge moyen était de 54,8 ans avec une quarantaine de médecins de plus de 65 ans et 240 âgés de plus de 60 ans. Les départs à la retraite vont s’accumuler dans ces toutes prochaines années. L’effectif souhaitable de médecins scolaires pour un secteur est difficile à connaître par les textes officiels. En 2004 on retenait un taux d’encadrement de 5 660 élèves par médecin allant de 4 900 à 6 300 sur le territoire national pour plus de 12 millions d’élèves soit en moyenne moins d’un médecin pour 7359 élèves de la maternelle aux lycées. En 2016, le taux moyen d’encadrement variait de 2 000 à 46 000 élèves par médecin, selon une enquête syndicale de 2015-2016, tout sachant que certains départements n’ont plus de médecins de secteur. Par exemple, un médecin scolaire pour 3000 élèves en charge à Paris, 32000 dans l’Ain, 37000 en Corrèze, 99000 en Dordogne, pour une moyenne de 12500, alors qu’il faudrait un médecin pour 5000 élèves, voire 3000 en zone difficile.
Depuis 2013, la moitié des postes offerts au concours (50 par an) ne sont pas choisis et demeurent vacants et la profession de médecin scolaire risque d’entrer en extinction.
Il se produit un véritable paradoxe en 2021, car les médecins scolaires sont passionnés par leur profession et par le rôle central qui leur est dévolu autour de la santé de l’élève. Les internes sont également souvent volontaires et motivés. Il s’agit en effet aujourd’hui d’une véritable spécialité, où la connaissance des neurosciences et du développement cognitif, par exemple, est fondamentale. Beaucoup de ces médecins, à majorité féminine, souhaitent demeurer dans le cadre de l’éducation nationale. Mais ils voudraient que les objectifs de la santé et les priorités soient mieux définis dans les textes officiels. Ils aspirent en effet à une meilleure adéquation entre leur effectif actuel et la priorité des tâches à accomplir. Très souvent ils ne travaillent plus que dans l’urgence, en répondant aux appels à la demande, dans les écoles primaires comme dans les établissements du secondaire.
Les conditions matérielles sont très défavorables au recrutement de nouveaux médecins scolaires. Les MEN sont les moins bien rémunérés des médecins de la fonction publique : la rémunération du MEN débutant est de plus de 2000 euros, après 10 ans d’études. Leur expertise est peu ou pas valorisée : ils sont considérés par l’administration comme « sans spécialité », aucun recensement des spécialités et des autres diplômes n’est fait par l’administration. La publicité pour les postes vacants est très discrète ou absente, contrairement à ceux des infirmiers ou des psychologues de l’EN. La formation centralisée et relativement brève à l’EHESP restreint la reconnaissance de cette médecine très spécifique, ce qui devrait s’améliorer grâce à la création de la Formation Spécialisée Transversale (FST) de médecine scolaire en 2018, qui s’exerce dans plusieurs facultés de médecine. Autre exemple étonnant de ce manque de reconnaissance le refus de rembourser les actes prescrits par les médecins scolaires (orthophonie, contraception, vaccins) dans certaines régions et la nécessité d’une autre visite du généraliste pour confirmer la prescription. Un amendement, adopté lors des débats sur l’école de la confiance, a mis fin à cette anomalie en 2019.
Il faut y ajouter : la carence de certains centres médico-scolaires, la fragilité des effectifs de secrétaires scolaires, des outils informatiques différents selon les professions, ESCULAPE créé récemment pour les médecins n’ayant pas d’interface avec les PMI, alors que la visite de 3 ans vient de s’instaurer. Il ne s’articule pas non plus avec le logiciel SAGESSE des infirmières, qui est obsolète et doit être remplacé.
Cette situation est très dissuasive pour le choix de la médecine scolaire par les jeunes médecins."
Aussi, les auteurs de cet amendement souhaitent que ce rapport d'évaluation de l'action de l'Etat ces dernières années en matière de médecine scolaire fasse l'objet d'un débat en séance publique dans les assemblées et soit suivi de mesures très fortes pour répondre aux besoins sans précédent de la médecine scolaire.
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