Projet de loi de finances pour 2021 — Texte n° 3642

Amendement N° 292 (Rejeté)

(1 amendement identique : CF8 )

Publié le 15 décembre 2020 par : Mme Frédérique Dumas, M. Castellani, Mme De Temmerman, M. Pancher, M. Simian, M. Acquaviva, M. Clément, M. Colombani, M. François-Michel Lambert, M. Lassalle, M. Molac, Mme Wonner.

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Modifier ainsi les crédits de paiement :

Exposé sommaire :

Le mardi 5 février 2019, Madame Élisabeth BORNE alors ministre des Transports confirmait la réalisation du Charles‑de‑Gaulle Express (CDGE), « en assurant » que « cela ne se ferait pas au détriment des transports franciliens », sans toutefois y apporter de garanties concrètes.

Cette décision était prise au mépris du travail rigoureux des associations des usagers, de nombreux élus et des différentes études techniques et environnementales qui avaient permis de démontrer que le chantier ainsi que l’existence du CDGE lui‑même, tel qu’il avait été conçu, impacterait de manière très négative et durablement l’exploitation des lignes du RER B, mais aussi celles du RER E et celles des lignes P et K, ainsi que l’environnement.

Du fait du retard pris par le projet, le délai de réalisation en vue des Jeux olympique devenait impossible à tenir. C’est pour cela que le gouvernement demandait enfin au préfet de région qui était alors Michel Cadot d’analyser la situation.

Ses conclusions mettaient en exergue que « la somme des travaux attendus d’ici 2024 sur l’axe ferroviaire de Paris‑Nord aurait nécessairement un impact sur la qualité des services de transport du quotidien avec ou sans CDGE ». Cela signifiait que les usagers seraient confrontés à des difficultés sans précédent si le chantier du CDGE était maintenu de manière concomitante.

Le report du calendrier du chantier était alors décidé mais aucune réévaluation du projet n’était proposée.

Nous étions nombreux à dénoncer très fortement l’incohérence des déclarations faites :

Incohérence face aux engagements du Premier ministre qui en février 2018 au sujet du Grand Paris Express, déclarait vouloir « tenir un langage de vérité » et faisait alors des mobilités du quotidien et donc de « la mise en service des lignes qui bénéficient au plus grand nombre de franciliens, une priorité ».

Incohérence face à la nécessité que rappelait le Président de la République dans sa lettre aux Français en janvier 2019 d’« ériger la démocratie représentative comme socle de notre République ».

En effet, la consultation demandée dans l’urgence au Préfet de Région ne portait « que sur le calendrier des travaux » et non sur le report global du projet ou sur le fait de pouvoir le réinterroger. Il avait par ailleurs été omis d’y convier les députés d’Île‑de‑France hors Paris, dont la plupart s’interrogeaient sur les impacts et l’opportunité du CDGE. Ce qui contribuait à renforcer la vision « parisienne » et « hors sol » de ce projet contre le quotidien de millions d’usagers qui n’ont pas la chance de bénéficier de la desserte parisienne.

Incohérence face aux engagements pris à l’époque par le Président de la République car cette détermination à ne pas réévaluer, vidait de toute substance le concept même de « démocratie délibérative permanente » qu’il invoquait lui‑même à la sortie du grand débat national en mars 2019.

Incohérence encore face à la nécessité que rappelait le Président de la République toujours dans sa lettre aux Français de janvier 2019, d’optimiser les dépenses publiques au bénéfice des citoyens. En effet les conséquences sur les finances publiques n’ont jamais été évaluées en transparence.

Si concession a été faite à une société privée, c’est bien l’État qui a finalement consenti à être le créancier de ce projet pour une somme avoisinant les 1,7 milliard d’euros comme le prévoit la loi de finances 2018 qui précise que « les dépenses et la dette seront consolidées au sein des finances publiques ». Et ce sera donc bien l’État qui sera garant en cas de déficit d’exploitation, donc le contribuable.

En 2019 comme en 2020, les crédits ont été adoptés sans débat de fond.

Or, un déficit d’exploitation était d’ores et déjà attendu, bien avant la crise sanitaire, pour plusieurs raisons : du fait qu’en moyenne, les dépassements de coûts initiaux sont généralement de l’ordre de 30 à 50 %, du fait que les estimations de recettes étaient très « optimistes » et du fait de la conception même du projet.

En effet, s’il nous est expliqué depuis des années que le CDGE sera le « garant du rayonnement économique de la France et constituera un véritable levier pour le tourisme », il n’est pas prévu que ce dernier soit relié au futur terminal 4 s’il voyait le jour et il desservira uniquement la gare de l’Est. Bien loin donc de la conception de la future « Elisabeth line » souvent invoquée dont la partie « express » ne côtoie aucune ligne du quotidien et qui relie l’ensemble des terminaux d’Heathrow à plusieurs stations de métro de Londres intra‑muros.

Si l’on ajoute un prix prohibitif compris entre 20 et 25 euros par personne, que les faiblesses intrinsèques du projet ne lui permettront pas de remplir les objectifs qui lui ont été assignés et qu’augmenter la taxe sur les passagers aériens en cas de déficit, comme l’a suggéré la ministre des Transports de l’époque lors d’une séance de Questions Orales Sans Débat le 12 février 2019, n’est pas une solution acceptable pour le contribuable.

Pire pour 2021 aucune réévaluation n’a été faite du projet malgré la crise et ses conséquences sur le transport aérien et le tourisme qui ne seront pas seulement conjoncturelles mais bien structurelles.

Enfin, un tel projet rend encore plus aléatoire la tenue des engagements sur certaines autres lignes du Grand Paris Express, comme la ligne 17 devant relier Roissy à La Défense qui constitue pourtant une sérieuse alternative, aux côtés d’un RER B double rames enfin modernisé.

Si l’on ajoute le manque de moyens (tunneliers, manque de moyen humain, et retard pris en raison du confinement de mars 2020) pour réaliser dans des délais raisonnables le chantier qui devrait être prioritaire du Grand Paris Express, ou encore les conséquences de la pandémie mondiale à laquelle nous sommes confrontés, se réinterroger sur la pertinence du CDGE procèderait pourtant du bon sens absolu.

En effet en mars 2020 le temps s’est arrêté. L’épidémie du covid‑19 est devenue mondiale et a conduit au confinement de l’ensemble de la population dans notre pays afin d’éviter l’engorgement de nos hôpitaux et la mort de trop nombreux‑ses de nos concitoyen‑ne‑s. Le Président de la République a été amené à annoncer que la privatisation d’ADP était abandonnée.

Or c’est bien dans ce contexte de confinement que la ministre de la Transition écologique et solidaire, ex‑ministre des transports, a décidé de donner agrément au guide de l’Organisme Professionnel de prévention du bâtiment et des travaux Publics (OPPBTP) en vue de faire redémarrer les chantiers du CDGE au plus vite.

En dehors du fait que nous n’avions aucune certitude sur la protection des salarié‑e‑s, il était effectivement tout simplement sidérant qu’il ne soit même pas question de réinterroger à ce stade un tel projet dont la pertinence avant la crise était déjà fortement ébranlée.

Le déconfinement et la deuxième vague de l’épidémie conduisent à maintenir des dispositifs qui handicapent la reprise des activités.

A titre d'exemple les aéroports d'Orly et de Paris Charles-de-Gaulle ont vu leurs vols diminuer de -72% et -51% par rapport à l'année dernière. De plus, depuis le début de l’année 2020, la région Ile-de-France a perdu 16 millions de visiteurs provoquant un manque à gagner de 7 milliards d’euros, selon le comité régional du tourisme.

Tous les arguments invoqués pour demander l’annulation du CDGE prennent encore plus de poids à l’aune de la crise sanitaire, économique et sociale.

Au lieu de donner la priorité à la modernisation des transports au quotidien, ce qui aurait dû être le seul objectif poursuivi dès avant la crise et qui devient de fait aujourd’hui absolument vitale, le gouvernement continue de mettre la priorité sur la construction d’une ligne à grande vitesse en plein centre urbain, qui passera devant les usagers, notamment de Seine‑Saint‑Denis, sans s’arrêter. Cela alors même que règne la plus grande incertitude sur l’avenir du tourisme et le volume des vols internationaux.

Face à un monde que nous allons devoir réinventer, il est décidé de maintenir un projet disproportionné qui émerge du passé.

Ne rien changer pour que tout change.

Le 16 mars 2020, le Président de la République déclarait pourtant : « le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour aux jours d’avant. Nous serons plus forts moralement. Nous aurons appris et je saurai aussi avec vous en tirer toutes conséquences. »

Le 13 avril 2020, lors de son adresse aux Français, il déclarait : « il nous faudra bâtir une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seules peuvent permettre de faire face aux crises à venir. »

« Ces quelques évidences s’imposent aujourd’hui à nous mais ne suffiront pas. Je reviendrai donc vers vous pour parler de cet après. Le moment que nous vivons est un ébranlement intime et collectif. Sachons le vivre comme tel. Il nous rappelle que nous sommes vulnérables, nous l’avions sans doute oublié. Ne cherchons pas tout de suite à y trouver la confirmation de ce en quoi nous avions toujours cru. Non. Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier. »

Non seulement il faut « parler de cet après », mais il faut aussi le construire pour en faire une réalité. Se réinventer c’est transformer ses propres déclarations en actes dès maintenant.

Si tous les ingrédients d’une future catastrophe semblaient d’ores et déjà réunis avant la crise, s’il est urgent de « se réinventer », alors, la remise en cause de la réalisation du Charles‑de‑Gaulle Express – un projet disproportionné, hors sol, en décalage total non seulement avec ce que nous sommes en train d’éprouver mais avec le monde qu’il nous faudra reconstruire demain – s’impose aujourd’hui comme une évidence.

C’est pourquoi nous proposons à travers cet amendement la suppression des prêts à la société concessionnaire de la liaison express entre Paris et l'aéroport Paris-Charles de Gaulle afin d’obliger à un débat et à une remise en question de ce projet sans modèle économique, social et environnemental vertueux, à la fois bancal et disproportionné, qui émerge du passé.

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