Publié le 26 septembre 2018 par : M. Dharréville, M. Jumel, M. Peu, Mme Bello, M. Brotherson, M. Bruneel, Mme Buffet, M. Chassaigne, M. Dufrègne, Mme Faucillon, Mme Kéclard-Mondésir, M. Lecoq, M. Nilor, M. Fabien Roussel, M. Serville, M. Wulfranc.
I. – Avant le chapitre Ier du titre III du livre II de la troisième partie du code du travail, il est inséré un chapitre préliminaire ainsi rédigé :
« Chapitre préliminaire
« Encadrement des écarts de rémunération au sein d'une même entreprise
« Art. L. 3230‑1. – Le présent chapitre est applicable aux rémunérations des personnels, des mandataires sociaux et des autres dirigeants, régis ou non par le présent code, des entreprises, constituées sous forme de société, groupement, personne morale ou établissement public à caractère industriel et commercial, quel que soit leur statut juridique.
« Art. L. 3230‑2. – Le montant annuel de la rémunération individuelle la plus élevée attribuée dans une entreprise mentionnée à l'article L. 3230‑1, calculé en intégrant tous les éléments fixes, variables ou exceptionnels de toute nature dus ou susceptibles d'être dus à titre de rémunération ou d'indemnisation au cours de l'exercice comptable, ne peut être supérieur à vingt fois le salaire annuel minimal appliqué en France pour un emploi à temps plein dans la même entreprise ou dans une entreprise qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233‑3 du code de commerce.
« Art. L. 3230‑3. – Pour chaque exercice comptable, lorsque l'application d'une décision ou d'une convention a pour effet de porter le montant annuel de la rémunération annuelle la plus élevée à un niveau supérieur à vingt fois celui du salaire minimal annuel, définis à l'article L. 3230‑2, l'ensemble des décisions ou conventions relatives à la détermination de cette rémunération sont nulles de plein droit, sauf si le salaire minimal annuel pratiqué est relevé à un niveau assurant le respect des dispositions du même article. »
II. – Au 1° du II de l'article L. 2312‑26, après le mot : « salaires, », sont insérés les mots : « sur les écarts de rémunération des salariés et mandataires sociaux au sein de l'entreprise et des entreprises qui la contrôlent au sens de l'article L. 233‑3 du code du commerce, ».
III. – Les entreprises mentionnées à l'article L. 3230‑1 du code du travail dans lesquelles l'écart des rémunérations est supérieur à celui prévu à l'article L. 3230‑2 du même code disposent d'un délai de douze mois, à compter de la date de promulgation de la présente loi, pour se conformer aux dispositions du même article L. 3230‑2.
Cet amendement propose d'encadrer les écarts de rémunération au sein d'une même entreprise par un rapport allant de 1 à 20.
À cette fin, il insère au sein du code du travail un chapitre comportant quatre articles.
Dans chaque entreprise, quel que soit son statut juridique – que celle-ci soit une société privée ou toute autre forme de personne morale, mais également dans les établissements publics à caractère industriel et commercial, c'est-à-dire les établissements publics dont l'objet est la production et la commercialisation de biens et services et dont les ressources sont essentiellement constituées par les redevances payées par les usagers – le salaire annuel le moins élevé pratiqué ne pourrait être plus de 20 fois inférieur à la rémunération annuelle globale la plus élevée, que celle-ci soit celle versée à un salarié ou à un dirigeant mandataire social non salarié.
Cet encadrement aurait ainsi vocation à remplacer le plafond de rémunération de 450 000 euros mis en place dans les entreprises publiques.
Le respect de cet écart serait assuré en comparant le « salaire minimal annuel » appliqué dans l'entreprise ou dans une entreprise qu'elle contrôle, au total annuel des éléments de rémunération versés à une même personne – comprenant, au sens du code Afep-Medef, les rémunérations fixes et variables, les options d'actions ou actions gratuites, les indemnités liées à la prise ou à la cessation des fonctions, le régime de retraite supplémentaire et les avantages de toute nature.
À titre d'exemple, dans les entreprises où le salaire minimal correspondrait au salaire minimum interprofessionnel de croissance (smic) annuel, soit 1 480 euros bruts par mois et 17 760 euros bruts par an, la rémunération maximale annuelle ne pourrait dépasser 355 200 euros bruts, soit 29 600 euros bruts mensuels. Si cette rémunération globale la plus élevée venait à être supérieure à 20 fois le salaire le plus bas pratiqué dans l'entreprise, les décisions et contrats fixant cette rémunération maximale seraient nuls de plein droit.
Ce mécanisme ne constitue cependant pas un plafonnement des rémunérations : il permettrait le cas échéant à l'entreprise de relever le salaire annuel le moins élevé pour rendre légale une rémunération maximale qui se retrouverait au-delà du plafond fixé, notamment du fait des modalités de calcul des éléments variables.
Mouvant, ce mécanisme ne s'oppose donc à aucun principe constitutionnel.
La liberté d'entreprendre, principe dégagé de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 par le Conseil constitutionnel en 1981 n'est pas atteinte par le présent amendement. Il ne conduit nullement à plafonner les rémunérations de certains salariés ou mandataires sociaux ou à porter atteinte aux droits de l'entrepreneur à tirer les fruits de son entreprise : il s'agit de s'assurer que les résultats de l'entreprise, et donc du travail de tous, soient répartis selon un écart qui ne soit pas indécent. En cela, il n'est pas d'une nature différente des autres règles légales de protection des conditions d'emploi des salariés, et notamment de celle prévoyant l'existence d'un salaire minimal afin de garantir que chaque travailleur puisse vivre dignement de son salaire.
Par ailleurs, si l'on considérait que l'encadrement ainsi proposé des conditions de rémunération au sein de la même communauté de travail qu'est l'entreprise constituait une atteinte à la liberté d'entreprendre, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de rappeler que « la liberté d'entreprendre n'est ni générale, ni absolue » et pouvait faire l'objet de limitations, lorsque celles-ci étaient « liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ».
Dans ce cadre, en rétablissant une échelle de proportionnalité des rémunérations au sein de cette communauté de vie et de travail, sans limiter de manière fixe et autoritaire le montant maximal de ces rémunérations, le présent amendement apporte une solution adaptée et proportionnée à un réel problème d'inégalité portant atteinte à la cohésion sociale et poursuit, aux yeux du rapporteur, un objectif justifié par l'intérêt général et par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, par lequel la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Ainsi, lorsque la bonne santé et les performances de l'entreprise justifieraient le versement de bonus aux personnes les mieux payées, la proposition contenue dans cet amendement permettrait donc aux salariés de voir leur salaire augmenter à due concurrence, permettant ainsi une meilleure répartition des richesses produites dans l'entreprise au profit du travail et donc, indirectement, de notre système de protection sociale.
Citons M. Sam Pizzigati, chercheur associé à l'Institute for Policy Studies. L'encadrement des rémunérations « encouragerait et nourrirait presque immédiatement une forme d'économie solidaire : pour la première fois, les plus riches auraient un intérêt personnel et direct au bien-être des moins riches ».
Afin de permettre le contrôle de la bonne application de cette mesure, un décret en Conseil d'État déterminerait les conditions d'information et de consultation du comité d'entreprise sur les écarts de rémunération pratiqués dans l'entreprise, dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi.
Enfin, ces dispositions laisseraient aux entreprises concernées un délai d'un an après la promulgation du présent texte pour mettre leur politique de rémunération en accord avec les dispositions ainsi définies.
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