L'audition débute à dix-sept heures quarante-cinq.
Mes chers collègues, l'Assemblée nationale a constitué une commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques ayant pu être prises.
Il ne s'agit pas de faire le procès de quoi que ce soit, ni de juger ou de punir, mais de comprendre afin que cela ne se reproduise plus.
Il était indispensable de commencer notre cycle d'auditions par l'écoute de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles (AFVLCS).
Nous sommes heureux de recevoir aujourd'hui la Direction générale de l'alimentation (DGAL) : M. Patrick Dehaumont, son directeur général, Mme Fany Molin, sous-directrice de la sécurité sanitaire des aliments, Mme Marie-Pierre Donguy, chef de la mission des urgences sanitaires.
La Direction générale de l'alimentation (DGAL) est rattachée au ministre de l'agriculture. Elle veille à la sécurité et à la qualité des aliments à tous les niveaux de la chaîne alimentaire, ainsi qu'à la santé et à la protection des animaux et des végétaux, en coordination avec les services de l'État dans les régions et les départements. Elle se coordonne avec les différents acteurs concernés, notamment les professionnels du monde agricole, les associations, les consommateurs. Elle met en oeuvre, avec les services du ministre de l'économie et du ministre des solidarités et de la santé, la politique relative au contrôle de la qualité et de la sécurité sanitaire des produits agricoles et alimentaires.
Vous avez donc eu, monsieur le directeur, un rôle à jouer dans l'affaire Lactalis.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d'enquête, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
M. Patrick Dehaumont, Mmes Fany Molin et Marie-Pierre Donguy prêtent serment.
Avant de vous donner la parole, je vais vous poser quelques questions que nous avons imaginées avec le rapporteur et le bureau de la commission d'enquête.
Pourquoi la contamination par la salmonelle du site de Craon, relevée en 2005 par les autorités sanitaires, à l'époque où celui-ci appartenait à l'entreprise Celia, n'a-t-elle pas donné lieu à des contrôles renforcés entre 2005 et 2017 ?
Comment expliquez-vous la présence de salmonelle dans l'usine de Craon en 2017 ? La salmonelle est-elle restée présente dans l'usine depuis 2005, ou bien s'agit-il d'une nouvelle contamination ? Dans le cas d'une nouvelle contamination, quelle est, d'après vous, son origine, a-t-elle stagné là pendant ces années ?
Il apparaît que d'autres types de salmonelles que Salmonella Agona ont été repérés chez Lactalis. Pouvez-vous nous indiquer lesquelles ? Cela pourrait-il avoir des conséquences en termes de contamination ?
Selon vous, des produits fabriqués dans l'usine de Craon et contaminés par la salmonelle sont-ils encore en vente aujourd'hui ?
Lors de votre audition au Sénat, vous avez déclaré avoir « un questionnement » sur la tour de séchage n° 2 alors que jusqu'à présent, seule la tour n° 1 avait été incriminée. Deux mois après cette audition, avez-vous obtenu des précisions de la part de Lactalis, en savez-vous plus ?
Pouvez-vous expliquer comment s'exerce le contrôle de l'État sur la qualité sanitaire des produits alimentaires, en particulier ceux issus d'une transformation ? Quel est le rôle exact de votre direction dans ce contrôle ?
Comment vos services déterminent-ils les entreprises devant être contrôlées chaque année ? Existe-t-il une fréquence minimale de contrôle de chaque établissement ? Déclenchez-vous des contrôles sur la base de présomptions ou procédez-vous à l'aveugle ?
Y a-t-il des différences entre les procédures françaises de contrôle des produits alimentaires et celles de pays équivalents, notamment européens ?
Pouvez-vous retracer, au cours des dix dernières années, l'évolution des crédits et des effectifs qui vous sont alloués par l'État ? Vous paraissent-ils suffisants pour la réalisation des contrôles qui vous sont demandés ?
Dans quels cas et selon quelles modalités les industriels sont-ils tenus de procéder à des autocontrôles ? Depuis quand ces autocontrôles ont-ils été mis en place ? Concernent-ils aussi bien les produits que leur environnement de production ? Les résultats de ces contrôles sont-ils systématiquement transmis aux services de l'État ? Ces derniers vérifient-ils en détail chaque résultat d'autocontrôle qui leur est transmis ?
Selon vos services et vous-même, Lactalis a-t-il volontairement dissimulé des résultats d'autocontrôles positifs depuis 2005 ? Je vous prie de me donner une réponse très concrète.
Pouvez-vous indiquer qui a été informé des autocontrôles positifs aux salmonelles et à quel moment ?
Quelles actions ont-elles été mises en oeuvre à la suite des autocontrôles positifs par Lactalis et les autorités sur le site de Craon ? Pouvez-vous indiquer combien de contrôles sur échantillon ont été réalisés par les services de l'État sur ce site depuis 2005 ?
L'ensemble des documents dont disposent les services de l'État, notamment les rapports d'inspection et de contrôle, seront-ils rendus publics ? À cette question aussi, je souhaiterais une réponse assez directe.
Pourquoi l'inspection vétérinaire réalisée au mois de septembre ne s'est-elle pas intéressée à l'éventuelle présence de salmonelles sur le site ? Qui dispose du rapport de cette inspection ?
Pouvez-vous expliquer les procédures applicables en cas d'alerte sanitaire concernant des produits alimentaires ? En quoi ces procédures ont-elles été mal appliquées ou se sont-elles révélées insuffisantes dans le cas de l'affaire du lait contaminé ?
L'État mène-t-il un travail de recensement des victimes ? Si oui, selon quels critères, et par quels moyens ?
Enfin, quelles mesures préconisez-vous afin que ce type de contaminations ne se reproduise pas ?
Merci pour ces questions, nous voilà déjà avec un vaste panorama à couvrir !
Quelques mots pour commencer sur l'organisation des contrôles, avant de vous dérouler les événements survenus dans l'usine de Craon.
La Direction générale de l'alimentation dont j'ai la charge a pour mission d'effectuer des missions régaliennes de contrôle officiel dans le domaine alimentaire, mais aussi animal et végétal. Il nous revient de définir une politique de contrôle officielle d'inspection par les services de l'État, qui doit définir la règle et vérifier qu'elle est appliquée.
Il faut par ailleurs avoir présent à l'esprit que, dans notre domaine, l'ensemble du dispositif est essentiellement d'origine communautaire : ce sont des règlements communautaires qui s'appliquent en la matière, qu'il s'agisse d'ailleurs des responsabilités incombant aux pouvoirs publics ou celles incombant aux professionnels. Nous vous remettrons à l'issue de cette audition un dossier dans lequel vous trouverez tous les détails utiles.
Pour assurer ces contrôles officiels, nous disposons d'une équipe d'environ 200 personnes et travaillons étroitement avec la Direction générale de la santé (DGS) ainsi qu'avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Sur le terrain, nous nous appuyons sur les services des préfets, en l'occurrence les Directions départementales de protection des populations (DDPP), nous avons aussi des structures en région, mais dans d'autres secteurs d'activité. Pour l'État, l'enjeu en matière de contrôle officiel est de disposer de personnels techniquement compétents, car il faut être capable de se rendre dans les usines et les installations ; il faut des personnels présents sur le terrain ainsi qu'une chaîne de commande permettant d'être réactifs en cas de problème. Ainsi, dans l'affaire Lactalis, dans le cadre de la chaîne de commandes, le préfet a-t-il pu prendre un arrêté préfectoral de fermeture de l'établissement lorsque cela s'est avéré nécessaire.
Nos contrôles sont organisés en plusieurs niveaux : le premier est le contrôle officiel des établissements ; viennent ensuite des contrôles que l'on appelle des PSPC, plans de surveillance et plans de contrôle, qui consistent en des analyses réalisées sur des produits animaux ou végétaux afin de vérifier les niveaux de contamination au regard de différents contaminants, qu'ils soient bactériologiques ou chimiques, ou de résidus de médicaments vétérinaires, de produits phytosanitaires, etc. Un peu plus de 60 000 prélèvements sont réalisés dans le cadre des PSPC environ pour 80 0000 couples analytiques matrice-contaminant. Nous vous remettrons bien entendu tous ces éléments.
Le troisième niveau dans la recherche de la fraude et de la délinquance, est celui de notre Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP), structure assez comparables au Service national d'enquête (SNE) de la DGCCRF, qui peut être amenée à conduire des investigations dans un cadre administratif ou judiciaire. Par ailleurs, nous devons aussi faire face à des crises, que Marie-Pierre Donguy, responsable de la mission des urgences sanitaires (MUS), ici présente, est amenée à gérer.
Pour ce qui est de nos moyens, nous disposons d'une enveloppe relativement préservée par rapport à d'autres administrations : entre 2015 et 2017, les 4 600 emplois que j'évoquais tout à l'heure ont connu une augmentation annuelle de 60 équivalents temps plein (ETP) pendant trois ans, soit 180 ETP supplémentaires. Pour 2018, nous aurions dû supporter une diminution d'effectifs, mais compte tenu des enjeux sanitaires, le ministre, M. Stéphane Travert, a obtenu leur maintien dans le cadre de l'examen la loi de finances. Nous connaissons par ailleurs une augmentation très significative de 12 % de notre budget d'intervention.
De fait, les crises que nous avons connues ces dernières années ont montré qu'il fallait être capable de les gérer, mais aussi qu'il fallait investir dans la prévention et la surveillance. Cette augmentation de moyens nous permet notamment de mettre en place ce que l'on appelle une plateforme d'effectifs de surveillance, qui intervient particulièrement dans le domaine alimentaire et qui revêt un intérêt tout particulier dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui.
Disposons-nous d'assez de moyens ? Un directeur général vous répondra toujours qu'il n'en a jamais assez… Pour être précis, j'indiquerai que pour programmer les contrôles officiels, nous effectuons une analyse de risques, nous disposons d'une enveloppe et nous allouons des moyens afin de définir une fréquence d'inspection en fonction des crédits disponibles et sur les situations les plus à risque ; pour des établissements agréés comme les fabricants de poudre de lait, l'analyse de risque nous a amenés à la conclusion qu'il fallait pratiquer au minimum une inspection tous les deux ans. Je vous laisse apprécier cette réponse.
En tout état de cause, les moyens ne sont jamais idéalement suffisants : il faut bien, à un moment donné, se fonder sur une analyse de risque, sachant que la situation que nous connaissons a fait l'objet de plusieurs audits réalisés par les autorités européennes. Le dispositif français est assez comparable à ceux de nos partenaires européens. Les audits réalisés régulièrement, disponibles sur le site internet de la Commission européenne, montrent que notre système d'inspection est bien proportionné en matière d'analyse de risque, compte tenu des moyens disponibles.
On peut aussi s'intéresser à certaines études de benchmarking réalisées entre différents États membres ; on constate que la pression de contrôle en France est bien plus faible sur les établissements pratiquant l'activité de remise directe – restaurants, métiers de bouche, etc.
Tout à fait : un restaurant peut être contrôlé à peu près une fois tous les trois ans à Paris, mais une fois tous les dix à quinze ans, selon les départements, en province… On peut s'interroger sur cette fréquence d'inspection ; une étude indépendante a montré que l'investissement financier consacré aux analyses dans le secteur de la remise directe était de 0,30 euro par an et par habitant en France, contre 2,40 euros au Danemark ! Il est toujours intéressant de faire du parangonnage et de regarder ce qui se passe dans les pays voisins ; votre question était donc utile.
S'agissant de l'organisation des contrôles, notre préoccupation première est la santé publique ; en tant que directeur général, j'y insiste beaucoup, mais le ministre insisterait de la même façon. On entend parfois dire que la préoccupation qui prime serait d'ordre économique, qu'il s'agirait de défendre les entreprises, etc. Notre première préoccupation, c'est bien la santé publique ; je tiens à le réaffirmer haut et fort.
L'organisation des contrôles s'appuie sur un certain nombre de textes européens. Rappelons que, dans le cadre de ce qu'on appelle le « Paquet hygiène », le professionnel est le premier responsable de la mise sur le marché des produits. L'État est là pour définir la règle et vérifier qu'elle est respectée, mais il n'est pas responsable de la mise sur le marché des produits, à une nuance près : l'abattage des animaux de boucherie, où l'État a une responsabilité directe et première dans le domaine alimentaire puisqu'il inspecte toutes les carcasses et y appose une estampille. Mais pour le reste des productions, c'est le professionnel qui est responsable et nous devons nous assurer qu'il a mis en place les mesures nécessaires et applique les règlements.
On distingue deux cas : les établissements agréés, qui ne font pas de remise directe, comme l'entreprise Lactalis, et les établissements dits de remise directe au consommateur. Dans l'un comme dans l'autre, les professionnels doivent mettre en place un certain nombre d'installations, des procédures de fonctionnement et un plan de maîtrise sanitaire (PMS), qui s'appuie sur un dispositif qu'on appelle de façon quelque peu barbare le système HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point), qui consiste en une analyse des dangers et une maîtrise des points critiques. Ce PMS doit inclure des autocontrôles, dont certains sont analytiques, mais pas seulement : il peut y avoir des enregistrements de température et bien d'autres paramètres encore. Il est de la responsabilité du professionnel de définir les besoins en matière d'autocontrôles, notamment analytiques, et de mettre en place le dispositif ; il appartient ensuite aux services d'inspection d'évaluer le PMS et les différentes mesures mises en oeuvre, de s'assurer de leur pertinence, de vérifier qu'il est appliqué et, si besoin est, d'exiger la révision de ces éléments. En matière de microbiologie, par exemple, pour parler du sujet qui nous intéresse, on est soumis à la fois à des critères de sécurité des produits et à des critères de maîtrise de la production : ce ne sont pas forcément les mêmes paramètres qui seront suivis.
Je précise, pour répondre à une question du rapporteur, que les professionnels n'ont l'obligation que de transmettre à l'autorité compétente chargée des inspections les résultats d'autocontrôles défavorables effectués sur les produits – et non sur l'environnement – et lorsqu'ils sont sur le marché. Autrement dit, il n'est pas obligatoire de transmettre les résultats d'un contrôle environnement, ni les résultats d'un contrôle défavorable portant sur un produit qui se trouve encore dans l'usine.
Je vous remercie de votre franchise, monsieur le directeur, mais qu'entendez-vous par là ? S'agit-il des produits qui sortent de l'usine, qui vont sortir de l'usine ou qui sont déjà sur le marché ?
L'interprétation que j'en fais, c'est qu'il s'agit des produits qui sont sur le marché, à partir du moment où ils ont fait l'objet d'un changement de propriété, pour parler concrètement. Quand on parlera des leçons à tirer et des améliorations à apporter, il y aura lieu de se pencher sur la question de la transmission aux pouvoirs publics des résultats défavorables, au point de mettre en cause la santé publique, des autocontrôles réalisés sur des produits non encore arrivés sur le marché, voire dans l'environnement.
Imaginons que les autocontrôles révèlent la présence de salmonelles dans des produits porteurs encore à l'intérieur de l'usine. Le fabricant pourrait très bien sortir les lots contaminés, et refaire un échantillonnage dans ce même lot, et si le résultat de l'analyse est négatif, remettre ce même lot sur le marché ?
Si le contrôle est positif à un moment donné, procéder à un nouveau contrôle et arriver à la conclusion que le lot est négatif n'est pas pour autant satisfaisant : il faudrait comprendre pourquoi il est négatif. S'agit-il d'une erreur d'analyse, d'une contamination de laboratoire ou est-ce à cause du plan d'échantillonnage qu'on est passé à côté la deuxième fois ? Car la microbiologie fait que le plan d'échantillonnage est quelque chose d'extrêmement complexe.
En tant que directeur général de l'alimentation, je considère que, dès lors que les analyses ont été réalisées dans les règles de l'art et qu'elles sont défavorables, le lot ne peut pas être mis sur le marché, et doit faire l'objet d'une destruction ou d'un assainissement – chose possible dans la mesure où la salmonelle est très sensible à la température.
Le sujet est donc tout à la fois technique et législatif ; il ne manquera pas d'être évoqué à l'occasion de la loi à venir.
C'est justement un des intérêts de cette commission d'enquête. Nous réfléchissons avec le rapporteur à un certain nombre d'amendements que nous comptons déposer à l'occasion de ce projet de loi, car nous sommes face à une situation très grave, et d'un illogisme absolu : le produit sort de l'usine, il est contaminé, et il faut attendre qu'il change de propriétaire pour le rechercher… En fait, il faut courir après le produit, si j'ai bien compris !
Il faut courir après le produit si l'entreprise, au fait de la présence d'indices positifs, le met sciemment sur le marché.
L'entreprise Lactalis savait-elle que des produits mis sur le marché étaient positifs ? Je ne suis pas capable de le dire à cette heure.
La réponse est oui…
Sachant que le produit était contaminé, elles eussent pu laisser partir leur produit à la commercialisation ?
La réponse est oui et j'en ai même un exemple très précis puisque nous avons eu l'occasion de conduire une procédure judiciaire – dont je peux parler puisqu'elle a été jugée à la fin de l'année 2013 – pour une contamination de viande de porc avec des salmonelles.
Nos investigations ont duré plus d'un an et l'entreprise a été condamnée dans la mesure où il a été établi que le mensonge n'était pas par omission, mais bien par intention, avec une « double comptabilité » des analyses, une pour les services officiels et une pour l'entreprise.
En ce qui concerne les laboratoires d'autocontrôle, il faut poser la question de la responsabilité des opérateurs et de ce qu'ils doivent nous transmettre, car il faudra que les choses changent : il ne s'agira pas de nous transmettre des résultats défavorables à l'avenir en demandant aux pouvoirs publics ce qu'il faut faire, mais aussi de nous proposer des mesures de destruction des produits et de s'interroger sur les actions correctives à mettre en place dans l'usine.
Nous devons aussi nous poser la question de la qualité des analyses de laboratoire d'autocontrôle : nos laboratoires officiels doivent être accrédités, ils doivent être agréés et participer à ce que l'on appelle des essais d'inter comparaison. J'estime que nos laboratoires d'autocontrôle devront égalent être soumis à accréditation, à des essais d'inter comparaison : les méthodes d'analyse ne sont pas toujours très simples, notamment en bactériologie. Et pour que l'inter comparaison ait une réelle valeur, j'imagine assez bien que les laboratoires départementaux officiels, par exemple, conduisent les analyses d'inter comparaison auprès des laboratoires d'autocontrôle.
Nous avons donc à nous pencher sur un double sujet : d'un côté les entreprises, directement concernées ; de l'autre les laboratoires, auxquels les services d'inspection devraient pouvoir directement demander de leur transmettre les données. Actuellement, il faut passer par l'entreprise pour les obtenir.
Après vous avoir parlé de l'organisation du contrôle des entreprises, des PSPC, de la brigade d'enquête et de la mission des urgences, des fréquences des contrôles des établissements agréés – une fois tous les deux ans seulement –, j'en viens à la mise en transparence des résultats de contrôle : depuis la publication du décret du 15 décembre 2016 organisant la publication des résultats des contrôles officiels en matière de sécurité sanitaire des aliments, nous mettons à disposition, sur notre site internet, l'ensemble des contrôles sous une forme simplifiée en recourant à une sorte d'idéogrammes qui indiquent si les résultats sont satisfaisants ou très défavorables. Cette mise en transparence est essentielle ; mais pour aller plus loin dans la transmission des données au public, il faut passer par la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), afin de savoir ce qui peut être transmis ou non, pour des raisons de confidentialité.
Nous avons environ 400 000 établissements à inspecter, dont 22 000 sont agréés, ce qui représente 55 000 inspections par an.
Venons-en maintenant à l'historique de l'usine, sur laquelle ont porté plusieurs de vos questions. Cet établissement, qui était l'usine Célia avant de devenir l'usine Lactalis, avait connu en 2005 un accident sérieux : on avait alors compté 146 malades, ce qui était loin d'être négligeable. À l'époque, les autocontrôles n'avaient pas permis de mettre en évidence des contaminations – nous n'avions pas eu d'autocontrôles positifs. Cette crise a été gérée par nos services et par la DGCCRF – du fait d'un partage des compétences entre nos services, qui mériterait d'être réexaminé, car assez peu lisible et compréhensible depuis l'extérieur : cette situation découle du protocole de répartition des contrôles établis en 2006, qui prévoit que les laits infantiles sont suivis par la DGCCRF ; j'ai saisi mes collègues de la Direction générale de la santé (DGS) et de la DGCCRF pour réexaminer ce protocole et revoir la répartition et l'organisation de ces contrôles ; nous devons nous réunir prochainement à ce sujet.
Souhaitez-vous que je sois très franc ?
Je pense que tous les sujets de sécurité sanitaire mériteraient d'être traités, non pas de manière isolée dans une seule main, mais avec un vrai chef de file devrait avoir autorité sur l'ensemble du dispositif, en transparence interministérielle, bien évidemment. Vous comprenez à quelle place j'imagine de ranger la sécurité sanitaire… À côté des sujets de loyauté et de concurrence – autrement dit les aspects commerciaux –, il y a les aspects de sécurité sanitaire stricto sensu ; quels que soient les sujets, nous aurions intérêt à regrouper tout le sanitaire en un seul lieu afin de garantir une réelle cohérence. Nous nous entendons très bien avec nos collègues, il n'y a pas de guerre des polices, contrairement à ce que certains peuvent dire, mais on constate que dans cette affaire, Santé publique France a mis une alerte en place, la DGCCRF, chargée des produits infantiles, est intervenue, ce qui est logique et prévu par le protocole, et a très rapidement lancé une procédure judiciaire. De ce fait, au départ nous n'avions pas accès à la procédure ; mais ensuite, lorsqu'il faut fermer l'usine, c'est moi qui appelle le préfet ; et lorsqu'il faut intervenir dans l'usine pour comprendre ce qui se passe et suivre la réouverture éventuelle de l'établissement, qui n'est pas encore acquise, loin de là, ce sont nos services qui reprennent techniquement la main. Il faut à tout le moins qu'à un moment donné, on améliore la fluidité et la coordination ; il n'y a pas d'ambiguïté là-dessus.
Au fil des années qui ont suivi, un certain nombre d'inspections ont été réalisées sur cette usine. Ces visites, et cela répond à une des questions du rapporteur, avaient pour objet de vérifier la conformité des installations, le respect des procédures et du PMS, mais elles n'ont pas consisté à refaire des analyses sur les produits : les seules analyses qui avaient été pratiquées étaient des contrôles de la première mise sur le marché (CPMM), qui n'incluaient pas le contrôle microbiologique.
Dès 2005, vous saviez qu'il y avait des problèmes de produits contaminés. Vous avez donc suivi Lactalis durant toutes ces années ; mais l'avez-vous contrôlée beaucoup plus régulièrement, sachant pertinemment que, depuis cette date, des produits étaient contaminés ?
Nous ne savions pas pertinemment que depuis 2005, des produits étaient contaminés ; ce que nous avons su, c'est qu'en 2005 des produits ont été contaminés. Des actions correctives, portant notamment sur le nettoyage et la désinfection, ont été menées, puis de nouveaux contrôles ont été effectués. Au terme de ces opérations, il n'y avait plus aucun contrôle défavorable ; et ces contrôles ont été assez nombreux, à raison de deux par an au minimum pour les établissements agréés, auxquels sont venus s'ajouter les CPMM réalisés par la DGCCRF.
Au total, en dix ans ce ne sont pas cinq contrôles qui ont été réalisés, mais plus de quinze inspections complètes. La pression de contrôle a donc été plus importante, du fait non pas de la crise de 2005, mais de l'évolution des agréments européens et des agréments pour l'exportation ainsi que de l'évolution des ateliers. Mais à aucun moment nos services d'inspection, qui se sont rendus une quinzaine de fois dans l'entreprise, n'ont été informés de résultats d'analyses d'environnement défavorables. On peut d'autant plus regretter que l'information n'ait pas été transmise, comme je l'ai dit lors de mon audition au Sénat, que l'on n'a pas retrouvé seulement S. Agona, mais bien une dizaine de sérotypes différents, sur la quinzaine de fois où l'on a retrouvé des salmonelles, et nous n'en avons eu connaissance qu'en février. En outre, S. Agona avait déjà été impliquée dans un épisode sérieux en 2005 ; on peut également déplorer que l'entreprise n'ait pas eu la curiosité de se demander comment on pouvait retrouver la même salmonelle, même si l'identité génomique n'a été prouvée que par la suite. On constate un problème de transparence à propos de la transmission de l'information.
Faut-il que les services de l'État effectuent des contrôles officiels, analytiques lorsqu'ils procèdent à leurs inspections ? Il est vrai que cela se fait rarement, sauf suspicion particulière. On s'appuie plutôt sur les PSPC que j'ai évoqués, les 60 000 prélèvements sur les différents produits. La difficulté tient à la signification de l'analyse : il ne faudrait pas donner le sentiment de valider l'autocontrôle de l'entreprise avec un contrôle officiel négatif, à plus forte raison si l'on n'en fait qu'un tous les ans ou tous les deux ans. En revanche, cela peut avoir un intérêt en termes de pression de contrôle : dans le cas qui nous intéresse ici, l'échantillothèque, c'est-à-dire les échantillons conservés sur 2017 par l'entreprise, qui avaient donné initialement des résultats négatifs en autocontrôle, a par la suite donné lieu à un grand nombre de résultats positifs… Il y a là de quoi s'interroger. De même, vous avez peut-être appris par la presse que de la viande hachée avait été rappelée la semaine dernière ; c'est un contrôle officiel qui a permis de donner l'alerte et non l'autocontrôle de l'entreprise, que nous considérons pourtant comme sérieuse. Pour résumer, il ne faut pas que nous servions à valider les autocontrôles, mais une pression de contrôle supplémentaire en termes de prélèvements peut avoir un intérêt, pour peu qu'on en définisse les modalités.
Si je comprends bien, les autocontrôles, pourquoi pas, mais avec un contrôle officiel, et qui plus est aléatoire…
Les autocontrôles, sûrement, parce que c'est la responsabilité du professionnel ; mais il peut être intéressant de renforcer nos contrôles officiels en y ajoutant plus d'analytique – mais selon des plans qu'il nous faudra calibrer avec L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) pour que cela ait du sens scientifique, sinon nous risquons de chercher une aiguille dans une botte de foin. L'orientation doit se faire en fonction de la suspicion ou de la spécificité du produit. La viande hachée est un bon exemple : c'est un produit très fragile. Mais un tel renforcement représente un investissement en argent ; il faut sceller les produits, les envoyer au laboratoire, que le laboratoire fasse les analyses, tout cela doit être organisé.
Pouvez-vous nous expliquer la procédure d'un autocontrôle ? Un numéro automatique est-il généré, qui permet de réaliser l'autocontrôle sans pouvoir l'effacer, ou bien est-ce écrit à la main, ce qui permet, le cas échéant, de le faire disparaître s'il n'est pas bon ?
Je ne crois pas qu'il y ait de disque comme pour les camionneurs… La responsabilité du professionnel est de mettre en place des autocontrôles, mais aussi de s'assurer que le système de traçabilité des autocontrôles, au même titre que celle des produits, est performant. La grande majorité des entreprises, à mon sens, ne triche pas, mais il n'existe pas de système de verrouillage qui empêcherait une entreprise délinquante d'avoir une double comptabilité ou d'effacer des résultats positifs – la responsabilité du professionnel serait alors très fortement engagée. Je ne dis pas que ce soit le cas dans cette affaire : il appartiendra à la justice d'apporter les éclaircissements. Nous nous posons seulement des questions.
Je peux également revenir sur la chronologie de l'épisode, dont vous aurez de toute façon le détail par écrit.
Nous pourrons nous reporter au document pour la chronologie. Comprenez que, si la mission concerne l'affaire des contaminations dans l'usine de Craon, nous ne jugeons pas spécifiquement ce cas d'espèce. Nous essayons de savoir comment tout cela s'est passé pour éviter que cela ne se renouvelle dans d'autres entreprises. Je vous remercie en tout cas pour la transparence avec laquelle vous faites état du manque de transparence…
J'ai juré de dire toute la vérité…
Sans revenir sur la chronologie, je vous dirai seulement que nous avons connu un certain séquençage dans l'obtention des informations. Au départ, nous n'en avions aucune. Petit à petit, nous avons appris que deux autocontrôles défavorables avaient eu lieu en 2017. Lorsque des prélèvements ont été effectués dans l'usine, nous avons retrouvé des prélèvements positifs en tour n° 1 et un prélèvement positif en tour n° 2 – y compris sur produit. La direction départementale de la protection des populations (DDPP) a ensuite réclamé, fin janvier, l'ensemble des autocontrôles au laboratoire et à l'entreprise, et a croisé les données. C'est donc début février que nous avons eu l'information sur l'ensemble des salmonelles trouvées pendant près de dix ans sur le site. En huit ans, dix sérotypes ont été identifiés, plus deux non identifiés, à soixante-deux reprises sur la tour n° 1 ; sur la tour n° 2, quatre résultats positifs ont été relevés en 2016 et 2017. Les niveaux de contamination ne sont pas du même ordre.
Est-ce la même salmonelle depuis 2005, ou bien s'agit-il d'une réintroduction ? Les investigations scientifiques sont toujours en cours, mais j'ai la conviction que cette salmonelle est restée de l'usine, cachée dans des anfractuosités. Les salmonelles sont assez résistantes ; on a constaté que c'est plutôt après des cycles de nettoyage et désinfection, donc de réhumidification que les résultats étaient positifs. Comme en outre le génome est le même, il n'y a plus de doute.
Reste que cette salmonelle est tout de même venue de quelque part. Compte tenu des sérotypes trouvés et du fonctionnement de l'usine, et au terme des coprocultures sur le personnel et des investigations sur les différents intrants, il est fort probable que ces salmonelles viennent des élevages. Nous avons d'ailleurs réalisé pas mal de contrôles sur les garde-boue des camions en début d'année et nous trouvons de nombreux résultats positifs. Le camion peut donc transporter des salmonelles, les bottes du chauffeur probablement tout autant ; nous en avons aussi retrouvé sur les roues des chariots Fenwick. Tout cela permet la diffusion de la bactérie. En l'occurrence, les silos de stockage des ingrédients ne sont pas très éloignés de la zone de déchargement des camions. Les secteurs ne sont peut-être pas assez séparés. Le processus de pasteurisation-atomisation ne paraît pas en cause mais, si l'on n'est pas réellement en salle blanche au stade post-atomisation, il existe un risque de recontamination.
Cela doit nous amener à réfléchir aux suites à donner à tout cela. Très concrètement, nous avons lancé une inspection systématique de l'ensemble des établissements qui fabriquent en France des poudres de lait, notamment infantiles mais pas seulement, soit une centaine d'établissements au total. Nous avons réuni l'ensemble des chefs de service et directeurs des départements concernés, pour bien cadrer le dispositif, il y a un mois en demi. L'objectif est d'abord de faire un « point zéro » : où en sont nos établissements en France et risque-t-on de connaître le même accident dans une autre usine ? Nous ne pouvons évidemment pas nous le permettre. Nous travaillons également sur un certain nombre de questionnements techniques et nous serons conduits à saisir l'ANSES pour évaluer les mesures à prendre dans les établissements qui produisent des produits sensibles pour des personnes sensibles. Le retour des inspections aura lieu en mai et la saisine de l'ANSES immédiatement après. Le dispositif sera donc probablement appelé à évoluer, et nous pourrons également le comparer avec ce qui se fait chez nos voisins européens.
Quant à l'entreprise Lactalis, l'usine est arrêtée. La tour n° 1 sera détruite. L'entreprise souhaite rouvrir la tour n° 2. Elle réalise des travaux, après avoir conduit une analyse des causes. Elle a formulé des propositions ; nous avons envoyé des demandes complémentaires et saisi l'ANSES sur le plan d'échantillonnage proposé. Nous verrons le moment venu dans quelles conditions – compte tenu des PMS, autocontrôles, contrôles officiels – une ouverture pourrait être envisagée, sachant qu'il faudra de toute façon fonctionner « à blanc » dans un premier temps, pour s'assurer de la conformité de l'usine. J'ai lu des dates dans la presse, avril, mai, etc. Pour ma part, je ne donne aucune date : pour l'instant, le dossier n'est pas bouclé. Nous devrons d'ailleurs redonner un agrément.
J'ai déjà répondu en partie à votre question sur les autres salmonelles, et vous aurez le détail par écrit.
Y a-t-il des produits contaminés encore en vente ? À mon sens, non, sauf si quelqu'un a conservé les produits chez lui, mais ce n'est plus à la vente. Il s'est produit une anomalie dans les retraits-rappels des magasins mais, en dehors d'un consommateur qui aurait conservé le produit chez lui, je considère qu'il ne reste plus de produits en vente.
Nous avons auditionné l'association des familles des victimes, qui nous a expliqué que, si une liste des produits à retirer a été diffusée, notamment par internet, il semblerait qu'il n'existe pas de liste consolidée. Dès lors, comment être certain que tous les produits ont bien été retirés du marché ?
Je vais botter en touche : je vous invite à poser la question à ma collègue Virginie Beaumeunier, directrice générale de la DGCCRF. Nous n'avons pas géré les retraits-rappels de produits.
L'inspection de septembre visait à la qualification d'un atelier export sur un atelier céréales : il fallait à la fois s'assurer de la qualité du produit et permettre la certification pour l'exportation ; or ce sont les inspecteurs qui signent les certificats d'exportation. Le dernier contrôle, pour boucler l'inspection, était prévu en décembre mais a été annulé, l'usine ayant été fermée entre-temps. Il n'est pas anormal que l'inspection n'ait pas été complète en septembre : ce n'était pas programmé de cette façon.
Vous avez parlé de la configuration des lieux dans cette usine et notamment de la proximité des véhicules de transport des marchandises avec les silos de stockage. Quelle est la nature des agréments initiaux qui avaient été délivrés pour que l'usine soit configurée de cette manière ? Ont-ils été respectés ?
On voit dans votre propos se profiler une application plus stricte du principe de précaution avec des services de l'État davantage présents pour conduire des investigations de précaution préalables à une éventuelle crise. L'État est-il capable de le faire, à moyens constants, dans les entreprises agroalimentaires susceptibles d'être concernées ? Et que pensez-vous, a contrario, d'un renforcement du principe de responsabilité de l'entreprise, qui pourrait d'ailleurs être consécutif à la procédure judiciaire en cours si celle-ci devait déboucher sur des sanctions lourdes ?
La configuration avait en effet fait l'objet d'une demande d'agrément. La question qui se pose concerne le respect des procédures de circulation, notamment des personnels, et probablement le renforcement de la maîtrise des flux d'air, car ce sont essentiellement les circulations de personnes et les flux d'air qui ont pu être à l'origine de contaminations. L'agrément était valide, et les installations, couplées aux procédures de fonctionnement et au plan de maîtrise sanitaire (PMS) existant, réputées conformes.
Plutôt que de principe de précaution, je parlerai du principe de prévention. L'idée, c'est de renforcer la responsabilité des professionnels, et c'est bien là le principe du « paquet hygiène » au niveau communautaire. Sur un sujet comme la sécurité sanitaire, je considère que l'État doit être le garant et l'arbitre. Il faut définir la règle et être capable de s'assurer qu'elle est respectée. C'est un sujet de santé publique, de santé animale et de santé végétale, mais aussi un sujet économique : si, demain, ce n'est pas l'État qui apporte ses garanties, nous n'exporterons plus aucun produit, que ce soit vers la Chine ou l'Australie…
Nous utilisons les moyens dont nous disposons. Nous avons une enveloppe de moyens, nous procédons à une analyse de risques et nous répartissons les moyens en fonction de cette analyse. Après, c'est un choix politique : je vous ai parlé de benchmark…
Pensez-vous que les moyens sont aujourd'hui suffisants pour le faire de la manière que vous décrivez ?
Non, je pense qu'il faudrait les renforcer assez significativement, mais pour un coût que je considère comme assez limité en termes d'investissement. Déléguer des contrôles officiels à des structures privées ne me paraît pas souhaitable car c'est l'État qui est responsable de la sécurité sanitaire.
Je suis rapporteur de la commission des finances sur la santé alimentaire. Sur l'action de prévention et de gestion des risques sanitaires liés aux denrées alimentaires, les crédits budgétaires ont augmenté cette année de 24 %. Cela s'inscrit dans le processus de « sincérisation » budgétaire que nous avons mise en place cette année, mais la France dépense historiquement assez peu sur la santé alimentaire : nous n'en sommes qu'à 0,30 euro par habitant, bien au-dessous de la moyenne, et certains pays sont à plus de 2 euros.
Je suis frappé par l'éclatement des responsabilités entre trois ministères. Je sais qu'il existe une instance de coordination, qui se réunit, m'avez-vous dit, une fois par semaine, mais vous considérez tout de même qu'il manque un capitaine. Deux des directions n'en faisaient qu'une, me semble-t-il, il y a quelques années ; je pencherais pour une vision prospective en n'ayant plus qu'une seule direction, car ces problèmes deviennent de plus en plus aigus et la population y est de plus en plus sensible et réclame de la transparence.
La faible rationalisation des canaux de communication est peut-être aussi une conséquence de cet émiettement. Je n'ai pas bien compris la manière dont fonctionnent les réseaux d'alerte avec ces trois directions ministérielles. On a tout de même constaté des manques de réactivité sur le terrain, peut-être du fait justement de la coexistence de plusieurs canaux d'information.
Vous considérez que les contrôles ne sauraient être délégués à des organismes privés, et je partage vos craintes, mais ne pourrait-on pas les déléguer à des organismes publics, tels que des laboratoires publics ? J'ai été maire il n'y a pas longtemps : dans les mairies, les cantines, les cuisines, les contrôles sont fréquents, aléatoires, et cela fonctionne plutôt bien.
Les laboratoires publics sont aujourd'hui surtout sur de l'analytique ; le problème est d'avoir des inspecteurs sur le terrain. Procéder à une inspection d'établissement, d'élevage, c'est un travail un peu différent de celui des laboratoires publics. Tout peut évoluer, bien entendu, mais la question des moyens se posera tout de même : ce sera de l'emploi public et il faudra disposer des moyens pour le faire.
Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait eu un retard dans la transmission et le déclenchement. Le 1er décembre, Santé publique France lance l'alerte ; le 2 décembre, les agents de la DDPP sont sur le site. Ce qui a pu donner le sentiment que cela prenait du temps, et cela en a pris, c'est que les contrôles ont été conduits petit à petit et que l'on a découvert des résultats d'autocontrôles dont personne n'avait parlé ; c'est cela qui a retardé l'action des services. La coordination interministérielle et avec les services locaux ne me semble pas avoir dysfonctionné. C'était un peu le même schéma dans l'affaire du Fipronil au mois d'août dernier. C'est un peu compliqué, mais nous avons des réunions régulières, des conférences téléphoniques ; on peut toujours améliorer les choses, mais cela fonctionne plutôt bien.
S'agissant des alertes, l'alerte au niveau national est donnée par l'organisme qui détecte l'élément d'anomalie ; cela peut être évoqué à la réunion de sécurité sanitaire du mercredi matin, voire, car souvent cela n'attend pas, le jour même avec les services concernés. Il y a aussi les réseaux d'alerte au niveau européen, notamment le RASFF (Rapid Alert System for Food and Feed) qui permet, lorsque des produits sont sortis du territoire, d'informer les pays destinataires via la Commission européenne. Inversement, nous recevons des alertes RASFF. L'exemple du Fipronil, là encore, est un bon exemple. Il avait été beaucoup dit que le réseau RASFF ne fonctionnait pas ; c'est surtout que certains États membres très concernés par le Fipronil ne l'avaient pas alimenté, mais à partir du moment où les éléments d'information étaient là et où le système a été déclenché, cela a très bien fonctionné. Dans le cas d'espèce, la déclaration RASFF a été faite le 4 décembre, sitôt que nous avons eu suffisamment d'éléments prouvant que des lots étaient partis à l'étranger.
Le système peut toujours être amélioré, notamment en termes de transparence et d'explications : il est vrai qu'il n'existe pas aujourd'hui un site qui regroupe les informations sur l'ensemble des retraits-rappels. Il y a toujours cette suspicion que l'on cache des choses. Le président de l'association des victimes en a fait état dans son audition. Je tiens à indiquer que, lorsque je l'ai reçu, je ne disposais pas des éléments d'autocontrôle ; je l'avais reçu le 15 janvier mais je n'ai eu connaissance des résultats de l'autocontrôle, qui seront dans le tableau que je vais vous fournir, que le 2 février. J'ai pour principe de ne jamais cacher ce que dont je dispose, mais on ne peut divulguer que ce que l'on connaît et ce que l'on est droit de divulguer. Pour certaines données confidentielles d'entreprise, il nous faut des autorisations de la CADA. J'ai proposé à l'association de saisir la CADA, mais n'ai pas eu de demande de sa part. Je vous enverrai tous les comptes rendus de nos échanges. Il suffit de nous saisir pour que nous demandions ipso facto à la CADA si nous pouvons donner telle ou telle information.
S'ils l'ont fait, je n'ai pas eu de retour.
C'est légitime… Si la CADA a été saisie, vous le saurez quand la CADA vous demandera de donner le document.
Vous dites qu'en dix ans vous avez réalisé trois fois plus de contrôles qu'en temps normal chez Lactalis. Vos services ont-ils demandé à réaliser plus de contrôles, ou des inspections plus fines, au ministère de l'agriculture, et avez-vous alerté, ces dix dernières années, les autres directions ou ministères ?
Je n'ai pas fait de demande pour réaliser davantage de contrôles ni alerté particulièrement les autres directions des ministères dans la mesure où nous avions un système d'analyse de risques et des obligations du professionnel, qui ne nous a pas transmis les informations – mais, pour certaines d'entre elles, il n'y était pas obligé. Il n'y avait pas d'alerte particulière justifiant que l'on conduise beaucoup plus de contrôles sur ces produits. Lactalis n'était pas une entreprise sous suspicion particulière, comme la plupart des entreprises françaises.
Oui, parce que certaines évolutions dans l'entreprise justifiaient que l'on s'intéresse aux installations, aux procédures de fonctionnement, au PMS ; il était légitime de faire ces contrôles supplémentaires.
L'audition s'achève à dix-huit heures quarante-cinq.
——²——²——
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 10 avril 2018 à 17 h 30
Présents. - M. François André, M. Grégory Besson-Moreau, M. Frédéric Descrozaille, M. Christian Hutin, Mme Caroline Janvier, Mme Frédérique Lardet, M. Michel Lauzzana, M. Jean-Claude Leclabart, M. Didier Le Gac, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, Mme Graziella Melchior, M. Bruno Questel, M. Arnaud Viala
Excusé. - Mme Séverine Gipson