La séance est ouverte à 14 heures.
Présidence de Mme Muriel Ressiguier, présidente.
La commission d'enquête entend en audition M. Pierre Pouëssel, préfet de l'Hérault, accompagné de M. Mahamadou Diarra, sous-préfet, directeur du cabinet du préfet.
Nous recevons M. Pierre Pouëssel, préfet de l'Hérault, accompagné de son directeur de cabinet, M. Mahamadou Diarra, sous-préfet.
Monsieur le préfet, votre parcours vous a conduit, depuis plus de trois ans, à la tête des services de l'État dans le département de l'Hérault. Vous avez également eu une expérience ministérielle dans les cabinets de M. Pierre Joxe, au ministère de l'intérieur puis à celui de la défense, et vous avez fait une incursion à la direction générale de la sécurité extérieure, en tant que directeur de l'administration, entre 2008 et 2015.
Nous allons pouvoir évoquer avec vous la réponse que l'État apporte sur le terrain aux agissements répréhensibles des groupuscules d'extrême droite dans le département dont vous êtes le préfet. Ce territoire est notamment marqué par les agissements de la Ligue du Midi et par la présence des Brigandes.
Je rappelle que le périmètre de cette commission d'enquête, conformément aux dispositions de la résolution qui a conduit à sa création, est exclusivement délimité de la manière suivante : notre commission est « chargée de faire un état des lieux sur l'ampleur du caractère délictuel et criminel des pratiques des groupuscules d'extrême droite, ainsi que d'émettre des propositions, notamment relatives à la création d'outils visant à lutter plus efficacement contre les menaces perpétrées à l'encontre de nos institutions et de leurs agents ainsi qu'à l'égard des citoyennes et des citoyens ».
Cette réunion est ouverte à la presse et fait l'objet d'une retransmission en direct sur le site de l'Assemblée nationale, où un enregistrement sera également disponible pendant quelques mois. Dans son rapport, la commission pourra décider de citer tout ou partie du compte rendu qui sera fait de cette audition.
Conformément aux dispositions du troisième alinéa du II de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui prévoit qu'à l'exception des mineurs de seize ans toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est entendue sous serment, je vais vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».
M. Pierre Pouëssel puis M. Mahamadou Diarra prêtent serment.
Afin de commencer cette réunion, je vais vous poser plusieurs questions liminaires auxquelles vous aurez la possibilité de répondre au cours d'un exposé de quinze à vingt minutes, si cela vous convient.
Quels sont les principaux modes d'organisation des groupuscules d'extrême droite dans le département de l'Hérault, leurs modes de communication et leurs lieux de réunion ? Pouvez-vous faire un bref état des lieux en nous signalant, si nécessaire, les évolutions et les interconnexions entre les différents groupes identitaires du département ?
Avez-vous mis en place une stratégie spécifique pour lutter contre les groupuscules d'extrême droite ?
Pouvez-vous évoquer, en particulier, les activités des Brigandes, qui ont un lien avec la Ligue du Midi ? Elle leur apporte en tout cas un soutien marqué. Ce groupe, qui véhicule une idéologie raciste, antisémite et homophobe, produit des chansons dans lesquelles on peut entendre, à propos du salut nazi : « ce geste, (…) un salut mal placé et te voilà fiché parmi les délinquants (…), ce geste (…), même le grand César le faisait sans le savoir » – mais je ne vais pas davantage citer ces chansons, afin de ne pas leur faire trop de publicité. Les Brigandes s'apparentent en de nombreux points à une secte, et elles sont d'ailleurs suivies par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Deux inspecteurs se sont déplacés en 2016 dans le village de la Salvetat-sur-Agout. Cinq enfants du groupe ont été déscolarisés à la rentrée 2017. Dernier élément, les Brigandes ont mis en veille leur site internet et leur chaîne YouTube a été supprimée.
Je vous laisse maintenant la parole.
Je vais commencer par un bref exposé, si vous le permettez, avant de répondre à toutes les questions que vous me poserez.
Je voudrais, d'abord, rappeler les principes qui guident mon action dans le cadre de la lutte contre les groupuscules extrémistes, puis je brosserai un panorama des groupuscules d'extrême droite dans le département de l'Hérault.
Les principes sont simples. Il y en a deux. Le premier est celui de la neutralité et de l'impartialité de l'État dans la lutte contre les groupuscules qui ne respectent pas les principes démocratiques, à l'extrême droite comme à l'extrême gauche, qui prônent en particulier le racisme et l'antisémitisme et encouragent le recours à la violence. Le second principe est celui de légalité. Dans la lutte contre les groupuscules extrémistes, ce sont plus particulièrement les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure qui constituent les principaux éléments de la boussole de mon action.
Dans l'Hérault, l'extrême droite s'exprime dans le cadre de diverses formations groupusculaires concurrentes, en proie à des querelles incessantes de personnes, parfois sur fond de différences idéologiques. Ces microstructures ont des durées de vie très limitées, car elles ne disposent pas de ressources financières suffisantes, en raison du faible nombre de leurs adhérents. À ce jour – et je pourrai vous donner une liste – on recense huit formations de ce type dans le département, dont une qui a disparu et qui, comme le Président de la République l'a annoncé hier dans un discours prononcé lors du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), devrait faire l'objet d'une dissolution, à savoir Combat 18.
J'en viens aux principaux groupes qui se signalent dans l'Hérault. On en compte trois, pour l'essentiel.
Il y a notamment une structure familiale, la Ligue du Midi, qui est implantée aux confins du Gard et de l'Hérault, au château d'Isis, dans une petite commune, et qui compte une quarantaine d'adhérents. On y cultive de père en fils les valeurs de l'extrême droite, avec ses cinquante nuances, à commencer par le maréchalisme, l'Organisation de l'armée secrète (OAS) ou encore l'Œuvre française, du côté du père, Richard Roudier, qui est né en 1948. Les deux fils, pour leur part, ont adhéré à la fin des années 1990 au mouvement d'ultradroite Unité radicale, groupuscule qui a été dissous à la suite de la tentative d'attentat commise par Maxime Brunerie contre le Président de la République le 14 juillet 2002. La femme de Richard Roudier est, elle aussi, très adepte de Charles Maurras et de l'Action française.
Un autre groupuscule, Génération identitaire, qui est, lui, connu au niveau national, aurait une quarantaine de membres actifs dans le département, selon nos estimations.
À cela s'ajoute un groupe de rock identitaire, les Brigandes, à propos duquel vous venez d'apporter un certain nombre de précisions, madame la présidente, et qui réunit une vingtaine d'adultes et une douzaine d'enfants autour d'une sorte de gourou exalté et complotiste.
Véhiculant une idéologie xénophobe et raciste, ces trois groupes pratiquent davantage les coups d'éclat que les coups de poing – même si l'on pourra revenir sur les incidents qui se sont produits dans la nuit du 22 au 23 mars dernier à la faculté de droit de Montpellier – et ils ne remplissent manifestement pas, en particulier la Ligue du Midi, tous les critères qui pourraient justifier leur dissolution en application de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.
Aujourd'hui, ces groupes ne me posent pas de vrais problèmes d'ordre public, à la différence des groupuscules d'extrême gauche qui sont très actifs à Montpellier. Ces derniers se sont illustrés par une extrême violence le 14 avril dernier, avec 200 « Black Blocs » qui ont préfiguré la manifestation parisienne du 1er mai et qui, de samedi en samedi, sont en tête des Gilets jaunes pour affronter les forces de l'ordre.
Voilà ce que je voulais dire à titre liminaire. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions.
Pouvez-vous revenir un peu plus en détail sur la Ligue du Midi ? Olivier Roudier a notamment été condamné en décembre 2017, par le tribunal correctionnel de Montpellier, à un mois de prison ferme pour des actes de vandalisme, ainsi qu'à 1 500 euros de dommages et intérêts et à 500 euros au titre du préjudice moral, à verser à l'association Réseau accueil insertion Hérault (RAIH). Je rappelle que les faits ont été filmés et revendiqués sur le site de la Ligue du Midi et sur Lengadoc Info – des propos incitant à la haine raciale ont alors été tenus. Richard Roudier a été condamné en 2012 à une peine de prison ferme pour avoir réalisé des saluts nazis et avoir proféré des insultes racistes. En juin 2013, Martial Roudier a été condamné à quatre ans de prison, dont deux avec sursis, pour avoir poignardé un « antifa », et il a présidé, la même année, le comité de soutien à Esteban Morillo, auteur du coup de couteau qui a été fatal à Clément Méric. Ce ne sont pas des perdreaux de l'année ou des gens complètement inoffensifs.
Ce ne sont pas, sans doute, des gens inoffensifs.
S'agissant des incidents auxquels vous venez de faire allusion, à savoir les actes de vandalisme commis contre le RAIH, le 30 juin 2017, Richard Roudier et son fils Olivier ont été déférés à la justice. Richard Roudier a été relaxé, tandis que son fils a effectivement été condamné à une peine de prison d'un mois, aménageable, et à 2 000 euros de dommages et intérêts, au total.
S'agissant de l'ordre public, depuis que je suis dans le département de l'Hérault, je n'ai pas eu à faire face, je l'ai dit, à des désordres graves sur la voie publique à l'initiative de la Ligue du Midi.
J'aimerais vous interroger sur les liens entre ces groupuscules. On sait qu'une rencontre s'est déroulée cet été entre la Ligue du Midi, Génération identitaire et le Bastion social de Lyon, et qu'il y a eu la volonté de créer un Bastion social à Montpellier. Avez-vous eu connaissance de cette rencontre et savez-vous s'il y en a eu d'autres ?
Une assemblée s'est tenue à Saint-Just, le 1er septembre 2018, dans le cadre de la fête annuelle de la Ligue du Midi. Au cours de cette manifestation, qui a réuni 250 personnes, sont apparues quelques figures de l'ultradroite française, à commencer par le général, de deuxième section Christian Piquemal, qui préside l'association du Cercle de citoyens-patriotes, Jean-Michel Darqué, responsable de la Ligue du Midi de Toulouse, Steven Bissuel, chef du Bastion social et leader du Groupe union défense (GUD) de Lyon, Renaud Camus, adepte bien connu de la théorie du « grand remplacement », qui préside le Conseil national de la résistance européenne et M. Patrick Jardin, père d'une des victimes de l'attentat commis au Bataclan le 13 novembre 2015.
Merci pour votre propos liminaire. Vous avez identifié trois structures que vous nous avez présentées. Quand on fait des recherches sur internet – j'ai essayé de préparer cette audition au mieux, ne connaissant pas exactement la situation dans l'Hérault –, on se rend compte qu'il y a tout un ensemble de satellites qui gravitent autour de ces groupuscules. On sait, par exemple, que les Brigandes ont une maison de production qui s'appelle Barka Prod – elle produit et diffuse leurs morceaux de musique. On voit surtout que ces groupuscules ont une présence numérique très forte, avec des flux très importants : certains morceaux de musique sont vus jusqu'à un million de fois sur les plateformes des réseaux sociaux. Vous nous avez dit que ces groupuscules ont des moyens financiers très limités. Au vu de la durée de la Ligue du Midi et de l'existence des Brigandes, est-on en mesure d'évaluer quel est leur pactole, si je puis dire ? De quoi ces gens vivent-ils et comment financent-ils leur action ?
Le groupe des Brigandes a effectivement recours à tous les réseaux sociaux – c'est maintenant devenu la règle commune. Ces réseaux sociaux sont d'ailleurs abreuvés de torrents de haine, aussi bien du côté de l'ultragauche que de l'ultradroite – c'est exactement pareil à cet égard. Les Brigandes ont une production « musicale ». Il y a sans doute des amateurs de ce type de musique.
En ce qui concerne la Ligue du Midi, je répète qu'il s'agit vraiment d'une entreprise familiale. Elle se signale par un certain nombre de coups d'éclat – nous avons parlé de l'un d'entre eux : un membre de cette famille, Martial Roudier, a participé au commando qui est intervenu dans l'amphithéâtre de la faculté de droit dans la nuit du 22 au 23 mars dernier. Ce commando est maintenant bien identifié et ses membres ont été déférés à la justice – une enquête judiciaire se poursuit.
Je prends en compte les faits tels que je les connais, et tels que j'ai à les affronter.
Les Brigandes ont dit, dans une vidéo mise en ligne sur les réseaux sociaux, qu'elles avaient un accord tacite avec le maire de la Salvetat-sur-Agout en ce qui concerne leur installation, qui aurait été conditionnée à la scolarisation des enfants. Or la présidente vient d'indiquer que des enfants ont été déscolarisés. J'aimerais savoir si le maire a engagé des mesures d'expulsion de ces personnes du territoire de la Salvetat.
Le maire, comme la majorité de la population, a des relations tout à fait apaisées avec ce groupe, qui vit en vase clos à proximité du village et ne se signale pas par des désordres particuliers. Il y a des relations correctes avec le maire de la Salvetat.
J'ai fait usage de l'article 40 du code de procédure pénale en 2017 à propos des chansons des Brigandes. Je n'ai pas de nouvelles de la suite donnée à ce signalement, comme cela arrive assez souvent.
Je vous remercie pour cette précision. Les Brigandes sont extrêmement actives et haineuses sur internet – cela relève de l'incitation à la haine raciale, clairement. Il y a aussi le site Lengadoc Info et celui de la Ligue du Midi. Avez-vous également fait des signalements, et vous a-t-on remonté des choses ?
C'est effectivement le site privilégié de la Ligue du Midi.
Vous êtes revenu, monsieur le préfet, sur les événements qui secouent actuellement notre pays et vous avez rappelé à juste titre le principe d'impartialité et de neutralité de l'État. Je souhaiterais revenir sur un incident que nous avons vécu ensemble il y a quelques semaines, lorsque 160 personnes se sont réunies sur le parking de ma permanence. Parmi elles, je crois avoir reconnu des membres de groupuscules. J'ignore s'ils étaient d'extrême gauche ou d'extrême droite, mais ils ont tenu des propos extrêmement haineux et violents, ils ont formulé des menaces directes à mon encontre et certains d'entre eux ont même fait des bras d'honneur. Très rapidement, des vidéos de cet incident se sont retrouvées sur le site d'information de la Ligue du Midi.
Les événements qui ont eu lieu dernièrement à Montpellier m'ont surprise. Je me demandais si l'ultradroite et l'ultragauche avaient des modes d'action similaires et si vous aviez observé, sur le terrain, des convergences ou des violences entre ces deux mouvances. J'aimerais également savoir si l'infiltration des manifestations de Gilets jaunes par des représentants de groupuscules est devenue systématique : quelle est votre expérience, à l'échelle de l'Hérault ?
S'agissant du mouvement des Gilets jaunes, on a observé, dans un premier temps, une relative neutralité des ultras, qu'ils soient de gauche ou de droite : tous ont commencé par observer le mouvement. À Montpellier, il est clair que c'est l'ultragauche qui a pris la main à partir de la mi-décembre : elle est à l'origine des violences qui ont eu lieu de manière récurrente tous les samedis et qui devraient encore se reproduire à l'occasion de l'« Acte XV » des Gilets jaunes samedi prochain. À Béziers et dans le Biterrois, en revanche, où le Rassemblement national est très fortement représenté, on constate une porosité entre le mouvement des Gilets jaunes et les militants d'extrême droite.
Il existe par ailleurs des « micro-groupuscules », que j'ai déjà évoqués tout à l'heure. Je songe notamment à Combat 18, un groupe néonazi qui va être dissous. D'après mes services, il a déjà disparu au cours de l'année passée, faute de combattants. Il existe aussi, à Sète, un groupe affilié aux Hell's Angels, auquel appartient Serge Ayoub. Cet homme est bien connu des plus anciens, puisqu'il faisait partie du mouvement Troisième Voie, mais aujourd'hui, il se retrouve pratiquement seul à Sète. Il y a encore « Les Soldats d'Odin », un groupuscule d'ultradroite qui est d'abord apparu en Finlande : islamophobe, son but est de constituer des milices d'autodéfense pour protéger les populations blanches des exactions en pays étranger et pour se préparer à la survie en milieu hostile. Mes services de renseignement me disent, et j'ai toutes les raisons de les croire, que ce mouvement, qui est certes entré en contact avec les Brigandes à La-Salvetat-sur-Agout, est extrêmement marginal.
Nous surveillons ces groupes, mais je rappelle que ma boussole, en la matière, c'est l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, dans lequel il est question d'appel ou de recours à la violence. Ce n'est qu'en cas d'appel ou de recours avéré à la violence de la part d'un groupuscule que je peux être amené à engager une procédure de dissolution auprès du ministère de l'intérieur, via la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ).
Ma première question, monsieur le préfet, prolonge l'exposé que vous venez de faire. Certains groupuscules sont identifiés depuis fort longtemps : Combat 18, par exemple, a été créé en 1991. Ce groupe néonazi est même, aujourd'hui, la branche armée d'un groupe néonazi britannique. J'aimerais connaître les moyens dont vous disposez pour surveiller de manière continue l'activité et les agissements de ces groupes à l'échelle du département de l'Hérault. Pouvez-vous nous éclairer sur la manière dont fonctionne, concrètement, le dispositif de surveillance ?
Deuxièmement, le préfet de police Michel Delpuech nous a indiqué, ce matin, que les établissements d'enseignement supérieur constituent un terreau favorable au développement de ces groupuscules. J'aimerais revenir sur les événements qui se sont déroulés, il y a quelques mois, à l'université de Montpellier. Pouvez-vous nous rappeler les faits et nous exposer la manière dont vous avez été amené à intervenir dans ce cas précis ? Pouvez-vous, par ailleurs, nous dire un mot de vos relations avec la direction de la faculté de Montpellier ?
Dans le département de l'Hérault, comme dans tous les départements de France, les préfets réunissent de manière hebdomadaire l'ensemble des services de sécurité au sein de ce que l'on appelle le groupe d'évaluation départementale, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Tous les vendredis, j'ai ainsi une réunion avec les services de la communauté du renseignement, à savoir la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), le service départemental du renseignement intérieur et le service régional de la police judiciaire (SRPJ), qui a son siège à Montpellier, ainsi qu'avec la police et la gendarmerie. Si l'un de ces services – je pense notamment à la DGSI – me rapporte des renseignements préoccupants sur tel ou tel groupuscule, je m'efforce évidemment d'obtenir davantage d'informations. Même si notre priorité est la lutte contre le terrorisme, je puis vous assurer que la DGSI et le renseignement territorial surveillent étroitement les groupuscules qui se signalent par leur violence. Or nous n'avons pas, à ce jour, à l'échelle du département de l'Hérault, d'indications susceptibles de nous préoccuper fortement sur un risque de recours à la violence.
J'en viens maintenant aux événements survenus à la faculté de droit le 22 mars 2018. En début d'après-midi, à l'issue d'une grande manifestation – il s'agissait d'une journée nationale d'action –, des organisations syndicales ont demandé au président de l'université de Montpellier, M. Philippe Augé, qu'il mette à leur disposition un amphithéâtre pour y tenir une assemblée générale (AG). C'étaient, pour l'essentiel, des étudiants de l'université Paul Valéry, qui abrite la faculté de lettres. Sur le coup de quinze heures, je reçois une demande de concours de la force publique, signée par le président de l'université, pour évacuer cet amphithéâtre. Avant de lui répondre par écrit, je l'appelle pour lui dire que je ne donnerai évidemment pas suite à sa demande, parce qu'elle ne me semble pas fondée sur le plan de l'opportunité qu'il m'appartient d'apprécier : cette AG avait commencé en début d'après-midi, il était quinze heure et il n'y avait, selon moi, aucune raison d'intervenir. Je lui ai indiqué que je n'accorderais pas le concours de la force publique pour évacuer des locaux universitaires.
Le président de l'université a très bien compris ma position, mais il m'a dit agir à l'instigation du doyen de la faculté de droit, M. Philippe Pétel, qui, selon lui, était dans un état de grande excitation. Nous en sommes restés là. La police surveillait les abords de la faculté de droit, au titre de la sécurité publique, et la soirée s'est prolongée sans incident jusqu'à ce que, vers minuit, un commando de huit personnes pénètre dans l'amphithéâtre, en présence du doyen Pétel et du professeur Jean-Luc Coronel de Boissezon, très proche de la Ligue du Midi, dont la femme avait appelé le commando à la rescousse. L'action a été rapide et brutale. Fort heureusement, il n'y a pas eu de blessés graves, puisqu'un seul jour d'incapacité totale de travail a été prononcé, mais le choc, symboliquement, a été très violent. Tels sont les faits et la manière dont je les ai appréciés : si c'était à refaire, je referais exactement la même chose.
Depuis lors, M. Coronel de Boissezon a été révoqué, le doyen Pétel a été interdit de cours pour cinq ans et une procédure judiciaire est en cours, avec un juge d'instruction qui poursuit ses investigations. Les deux hommes sont visés, ainsi que six membres du commando, dont la femme de M. Coronel de Boissezon.
Lorsque j'ai reçu les vidéos des événements survenus à la faculté de droit et lorsqu'on a commencé à en savoir davantage sur les personnes impliquées dans le commando, ce qui m'a frappée, c'est qu'elles n'avaient a priori aucune raison d'entrer en interaction : des notables y côtoyaient des membres de la Ligue du Midi et un ancien militaire. Jusque-là, rien n'avait amené ces personnes à agir ensemble, même si elles pouvaient partager une certaine idéologie. Ce qui me frappe, aussi, c'est qu'elles ont voulu exercer, comme ce fut aussi le cas dans les Alpes, l'une des fonctions régaliennes de l'État, celle du maintien de l'ordre : d'une certaine manière, elles ont voulu se faire justice elles-mêmes. C'est la première fois que je vois de tels faits se produire à Montpellier, et je dois dire que cela m'a interpellée. J'aimerais savoir si vous avez déjà vu des situations comparables ailleurs. Comment expliquer un tel phénomène ?
Un commando d'extrême droite qui intervient dans une assemblée générale réunissant des gens de gauche, ce n'est pas si extraordinaire : à une époque, c'était même assez courant ! J'ai connu dans ma jeunesse, à la faculté d'Assas, des incidents autrement violents.
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit ! Ce qui me surprend, c'est la présence de notables au sein de ce commando : c'est un fait inédit.
Je ne veux pas en dire trop, dans la mesure où une enquête judiciaire est en cours, mais je peux dire quelques mots du profil de ces individus. Il y a effectivement un ancien militaire et il se trouve, mais ce sont sans doute les hasards de la vie, qu'il a servi au Chili. On compte aussi, il faut le dire, des personnes au chômage, qui font partie de ce que l'on aurait pu appeler, à une autre époque, le Lumpenproletariat. Idéologiquement, ils ont quand même tous des points communs. Martial Roudier et son compère Jordi Vives, qui anime Lengadoc Info – ce dernier a été interpellé mais n'est pas poursuivi dans cette affaire – sont des membres de la Ligue du Midi. Tous les autres sont manifestement proches du Rassemblement national. Je répète que ce sont, pour la plupart, des personnes en situation de très grande précarité. On compte aussi, dans le lot, un jouteur de Sète, très musclé. Comment sont-ils entrés en relation avec l'épouse de M. Coronel de Boissezon ? C'est l'enquête judiciaire qui permettra de le dire.
C'était vraiment le sens de ma question : comment des individus issus de milieux ou de classes qui, jusqu'ici, n'avaient pas de contact, sont-ils entrés en action ensemble ?
L'enquête permettra de dire comment ces personnes sont entrées en relation les unes avec les autres.
Il est tout de même très grave qu'un doyen et un professeur d'université respecté s'acoquinent avec des groupuscules d'extrême droite et adoptent des méthodes violentes contre des étudiants. Ce glissement m'interpelle et je ne suis pas la seule à m'en étonner.
Messieurs, je vous remercie.
La séance est levée à 14 heures 40.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Coralie Dubost, M. Régis Juanico, M. Adrien Morenas, Mme Muriel Ressiguier
Assistait également à la réunion. - M. Nicolas Démoulin