Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du mardi 30 avril 2019 à 14h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • UVF
  • condé-sur-sarthe
  • directeur
  • détenu
  • fouille
  • prison
  • pénitentiaire
  • surveillant
  • visiteurs

La réunion

Source

La réunion débute à 14 heures 05.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les évènements survenus au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe le 5 mars 2019.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, je vous prie de m'excuser pour cet horaire de réunion un peu inhabituel. Les deux prochains mercredis étant fériés et compte tenu de l'ordre du jour chargé de notre commission dans les semaines à venir, il n'y avait malheureusement pas d'autre possibilité, à moins de reporter l'audition de la garde des Sceaux au mois de juin, ce qui me semblait trop tardif.

Le 5 mars dernier, au centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe, deux surveillants ont été grièvement blessés, au cours de ce qui s'est révélé être une attaque terroriste, par un détenu et sa compagne, qui se trouvaient dans une unité de vie familiale. La justice a été saisie et une information judiciaire est ouverte, pour tentative d'assassinat sur personne dépositaire de l'autorité publique, en relation avec une entreprise terroriste, complicité de ces crimes et association de malfaiteurs à caractère terroriste. Madame la garde des Sceaux, vous avez également diligenté une enquête administrative par l'inspection générale de la justice. Votre audition doit nous permettre d'en connaître les conclusions, afin de comprendre comment de tels événements ont pu se produire dans l'un des établissements pénitentiaires les plus sécurisés de France.

Cette attaque terroriste soulève en effet de nombreuses questions : où et comment ce détenu connu pour des faits de droit commun s'était-il radicalisé ? Pourquoi les fouilles destinées aux visiteurs n'ont-elles pas été pratiquées de manière vigilante et suffisamment approfondie pour détecter l'arme ayant permis de commettre ces faits ? Par ailleurs, comment évaluer en l'espèce l'action des services de renseignement pénitentiaire ? Enfin, pourquoi et comment ces personnes ont-elles pu bénéficier de l'accès à une unité de vie familiale ?

Avant de vous céder la parole, madame la garde des Sceaux, permettez-moi de saluer de nouveau le courage et l'engagement des personnels pénitentiaires et du personnel médical qui travaillent à la prison de Condé-sur-Sarthe, où nous nous sommes rendus, comme vous, il y a quelques semaines, avec MM. Xavier Breton et Dimitri Houbron, qui ont tous deux travaillé sur la question des fouilles en détention. Pour avoir rencontré certains d'entre eux et leur directeur, nous pouvons témoigner, une fois encore, de la grande qualité des hommes et des femmes qui travaillent pour l'administration pénitentiaire.

Permalien
Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice

Madame la présidente, je vais vous présenter quelques éléments, avant de répondre à vos questions. Comme nous disposons de peu de temps, j'essaierai de ne pas être trop longue. Vous avez rappelé les faits, sur lesquels je ne reviendrai pas, si ce n'est pour souligner que cette attaque terroriste a vraiment frappé les esprits, par sa violence préméditée, mais également du fait du cadre dans lequel elle s'est déroulée, le centre de Condé-sur-Sarthe étant l'une des deux prisons les plus sécuritaires de France. Le jour même de cette attaque terrible, je me suis rendue sur place, au chevet des deux surveillants, MM. Waquet et Wylleman, et j'ai également rencontré leurs collègues de travail et les représentants du personnel, chez lesquels se mêlaient l'effroi et la solidarité.

Le drame ayant eu lieu au coeur d'un mouvement social national, certaines organisations syndicales ont tenté de s'appuyer dessus pour intensifier le conflit. Or, à l'époque, j'avais déjà entretenu un dialogue avec les organisations syndicales représentatives et leur avais présenté un certain nombre d'évolutions en matière de sécurité précisément, parce qu'il me semblait que c'était le point sur lequel nous devions nous engager fortement. Peut-être ces propositions ont-elles contribué à mettre une sorte de terme au mouvement social, ce qui ne signifie pas que je ne suis pas extrêmement attentive aux différents éléments mentionnés à ce moment-là, en matière de sécurité ainsi que de carrière pour les personnels pénitentiaires, que j'ai souhaité développer.

Dès que cette attaque a eu lieu, le directeur de l'administration pénitentiaire s'est rendu sur place et a engagé des négociations locales avec les organisations syndicales, pour permettre la reprise de l'activité de l'établissement dans les conditions les plus sécurisées possibles. Il a établi un plan en dix points, sur lequel je vais revenir dans un instant. J'ai, le même jour, demandé qu'une enquête de l'inspection générale de la justice soit menée dans l'établissement, pour identifier les facteurs qui avaient concouru à la survenue du drame ou l'avaient favorisé. J'ai souhaité attendre que ce rapport me soit remis pour me rendre à nouveau dans l'établissement, le 5 avril, ainsi que je m'y étais engagée le 5 mars, jour de l'attentat. J'ai alors pu mesurer l'émotion, qui était encore palpable, et les craintes, ainsi que la difficile remise en fonctionnement normal de l'établissement. Je sais donc les efforts qui ont été consentis par l'ensemble des agents, aussi bien de la direction de l'administration pénitentiaire que de la direction de l'établissement et de la direction interrégionale.

À la suite du rapport de l'inspection générale, des réponses ont été apportées à cet établissement, dont nous pouvons envisager la généralisation à l'ensemble de notre administration pénitentiaire. Les mesures de renforcement de la sécurité de l'établissement sont issues du plan proposé par le directeur de l'administration pénitentiaire et négocié avec les organisations syndicales locales et du rapport que j'avais commandé à l'inspection générale de la justice. Le plan proposé par le directeur de l'administration pénitentiaire était nécessaire pour remettre en activité l'établissement qui s'est arrêté de fonctionner normalement pendant au moins quinze jours et qui n'a d'ailleurs pu fonctionner que grâce au concours et à l'appui des personnels des établissements pénitentiaires voisins. Sans attendre les conclusions de l'inspection, nous avons décidé de mesures permettant la reprise de cette activité. Le directeur de l'administration pénitentiaire a proposé des mesures pratiques qui pouvaient être déployées sans délai, dont certaines, d'ailleurs, ont anticipé les préconisations faites par l'inspection générale.

Ainsi, à titre d'exemple, ont été décidés : une généralisation des équipements de protection pour les personnels, notamment les personnels de surveillance, d'ici à la fin du mois de mai 2019 ; la révision du règlement intérieur de l'établissement ; le retour au projet initial de l'établissement, qui prévoyait d'évaluer périodiquement l'évolution du comportement des personnes détenues ; mais également un renforcement des équipes locales d'appui et de contrôle. D'autres mesures rejoignent également des orientations qui seront prises au niveau national : un éclaircissement des règles de contrôles des visiteurs, avec la mise en place d'une palpation systématique ; la dotation de bombes lacrymogènes pour les officiers et les gradés ; une réflexion sur les moyens cynotechniques locaux en plus de la création d'une quatrième brigade cynotechnique, qui sera implantée à Rennes ou à Nantes. Enfin, je tiens à préciser que, malgré un taux d'occupation de l'établissement mesuré de 55 % – il n'y a pas ici de surpopulation carcérale –, les effectifs de référence ont été comblés.

Sur la base de ces mesures qui intéressaient le fonctionnement de l'établissement et sa sécurité, le travail a repris progressivement, à compter du 20 mars, grâce à l'appui des équipes régionales d'intervention et de sécurité (ERIS), qui auront été présentes plus d'un mois, après une fouille générale de l'établissement.

En complément des mesures immédiates prises par le directeur de l'administration pénitentiaire, le rapport de l'inspection générale a préconisé un certain nombre de mesures de sécurité. Si sa précision interdit de le diffuser largement, je peux vous livrer les conclusions auxquelles il parvient. Il comporte un certain nombre de recommandations, souvent très pratiques, à destination du chef d'établissement, de la direction interrégionale ou de la direction de l'administration pénitentiaire. Il qualifie le fonctionnement de l'établissement de correct, mais relève que son niveau de sécurité peut être rehaussé grâce à plusieurs mesures : des mesures de sécurité passive et des mesures de sécurité active.

S'agissant des premières, le rapport fait état, par exemple, de la possibilité d'améliorer la vidéosurveillance dans certaines zones de la prison de Condé-sur-Sarthe, tout comme de l'intérêt qu'il y aurait à mettre en place un tunnel à rayons X dans le sas d'entrée des marchandises. Il fait état également de la nécessaire installation d'un portail à ondes millimétriques (POM) ou d'un outil technologique équivalent, qui faciliterait le contrôle des visiteurs et permettrait d'améliorer leur entrée. Il fait aussi état d'équipements individuels à compléter.

Des éléments de sécurité active ont également été préconisés pour gérer les permis de visite, notamment, et instruire les demandes d'unités de vie familiale (UVF), puisque, vous le savez, l'agresseur, M. Chiolo, était dans une unité de ce type. Pour certains circuits visiteurs également, le rapport suggère de modifier la sectorisation de la zone parloirs avocats et UVF et de clarifier les règles de palpation aléatoire. Ces éléments importants de sécurité sont mis en oeuvre au moment où je vous parle ou vont l'être, pour ceux qui nécessitent des acquisitions importantes. Ils étaient présents aussi bien dans la négociation que le directeur de l'administration pénitentiaire a menée avec les organisations syndicales que dans le rapport de l'inspection générale. Cette prise en compte de la sécurité s'inscrit – je ne le développe pas ici, parce que ce n'est pas le lieu – dans le cadre d'une augmentation des crédits que mon ministère dédie à la sécurité dans les établissements pénitentiaires, avec une augmentation de près de 10 millions d'euros en 2018, ainsi qu'une nouvelle augmentation dans le budget 2019 que vous avez voté.

En outre, le rapport de l'inspection générale de la justice décèle des évolutions nécessaires localement, qui méritent une réflexion plus générale : l'une concerne la question du renseignement et l'autre des normes professionnelles que nous pourrions améliorer. Pour ce qui est du renseignement, le rapport met en évidence des facteurs qui ont inhibé des réflexes ou des pratiques pénitentiaires normalement de mise dans des situations plus classiques. Il pointe ainsi une crainte diffuse et partagée des recours juridiques, qui conduit les agents de notre administration à avoir une gestion plus normative qu'opérationnelle des situations. Prenons l'exemple des palpations, que chacun s'interdit de peur de ne pas être autorisé à les effectuer ou par crainte des invectives de la population pénale ou des visiteurs : c'est typique de la crainte de recours contentieux. La judiciarisation croissante des rapports sociaux, qui atteint aussi l'univers carcéral, a progressivement conduit un certain nombre de professionnels à réfléchir davantage en termes de risques juridiques plutôt qu'à appréhender des situations dans leurs aspects matériels et pratiques. Nous devons clairement établir les règles de ce qui est permis et de ce qui ne l'est pas.

Le rapport relève, par ailleurs, un usage insuffisant des informations entre le renseignement pénitentiaire et la gestion de la détention. Il décrit un phénomène en quelque sorte circulaire, dans lequel l'attente réciproque de la décision de l'autre mène à l'inaction. Ainsi, le chef d'établissement, sachant que M. Chiolo et certains de ses comparses sont surveillés par le renseignement, attend avant d'agir qu'une directive ou une orientation lui vienne du renseignement ou de l'administration centrale. Le renseignement pénitentiaire, quant à lui, continue d'observer, dans l'attente d'une décision sur la gestion de la détention qui ne lui appartient pas. Chacun disposait donc des informations, sans que celles-ci ne circulent. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au directeur de l'administration pénitentiaire de proposer très rapidement une doctrine repensée du renseignement pénitentiaire, laquelle devra porter sur quatre points : établir une véritable procédure d'échange d'informations entre le renseignement et la détention, pour que chacun puisse clairement savoir ce qu'il a à faire ; favoriser la bonne appréciation et la juste utilisation de l'information ; permettre de gérer un nombre important de personnes suivies par le renseignement pénitentiaire à divers titres, tout en restant attentif aux signaux de déclenchement des actes violents, donc sans jamais banaliser les remontées d'informations ; enfin, affirmer le primat de la sécurité des établissements sur toute autre finalité. Ces préconisations, nées de l'analyse de la situation de Condé-sur-Sarthe, nous conduisent à définir une doctrine plus large des relations entre le renseignement pénitentiaire et l'administration pénitentiaire, pour éviter que les deux ne fonctionnent – je caricature un peu – de manière tubulaire.

Les normes professionnelles, quant à elles, sont trop strictes, ce qui entraîne des pratiques parfois inadaptées. Comme je vous l'ai déjà expliqué, nous avons l'habitude de distinguer les détenus pour terrorisme islamiste (TIS), au nombre de 500 environ, et les détenus de droit commun susceptibles de radicalisation (DCSR), qui sont environ 930. Cette distinction entre les deux, qui est juridique, puisque les TIS forment une catégorie juridique particulière, nous a conduits à évaluer d'abord les TIS. Après évaluation, les détenus peuvent être placés soit à l'isolement, soit dans des quartiers de prise en charge de la radicalisation violente, soit en détention normale, en fonction de leur niveau de dangerosité. Aujourd'hui, l'évaluation des TIS étant presque terminée, nous allons élargir le champ de notre évaluation aux DCSR. M. Chiolo était un détenu de droit commun susceptible de radicalisation : il n'avait donc pas fait l'objet de cette évaluation et n'était pas placé dans un quartier de prévention de la radicalisation. Grâce à la multiplication des quartiers d'évaluation, des quartiers de prise en charge de la radicalisation, des quartiers et des places étanches, nous pourrons prendre en charge l'ensemble de ces détenus. Mais il faut tenir compte de cette période intermédiaire, où les 930 détenus de droit commun susceptibles de radicalisation n'ont pas encore fait l'objet d'une évaluation. Cela suppose d'accélérer leur prise en charge, ce que permettra la multiplication des différentes structures.

En conclusion, l'ensemble de ce processus s'inscrit dans les objectifs de la loi de réforme pour la justice que vous avez adoptée il y a quelque temps, laquelle repose sur quatre piliers : une nouvelle échelle des peines ; des actions en faveur de l'insertion des personnes détenues ; la valorisation des métiers et des personnels de l'administration pénitentiaire ; la construction de nouveaux établissements et de nouvelles places de détention. Il ne s'agit pas d'une construction sèche, mais d'une construction qui s'accompagne – c'est très important – d'une classification des différents établissements. Nous aurons des maisons d'arrêt, des centres de détention, des établissements très sécuritaires, des structures d'accompagnement vers la sortie. À l'intérieur de ces établissements, les régimes seront adaptés aux parcours d'exécution de la peine. Il existe ainsi des régimes très sécuritaires et des quartiers de confiance qui nous permettent de préparer le détenu à retrouver son autonomie. J'en ai visité un récemment à Poissy, où j'ai discuté avec des détenus qui allaient sortir de prison après dix ans et devaient donc se réinsérer : ils passaient par ces quartiers de confiance, où ils font un apprentissage de l'autonomie extrêmement précieux.

Le dramatique événement de Condé-sur-Sarthe nous permet de tirer des leçons singulières pour l'établissement, mais également plus générales pour le fonctionnement de notre administration.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la garde des Sceaux, je vous remercie. Nous allons passer aux questions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la ministre, je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre présence et pour les nombreuses réponses que vous nous avez déjà apportées. Je salue également le courage, bien évidemment, des agents. Nous nous sommes rendus avec la présidente de la commission des Lois et mon collègue Xavier Breton, il y a quelques semaines, dans l'établissement de Condé-sur-Sarthe, où nous avons pu comprendre et constater le courage des agents qui ont fait preuve d'un sang-froid exemplaire pour répondre à l'agression. Je souhaiterais aussi remercier et féliciter l'administration pénitentiaire dans son ensemble, qui, par le biais de son directeur, a réagi très rapidement, ce qui a été perçu positivement sur le terrain.

Comme vous l'avez dit, madame la ministre, nous n'avons pas attendu ces événements pour tenter d'apporter des solutions sécuritaires, puisque le budget a été réévalué en conséquence et que la réforme de la justice, votée il y a quelques semaines, répond, en tout cas en partie, à l'exigence de garantir une plus grande sécurité au personnel, notamment en ce qui concerne les fouilles.

J'aimerais vous interroger sur le principe de différenciation des établissements que vous venez de mentionner. Au cours des échanges que nous avons eus, lors de notre visite, a été soulevée plusieurs fois la question d'une adaptation des règles en fonction des types d'établissements et de la population qui s'y trouve, les établissements particulièrement sécurisés, comme c'était le cas en l'espèce, supposant une exigence supérieure en matière de sécurité. Comme ces événements tragiques nous l'ont montré, la place des visiteurs et le régime qui leur est appliqué sont peut-être à revoir dans des cas de figure très spécifiques.

On nous a également fait part du besoin de redonner un peu de pouvoir décisionnel aux chefs d'établissement. L'administration comporte plusieurs strates, ce qui ne facilite pas toujours la réactivité nécessaire et l'adaptation des réglementations.

Enfin, madame la ministre, de quelle façon pensez-vous travailler avec les membres de la commission des Lois pour répondre à ces ambitions et au besoin de sécurisation des établissements ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, madame la garde des Sceaux, pour votre intervention. J'avais effectivement proposé à la présidente de notre commission de visiter l'établissement de Condé-sur-Sarthe, étant donné que ce dramatique événement intervenait quelques semaines seulement après la présentation du rapport que nous avions fait avec Dimitri Houbron et dans lequel existaient, d'une certaine manière, deux angles morts : la question des UVF et celle de la fouille des visiteurs. Notre visite nous a permis d'approfondir ces sujets. Nous y avons entendu les demandes de sécurisation locale : celle du patio d'entrée de l'UVF, où, dépourvus d'équipements de vidéosurveillance, les agents se retrouvent nez à nez avec les occupants des unités de vie familiale ; le renforcement de la brigade cynotechnique. Les UVF ne peuvent pas être considérées comme des hôtels ! Les détenus doivent y conserver un sentiment d'incertitude. Or, aujourd'hui, ils ont l'impression de s'échapper, le temps d'un week-end en famille. Si le lien avec la vie familiale est indispensable, il faudrait peut-être faire évoluer le régime des UVF.

S'agissant des palpations des visiteurs, une clarification de leur statut a été annoncée. Il est nécessaire de savoir si elles doivent être systématiques ou aléatoires et de définir les conditions dans lesquelles elles se font.

Enfin, la demande en faveur d'une différenciation des établissements en fonction de leur taille ou du profil des détenus est très forte. Dans certains cas, les systèmes sont trop rigides et trop sévères pour une population que l'on pourrait qualifier d'habitués. Dans d'autres, les établissements souffrent d'une réglementation insuffisante. On trouve en cellule des friteuses ou des fers à repasser, qui peuvent devenir des objets très dangereux entre les mains de certains détenus, quand ils ne poseront pas de problème chez d'autres. Ne pouvons-nous pas réfléchir à une évolution très concrète de la réglementation pour prendre en compte les différences de ces établissements ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la garde des Sceaux, je vous remercie pour vos propos très utiles et éclairants sur une affaire qui nous a tous bouleversés. Mon groupe et moi-même avions rappelé qu'il ne convenait pas d'y répondre par une loi de circonstance ; il fallait revisiter le système organisationnel et technologique et voir quels moyens budgétaires allouer à la sécurité. Il nous semble aussi extrêmement important d'anticiper, pour agir contre de nouvelles formes d'intrusion dans les prisons, en particulier celle des drones.

La surpopulation carcérale ne facilite pas la sécurité. Les actions que vous avez promis de mener, afin de faire diminuer le nombre de détenus, sont l'un des éléments essentiels de la sécurité.

Par ailleurs, lors de notre visite de la maison d'arrêt de Corbas, nous avons constaté, avec mes collègues de La République en Marche, l'absence de filets de protection, alors même que les grilles ne sont pas à une hauteur infranchissable et qu'il est extrêmement facile d'envoyer du matériel à l'intérieur de la prison. Le budget alloué à la construction de nouvelles prisons permettra-t-il de dégager des crédits pour adapter et rénover les bâtiments qui existent déjà ? On m'a posé plusieurs fois la question.

Ensuite, quelle est la doctrine du Gouvernement concernant les établissements spécialisés dotés d'un système de sécurité adapté à la dangerosité des détenus et, partant, sur la protection des surveillants ? J'ai regretté, par le passé, que nous n'ayons pas mené de réflexion commune à la commission des Lois sur la question des établissements spécialisés et des quartiers réservés aux radicalisés. On nous fait régulièrement observer qu'il n'y a pas de quartiers étanches dans un centre pénitentiaire : c'est le bâtiment lui-même qui doit être spécialisé pour renforcer la sécurité. Sans avoir de doctrine à ce sujet, je pense qu'une table ronde serait tout à fait pertinente.

Enfin, donner plus d'autonomie aux chefs d'établissement me semble un bon moyen de lutter contre les blocages et les verrous que vous avez évoqués, pour garantir la qualité des processus opérationnels.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comme notre collègue Cécile Untermaier l'a indiqué, je me suis rendu avec elle et M. Didier Paris au centre pénitentiaire de Lyon-Corbas à la suite des événements de Condé-sur-Sarthe. Nous avons eu des échanges très instructifs avec le personnel de l'établissement, et je veux profiter de la présence du directeur de l'administration pénitentiaire à vos côtés, madame la ministre, pour saluer non seulement le grand professionnalisme, mais aussi l'humanité de ces agents, qui travaillent pourtant dans des conditions très difficiles.

J'aimerais, madame la ministre, revenir sur la question des fouilles. Ce qui nous a frappés, en parlant avec les personnes chargées d'accueillir les visiteurs, c'est l'absence d'une doctrine claire en la matière. Il importerait, selon moi, de clarifier les règles, et d'abord le vocabulaire, puisqu'on parle tantôt de fouille, tantôt de palpation, voire de « tapotement ». Ce dernier terme a été introduit par une circulaire de l'administration pénitentiaire, après qu'une personne munie d'une prothèse a fait l'objet d'un contrôle.

Aujourd'hui, on ne peut procéder à une fouille en bonne et due forme qu'avec l'accord du directeur de l'établissement ou de son adjoint, ce qui est compliqué en temps réel. Ne serait-il pas opportun de définir une règle générale, qui s'appliquerait à tous nos centres pénitentiaires et à toutes nos maisons d'arrêt ? Par ailleurs, que pensez-vous de l'idée d'installer, dans les établissements qui accueillent les détenus les plus dangereux, des POM ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la ministre, mes chers collègues, ce qui est difficile à comprendre, c'est qu'un individu comme M. Michaël Chiolo ait pu se retrouver en UVF. Je vous rappelle qu'après avoir été condamné très sévèrement en 2015, il a envoyé un de ses codétenus menacer l'expert psychiatrique qui s'était occupé de lui : il lui a fait dire que lorsqu'il sortirait de prison, il violerait sa femme et ses enfants et qu'il le tuerait. Les surveillants pénitentiaires de la prison de Besançon, qui l'ont vu passer en 2016, ont également signalé qu'il avait menacé de les égorger. La plainte déposée au commissariat de Sarreguemines est restée lettre morte, comme celle des surveillants pénitentiaires. Lorsqu'on parle d'évaluer la dangerosité des détenus, la priorité, pour moi, ce n'est pas d'évaluer la dangerosité des terroristes, qui ne fait pas de doute, mais celle des individus radicalisés qui font du prosélytisme, comme Cherif Chekatt ou M. Michaël Chiolo.

Madame la ministre, après la terrible affaire de Condé-sur-Sarthe, le Premier ministre a dit qu'il fallait revoir les règles de contrôle des visiteurs. Actuellement, on ne les fouille pas et on se contente de les faire passer sous des portiques, qui ne détectent ni la céramique, ni certains explosifs, ni même certains portables. Je vous invite à m'accompagner au marché aux puces de Saint-Ouen : on y trouve des portables minuscules, dont on nous dit précisément qu'ils ne sont pas détectés par les portiques. On ne peut pas en rester là et j'aimerais savoir ce que prépare le Gouvernement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je m'associe évidemment aux messages que mes collègues ont adressés aux personnels de l'administration pénitentiaire et aux surveillants blessés à Condé-sur-Sarthe et je vous remercie à mon tour, madame la ministre, de venir vous exprimer devant notre commission.

Le centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe est l'un des plus sécurisés de notre pays. Mais ce haut niveau de sécurité n'a malheureusement pas empêché les événements qui sont survenus le 5 mars dernier. Madame la ministre, vous nous aviez annoncé, au mois de septembre, que la sécurité des agents serait renforcée, grâce au déploiement de nouveaux équipements. Dans le cadre du groupe d'études sur les prisons, que je copréside avec M. Joachim Pueyo, j'ai visité l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP), où l'on nous a présenté un nouveau module de formation sur la gestion des détenus violents.

Ma première question concerne le déploiement de ces nouveaux équipements au niveau national – je pense notamment aux tenues pare-coups et aux gilets pare-lames. On nous a dit, le 5 mars, que ces équipements n'étaient pas encore arrivés dans tous les centres pénitentiaires. Qu'en était-il à Condé-sur-Sarthe ?

Ma seconde question concerne la doctrine d'usage de ces équipements. Ne serait-il pas souhaitable que les détenus violents qui bénéficient d'une UVF soient plus strictement encadrés par le personnel pénitentiaire, ce qui justifierait que celui-ci soit mieux équipé et mieux protégé ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la ministre, vous êtes revenue sur l'agression qui a eu lieu le 5 mars au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe, et je vous remercie pour les éléments d'information que vous nous avez apportés. Quelques questions restent néanmoins en suspens. Comment expliquer, par exemple, que des individus aussi dangereux que ceux qui sont accueillis dans ce centre pénitentiaire disposent dans leur cellule d'une plaque chauffante ? Il leur arrive de la jeter sur le surveillant qui leur apporte leur repas ou d'y faire chauffer de l'huile, en vue d'ébouillanter ce même surveillant.

Ce qui est vrai à Condé-sur-Sarthe l'est aussi à la prison du Gasquinoy, à Béziers, où un quartier étanche pourrait également voir le jour. Il faudrait clarifier les règles de vie dans les quartiers particulièrement dangereux, afin de protéger au mieux les agents pénitentiaires, qui sont inquiets et qui se plaignent. Comment expliquer, par exemple, que les familles de ces individus particulièrement dangereux ne soient pas fouillées systématiquement et qu'elles parviennent à introduire des couteaux dans les prisons ? Il faudrait peut-être cesser de considérer les femmes de ces détenus comme de braves épouses éplorées, alors que certaines d'entre elles sont largement aussi radicalisées que leur mari !

Je rejoins Mme Untermaier lorsqu'elle demande qu'une partie du budget de l'administration pénitentiaire soit dévolue, non seulement à la construction de nouvelles prisons, mais aussi à l'adaptation des centres existants. Au Gasquinoy, deux problèmes se posent de manière récurrente. D'une part, les agents se plaignent régulièrement du manque de matériel de protection, notamment de gilets pare-coups. D'autre part, il ne se passe pas de nuit sans que des colis soient lancés au-dessus des murs de la prison. Il me semble que des mesures très simples et peu coûteuses pourraient être prises pour remédier à ces problèmes. J'insiste sur le fait qu'il ne faut pas seulement créer de nouveaux centres, mais utiliser une partie du budget pour adapter les centres existants.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, madame la ministre, pour votre présentation éclairante. Je fais partie du petit groupe qui, avec Mme Cécile Untermaier et M. Thomas Rudigoz, a visité la maison d'arrêt de Corbas. C'est un établissement tout à fait ordinaire qui, contrairement à celui de Condé-sur-Sarthe, ne possède pas d'UVF. Nous avons pris le temps de le visiter et de nous faire exposer, en toute transparence, les problèmes qui peuvent se poser au quotidien.

S'agissant du contrôle à l'entrée des prisons, je ne m'attarderai pas sur l'incertitude du cadre juridique, puisque plusieurs collègues ont déjà abordé cette question. Nous avons constaté que tous les surveillants n'interprétaient pas les textes de la même façon et il semble effectivement nécessaire, madame la ministre, de clarifier les choses au travers d'une circulaire. L'autre problème qui se pose est celui des capacités techniques de réponse : je songe notamment au fait que les sas d'entrée des centres pénitentiaires sont souvent inadaptés à des conditions correctes de fouille. C'est le cas de la maison d'arrêt de Corbas, qui est pourtant récente. Le POM a déjà été évoqué et pourrait effectivement être une solution. Les surveillants nous ont par ailleurs expliqué que, toutes les nuits, des gens venus de l'extérieur franchissent la première barrière grillagée et arrivent au pied du mur d'enceinte, d'où ils peuvent très facilement jeter des objets dans la cour de la prison. Un audit permettrait sans doute de trouver des solutions à ces différents problèmes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la ministre, vous avez déclaré au Sénat, le 16 octobre 2018, que la fouille systématique par palpation des visiteurs au sein des établissements pénitentiaires était soumise aux engagements conventionnels de la France, et notamment à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Je n'ai pas trouvé trace de cette jurisprudence : pouvez-vous m'éclairer à ce sujet ?

Par ailleurs, avez-vous l'intention de rendre systématique la fouille des visiteurs dans les prisons ? Comptez-vous adopter, en matière d'accès aux UVF, une réglementation spécifique pour les détenus dangereux, et tout spécialement pour ceux qui, quoique particulièrement dangereux, se trouvent dans un établissement ordinaire et sont éligibles aux UVF ? Qu'en est-il, enfin, des visiteurs de ces personnes ?

Permalien
Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice

Je dirai un mot, pour commencer, de la lutte contre la surpopulation carcérale, qui est effectivement « la mère des batailles », comme Mme Untermaier l'a rappelé. Hélas, nous ne pourrons mesurer les résultats de notre politique en la matière que dans dix mois, lorsque la loi de réforme de la justice sera pleinement appliquée et que l'ensemble de la politique des peines sera entré en vigueur. Au moment où je vous parle, les travaux d'intérêt général (TIG) s'appliquent déjà et, dès le mois de juin, ce sera le cas des libérations sous contrainte aux deux tiers de la peine. Mais c'est seulement au mois de mars 2020 que l'ensemble du dispositif s'appliquera. C'est à ce moment que nous commencerons à voir, je l'espère, les effets de notre politique sur la surpopulation carcérale.

Certains d'entre vous m'ont interrogée sur les crédits de maintenance et m'ont demandé s'ils permettront de déployer des équipements de sécurité, notamment des filets anti-projection. Nous avons effectivement des crédits, et ils sont en augmentation : une somme de 1,6 milliard d'euros est destinée à la construction d'établissements pénitentiaires et 100 à 120 millions d'euros sont consacrés chaque année à la maintenance des équipements. Ces sommes nous permettent de mener un certain nombre d'actions en vue d'assurer la protection physique des personnels. La sécurisation des abords des établissements est également une question essentielle, que nous avons prise en compte dans la loi de modernisation de la justice, puisque des équipes locales de sécurité pénitentiaire pourront désormais intervenir aux abords des établissements.

S'agissant du régime de contrôle des visiteurs et des détenus, je vous rappelle que, grâce au rapport de MM. Dimitri Houbron et Xavier Breton, vous avez modifié le texte de loi concernant la fouille des détenus. Nous sommes désormais en mesure de prendre une circulaire d'application de ces nouveaux textes, que nous adresserons à l'ensemble des établissements d'ici la fin du mois de mai. Il en ira de même pour la fouille des visiteurs, qui mérite effectivement des clarifications. Il est évident, néanmoins, que nous ne pouvons pas fouiller tous les visiteurs dans tous les établissements pénitentiaires – ce n'est d'ailleurs pas, je crois, ce que vous avez demandé.

Nous pouvons envisager, pour les détenus les plus dangereux, la fouille des personnes qui leur rendent visite et le passage sous un portique à ondes millimétriques. Le directeur de l'administration pénitentiaire, ici présent, a passé un marché pour l'achat d'un dispositif équivalent, qui devrait bientôt nous être livré. Nous devons effectivement clarifier les règles en vigueur. En effet, nous avons eu quelques recours contentieux à la suite de fouilles effectuées à Condé-sur-Sarthe – le tribunal n'a pas donné raison aux requérants, qui contestaient ces fouilles.

S'agissant de la protection des agents pénitentiaires, Mme Cécile Untermaier et plusieurs d'entre vous ont évoqué les tenues qui leur sont proposées. Il faut distinguer les tenues pare-coups, du genre « RoboCop », qui ne sont utilisées que dans les quartiers particulièrement sécurisés, et les gilets pare-lames, dont n'était munie, jusqu'ici, qu'une partie des personnels des établissements pénitentiaires. Le directeur de l'administration pénitentiaire a pris l'engagement d'en munir l'ensemble des agents. Ces gilets seront livrés à Condé-sur-Sarthe à la fin du mois de mai et les 27 000 agents pénitentiaires en seront équipés d'ici à la fin de l'année civile.

Plusieurs d'entre vous ont également soulevé la question du rôle du chef d'établissement, qui est essentiel puisque c'est lui qui assure la police intérieure de l'établissement. C'est à lui qu'il revient par exemple, en fonction des caractéristiques des détenus qu'il héberge, de déterminer la nature des contrôles effectués à l'entrée de la prison. Cela fait partie de ses pouvoirs d'organisation du service, comme on dit en droit administratif, et il me semble effectivement important qu'il assume ses responsabilités.

J'aimerais, pour finir, revenir sur deux points très précis qu'a évoqués M. Xavier Breton.

S'agissant, premièrement, de la question des patios, sachez que nous sommes en train d'introduire des caméras et des oeilletons pour que les surveillants n'aient plus d'angles morts.

J'en viens, deuxièmement, à la question des UVF. Le régime des UVF a été défini par la loi pénitentiaire de 2009 : les détenus ont droit à un séjour en UVF par trimestre, mais cette règle doit naturellement être adaptée en fonction du profil des détenus et de leur comportement en détention, et c'est au chef d'établissement d'en juger.

Je le répète, il nous semble très important de clarifier les règles pour que les surveillants pénitentiaires connaissent précisément leurs capacités d'intervention.

La réunion s'achève à 15 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Laetitia Avia, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Vincent Bru, M. Éric Diard, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Luc Lagleize, M. Jean-Louis Masson, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. Didier Paris, Mme George Pau-Langevin, M. Jean-Pierre Pont, M. Rémy Rebeyrotte, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Éric Ciotti, Mme Paula Forteza, Mme Marie Guévenoux, M. Mansour Kamardine, M. Jean-Michel Mis, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann, M. Sylvain Waserman

Assistaient également à la réunion. - M. Erwan Balanant, M. Pierre Cordier, M. Jean-Marie Sermier