Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Réunion du lundi 6 mai 2019 à 15h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • aidant
  • fille
  • syndrome
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

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La réunion

Source

Lundi 6 mai 2019

L'audition débute à quinze heures quinze.

Présidence de Mme Jacqueline Dubois, présidente de la commission d'enquête

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La commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005, procède à l'audition de Mme Sophie Pierroux, parent d'élèves.

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Mes chers collègues, nous recevons maintenant Mme Sophie Pierroux, parent d'élève en situation de handicap.

Chère madame, je vous souhaite la bienvenue.

L'Assemblée nationale a constitué le 12 mars dernier une commission d'enquête sur l'inclusion des élèves en situation de handicap dans l'école et l'université de la République. Il s'agit de faire un bilan des progrès réalisés depuis la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées, et de mesurer le chemin restant à parcourir pour favoriser leur inclusion à tous les stades de leur scolarité.

Il est essentiel pour nous de recueillir la parole des personnes concernées afin de nous faire une idée plus précise des enjeux que rencontrent sur le terrain les parents des élèves en situation de handicap et ceux qui oeuvrent à leurs côtés en faveur de l'inclusion de ces enfants.

Comme c'est la règle pour les personnes entendues par une commission d'enquête parlementaire, et conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Sophie Pierroux prête serment.

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Madame Pierroux, nous sommes quatre parlementaires, les auditions sont filmées et retranscrites, mais nous nous connaissons. Votre parole m'a bousculé, bouleversé parce qu'elle est le reflet de la réalité que vivent les parents. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que vous soyez entendue dans le cadre de cette commission d'enquête délocalisée. Notre agenda est serré, mais prenez le temps de votre présentation et nous ajusterons nos questions en conséquence.

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Sophie Pierroux

Ma fille, Marie Hébert, est née le 21 janvier 2005, année de la création de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). À dix mois et demi, Marie a fait une crise d'épilepsie complexe et a été orientée vers un spécialiste.

En 2008, Marie est scolarisée en maternelle. La veille de la rentrée, nous avions rencontré les instits pour leur expliquer rapidement la situation et la conduite à tenir en cas de crise. Le lendemain, jour de la rentrée des classes, aucun problème du côté des instits mais, l'émotion ayant entraîné une crise, l'accompagnatrice du car nous a jetées en disant devant ma fille : « Je n'en veux pas dans mon car ! » Il a fallu batailler longuement, alors que nous souhaitions juste une intégration dans le car pour lui faire parcourir une fois par semaine les quatre kilomètres séparant l'école de la garderie. Les ambulanciers n'ont pas accepté la prise en charge faute de rentabilité pour une heure par-ci, par-là.

Je parlerai de l'épilepsie puisque nous sommes directement concernés par cette pathologie. Elle fait l'objet d'un rejet : c'est très compliqué, cela fait peur à tout le monde, personne ne cherche à savoir. En 2019, nous avons même entendu parler de la « maladie des fous ». Quand une crise survenait à l'école – et Marie en avait régulièrement –, il fallait toujours venir la chercher. Il n'y a aucune prise en charge à l'école, ce qui signifie qu'actuellement, tous les enfants ne sont pas scolarisables. Il fallait que nous soyons là tout le temps, donc qu'un des deux ne travaille pas, car nous devions attendre le coup de téléphone éventuel. Il fallait récupérer les devoirs et les cours, faire faire les devoirs et donner des cours pour que notre enfant ne soit pas largué. C'est un vrai sport. Il faut être parents, infirmiers, instits.

Ce fut ainsi jusqu'en CM1. En 2009, on a diagnostiqué à Marie un syndrome de Dravet, qualification très large. Il n'y a eu aucune prise en charge financière. À l'époque, je ne travaillais pas. En 2011, la MDPH nous a fait savoir par courrier que le handicap de ma fille étant inférieur à 50 %, nous n'aurions droit à rien.

En 2016, elle est en CM2. Dans les campagnes, on fait la maternelle dans tel village, le primaire dans tel autre, en l'occurrence à Étaimpuis, puis à Grigneuseville et la dernière année à Bracquetuit où il y a une classe dont l'instit est en même temps directrice, avec une AVS. Clairement, Marie était malvenue. Nous avons attendu la fin des vacances de Noël pour déscolariser Marie. C'est alors que la MDPH et l'Éducation nationale se sont affolées, alors que nous avions déjà demandé et alerté. À partir du moment où on déscolarise un gamin, tout le monde s'aperçoit que vous avez peut-être besoin de quelque chose. À partir de 2015, nous avons obtenu l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), soit environ 127 euros. Nous avons eu une proposition de complément et de prestation de compensation du handicap (PCH) à partir de 2016.

Par conséquent, si vous souhaitez voir scolarisés tous les enfants, y compris ceux porteurs de handicap, il faudra prévoir d'intervenir sur la partie médicalisée, sinon cela ne sera absolument pas possible.

Nous avons déscolarisé ma fille, nous nous sommes débrouillés pour trouver des intervenants. Nous avons affaire à l'association Votre école chez vous (VECV), qui a beaucoup de profs dans la région parisienne mais à Rouen, c'est une catastrophe. Il doit n'y avoir qu'une poignée d'élèves ainsi scolarisés, faute de budget, parce que, comme d'habitude, tout se passe à Paris. En province, il ne se passe pas grand-chose, en milieu rural encore moins. Marie doit avoir quatre heures et demie de cours par semaine. Nous complétons par un intervenant que nous finançons. Nous avons obtenu récemment un accord de la MDPH permettant de financer une partie des cours.

C'est un chemin de croix, et la dernière rentrée scolaire a été un véritable fiasco au regard des AVS. En sixième, l'année dernière, il y a eu intégration pour ma fille au collège d'Auffay. Mais dans son cas, venir une heure ou deux ne ressemble à rien. Les groupes de copains sont déjà constitués. Ma fille, extrêmement timide, a perdu tout lien avec les autres enfants et se trouve dans un isolement complet. Elle ne parle presque plus. On a l'impression que la MDPH se secoue à partir du moment où il y a le feu. Il serait bien qu'elle se secoue avant qu'il y ait le feu. Quand le feu a pris, il est compliqué de l'éteindre. Pour un gamin isolé, seul au monde, qui ne vit qu'avec des adultes, il est compliqué d'établir un lien social.

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Sophie Pierroux

Non, son état est inchangé. J'ignore si vous pouvez avoir quelque influence en ce domaine, mais il existe un médicament, l'Épidiolex, correspondant apparemment à son syndrome, dont je cherche à obtenir l'autorisation temporaire d'utilisation (ATU), nécessaire pour certains médicaments. Le spécialiste qui suit Marie m'a mis le papier sous le nez il y a dix jours. Le médecin doit remplir un document puis l'envoyer à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Après quoi, il peut s'écouler trois mois, six mois, voire un an. Il faudrait que ça bouge du côté de l'ANSM, à moins qu'on attende que nos enfants meurent. Dans son cas, une mort subite peut survenir. C'est peut-être ce que l'on attend pour que ça coûte moins cher à la société.

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Vous dites qu'en raison de la gravité des problèmes de santé de votre fille et de son syndrome épileptique, il ne vous paraît pas raisonnable de parler d'école inclusive.

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Sophie Pierroux

Pas à l'heure actuelle !

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Que faudrait-il mettre en place ? Des établissements de santé avec internat peuvent-ils accueillir des enfants comme le vôtre ? Je connais le sujet des enfants souffrant d'un handicap cognitif. En tant qu'enseignante, j'ai accueilli un enfant épileptique avec un PAI et les médicaments nécessaires, mais nous n'avons jamais eu de crise à l'école. Je ne suis donc pas qualifiée pour apprécier la situation.

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Sophie Pierroux

J'ai listé des pistes d'amélioration de la MDPH, si vous le permettez.

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Sophie Pierroux

Il faudrait d'abord alléger les dossiers à remplir, car c'est du grand n'importe quoi. À chaque fois, il faut confirmer par un dossier médical. Pourtant, quand une maladie est installée, elle ne peut s'envoler par enchantement.

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Cela devrait être désormais le cas quand un handicap installé et supérieur à un certain taux est reconnu. C'est acquis.

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Sophie Pierroux

Il faudrait aussi allonger les droits, car le handicap ne disparaît pas en trois ans. Pour n'importe quelle nouvelle demande, il faut remplir un nouveau dossier long comme le bras, comme si nous n'avions que cela à faire. Malgré cela, j'ai la chance de pouvoir travailler.

Il faudrait aussi que la MDPH se rapproche de l'assurance maladie avant de décider d'octroyer ou non des aides. J'ai attendu au moins six ans pour obtenir quelque chose pour un syndrome de Dravet. Des hospitalisations, si je vous montrais le carnet de santé de ma fille, vous verriez qu'il y en a eu ! Depuis, nous avons appris à gérer les crises à la maison. Grâce à un stimulateur du nerf vague, ses crises sont courtes désormais, mais à l'époque elle a eu des épisodes de « grand mal » nécessitant une hospitalisation. Avant de décider ce que l'on accorde ou pas, quand on ne connaît pas une maladie rare, on se renseigne. Il a fallu que j'envoie un dossier énorme à la MDPH en relevant toutes les informations relatives au syndrome de Dravet, parce que j'en avais ras le bol, pour qu'ils fassent quelque chose. Ils m'ont envoyé l'assistante sociale à domicile pour évaluer nos besoins, sept ans après ! Vous me trouverez peut-être excessive mais ma colère n'est pas près de s'éteindre.

Les délais de réponse sont très longs, surtout pour la première demande. Apparemment, ils avaient perdu le dossier.

Il faudrait aussi cesser de vouloir normer la prise en charge du handicap. Un handicap, y compris pour une même pathologie, ne peut pas avoir la même prise en charge qu'un autre. Par exemple, le syndrome de Dravet, qui résulte de l'anomalie d'un gène, présente des cas atypiques, comme celui de ma fille. Elle a des crises mais pas autant que dans un syndrome de Dravet pur, qui peut provoquer 400 crises par semaine. Autant dire que pour les apprentissages, c'est une catastrophe. Ma fille peut être scolarisée à condition d'être suivie et stimulée. Une poignée d'heures par-ci par-là n'est pas suffisante. Les enfants sont tous les mêmes : moins ils en font et moins ils ont envie d'en faire. Des enfants atteints d'un syndrome de Dravet sont photosensibles et peuvent entrer en crise sous l'effet de la lumière. Ma fille est très sensible à la température de l'eau, de l'air, de l'ingestion, de la douche, aux effets de l'émotion, de la fièvre. On veut créer des normes dans l'Éducation nationale, mais on ne peut pas créer des normes dans le handicap. La réponse au handicap doit être à la carte. Chaque personne doit être prise en charge différemment. Au sein d'une même structure, la prise en charge doit être différenciée.

Il faut aussi plus d'aide pour les aidants familiaux, parce que le jour où nous disparaissons, laissez-vous mourir nos enfants ? Si un jour nous sommes hospitalisés, que fera-t-on de nos gosses ?

Il faut créer des structures pour les enfants épileptiques, puisqu'ils sont un peu jetés partout. Il y en a en région parisienne mais très peu ailleurs en France. Mais je ne vais pas envoyer ma fille à Trifouillis-les-Olivettes, j'ai envie de la voir tous les jours.

Il faut créer des centres de vacances, parce que nos enfants ont aussi le droit de partir en vacances. Même si la pathologie fout les jetons, il faut former des gens afin que ces enfants aient un semblant de vie.

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J'ai un peu le mauvais rôle de veiller au respect du timing.

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Sophie Pierroux

C'est trop long ?

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Non, il est bien que ce témoignage soit entendu, enregistré, filmé, retranscrit, qu'il entre dans la réflexion et même dans l'émotion de la commission d'enquête, mais nous devons maintenant nous acheminer vers la conclusion.

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Vous avez évoqué les aidants familiaux, sujet qui me touche et auquel je travaille. Vous n'êtes pas seulement la maman d'un enfant en situation de handicap, vous êtes aussi un aidant familial. Est-ce que vous vous ressentez en tant que tel ? À l'Assemblée nationale, une proposition de loi a été présentée à ce sujet par notre collègue Pierre Dharréville et j'en ai moi-même présenté une, la semaine dernière, principalement sous l'angle de la dépendance. Pouvez-vous apporter une contribution sur ce sujet de l'aidant familial – que l'on ne peut pas aborder uniquement sous l'angle de la dépendance, parce qu'on peut ne pas être l'aidant d'un parent malade : on peut l'être d'un enfant malade ou être un enfant ou un jeune aidant ?

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Sophie Pierroux

Pour améliorer la vie des aidants familiaux, il faudrait plus de temps d'intervenants. Nous avons une intervenante qui fait le lien entre mon conjoint et moi, mais elle est intermittente et travaille essentiellement à la maison. Or Marie nécessite une surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Épilepsie vient d'un mot grec signifiant « prendre par surprise ». Cela peut arriver n'importe quand. Mais pour obtenir de la MDPH du temps d'intervenant, il faut vraiment pleurer, ce qui est humiliant. Il est déjà difficile de vivre le handicap de nos enfants. Ce sont nos tripes. On ne parle pas de la garde du chien, ce sont nos enfants ! Nous avons quinze heures d'intervenant par mois.

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Il est présent en même temps que vous ?

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Sophie Pierroux

Il fait la jointure, mais il ne doit pas y avoir le moindre grain de sable. J'ai des horaires à la carte. Je travaille au centre hospitalier de Dieppe. J'ai la chance de pouvoir commencer tôt et de partir tôt, mais si ma voiture tombe en panne, cela devient compliqué, parce que mon conjoint est déjà parti. Notre intervenante, Delphine, fait la jointure mais nous courons. Nous aurions besoin de plus de temps d'intervenant sans être obligés de pleurer. Au titre de la prestation de compensation du handicap (PCH), on me donne trois heures par jour. On prétend que je m'occupe de ma fille trois heures par jour ! Elle dort dans notre chambre, car ça peut même arriver la nuit. On hallucine quand même ! Je ne prétends pas obtenir vingt-quatre heures, mais trois heures par jour, c'est presque du foutage de gueule ! Le matin, mon conjoint s'en occupe, il lui donne la douche. Quand des profs arrivent, il est là, parce qu'il faut que l'un de nous deux soit là. Je rentre entre seize heures trente et dix-sept heures et je m'occupe de ma fille jusqu'au coucher. Durant la nuit, s'il y a une crise, je me lève, je gère la crise et je me lève à six heures pour aller bosser. Je ne m'occupe pas de ma fille trois heures par jour !

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Merci. Je vous souhaite beaucoup de courage pour continuer. J'admire votre force, madame.

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Cela va nous donner de l'énergie pour faire bouger les choses.

L'audition s'achève à quinze heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Réunion du lundi 6 mai 2019 à 15 heures 15

Présents. – Mme Jacqueline Dubois, Mme Nathalie Elimas, M. Sébastien Jumel, Mme Sabine Rubin

Excusés. – Mme Monique Iborra, Mme Catherine Osson, Mme Sylvie Tolmon