Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE
Jeudi 25 octobre 2018
Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission
La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition de Mme Marie Claire Paulet, présidente de France ADOT (Fédération des associations pour le don d'organes et de tissus humains).
L'audition débute à dix heures quarante-cinq.
Nous poursuivons la matinée en accueillant Mme Marie-Claire Paulet, qui préside depuis l'année 2000 la Fédération des associations pour le don d'organes et de tissus humain, connue sous le nom de France ADOT, et M. Michel Monsellier, président de la Fédération française pour le don de sang bénévole (FFDSB). Madame, monsieur, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation à cette audition commune, qui est filmée et enregistrée, et fait l'objet d'un compte rendu écrit.
Notre mission d'information étudie la question des transplantations d'organes, de tissus ou de produits issus du corps humain en raison de l'insuffisance de l'offre de greffons ou de sang et pour traiter du recueil de consentement, des dons croisés et de la création d'un « statut de donneur ». Votre expertise sera bénéfique à l'avancée de nos réflexions.
La Fédération française pour le don de sang bénévole regroupe 2 850 associations au niveau national, présentes dans tous les départements. Vous connaissez évidemment les associations locales de donneurs, que vous côtoyez quotidiennement. La Fédération milite aussi pour le don d'organes et de moelle osseuse et, accessoirement, pour le don de gamètes, si bien que tous les aspects de la révision de la loi de bioéthique sont couverts par nos activités.
Contrairement à ce que l'on entend dans les médias, il n'y a jamais eu de pénurie de produits sanguins en France depuis que vos prédécesseurs ont voté en 1952 la loi Aujaleu instituant le statut du don bénévole et non rémunéré, modèle de plus en plus appliqué dans le monde. Dans aucun des pays où le don est rémunéré ou indemnisé, on ne tend vers l'autosuffisance, et les patients n'ont pas un traitement égalitaire en matière de produits sanguins. Les statistiques de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et celles du Conseil de l'Europe le démontrent et c'est la réalité : membre de la Fédération internationale des organisations de donneurs de sang, je puis vous dire que le don bénévole et non rémunéré est le seul système qui fonctionne – et c'est aussi le seul respectueux de la personne et de la dignité humaine.
Un documentaire dont nous sommes les coréalisateurs a été plusieurs fois diffusé sur Arte. Il montre la collecte de plasma aux États-Unis. Ce n'est ni plus ni moins que de l'exploitation de l'homme par l'homme : les donneurs rémunérés sont systématiquement des travailleurs pauvres ou des gens qui ont besoin d'argent pour financer leurs médicaments ou leur drogue et ils sont exploités puisque le prélèvement est fait deux fois par semaine alors que, on le sait pertinemment, pour reconstituer ses réserves en immunoglobuline, quinze jours au minimum sont nécessaires entre deux dons. En France, le don de plasma est limité à vingt-quatre fois par an, et c'est très bien ainsi. Cela permet d'assurer une partie de l'autosuffisance, mais surtout de respecter la dignité de la personne.
Pour le don d'organes, les conditions de recueil du consentement au don ont été modifiées en 2016. Il semble que depuis le début de l'année, quelques problèmes se posent pour récupérer des donneurs en nombre suffisant pour répondre aux besoins des patients. On peut, en ce domaine, parler de pénurie d'organes. Mais ce phénomène n'est pas particulier à la France : le seul pays qui parvient à l'autosuffisance est l'Espagne. Cela étant, si l'on considère les prélèvements par million d'habitants, la France est le deuxième en Europe et le cinquième au monde. Cela prouve une fois encore que le don d'organe bénévole est le seul système qui fonctionne réellement. Partout où existent des registres de volontaires au don d'organes, il y a beaucoup moins de volontaires au don et beaucoup moins de dons par million d'habitants qu'en France ; cela vaut aux États-Unis comme en Allemagne. Il faut s'attacher fortement à trouver une solution au déficit de dons de moelle osseuse, important en France comme dans de nombreux pays. Il s'agit d'un don vital et il n'y a pas d'alternatives : pour le patient en attente, c'est la greffe ou la mort.
Pour ce qui concerne la fin de vie, nous tenons la loi Leonetti-Claeys pour une excellente avancée et nous préférons aller en ce sens plutôt que de modifier le texte pour aller vers l'euthanasie positive. Elle existe déjà dans certains pays européens, et l'on a tendance à des dérives : la presse s'est fait l'écho de mille décès par euthanasie active faite aux Pays-Bas sans l'accord du patient et, en Belgique, de près de trois cents sur des patients qui, atteints de dégénérescence mentale, n'étaient pas en mesure d'affirmer leur volonté. Il faut donc être très prudent, et la législation française existante encadre très bien ces choses ; mais un effort reste à faire en matière de soins palliatifs pour accompagner nos aînés vers la mort dans des conditions de dignité optimales.
Nous partons du principe que l'assistance médicale à la procréation, telle qu'elle est définie aujourd'hui dans le code civil et par l'Agence de la biomédecine, répond aux besoins thérapeutiques des couples incapables de procréer. Nous ne sommes pas favorables à l'ouverture aux couples de femmes et aux femmes seules de la procréation médicalement assistée pour une raison juridique et non de discrimination. Tout le monde s'accorde pour reconnaître que la gestation pour autrui (GPA) est une exploitation de l'être humain qui n'est pas souhaitable dans notre pays. Or, comment les juristes pourraient-ils ne pas signaler qu'il existe un risque patent de glissement vers la GPA si l'accès à la procréation médicalement assistée (PMA) est élargi aux couples de femmes et aux femmes seules ? Il est évident qu'alors, un couple d'hommes qui porterait plainte devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) obtiendrait gain de cause et que la France serait condamnée pour discrimination. Nous sommes très vigilants à ce sujet. Je rappelle aussi qu'en ce qui concerne les dons de gamètes, la France n'est pas autosuffisante pour les dons d'ovocytes, et tout juste autosuffisante aujourd'hui pour les dons de sperme. Il est donc clair que si la demande de dons de spermatozoïdes venait à augmenter, nous serions amenés à entrer dans un système de rémunération des dons en important des paillettes du Danemark. Aujourd'hui en effet, les plus grandes banques mondiales de conservation du sperme humain sont danoises ; après avoir exclu ou banni les donneurs roux, ce qui s'appelle de la discrimination ou de l'eugénisme, ces banques rémunèrent les donneurs danois quelque 3 000 euros par don. Cela ne correspond manifestement pas à nos valeurs éthiques qui font que le don doit être bénévole, volontaire et non rémunéré et que l'on ne doit pas porter atteinte à la dignité des personnes.
Engagée depuis bientôt cinquante ans, la Fédération France ADOT souhaite vivement que l'amendement législatif appliqué depuis janvier 2017 permette sur le long terme la diminution de la liste des patients en attente de greffe. D'emblée, elle réaffirme son attachement au consentement présumé.
Sur le plan éthique, France ADOT soutient de manière indéfectible les trois principes que sont le volontariat, l'anonymat et la gratuité, principes régissant tous les dons d'éléments issus du corps humain, qu'ils soient effectués post mortem ou, selon conditions, du vivant. Un risque de dérive se dessine, dans la mesure où le don de gamètes risque de perdre son anonymat. Je souligne d'autre part que ces principes peuvent seuls faire obstacle aux tentatives de marchandisation.
Pour ce qui est de la législation, France ADOT souhaite le maintien de la révision périodique des lois de bioéthique. Il convient de tenir compte de l'évolution très rapide de la recherche et des techniques applicables dans le champ médical, et cela favoriserait grandement la confiance des citoyens. Sur un autre plan, France ADOT, estimant que le service public est seul à même de préserver l'égalité entre les individus, exprime sa défiance envers toutes les formes de privatisation et juge qu'une étude sur le circuit des tissus humains serait opportune.
Quand bien même, selon le rapport sur l'application de la loi de bioéthique publié par l'Agence de la biomédecine en janvier dernier, un fort pourcentage de citoyens français disent avoir connaissance des nouvelles dispositions législatives, les discussions sur le terrain mettent en lumière des questions essentielles relatives à la compréhension et à l'application de la loi. Une indispensable pédagogie doit être maintenue et développée, qui devra faire sien l'adage de Boileau : « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement ».
France ADOT reste très attentive à l'indispensable respect de la volonté du donneur. Le principe du consentement présumé n'exclut pas la possibilité de dire « oui » ou « non » au don d'organes. Le registre national des refus n'a d'ailleurs jamais remis en cause ce principe essentiel. Dans cette optique, France ADOT propose depuis de nombreuses années que dire « oui » ou « non » soit considéré de manière égalitaire par les pouvoirs publics, au moyen d'un outil adapté. C'est l'expression même du libre arbitre. Au-delà de l'expression du refus officiellement reconnu, cela permettrait de conforter ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas parler à leurs proches de leur volonté de donner ; de connaître la position du défunt et de faciliter le rôle du personnel hospitalier ; de respecter strictement la volonté du donneur ; de soulager les familles dans un moment douloureux ; de témoigner une reconnaissance sociale au citoyen inscrit.
Telles sont les positions de France ADOT, dont je rappelle brièvement l'historique. Créée en août 1969 par le professeur Jean Dausset, prix Nobel de médecine, avec le soutien de la Fédération des donneurs de sang, la Fédération des associations pour le don d'organes visait à faire évoluer la conscience des citoyens et à solliciter leur adhésion au don d'organes, une thérapeutique nouvelle et révolutionnaire. Fidèle à ses missions d'origine, France ADOT s'attache à sensibiliser le public sur les dons d'organes et de tissus post mortem, dans le respect du triptyque éthique anonymat-gratuité-volontariat. La Fédération diffuse la carte d'ambassadeur du don d'organes. Elle promeut le don de moelle osseuse et enrichit le registre des volontaires – sachez que si le registre français contient 285 000 volontaires, le registre allemand en compte 7 millions, si bien qu'une greffe de moelle osseuse sur quatre en France est pratiquée avec un don provenant d'Allemagne. France ADOT est enfin le partenaire des pouvoirs publics en vue des révisions successives de la loi de bioéthique.
Au fil du temps, la Fédération a toujours été une force d'initiatives pour promouvoir le don d'organes par différents canaux. À ce jour, 1 500 bénévoles animent les soixante-et-onze associations départementales. Ils multiplient les conférences grand public, les manifestations à caractère sportif, culturel et autre, les stands d'information, les interventions scolaires et la sensibilisation des jeunes gens. En 2017, 95 000 cartes de donneur d'organes ont été délivrées et 7 063 engagements de volontaires au don de moelle osseuse ont été enregistrés.
Je vous remercie. C'est l'occasion pour nous souligner l'importance de vos fédérations et des amicales de donneurs de sang, et c'est avec beaucoup de plaisir que nous vous recevons. La tentation existe toujours d'importer du sang pour parer au manque. Comment remédier au fait que la France doit importer certains produits issus du sang avec le risque de marchandisation que cela induit ? D'autre part, des campagnes d'information mieux ciblées et plus efficaces favoriseraient-elles les dons de sang et d'organes ?
On n'importe pas de produits sanguins en France : ni concentrés de globules rouges, ni plaquettes, ni plasma thérapeutique. Seuls sont importés des médicaments dérivés du sang – immunoglobulines ou facteurs de coagulation – fabriqués aux États-Unis ou en Europe à partir du sang de donneurs rémunérés. Pour les produits sanguins labiles, la France est autosuffisante, je vous l'ai dit, depuis l'après-guerre, contrairement à d'autres pays dont les États-Unis – qui importent du concentré de globules rouges en provenance d'Allemagne. Nous nous battrons pour que la France continue d'être autosuffisante en produits sanguins labiles mais, je ne répète, il n'y a pas de pénurie générale actuellement ; tout au plus peut-il y avoir des tensions dans l'approvisionnement pour certains groupes sanguins.
En ma qualité d'administrateur de l'Établissement français du sang (EFS), je pense qu'il est dangereux de lancer de trop nombreuses campagnes d'information et de communication, comme c'est le cas depuis un certain temps, sous forme d'appels d'urgence, car plus on lance de ces campagnes et moins les donneurs répondent. Ce qui est nécessaire, c'est une communication de tous les jours, une sensibilisation au plus près du terrain. La proposition de loi de votre collègue Damien Abad va dans ce sens : une meilleure communication grâce aux associations et aux collectivités territoriales. Par exemple, nous avons toute notre place dans les brochures trimestrielles ou annuelles retraçant le bilan d'activité des collectivités, et je pense cette communication locale bien plus efficace que des appels aux dons nationaux réitérés et pour cette raison parfois contre-productifs : certains donneurs se disent lassés de recevoir des SMS, des mails et des relances de toute sorte en permanence. L'EFS est en train d'installer un dispositif qui permettra aux donneurs de définir les modalités de convocation qui leur conviennent mais pour l'instant certains d'entre eux sont las de sollicitations excessives.
D'autre part, nous demandons depuis un certain temps la révision du mille-feuilles de contre-indications médicales au don de sang qui se sont empilées au fil des ans sans que toutes soient encore justifiées. Ainsi, la Fédération se bat en faveur du retour au don de sang des personnes qui ont été transfusées au don du sang, puisqu'il n'y a plus aucune transmission d'un virus par transfusion sanguine, hormis en Grande-Bretagne, où l'on a détecté quatre cas de transmission du prion de la maladie de la vache folle par transfusion sanguine – mais c'était uniquement avec des produits non déleucocytés. Depuis que la déleucocytation est systématique, il n'y a jamais eu de transmission du prion par transfusion sanguine. Pour cette raison, cette spécificité française est une aberration. De l'autre côté de nos frontières, en Belgique comme en Allemagne, le don de sang par des personnes qui ont été transfusées est ajourné pendant quatre mois, non définitivement.
J'ajoute que ceux qui ont été transfusés sont particulièrement sensibles à l'idée de donner leur sang, parce qu'ils considèrent avoir une dette envers la société – et on les empêche de rembourser cette dette. Bien sûr, tous les transfusés ne pourront pas donner leur sang parce que certaines pathologies sont des contre-indications absolues au don, mais plusieurs milliers de personnes pourraient être donneuses demain assez facilement.
Le texte de Damien Abad contient d'autres propositions, notamment celle de la traçabilité de tous les produits. Nous y sommes très attentifs. Autant un donneur français peut être identifié si un receveur développe une pathologie après avoir reçu un don de sang, autant, si un receveur développe une maladie après avoir reçu un produit importé, on ne saura aujourd'hui quel donneur est à l'origine de ce mal. Les produits importés doivent donc, en effet, faire l'objet de la même traçabilité que les produits d'origine française.
Ma question relative aux importations portait bien sur les produits issus du sang, vous avez eu raison de le préciser.
Je considère comme mon collègue que l'essentiel est la pédagogie au plus près des gens. Voyez-vous, monsieur le rapporteur, quelques mois après que votre amendement a été adopté, j'ai tenu un stand d'information, et chacun disait vouloir être donneur ; mais quand on commence à expliquer comme les choses se passent, tout devient plus compliqué : « Ah oui, on aimerait bien être donneur, mais on ne pensait pas que c'était tout à fait comme ça… » Des campagnes d'explication ont été faites, mais elles n'étaient pas à la portée de tout le monde. La pédagogie, encore et encore, est indispensable.
D'autre part, nous sommes préoccupés par l'origine, très peu claire, des tissus, des os et de la peau importés on ne sait d'où. Des éclaircissements sont nécessaires pour faire de la communication sur le don d'organes. Alors que 22 000 personnes sont en attente d'un greffon en France, on sait très bien que l'on ne comblera jamais cette attente ni par des dons post mortem français ni par des dons de sources Maastricht II et Maastricht III. Quant aux dons faits du vivant du donneur, ils ne concernent pas tous les organes et l'opération comporte des risques, aussi bien pour le donneur que pour le receveur. Ce n'est pas rien de recevoir un organe d'un membre de sa famille – cela pose même de redoutables problèmes psychologiques, dont je vous donnerai un exemple. À l'association charentaise où je me trouvais il y a quinze jours, un homme qui a donné une partie de son foie à son père il y a quinze ans a pris la parole pour dire : « Je ne devrais pas être là », ce qui a déconcerté tout le monde. Après quoi, il a ajouté : « Quand j'ai donné une partie de mon foie à mon père, j'avais trente ans, j'étais célibataire et insouciant. Maintenant, je suis marié, j'ai un petit garçon, et que se passera-t-il s'il a besoin de mon foie ? ». Cela a donné à réfléchir à tous les présents.
Les donneurs vivants sont des sources de greffons et le citoyen est généreux, mais il y a une limite à la générosité. J'observe enfin que l'on ne parle plus de « dons » mais de « prélèvements ». J'aimerais que l'on en revienne au mot « don » : pour qu'il y ait prélèvement, il a bien fallu qu'il y ait un don !
Je vous remercie pour vos remarques et témoignages d'une grande importance. On a assisté au XXe siècle à une progression exceptionnelle de la notion de solidarité ; par le biais du don de sang, d'organes, de tissus, de cellules souches, on donne la vie et on fait renaître certains de nos proches ou d'autres humains, ce qui est merveilleux. Comme vous, monsieur Monsellier, nous sommes attachés au principe du don bénévole et non rémunéré, mais cette option est minoritaire dans le monde ; quels autres pays que la France et le Brésil ont exclusivement recours aux dons non rémunérés ? Il n'y a heureusement pas de pénurie de dons de sang en France, mais ce n'est pas le cas pour certains dérivés sanguins, ce qui nous conduit à importer du plasma, des immunoglobulines ou encore des facteurs de coagulation. Ces importations proviennent de pays qui rémunèrent des donneurs, en prélevant généralement le sang nécessaire chez des personnes pauvres. Ne nous exonérons-nous pas de la sorte un peu facilement de notre devoir de solidarité non marchande ? Quelle est, selon vous, l'évolution souhaitable ?
Pour les dons d'organes, pour lesquels l'insuffisance est avérée, on ne montre trop souvent que le point de vue du donneur ou celui du receveur alors qu'une transplantation est nécessairement l'addition des deux : on ne peut pas s'occuper de la psychologie des familles du donneur si on ne s'occupe pas de la psychologie de la famille qui attend un greffon et réciproquement, puisqu'il n'y a pas de transplantation sans don. Il est donc quelque peu dommageable que, trop souvent, on mette en lumière une émotion partielle ; il faudrait une vision plus complète. Vous indiquez dans la documentation que vous nous avez remise que la proportion de refus au prélèvement se maintient au-dessus de 30 % – et encore est-elle sous-estimée, car on ne devrait tenir compte que de ceux qui sont susceptibles d'être l'objet d'un prélèvement ; on se rend compte alors que plus de 40 % des organes ne sont pas collectés et utilisés. Cela accroît considérablement l'écart entre le nombre de gens qui attendent un greffon, nombre qui progresse chaque année, et celui de gens qui bénéficient du traitement. Comment progresser ?
Vous avez mentionné la loi de 2016 qui a permis de faire diminuer quelque peu le nombre de refus illégitimes – qui ne dépendaient pas de refus de la personne – mais le nombre de prélèvements destinés à faire des greffes ne progresse pas ; cette année, il y aura même probablement une régression du nombre de transplantations qui vont à nouveau tomber sous la barre des 6 000. C'est très inquiétant. Vous avez souligné à raison la nécessité de la pédagogie, mais la France n'a jamais été très bonne en ce domaine – voyez la médiocrité des campagnes de prévention ; si l'on ne sait pas vendre aux gens leur propre santé, on ne sait pas forcément mieux leur vendre la solidarité… Il faut progresser sans se décourager, mais que peut-on faire ?
Je souhaite aussi aborder la question de la formation de tous ceux qui sont impliqués – et ce disant, je parle aussi du directeur de l'hôpital ou de l'Agence régionale de santé comme de l'aide-soignante dans les services de transplantation...
À l'heure où l'on réduit tout à l'hôpital…
Non, non, on ne réduit pas tout, et comme les prélèvements sont exclusivement faits dans les hôpitaux publics, peut-être faudrait-il qu'ils s'adaptent à cette priorité. Actuellement, dans bon nombre d'entre eux il n'y a personne d'astreinte pour faire cela, les directeurs n'ont pas de motivation, il n'y a pas de salle d'opération disponible quand c'est nécessaire… Si l'on en reste là, on perd évidemment une grande partie des possibilités, et c'est aussi dramatique que l'insuffisance de pédagogie générale. Il faut agir par tous moyens : ce n'est pas l'un ou l'autre, ni priorité à l'un ou à l'autre. Peut-être vos associations peuvent-elles revendiquer auprès des pouvoirs publics, comme nous le faisons nous-mêmes, que le don d'organes devienne une cause prioritaire, faute de quoi nous serons toujours très à la traîne des besoins. Comment expliquer le fait qu'il y ait en Espagne plus de prélèvements et beaucoup moins de refus qu'en France ? On dit que quelques intérêts financiers peuvent l'expliquer – mais ce ne sont pas des intérêts financiers pour les personnes mais pour les hôpitaux, et je ne trouve pas si choquant qu'un service très actif soit mieux rétribué qu'un service inactif. Si c'est une motivation pour agir de savoir qu'ainsi le service sera mieux doté, il ne me paraît pas illégitime que les pouvoirs publics encouragent ainsi l'activité professionnelle.
Dans son avis de septembre dernier, le CCNE a évoqué la création d'un statut de donneur. Y êtes-vous favorable ? Si c'est le cas, quels devraient en être les contours ?
Enfin, si l'anonymat du don de gamètes est levé, nous devrons sans doute être plus efficaces dans le recueil des dons. Jusqu'à présent, il n'y a presque pas eu de campagnes – en tout cas, ni en tant que citoyen ni en tant que médecin je n'ai jamais reçu de sollicitation en ce sens, et j'imagine que la plupart des Français sont dans ma situation. Tout est donc à inventer. Vous qui avez l'expérience des campagnes pour le don de sang ou de moelle osseuse, comment pourriez-vous aider ceux qui sont chargés de collecter de plus nombreux dons d'ovocytes ou de spermatozoïdes à lancer des campagnes suffisamment efficaces pour éviter l'insuffisance ?
Vous dites, monsieur Touraine, que l'on choisit la facilité en prenant pour principe que le don est bénévole et non rémunéré en France tout en acceptant l'importation de médicaments dérivés de plasma prélevé sur des donneurs pauvres rémunérés Non, nous n'acceptons pas cette situation et nous la combattons mais, contrairement à ce qui vaut pour les produits sanguins labiles, issus de dons bénévoles et non rémunérés, les médicaments dérivés du plasma sont échangés dans un système marchand. Ils sont fabriqués par des multinationales en voie de concentration accélérée, ce qui pourra poser un problème à très brève échéance. La plus grande est la société CSL, australienne ; elle collecte du plasma non rémunéré et bénévole et fournit des médicaments fabriqués bénévolement en Australie, mais collecte du plasma rémunéré aux États-Unis pour vendre des médicaments et faire des bénéfices. Il y a aussi la société irlandaise Shire qui va être rachetée par la japonaise Takeda, ce qui pose un problème. L'espagnole Grifols collecte énormément aux États-Unis, tout comme l'italienne Kedrion. En France, à Lingolsheim, Octapharma produit des médicaments dérivés du sang à partir de plasma en petite partie bénévole mais à 90 % rémunéré, prélevé aux États-Unis, en République tchèque ou en Allemagne.
Si nous sommes dans un système marchand, c'est que le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) créé par la loi de 1993 ne parvient pas à subvenir aux besoins du marché français, parce qu'il n'a pas le volume de plasma suffisant, fourni par l'EFS, pour produire les médicaments nécessaires. D'autre part, comme nous sommes dans un système marchand, les hôpitaux lancent des appels d'offres au terme desquels le LFB n'est pas forcément retenu. Nous, donneurs, sommes prêts à fournir l'EFS en plasma destiné au LFB, mais si, en raison des lois du marché, le Laboratoire ne parvient pas à le vendre, il n'est pas utile de lui offrir une matière première qui finira à l'incinérateur. Nous continuons de nous battre contre ce système marchand parce qu'il est clair que le système bénévole est le plus respectueux de la personne humaine.
L'Europe commence à s'intéresser à ce sujet en raison de la concentration des acteurs que j'ai évoquée, et surtout du glissement vers l'Asie, qu'il s'agisse de Takeda au Japon ou des opérateurs chinois qui ont déjà racheté deux centres de transfusion dans des pays occidentaux – et la production part vers des pays émergents. Les médicaments dérivés du sang sont destinés à des pays riches et à ceux de leurs patients qui ont les moyens de payer des immunoglobulines ou des facteurs de coagulation. Quand les économies de pays tels que l'Inde, la Chine ou le Brésil s'envolent, ils accèdent à un niveau de vie qui leur permet d'acquérir des immunoglobulines sur le marché mondial. Or, la source n'en est pas inépuisable, y compris en termes de qualité : pour la raison dite, un litre de plasma collecté aux États-Unis n'a pas la même concentration en immunoglobulines ou en protéines qu'un litre de plasma collecté auprès de donneurs français, si bien qu'il en faut plus pour produire le même volume de médicaments dérivés du sang. L'Europe commence à se préoccuper sérieusement de cette évolution et un colloque international sera organisé les 29 et 30 janvier prochain sous l'égide de la direction européenne de la qualité du médicament et soins de santé du Conseil de l'Europe. Il s'agit de déterminer comment les patients européens pourront être soignés demain avec des produits de qualité et pas trop cher, car plus la concentration des fabricants de médicaments dérivés du sang s'intensifiera, plus ces industriels pourront imposer leurs prix aux États – et il faut savoir qu'aux États-Unis le prix du gramme d'hémoglobine est trois fois plus élevé que le prix fixé par le ministère de la santé en France. Si nous devions le payer au même prix qu'aux États-Unis, notre système de santé ne pourrait soigner autant de patients qu'il le peut maintenant. Nous sommes donc contre ce système et nous nous battons pour que les patients français soient de plus en plus soignés avec des médicaments d'origine française, obtenus auprès de donneurs de sang bénévoles et non rémunérés.
Que le taux de refus en matière de don d'organes ne diminue pas depuis des années fait s'interroger. À mon sens, cela passe pour commencer par la communication et la sensibilisation de nos concitoyens, comme dit précédemment. Permettre, comme l'a fait la dernière loi de bioéthique, que la journée d'appel de préparation à la défense devienne l'occasion de délivrer aux jeunes une information sur les modalités du consentement au don d'organes ne suffit pas, et nous ne sommes pas assez nombreux dans nos deux Fédérations pour tenir des stands et sensibiliser nos concitoyens au don. J'ai fait observer à l'Agence de la biomédecine que ce n'est pas uniquement le 22 juin, journée de réflexion et de reconnaissance aux donneurs, qu'il faut parler du don d'organes. La communication ne doit pas être quotidienne parce qu'elle finirait par lasser, mais un peu plus fréquente, pour que nos concitoyens sachant ce qu'est le don d'organes, le taux de refus diminue. L'autre moyen par lequel on peut agir est celui que vous évoquiez : les équipes de coordination, qui font un travail formidable mais qui ne sont pas assez nombreuses. Si l'on peut lier les deux, on obtient des résultats frappants. Ainsi, à la Martinique où l'association de donneurs de sang est très active, j'ai rencontré les équipes de coordination au début de l'année. En Martinique, le taux de refus est passé de 44 % il y a deux ans à 27 % l'an dernier, simplement parce que l'on a monté des équipes de coordination et que l'on a mieux communiqué auprès de la population. En renforçant la sensibilisation sur le plan local et en mettant les moyens en équipes de coordination, on peut arriver à faire baisser le taux de refus.
Vous avez mentionné la faiblesse du taux de refus en Espagne, mais il y a aussi dans ce pays des incitations aux dons d'organes – par exemple, le paiement des obsèques. Cette pratique est vilipendée par le Conseil de l'Europe, qui la considère comme une rémunération déguisée. La direction européenne de la qualité du médicament et soins de santé du Conseil a publié un document rappelant ce qu'est une rémunération, ce qu'est une indemnisation et ce qu'est un don bénévole et non rémunéré. Cette disposition est de celles qui sont « mises à l'index » comme ne correspondant pas à un don bénévole et non rémunéré. Il est vrai aussi que l'on voit le long des rues des villes espagnoles de grands panneaux publicitaires sur les dons d'organes que l'on ne voit pas souvent en France.
Sur la formation des personnels impliqués, oui, un rappel doit avoir lieu. Les lois de bioéthique ont fait de la greffe une priorité nationale ; tous les établissements de santé doivent participer à l'activité de prélèvement et de greffe. Il faut donc manifestement rappeler au système sanitaire français que tout le monde doit s'impliquer dans cette activité, puisque la greffe permet la vie ou rend une vie sociale et familiale normale.
Au sujet d'un éventuel statut de donneur, je distinguerais donneur d'organe et donneur de sang. Le donneur d'organes court des risques : l'Agence de la biomédecine reconnaît qu'il y a encore 11 % de séquelles un an après que le prélèvement a eu lieu. Il faut donc inclure dans l'éventuel statut du donneur vivant un suivi médical tel que sa personne ne soit pas mise en danger, immédiatement ou ultérieurement. Quant aux donneurs de sang, ils ne demandent rien d'autre qu'un sourire, un remerciement, la reconnaissance de leur générosité. Les donneurs de sang sont des gens altruistes ; chacun a constaté la ruée dans les centres de transfusion après les attentats. Ce geste généreux et volontaire est fait d'instinct, et, je le répète, le recrutement des volontaires se fait sans problème en France. Encore faut-il que l'on aille faire la collecte : c'est là que les choses pèchent, au point que certaines associations locales mettent la clé sous le paillasson, faute que l'on vienne les collecter au motif qu'ils n'ont pas assez de donneurs à présenter. On est ainsi en train de créer des déserts de prélèvements ou des déserts transfusionnels.
Sur la levée de l'anonymat du donneur de gamètes, nous sommes très circonspects parce que les expériences internationales montrent que c'est contre-productif. En Angleterre et en Suède, on voit, quelques années après la levée de l'anonymat, que le nombre de donneurs régresse : manifestement, les donneurs de sperme ne souhaitent pas voir une « famille » se présenter chez eux vingt ans après qu'ils ont fait un don. Selon nous, le recrutement de donneurs de gamètes doit rester sous le régime de l'anonymat. Que l'on demande au donneur de gamètes s'il accepterait qu'un enfant né de son don prenne contact avec lui une fois majeur, certainement. Mais en aucun cas il ne faut aller à l'encontre de la volonté d'un donneur altruiste qui vient en aide à un couple stérile mais qui ne veut pas pour autant se trouver à la tête d'une dizaine d'enfants dix-huit ans plus tard, puisqu'un même don de sperme est désormais utilisé jusqu'à dix fois.
Dans le taux de refus, les familles jouent un rôle. La volonté de la personne est fondamentale, mais elle n'est pas toujours connue de la famille qui, souvent, refuse parce qu'elle ne veut pas que l'on touche à la dépouille de son parent, sans savoir que cela va à l'encontre de la volonté, non communiquée, de l'intéressé. Une réflexion serait nécessaire car en réalité on ignore encore la source des refus.
La promotion du don d'organes passe évidemment par des campagnes publicitaires mais France ADOT ne bénéficie d'aucune subvention de l'État ; nous nous débrouillons tant bien que mal et faisons le maximum, mais nous ne sommes vraiment pas aidés et il n'y a pas assez de campagnes pédagogiques – j'insiste à nouveau sur l'indispensable pédagogie. Nous informons les jeunes autant que nous le pouvons mais nous sommes dans l'incapacité de participer en tous lieux aux Journées défense et citoyenneté et, de plus, nos interventions sont prévues pour durer un quart d'heure. Que dire à des jeunes sur le don d'organes en un temps si bref ? C'est regrettable, car les jeunes forment un public réceptif qui, de plus, se fera le messager de l'information en la rapportant à ses parents. Les jeunes sont le public qu'il faut cibler.
À l'hôpital, où les coordinatrices et les coordinateurs font un travail sensationnel et très difficile, il y a d'autres problèmes. Tout dépend du bon vouloir du chef de service : s'il est motivé, cela marchera, s'il ne l'est pas, il ne motivera pas ses troupes. À cela s'ajoute que les plannings sont combles et qu'il n'est pas facile d'obtenir des blocs opératoires. Un travail énorme doit être fait dans les centres hospitaliers, alors même que l'hôpital est assez malmené, il faut en convenir : on ferme des lits, on réduit des services… De manière générale, j'aimerais que l'on analyse les motivations des refus car il y a là des choses à apprendre.
Actuellement, la loi réserve la PMA aux couples hétérosexuels dits stériles. Certains prétendent qu'un quart de ces couples-là ne sont pas stériles, alors qu'ils ne sont que 4 % pour lesquels n'a pas été détectée une stérilité mais qui présentent une anomalie biologique inexplicable. Le don de sperme diffère du don d'organe en ce que le second assure une survie en remédiant à un problème médical tandis que le premier permet de concevoir un enfant. Pour un couple stérile, la PMA est une réparation ; mais revient-il au législateur de donner un enfant ? Donne-t-on un être humain ? Ne détourne-t-on pas le sens de la médecine quand on ne donne plus un rein pour réparer un dysfonctionnement médical grave obérant la survie mais une gamète qui permettra à des femmes lesbiennes en couple et à des femmes seules de concevoir un être humain par PMA sans que cela tende à réparer une anomalie biologique empêchant la conception ? Je vois là un détournement du sens de la médecine, qui n'est plus réparatrice. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Je ne suis pas absolument contre l'hypothèse de donner, effectivement, un enfant à des femmes, mais ce qui me gêne le plus à cette idée, c'est l'avenir de l'enfant, les questions qu'il se posera quand il aura une douzaine d'années.
Le plus frappant dans ce que vous évoquez, c'est le glissement de la notion d'« assistance médicale à la procréation » (AMP) – celle que contient la loi – à celle de « procréation médicalement assistée ». Or, ces deux notions sont totalement différentes. Par l'utilisation du terme « assistance médicale à la procréation », les textes votés parlent clairement d'une aide médicale à des couples qu'une stérilité empêche de concevoir un enfant. Il y a désormais le souhait de dévier un dispositif d'assistance médicale en procréation médicalement assistée, laquelle répond à un besoin sociétal de personnes en couple, qu'elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles. On ne règle plus un problème pathologique : on apporte bien une réponse médicale à un problème sociétal et, comme vous, je m'interroge, car si l'on en vient à parler de gestation pour autrui, il est clair que cela signifie que l'on achète un enfant sur catalogue – et surtout pas un roux si les deux parents sont bruns. On est loin des problèmes d'infertilité auxquelles on aspirait à remédier. Je laisse évidemment le législateur arrêter les lignes directrices pour les années à venir mais il faut faire attention parce que la réponse apportée à la demande sociétale de couples de femmes ou de femmes seules risquera de dériver systématiquement vers la gestation pour autrui.
L'audition s'achève à onze heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique
Réunion du jeudi 25 octobre 2018 à 10h45
Présents. – M. Xavier Breton, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine