Jeudi 21 juin 2018
La séance est ouverte à dix heures trente.
Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission d'enquête
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La commission d'enquête procède à l'audition de Mme Mathilde Lignot-Leloup, directrice de la Sécurité sociale et de M. Hugo Gilardi, adjoint au sous-directeur du financement du système de soins
Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de la direction de la sécurité sociale (DSS), représentée par sa directrice, Mme Mathilde Lignot-Leloup, et M. Hugo Gilardi, adjoint au sous-directeur du financement du système de soins.
Je rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse. Elles sont diffusées en direct sur un canal de télévision interne et donnent lieu à une vidéo qui peut être consultée sur le site internet de l'Assemblée.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C'est ce que je vous invite à faire avant de vous céder la parole.
Mme Mathilde Lignot-Leloup et M. Hugo Gilardi prêtent serment.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, la direction de la sécurité sociale travaille, dans le cadre de son domaine de compétence, à la mise en oeuvre du plan d'égal accès aux soins lancé par le Gouvernement en octobre dernier.
Il est clair qu'il n'existe pas de solution miracle pour améliorer la présence médicale dans les territoires où l'offre de soins est insuffisante. C'est en laissant à la disposition des acteurs un panel d'outils qu'il est possible d'agir sur le terrain.
La direction de la sécurité sociale se concentre sur quatre leviers : favoriser l'installation et le maintien des professionnels de santé ; faciliter l'exercice coordonné ; encourager les délégations de compétences ; soutenir le développement de la télémédecine.
Pour favoriser l'installation et le maintien des professionnels de santé, nous nous appuyons sur les contrats incitatifs négociés dans la convention médicale. Une autre piste intéressante consiste à rechercher comment accroître le temps de présence médicale, même s'il n'y a pas d'installation définitive. Dans ce but, nous cherchons à faire monter en charge le dispositif du contrat solidarité territoriale médecin (CSTM) qui permet d'inciter les médecins à assurer des heures de consultation dans ces zones. L'avenant 6 qui vient d'être conclu par l'assurance maladie renforce l'incitation financière : la majoration financière passera de 10 % à 25 % des honoraires. Nous devrons promouvoir ce nouveau dispositif et mieux le faire connaître.
Nous développons également le cumul emploi-retraite : le plafond d'autorisation a été relevé depuis le 1er janvier 2018.
Nous allons en outre favoriser l'exercice mixte dans ces zones en renforçant la présence de remplaçants. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 (LFSS) a permis aux médecins candidats au remplacement ne plus être soumis au délai préalable d'exercice libéral de trente jours. Nous allons poursuivre les travaux dans ce sens.
Le deuxième levier sur lequel nous avons beaucoup travaillé est le soutien à l'exercice coordonné. Les travaux de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) ont montré que la présence de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et de centres de santé d'exercice regroupé constituait une incitation pour les professionnels à rester dans les territoires ou à venir s'y installer. L'accord conventionnel interprofessionnel (ACI) prévoit un développement de ces dispositifs. Nous souhaitons utiliser le cadre d'innovation organisationnelle établi par l'article 51 de la LFSS pour 2018 afin d'expérimenter sur le territoire des modalités d'incitation aux exercices regroupés ou coordonnés. Un appel à manifestation d'intérêts a été publié en mai dernier pour engager les maisons de santé pluriprofessionnelles à faire évoluer leurs actions. Ces dispositifs peuvent être pilotés au niveau national, mais ils visent surtout à favoriser l'émergence de projets locaux et à les soutenir.
Le troisième levier consiste à encourager les délégations de compétences pour dégager du temps médical et le recentrer sur certaines prises en charge, en particulier dans les zones sous-denses. La DSS a notamment soutenu l'expérimentation ASALEE – Action de santé libérale en équipe – qui repose sur une distribution des tâches entre médecins et infirmiers. L'évaluation effectuée par l'IRDES a montré que l'intervention des infirmières ASALEE dans les territoires sous-denses avait permis aux médecins de dégager au moins 10 % de temps médical. Forts de ces résultats, nous avons prévu d'augmenter le nombre d'infirmiers participant au dispositif : nous déploierons 100 équivalents temps plein supplémentaires, ce qui permettra d'atteindre un total de 400 ETP en 2018. En outre, la LFSS a inscrit ASALEE dans un mécanisme de financement de droit commun.
La LFSS a également défini des priorités pour les protocoles de délégations de compétences : un arrêté publié en début d'année permettra de fluidifier leur élaboration. Nous pourrons certainement aller plus loin. Deux protocoles seront généralisés en matière de soins visuels, qui constituent une priorité dans certains territoires. Ils s'appuieront notamment sur une collaboration entre ophtalmologues et orthoptistes.
Nous disposons donc d'instruments nouveaux ; reste à accélérer leur mise en oeuvre et leur déploiement.
Quatrième levier : le développement de la télémédecine et de la télé-expertise. L'assurance maladie vient de conclure un accord avec les représentants des médecins : à partir du 15 septembre 2018, la téléconsultation rentrera dans le droit commun, conformément aux dispositions de la dernière LFSS, et, en 2019, la télé-expertise sera développée partout en France.
Les délégations de compétences et la télémédecine concernent l'ensemble des territoires, mais présentent un intérêt particulier dans les zones sous-denses où elles permettent de faire face à la pénurie de médecins.
La DSS participe, dans le cadre de ses compétences, au plan d'égal accès aux soins. À mesure que les territoires s'empareront des différents outils mis à leur disposition, nous verrons les dispositifs qui fonctionnent bien, ceux qui fonctionnent moins bien et nous proposerons des adaptations en conséquence.
Comme vous l'avez très bien dit vous-même, la solution ne réside pas dans un outil en particulier mais dans un panel d'outils.
Notre commission porte sur l'« accès aux soins des Français sur l'ensemble du territoire ». Pour la sécurité sociale, un tel intitulé a un sens. À vos yeux, quelles sont les plus grandes inégalités à l'heure actuelle ? Elle a également pour objet « l'évaluation des politiques publiques ». Quels sont les bons et les mauvais points que vous pourriez décerner ?
Il existe des solutions immédiates à travers les dispositifs de médecins remplaçants et les médecins adjoints. Comment accélérer leur déploiement pour renforcer la présence de ces professionnels et enrichir l'offre de soins ?
Par ailleurs, même si quelques efforts ont été accomplis en matière de prise en charge de cotisations, l'indemnisation du congé maternité reste un problème pour les femmes médecins qui exercent en libéral. Dans la situation de crise que nous traversons, des solutions s'imposent, ne serait-ce qu'à titre transitoire. Quelles propositions feriez-vous ?
Ma dernière question portera sur l'exercice mixte entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. Quelles sont vos préconisations ? Beaucoup de généralistes expriment le souhait d'exercer aussi dans des structures hospitalières. Nous avons même auditionné un jeune généraliste ayant monté une start-up qui travaille le matin dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), qui reçoit l'après-midi ses patients dans son cabinet et qui, à partir de dix-sept heures, se consacre à des soins non programmés grâce à une application informatique.
Je répondrai d'abord à votre question sur l'évaluation des dispositifs : qu'est-ce qui marche, et qu'est-ce qui marche moins bien ?
Les études de l'IRDES ont montré que l'exercice regroupé coordonné, notamment au sein des maisons de santé pluriprofessionnelles, constituait un bon moyen de maintenir les professionnels dans un territoire et de les inciter à s'y installer.
Les évaluations ASALEE ont souligné les effets positifs des délégations de compétences : elles ont permis aux médecins de gagner du temps pour se recentrer sur les soins à plus-value médicale.
Nous devons faire en sorte de développer plus largement ces deux dispositifs sur l'ensemble du territoire. Les MSP ont déjà vu leur nombre doubler. Il faudra aller plus loin encore, en améliorant l'adéquation entre le temps disponible des médecins libéraux et le maillage territorial.
Le nouveau dispositif de prise en charge des congés maternité des femmes médecins mis en place depuis l'automne dernier dans le cadre de la convention médiale devrait faciliter leur installation en libéral.
Le dispositif de cumul emploi-retraite, qui contribue au maintien d'une présence médicale, a connu une forte augmentation depuis 2009. Aujourd'hui, 12 000 médecins cumulent emploi et retraite, dont 50 % de médecins généralistes. Grâce au relèvement, depuis le 1er janvier 2018, du plafond d'autorisation de 11 500 euros à 40 000 euros, ce dispositif devrait connaître un développement accru. Il est encore trop tôt pour en mesurer les effets mais nous disposerons au début du mois de juillet de premiers éléments qui permettront de dresser un premier bilan.
L'incitation à l'exercice mixte est l'une des pistes sur lesquelles nous travaillons avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Deux modalités principales peuvent être envisagées : l'exercice salarié de médecins hospitaliers dans le cadre de consultations avancées dans les territoires, l'exercice en libéral en complément de l'activité à l'hôpital. Il faudra veiller à lever les obstacles liés au statut de praticien hospitalier afin d'élargir les possibilités d'exercer une activité libérale en plus de l'activité salariée. Nous nous tournerons également vers les conseils de l'ordre pour faciliter l'exercice dans des cabinets secondaires.
Madame Lignot-Leloup, vous avez surtout insisté sur les dispositifs qui fonctionnaient. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ceux qui fonctionnent moins bien ? Certaines analyses montrent que les incitations financières à l'installation ne sont pas pleinement efficaces. Qu'en pensez-vous ?
Les incitations financières à l'installation ont connu des évolutions dans le cadre de la convention médicale en 2016. Nous sommes partis d'un double constat : il fallait sans doute moins insister sur le maintien des praticiens établis et donner davantage de visibilité aux aides destinées à l'installation de jeunes médecins ; ensuite, il était plus judicieux de favoriser la venue de médecins dans ces zones pour une période temporaire que d'encourager les installations pérennes, toujours plus délicates à obtenir. À cet égard, le contrat type régional solidarité territoriale médecin apparaît comme un outil particulièrement utile et mériterait d'être développé : il incite les médecins à assurer des jours de consultation dans les zones sous-denses. Pour être tout à fait honnête, nous estimons qu'il n'est pas suffisamment développé. Dans la convention médicale précédente, le CSTM n'avait pas rencontré le succès espéré ; il a donc été reconfiguré pour le rendre plus lisible et plus incitatif. L'avenant 6 qui vient d'être signé prévoit une majoration des aides financières. Nous devons maintenant le faire mieux connaître et le développer. Cela permettra d'accroître les offres de soins spécialisés et de disposer d'un outil efficace en termes d'appui dans les territoires.
Comment envisagez-vous le déploiement de la télémédecine et de la télé-expertise ? Il existe de nombreuses initiatives au niveau départemental ou au niveau régional, mais elles ne semblent pas toujours bien coordonnées.
Nous avons levé deux freins liés au caractère expérimental de la télémédecine en faisant entrer sa rémunération dans le droit commun et en supprimant l'obligation pour les praticiens de s'inscrire en amont auprès des agences régionales de santé (ARS). Cela devrait faciliter son déploiement sur l'ensemble du territoire.
Le développement des téléconsultations reposant sur des équipements, il faudra développer l'appui aux médecins, notamment à travers le « forfait structure ». Nous comptons sur l'assurance maladie pour faire connaître ces nouveaux outils et sur les ARS pour soutenir leur déploiement.
Prenons garde à ne pas mettre en place des usines à gaz. Nous sommes face en effet à une succession de propositions, qui me semblent tout à fait efficientes, mais qu'il faut parvenir à articuler dans les bassins de vie et les territoires. Il faut, pour cela, faire confiance aux pratiques et aux innovations que proposent les professionnels de santé et pouvoir leur répondre rapidement : trois ans pour mettre en oeuvre une maison pluridisciplinaire de santé, c'est beaucoup trop long pour les patients, car nous sommes dans une situation d'urgence.
Je souhaite également revenir sur le rôle des délégués d'accès aux soins : pourriez-vous nous détailler quelles sont leurs missions, leurs qualités et sur quels critères ils sont recrutés ?
Plusieurs médecins de l'Aisne m'ont interrogé sur le fait de savoir si une maison pluridisciplinaire de santé dotée de quatre médecins ne pourrait pas faire de la pratique avancée, les médecins se déplaçant une fois par semaine dans un rayon de dix à quinze kilomètres.
En ce qui concerne les incitations financières, je ne pense pas que ce soit une réelle motivation. Je connais par exemple un médecin, à Marly-Gomont, qui préférait qu'on exonère la rémunération de ses gardes…
Enfin, je suis plutôt dubitatif sur le contrat de solidarité territoriale médecin (CSTM) et les incitations financières qui lui sont liées. Il me semble que contractualiser avec les MSP serait un dispositif beaucoup plus efficient.
Dans mon département de Dordogne, plusieurs maisons de santé sont confrontées au même problème : de jeunes médecins viennent s'y installer, mais pour en partir au bout de deux ou trois ans, laissant la maison de santé sans médecin, pendant parfois un ou deux ans. Pensez-vous que les incitations proposées sont suffisantes dans le cadre d'un exercice individuel ? Ne faudrait-il pas réfléchir à des regroupements territoriaux ou pluriprofessionnels ?
En ce qui concerne les délégations de tâches, comment s'opère le partage de la rémunération dans le cadre des protocoles de coopération simplifiés entre professionnels de santé ?
La télémédecine est un sujet qui revient dans pratiquement chacune de nos auditions. Je suppose que sa mise en place va nécessiter d'importants investissements financiers. Se poseront par ailleurs des questions d'interopérabilité et de compatibilité entre les différentes technologies utilisées. Sans oublier celle de la sécurisation des données personnelles des usagers.
J'ai cru comprendre de ce que vous nous avez dit que la télémédecine bénéficiait de financements mais, pour le reste, qu'en est-il de la coordination globale de ce projet, de l'interopérabilité, voire de l'équité des financements selon les territoires ? Au-delà des expérimentations actuelles par les ARS, a-t-on planifié au niveau national le développement du projet pour faire en sorte que la France fasse en la matière les bons choix technologiques ?
Monsieur Delatte, vous avez posé à juste titre la question de la lisibilité de l'offre. Nous devons en effet faire en sorte que le panel d'outils à disposition des professionnels de santé sur le terrain soit clair et lisible, de manière à ce qu'ils comprennent quels sont les types d'aides auxquelles ils ont droit et à qui s'adresser. C'est la raison pour laquelle, dans le plan d'accès aux soins, il est aussi prévu un guichet unique, organisé par les ARS et l'assurance maladie, pour informer les professionnels de santé sur l'ensemble des dispositifs, dès lors qu'ils veulent venir s'installer sur un territoire. Il s'agit d'avoir à la fois un panel de solutions diversifiées et une information centralisée et unique.
En ce qui concerne le CSTM, il peut en effet être intéressant de contractualiser avec une MSP, dans le cadre d'un exercice regroupé. Cela peut notamment permettre à ces centres de proposer ponctuellement une offre de médecine spécialisée supplémentaire, le temps de la présence du médecin contractant. C'est en tout cas un outil de plus dans le panel dont nous disposons.
Quant aux délégués d'accès aux soins, ils s'insèrent dans le plan d'accès aux soins pour le faire vivre. Nous avons mis en place un certain nombre d'outils, mais des bilans sont régulièrement effectués par le comité de pilotage, dont la prochaine réunion aura lieu début juillet. Nous avons souhaité que, lors de ces réunions, le comité puisse examiner les initiatives intéressantes mises en place sur le terrain. Les délégués ont donc pour mission de nous faire remonter ces initiatives afin que, le cas échéant, nous puissions les traduire par des mesures qui viendront compléter ce plan.
Madame Dubois, vous avez raison de dire que l'un des enjeux des incitations financières, c'est de convaincre les professionnels d'exercer de manière coordonnée, notamment dans les MSP. C'est une des pistes de réflexion que nous approfondissons. C'est ainsi que, dans le cadre de l'ACI, les maisons de santé pluriprofessionnelless peuvent bénéficier d'aides financières plus importantes en fonction notamment des services supplémentaires qu'elles offrent aux patients. L'enveloppe qui leur est destinée a d'ailleurs doublé entre 2016 et 2017.
En ce qui concerne les délégations de compétences, un des freins à leur développement tient précisément au partage des rémunérations entre le déléguant et le délégataire – autrement dit, pour parler concrètement, entre le médecin et l'infirmier, l'ophtalmologue et l'orthoptiste. Dans le cadre du protocole ASALEE, c'est l'association qui rémunère directement l'infirmière et prend en charge ses dépenses professionnelles ; l'impact est donc nul pour le médecin traitant. Il nous reste à prévoir une manière de généraliser ce dispositif. En ce qui concerne les ophtalmologues et les orthoptistes, le tarif du bilan visuel pratiqué par l'orthoptiste et validé par l'ophtalmo est fixé à 28 euros ; cette somme va à l'ophtalmo, qui rémunère ensuite l'orthoptiste en tant que salarié. Il s'agit désormais de décliner ce dispositif en libéral, pour lui permettre de se développer.
Monsieur Baichère, pour ce qui concerne la télémédecine, l'enjeu est en effet de développer un système interopérable, avec des dispositifs de facturation et de transmission des données valables sur la France entière. La DSS et la CNAM sont en train de mettre en place un dispositif de facturation qui utilise le système SESAM-Vitale et devrait être opérationnel pour les téléconsultations à partir de l'automne prochain.
En ce qui concerne l'harmonisation technique, l'Agence des systèmes d'information partagés de santé (ASIP) a été saisie sur la question des protocoles communs minimums, sachant que cette harmonisation ne doit pas aboutir à un dispositif trop lourd qui aggraverait les contraintes et pèserait sur le déploiement du dispositif. À ce stade le seul impératif qu'impose la loi, c'est que les téléconsultations se fassent par vidéotransmission.
Je souscris à ce qu'a dit Didier Baichère sur l'interopérabilité. Vous avez parlé, quant à vous, de l'entrée de la télémédecine dans le droit commun. Que va-t-il advenir dès lors des différentes expériences qui ont été menées dans les territoires, notamment en Franche-Comté ? Par ailleurs, les pharmaciens sont demandeurs de cabines de télémédecine, mais la DGOS nous a expliqué que l'intervenant de télémédecine devait nécessairement être un médecin. Comment comptez-vous donc faire pour que ce nouveau service réponde aux besoins propres à chacun et à chaque territoire ?
J'aimerais également connaître votre position sur le dossier médical partagé (DMP), qui est, selon moi, un outil indispensable du parcours de soins. La direction de la sécurité sociale a-t-elle l'intention d'investir dans son développement ?
Enfin, un certain nombre de conventions ont été établies avec des professionnels qui ont accepté des mesures de régulation. Les seules qui n'ont pas été mises en place, ce sont celles qui concernent les médecins : quelles sont donc vos préconisations pour faire évoluer le dispositif ?
Le dossier médical partagé est effectivement un outil très important pour garantir une continuité de la prise en charge et le partage d'informations entre les professionnels de santé. La relance du dispositif est prévue, son déploiement ayant été confié à l'assurance maladie. Une première série de tests a été menée dans des territoires pilotes, pour voir comment le DMP pouvait être à la fois mieux utilisé par les professionnels de santé et mieux déployé sur le terrain entre médecine de ville, hôpital et secteur médico-social. La priorité a été de faire en sorte que ce DMP soit facile d'utilisation pour les professionnels de santé, et nous avons beaucoup travaillé avec les éditeurs de logiciel pour réussir à l'intégrer dans les logiciels métiers des médecins et des hôpitaux. Il s'agit non seulement de garantir son interopérabilité mais également de permettre au praticien de l'alimenter en direct sans avoir besoin de sortir de son logiciel métier. Nous avons également veillé à ce que l'hôpital puisse facilement transmettre les comptes rendus d'hospitalisation à travers le DMP, manière d'inciter les médecins de ville à l'utiliser.
En second lieu, nous faisons également en sorte que le DMP contienne désormais l'historique des remboursements de l'assurance maladie. Il est ensuite prévu que le DMP puisse être déployé à partir de l'automne prochain sur la France entière, au-delà de la dizaine de départements pilotes. Nous suivrons sa montée en charge jusqu'à la fin de l'année, l'idée étant qu'il soit mieux connu et davantage utilisé par les professionnels de santé afin de devenir un véritable outil de régulation.
Vous avez rappelé que des dispositifs de régulation avaient été mis en place entre zones sous-denses et sur-denses. Ils s'appliquent aux professions dont le dynamisme est important, autrement dit les professions dans lesquelles le nombre de primo-installations est important et donne tout son sens au rééquilibrage par la régulation.
Deux raisons expliquent que ce dispositif ait d'abord été déployé avec les infirmières, puis les masseurs-kinésithérapeutes et les sages-femmes : d'une part, ces professions connaissent des écarts de répartition entre départements beaucoup plus importants que chez les médecins généralistes – ils peuvent aller d'un à huit pour les infirmières et les masseurs-kinésithérapeutes ; d'autre part, comme je l'ai dit, ce sont des professions où les installations en libéral sont en forte croissance – + 8 à 9 % par an pour les sages-femmes – et où les mesures consistant à n'autoriser l'installation dans une zone qu'en cas de départ d'un autre professionnel ou à proposer des incitations à s'installer dans des zones sous-denses prennent donc toute leur efficacité. Ce n'est pas le cas pour les médecins généralistes : non seulement leur répartition territoriale est plus homogène, mais la profession souffre par ailleurs d'une pénurie d'installations en libéral. On ne peut donc avoir recours aux mêmes outils de régulation.
Lorsque je parle d'entrée dans le droit commun de la télémédecine, je vise les téléconsultations auprès de médecins, dans le cadre de la convention médicale. D'autres professionnels de santé demandent de pouvoir eux aussi pratiquer des actes de télémédecine. Pour ce qui concerne les officines de pharmacie, nous devons donc étudier la question et voir comment cela peut s'organiser, l'installation des cabines notamment, sachant qu'en tout état de cause, la consultation doit se faire avec un médecin. Quoi qu'il en soit, dans le cadre de la convention médicale, il est d'ores et déjà possible de développer les téléconsultations dans les centres de santé ou chez les médecins de ville.
Si j'ai bien compris ce que vous nous avez dit, les maisons de santé pluriprofessionnelles qui prétendent à un financement complet doivent exposer un projet de soins territorial et pluridisciplinaire, dont l'acceptation débloque les financements. comment évaluez-vous ensuite la mise en place effective du projet et selon quel dispositif ?
En réalité, ce qui est demandé aux MSP pour bénéficier des aides prévues dans la convention, c'est un peu plus qu'un projet de santé. Des objectifs et des indicateurs ont été définis, qui permettent notamment de s'assurer que la mise en place de la MSP se traduit par une augmentation des services rendus au patient. Le cahier des charges comporte notamment des indicateurs et des exigences en matière d'amplitude d'ouverture de la MSP au public, ainsi que des objectifs en termes de prise en charge des soins non programmés, ce qui nécessite le maintien de plages horaires sans rendez-vous. D'autres indicateurs et d'autres objectifs se déclinent également en matière de coordination des soins et de système d'information, car le regroupement en MSP doit évidemment s'accompagner d'un partage coordonné des éléments d'information entre les différents professionnels.
En fonction des résultats que produit la MSP eu égard aux indicateurs et aux objectifs du cahier des charges, les aides financières qui lui sont allouées seront plus ou moins importantes. Elle peut donc augmenter ces dotations en renforçant à la fois son intégration et sa réponse aux objectifs.
D'abord établi par un règlement arbitral de 2015, le dispositif relève, depuis 2017, d'une convention qui permet un suivi annuel des objectifs et une modulation des aides en conséquence.
Les soignants sur le terrain, les médecins et les infirmiers connaissent leur métier, et ils savent travailler ensemble de manière efficace. Pourquoi ne pas leur faire confiance et les accompagner en amorçant la pompe pour leur permettre de construire leur maison pluridisciplinaire, quitte à suivre ensuite leur projet ? Je crains autrement que la lourdeur des procédures ne ralentisse à l'excès la mise en place de cette offre de soins pour les usagers. J'insiste sur cette notion de confiance, sans laquelle on risque de condamner un certain nombre d'initiatives. Beaucoup de professionnels renoncent déjà aux MSP, rebutés par le mille-feuille administratif et par l'idée de devoir quémander de l'argent.
Quant au guichet unique, si son rôle se limite à l'information, vous pouvez mettre la clef sous la porte : il ne servira à rien.
Le degré de maturité des MSP est effectivement très variable selon les territoires, et c'est tout l'enjeu de ce guichet unique qui réunit l'ARS et les caisses primaires d'assurances maladie de mieux informer, dans un premier temps, les professionnels sur le terrain, mais aussi de servir d'incubateur et de les accompagner afin que les MSP puissent se développer et intégrer le cadre du dispositif conventionnel qui leur permet d'obtenir des financements dès lors qu'elles remplissent leurs objectifs.
Sur le nombre total de MSP – elles sont environ un millier aujourd'hui –, seule la moitié bénéficie pour l'instant des aides financières prévues par l'ACI. L'objectif, à terme, c'est non seulement que ces MSP se multiplient mais surtout qu'elles soient plus nombreuses à bénéficier des aides conventionnelles.
Il existe actuellement très peu de zones sur-denses, même en Île-de-France : le déficit de médecins généralistes est devenu à peu près partout une réalité. J'aimerais néanmoins connaître votre position sur le conventionnement sélectif ou le déconventionnement, qui, du reste, n'a jamais été appliqué. Si les orientations que vous proposez ne s'avéraient pas assez efficaces, pensez-vous que cela reste une piste exploitable ?
Comme vous le rappelez, nous n'avons plus de zone sur-dense en médecins généralistes. Cela étant, on constate dans les autres pays qui ont mis en place des dispositifs similaires – c'est notamment le cas de l'Allemagne – que ces dispositifs n'atteignent pas leur objectif et que, souvent, les médecins ne s'installent pas dans les zones sous-denses qui en ont vraiment besoin, mais en périphérie. Ces mesures risquent par ailleurs d'être d'autant moins efficaces chez nous que, ainsi que je l'ai évoqué, la médecine générale ne bénéficie pas d'une démographie dynamique, contrairement aux infirmières, sages-femmes et masseurs-kinésithérapeutes. Je n'y vois donc pas une piste permettant d'assurer un rééquilibrage et de répondre à la demande des zones sous-denses.
L'audition se termine à onze heures trente.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 10 h 30
Présents. – M. Didier Baichère, M. Marc Delatte, Mme Jacqueline Dubois, M. Alexandre Freschi, M. Christophe Lejeune, M. Thomas Mesnier, M. Philippe Vigier
Excusés. - M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Monica Michel, Mme Stéphanie Rist, M. Vincent Rolland, Mme Nicole Trisse