La réunion

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La commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale entend Mme Brigitte Jullien, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) et de M. Bertrand Michelin, directeur adjoint.

L'audition commence à neuf heures dix.

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l'audition de Mme Brigitte Jullien, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) et de M. Bertrand Michelin, directeur adjoint.

L'IGPN mène les enquêtes qui lui sont confiées par les autorités administratives ou judiciaires, mais elle a aussi un rôle d'audit et d'évaluation dans l'objectif d'améliorer le fonctionnement des services de police. C'est ainsi que, récemment, un travail important a été mené sur l'organisation du temps de travail dans la police. Nous souhaiterions que vous puissiez éclairer de votre expérience et de votre connaissance très poussées des services les travaux de la commission d'enquête.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

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Diverses questions se sont révélées importantes, au fur et à mesure de nos travaux, concernant notamment la formation et le nombre insuffisant d'officiers de police judiciaire (OPJ). S'agissant de la procédure pénale, alors que nous cherchons à la simplifier, elle a tendance à s'alourdir, à se complexifier. Un certain nombre de policiers considèrent que leur travail administratif a pris le pas sur leur travail de terrain.

Je souhaiterais connaître votre position sur ces questions et savoir si les nombreux audits que vous menez aboutissent aux mêmes conclusions. Quelles mesures pourrions-nous apporter pour simplifier réellement la procédure pénale ? Quelle une solution pour pallier cette carence d'OPJ ?

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Brigitte Jullien, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale

Je débuterai mon propos par la présentation de l'IGPN, une direction méconnue, même si nous en parlons beaucoup ces derniers temps. Rares sont ceux, en effet, qui connaissent la diversité des missions et le fonctionnement de cette inspection.

Lorsque nous prononçons les quatre lettres « IGPN », viennent immédiatement à l'esprit deux expressions qui collent à l'inspection générale de manière quasi indélébile : « le cimetière des éléphants » et « les bœufs-carottes ». Il en existe même une troisième, mais je vous en parlerai plus tard.

Ces deux expressions mettent en avant deux types de mission qui ont longtemps caractérisé l'IGPN et l'Inspection générale des services de la préfecture de police (IGS). D'une part, les inspections conduites par les anciens, qui forts de leur longue expérience professionnelle, sont venus finir leur carrière à l'IGPN. L'IGPN a été créée en 1969, il s'agit donc d'une direction bien ancrée dans la police nationale. À ces anciens, étaient confiées les missions d'inspecter les services et de réaliser des études de fond.

D'autre part, l'activité d'enquête attribuée à des policiers, auxquels on prêtait volontiers l'art de faire mijoter ceux de leurs collègues qui se trouvaient placés sur la sellette ; d'où les termes de « bœufs-carottes ». J'ouvre là une parenthèse pour vous préciser l'origine de ce terme. Même s'il est vrai que les inspecteurs font mijoter leurs collègues lors des interrogatoires, il s'agissait en réalité du plat du jour qui était offert aux gardés à vue à la préfecture de police, après la Seconde Guerre mondiale. Pour mémoire, l'IGS a été créée en 1914 par Célestin Hennion, et les policiers de cette inspection avaient une culture de la garde à vue.

Voilà la genèse de cette expression un peu folklorique qui a même inspiré une série télévisée. L'IGPN est par ailleurs souvent stigmatisée comme la police des polices par les médias, alors même qu'elle n'a pas vocation à prononcer des sanctions, conformément aux textes fondateurs.

En 2013, l'IGPN a fait l'objet d'une refonte initiée par ma prédécesseuse. Elle exerce le contrôle des directions et des services de la direction générale de la police nationale (DGPN) et de la préfecture de police ; elle a compétence sur l'ensemble du territoire de la police nationale. Elle exerce une mission générale d'inspection, d'études, d'audits et de conseil. Elle est chargée, par délégation du directeur général et du préfet de police, du pilotage du contrôle interne et de la maîtrise des risques de la police nationale. Elle contrôle le suivi de la mise en œuvre des sanctions prononcées par l'autorité disciplinaire. Elle diligente des enquêtes judiciaires, d'initiative ou sur instruction de l'autorité judiciaire. Elle diligente des enquêtes administratives sur l'ensemble des agents relevant de l'autorité du directeur général de la police nationale, du directeur général de la sécurité intérieure et du préfet de police. Elle analyse, propose et évalue les règles et les pratiques professionnelles relatives à la déontologie. Elle apporte un service de conseil juridique dans ces domaines en matière de procédure d'enquête, et elle porte une mission de conseil en management et en organisation. Elle participe à des missions conjointes avec l'Inspection générale de l'administration (IGA) ou d'autres services de l'inspection. Le champ d'action de l'IGPN est donc large et ne peut être réduit à sa seule fonction d'enquête.

Fin 2018, 293 agents étaient affectés à l'IGPN, dont 118 enquêteurs répartis au sein de l'unité centrale de coordination des enquêtes et des huit délégations de l'IGPN couvrant l'ensemble du territoire national.

L'IGPN n'est pas composée uniquement de policiers : 219 policiers, 66 agents administratifs, 7 agents contractuels et consultants, un conseiller du tribunal administratif détaché et 6 apprentis.

Il s'agit d'une instance au service de l'institution et de l'ensemble de ceux qui la composent, dont la vocation est d'améliorer le fonctionnement des services et de faire de la déontologie un facteur de performance. Il s'agit donc bien d'une direction qui sert l'intérêt général, et singulièrement celui des usagers ; elle n'est pas le bras armé de la DGPN, qui n'interfère en aucune façon dans la manière dont nous conduisons nos enquêtes. Nous jouons un rôle d'accompagnateur, de facilitateur, mais également de régulateur au service de chaque policier. Nous contribuons à fortifier le lien police-population, dans la mesure où notre activité est à la fois transparente et accessible à chaque citoyen.

Nous formons une communauté dynamique d'hommes et de femmes réunis autour de valeurs communes et d'objectifs partagés. Ces valeurs sont, d'ailleurs, consignées dans une charte – que je vous remettrai. Il s'agit de l'exemplarité, de l'expertise, de l'éthique, de la responsabilité et de l'objectivité ; valeurs choisies par l'ensemble des personnes qui composent l'IGPN, après une réflexion commune. Quant aux objectifs, ils figurent dans une feuille de route et ont également fait l'objet d'un travail collectif.

Il ne suffit pas d'avoir des idées, des projets, de l'ambition, il faut aussi agir concrètement. À cet égard, l'IGPN a considérablement élargi le panel de ses activités, et a développé de nouveaux outils qui faisaient défaut à la police nationale.

En 2013, lors de la fusion de l'IGPN et l'IGS, nous avons créé une unité de coordination des enquêtes, en ouvrant des délégations au sein des territoires – la dernière étant située à Pointe-à-Pitre concerne la Guyane et les Antilles. Nous avons ainsi démontré notre souci de proposer un traitement égal à chacun de nos agents et d'harmoniser les pratiques en matière disciplinaire.

Dans ce but, nous avons développé un outil informatique, OSADIS. C'est un outil partagé de suivi de l'activité disciplinaire, actuellement en cours de déploiement, qui nous permettra d'avoir une vision globale de l'ensemble des sanctions et des suivis disciplinaires – du droit disciplinaire appliqué au sein de la police nationale.

Nous avons créé, en 2013, une mission appui-conseil (MAC) dans le domaine du management, qui procède de la même volonté d'améliorer le fonctionnement des services et les conditions de travail des agents. Nous accompagnons le chef de service dans l'analyse et la résolution des difficultés de nature managériale et organisationnelle, nous proposons des appuis méthodologiques à la conduite de projets, afin d'aider les collègues, porteurs de projets, à concevoir et mettre en œuvre des réformes lourdes ou complexes, tout en organisant une conduite du changement et, surtout, en tenant compte du bien-être des agents dans leur quotidien.

La mission appui-conseil tire sa compétence du savoir-faire des consultants, puisque nous avons recruté des consultants issus de cabinets privés dont le domaine de compétence est le management et le changement. Nous avons mis en place deux dispositifs expérimentaux qui sont en dialogue opérationnel à la direction départementale de sécurité publique (DDSP) 78, et nous travaillons sur du management innovant pour trouver de nouveaux outils pouvant améliorer le management des services de police.

Cette réflexion est issue des problématiques que nous avons rencontrées en 2016, dans les services territoriaux. Tout le monde se souvient de la grogne des policiers, de leur malaise. C'est pour répondre à ces difficultés que nous avons proposé des outils de management innovants ; ils sont en cours de développement – le changement prend du temps.

En 2016, a été créé le dispositif « Améliorer la maîtrise des activités et des risques » (AMARIS), en vue d'aider les directions à améliorer le contrôle interne et à sécuriser davantage les policiers dans l'exercice de leur fonction. Nous diffusons, à partir des expériences réalisées sur le territoire, des fiches mémo ou des fiches alerte.

Les services de police font remonter les problématiques, les difficultés rencontrées au quotidien, comme, par exemple une garde à vue qui a dépassé la durée légale. Nous avons été alertés à plusieurs reprises sur cette question. Nous avons donc élaboré une fiche mémo pour rappeler à tous les policiers, de manière simple et facile à retenir, qu'il y a des cases à cocher lorsqu'une personne est en garde à vue et qu'il ne faut surtout pas passer à côté. Ces fiches mémo, qui ne font pas doublon avec les notes de service, permettent aux policiers de revoir, en une page, tout le processus qu'il convient de respecter afin de travailler en sécurité.

Le renforcement du contrôle interne a conduit à développer une autre activité, celle de l'audit interne (IFACI), qui a pour objectif de s'assurer de la robustesse des dispositifs de contrôle interne mis en place. C'est ainsi qu'a été créé, en 2016, le cabinet des inspections et des audits. Nous travaillons avec l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) ou sous le pilotage de l'IGA, sur demande du ministre, sur des études les plus diverses, et le rapport final fait l'objet de recommandations, avant restitution au commanditaire.

Le directeur général souhaite que nous accompagnions la direction ou le service concerné dans la réalisation des préconisations – ce que nous avons fait pour la création de la direction centrale de la formation et du recrutement de la police nationale (DCFRPN). Nous contrôlons également, de manière inopinée, les services d'accueil des commissariats, sur tout le territoire. C'est ainsi que, une centaine de fois par an, nos auditeurs se présentent, de façon anonyme, au motif de déposer plainte, et contrôlent ces services.

Nous assurons également une mission d'audits internes, réalisée par des agents qui ont suivi une formation de haut niveau à l'IFACI. Ils mènent des audits métiers ou des audits comptables et budgétaires. La plateforme de signalement, l'une des mesures phares de la réforme de 2013, est destinée aux usagers. Sa création fait suite à une réflexion que nous avons menée sur la façon de faire remonter les réclamations des citoyens aux services de police, et d'établir une relation police-population. Ouverte sur le site internet du ministère de l'intérieur, la plateforme permet à tout citoyen de déposer une réclamation aux services de police sur le comportement d'un policier ou, d'une manière plus générale, sur la police nationale. En 2018, 3 916 signalements ont été déposés, en augmentation, bien entendu, depuis novembre 2018 et le mouvement des Gilets jaunes.

Un autre dispositif de signalements a été déployé sous l'appellation de SIGNAL-DISCRI, cette fois à l'usage des policiers. Ce dispositif a vu le jour de part la volonté du directeur général et du préfet de police de placer la prévention de la lutte contre les discriminations et le harcèlement au sein des services de police, au premier plan. Tout policier estimant vivre une situation de harcèlement ou discriminatoire peut déposer sur cette plateforme ses remarques et ses questions. Près de 450 signalements ont été déposés cette année. Nous devons protection et aide à nos agents. Ainsi, par le biais de cette plateforme, nous pouvons les orienter vers un service de police compétent, diligenter des enquêtes administratives, et dans les cas les plus graves de harcèlement ou de discrimination avéré, l'IGPN se saisit directement des enquêtes.

Nous disposons, au titre de la transparence et de l'obligation de rendre compte, de deux outils, que sont, d'une part, le traitement du suivi de l'usage de l'arme (TSUA), qui est déployé depuis 2012 dans les services de police, et qui nous permet de connaître exactement le nombre de tirs qui ont été effectués à partir des cinq catégories d'armes suivantes : les armes de poing, les armes longues, les lanceurs de balles de défense (LBD), les grenades de désencerclement et les pistolets à impulsion électrique. Chaque policier qui utilise son arme, au travail ou durant son trajet domicile-travail – il doit avoir, bien entendu, un lien avec le service – est tenu de faire une déclaration sur cette application. Même si ce n'est que déclaratif, cela nous permet de collecter des données fiables sur l'usage qui est fait des armes dans les services de police.

Plus récemment, en 2018, nous avons installé, fondée sur la méthode du TSUA, une application visant à recenser les particuliers blessés – ceux qui ont plus de huit jours d'incapacité totale de travail (ITT) – ou décédés lors d'une mission de police. Je citerai l'exemple, qui malheureusement arrive parfois, de l'individu qui se jette par la fenêtre lors d'une perquisition.

Enfin, l'IGPN s'adonne à une activité importante de conseils, qui correspond à une posture orientée vers les bénéficiaires. Le cabinet de l'analyse, de la déontologie et de la règle est le cadre prédisposé à cette fonction pour laquelle un magistrat de l'ordre administratif est détaché – les sollicitations étant de plus en plus nombreuses. Nous sommes à la disposition de tout agent et service de police qui se posent des questions de déontologie, qu'elles soient relatives au port de tatouage, de la barbe, ou autre. Les questions sont posées de manière très naturelle et nous y répondons de manière très directe.

L'IGPN est une direction moderne. Nous avons réalisé un sondage auprès du personnel, en vue de mesurer le degré de bien-être de nos agents, et 91 % des policiers se disent satisfaits, voire fiers d'avoir été affectés et de travailler à l'IGPN. Ce sondage va être à nouveau réalisé cette année. Ces chiffres nous permettent d'affirmer que, malgré la difficulté du métier, nos personnels l'exercent dans de bonnes conditions.

L'IGPN est une direction moderne qui a vocation à satisfaire le droit des usagers, en mettant tout en œuvre pour améliorer le fonctionnement de l'institution police nationale avec une logique d'accompagnement, d'aide et de soutien, d'études et de propositions, d'analyses et de préconisations, dans le respect de l'éthique, de la déontologie et de la règle.

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Nous avons demandé au ministère de l'intérieur, voilà deux mois, de nous transmettre différents rapports de l'IGPN : celui sur la formation, de 2015, et ceux qui ont été élaborés depuis. Le ministère a répondu favorablement, mais nous ne les avons pas encore reçus. Pourriez-vous nous les transmettre ?

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Brigitte Jullien, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale

Nous vous les transmettrons dès notre retour dans les services. Vous souhaitez donc les rapports sur la formation et les cycles horaires – car vous m'avez interrogée sur le temps de travail ? Nous avons en effet travaillé durant dix-huit mois sur le sujet du temps de travail et des cycles horaires dans la police nationale.

En 2016, le malaise des policiers s'exprime, nous recevons leurs doléances relatives à leur travail au quotidien, à leurs missions et à l'immobilier, notamment. Des réponses ont été apportées et une étude a été lancée sur la vacation forte et le changement des cycles de travail, la fatigue des cycles horaires et le travail de nuit pouvant être l'une des raisons du malaise des policiers.

Nous avons répondu partiellement à ce malaise en accordant, dans un certain nombre de services de police, la « vacation forte », qui est une modification du cycle de travail 4X2 : quatre jours de travail, deux jours de repos. Ce nouveau cycle horaire a été mis en place de manière empirique par les services de police, malgré une modification générale d'emploi qui accorde le principe de ce dispositif à tous les services de police qui le souhaitent.

Il est certain que, dans la volonté d'apporter des solutions aux policiers, nous n'avions pas mesuré l'impact de cette organisation du travail. Or, si elle améliore le confort des policiers, et notamment leur situation personnelle, elle a nécessité un renfort important des services.

Fin 2017, le directeur général, après consultation des organisations syndicales, a proposé un moratoire, et a confié à l'IGPN une étude sur l'impact de la vacation forte. Nous avons rendu nos travaux en mars 2019. Pour mener cette étude, nous avons mobilisé douze auditeurs de l'IGPN durant dix-huit mois, qui ont rendu un travail de qualité, qui aidera certainement le directeur général à prendre des décisions.

Le cycle de travail 4X2, actuellement en place dans les services de police (4 jours de travail, 2 jours de repos ou 2 jours de travail, 2 après-midi, 2 matinées, 2 jours de repos), ne permet au policier que de bénéficier d'un week-end sur six – pour huit heures de travail journalier –, soit seize week-ends par an. La vacation forte instaure un cycle de vingt et un jours, le policier bénéficiera donc d'un week-end sur deux – et travaillera neuf heures et demie lors du changement d'équipe au lieu de huit heures pour le 4X2.

Pour limiter le dispositif de la vacation forte, préconisée par les organisations syndicales et validé par l'administration, celle-ci a proposé un cycle 4X2 compressé, moins coûteux en personnels et permettant aux policiers de bénéficier d'un week-end sur trois. On est ainsi passé à deux possibilités notamment pour police secours et les brigades de nuit.

En effet, la vacation forte nécessite + 8,66 % d'effectifs supplémentaires pour avoir le même nombre d'agents patrouillent sur la voie publique. Je prends un exemple : une circonscription où quatre patrouilles de police secours sont nécessaires le matin, perd, avec la vacation forte, entre une et deux patrouilles par vacation, par jour, si les effectifs ne sont pas renforcés. Bon nombre de chefs de service ont dû faire appel à des policiers d'autres unités pour compléter les effectifs passant en vacation forte. Alors que, pour le dispositif 4X2 compressé, aucun policier supplémentaire n'est nécessaire.

De sorte que nous sommes assez critiques sur la vacation forte, pour des raisons opérationnelles. En revanche, tous les indicateurs du bien-être au travail, de qualité de vie des policiers passent au vert. Nous avons envoyé un questionnaire à tous les policiers passés en vacation forte. 60 % ont répondu et tous sont en faveur de la vacation forte – nous avons d'ailleurs constaté une baisse des arrêts maladies. Malheureusement, la perte du potentiel opérationnel et la nécessité d'effectifs supplémentaires ne plaident pas en faveur de la vacation forte. C'est la raison pour laquelle nous avons préconisé, dans notre rapport, l'arrêt de la vacation forte dans les unités de jour, pour la remplacer par un cycle 4X2 compressé. S'agissant des unités de nuit, les études ont démontré que les policiers qui travaillaient quatre nuits d'affilée étaient totalement inefficaces la quatrième nuit. Nous préconisons alors la vacation forte qui est tout à fait adaptée au travail de nuit car elle permet de travailler trois nuits.

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Depuis le début de la crise sans précédent que nous connaissons, combien de plaintes ont été déposées contre la police ? Combien sont en cours d'instruction ? Combien ont abouti ? Combien ont été abandonnées ?

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Brigitte Jullien, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale

Voici les chiffres, mis à jour hier soir : 249 enquêtes judiciaires ont été ouvertes depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, auxquelles s'ajoutent 20 enquêtes liées au mouvement des lycéens. Sur ces 249 enquêtes, 72 ont été clôturées et transmises à l'autorité judiciaire et quatre informations judiciaires ont été ouvertes. Il en reste donc environ 170 qui font encore l'objet d'enquête des services.

Nous ne disposons peu de retour de la justice quant aux suites données à ces enquêtes. La seule information que nous ayons vient du Parquet de Toulouse, qui nous a indiqué qu'il classait une affaire.

Dans 108 dossiers, toujours liées au mouvement des gilets jaunes, des blessures graves – plus de huit jours d'incapacité totale de travail (ITT) – ont été constatées et 8 enquêtes administratives sont en cours.

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Savez-vous combien de policiers ont été blessés au cours des manifestations ?

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Brigitte Jullien, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale

Entre 1 300 et 1 400. C'est le directeur général qui a la responsabilité de comptabiliser les policiers blessés

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Lorsque nous interrogeons les policiers sur les difficultés qu'ils rencontrent, notamment en matière pénale, ils nous disent que les réformes du code pénal de 1994 et de 2011 ont complexifié les procédures, notamment du fait des droits grandissants de la défense et de la question de la preuve ; elles ont diminué les pouvoirs des policiers et augmenté ceux des prévenus. Avez-vous mené des audits sur ce sujet et quelle solution pourrait être apportée ?

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Brigitte Jullien, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale

Il est vrai que la désaffection du métier d'OPJ est liée à la complexification des procédures pénales. Nous avons suffisamment d'OPJ, simplement ils n'ont plus envie de faire du judiciaire. Ils demandent même à quitter les services judiciaires pour intégrer la police de la voie publique ou police secours, estimant qu'il est plus gratifiant de secourir les citoyens que d'être derrière un bureau à diligenter des procédures.

En effet, pour une garde à vue, une dizaine de procès-verbaux doivent être dressés, que personne ne lit, sauf les avocats qui vérifient que tout a été effectué conformément à la loi. Les réformes successives ont empilé un certain nombre d'obligations dans le cadre de la procédure. En fait, nous sommes à la croisée des chemins de deux systèmes juridiques : le droit anglo-saxon, avec ses procédures orales, et le droit français se percutent, mais nous ne décidons pas de quel côté basculer, de sorte que les obligations exigées empêchent les policiers d'exercer correctement leur métier.

La solution serait, dans un premier temps, de dématérialiser la procédure. Un groupe de travail a été créé pour étudier cette question, et deux expérimentations sont menées au parquet de Blois, sur la dématérialisation totale de la procédure ; tous les services de police et la justice ont le même numéro de dossier. Des problèmes techniques sont à prévoir, puisque Scribe, notre futur logiciel de rédaction de procédures, est en cours de déploiement et qu'il conviendra de le connecter avec celui de la justice, Cassiopée. Supprimer le papier qui encombre les services de police contribuera à alléger la procédure.

Les commissions d'enquête et les auditions ont débouché sur la loi du 23 mars 2019 sur la justice. Nous avançons, mais doucement, et les services de police ne ressentent pas encore un allégement de leurs conditions de travail dans le domaine procédural. Une garde à vue demande dix heures de travail à un policier.

Je vous l'ai dit, un jeune policier souhaite soutenir les citoyens, trouver des solutions, mettre fin à des situations injustes, une gratification qu'il ne trouve pas dans « le papier » qu'il a à traiter pour une procédure pénale.

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Je vous confirme, madame la directrice, que les avocats lisent toutes les procédures. Je n'étais cependant pas pénaliste, je n'en ai donc, pour ma part, jamais lu. En revanche, j'ai constaté, en échangeant avec les policiers, que l'une de leurs frustrations était de ne pas connaître les suites données par l'institution judiciaire aux procédures qu'ils ont diligentées. Par ailleurs, lorsqu'ils retrouvent en liberté une personne qu'ils ont interpelée pour la dixième fois – une problématique que je rencontre avec les gens du voyage, dans mon territoire –, ils finissent par être démotivés.

Les remontées de terrain que vous avez font-elle mention de ces deux questions ? Si oui, quelle solution pourrions-nous mettre en place pour que les services de police soient le mieux informés possible des suites données procédures qu'ils ont diligentées ?

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Brigitte Jullien, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale

Si nous parvenons, dans la dématérialisation des procédures, à constituer une chaîne complète allant jusqu'à la justice, les services de police auront accès à la suite donnée aux enquêtes. Ce sera un grand progrès, également pour les victimes, avec qui nous avons une proximité qui n'existe pas dans les autres services, et qui demandent régulièrement aux policiers où en est leur affaire.

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Vous avez évoqué la manifestation des lycéens. Je souhaiterais savoir comment vous analysez la scène où un policer faire mettre des lycéens de Mantes-la-Jolie à genoux ? C'est une scène qui a fait polémique. Quelles remontées avez-vous eues de cette affaire ?

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Brigitte Jullien, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale

Nous devons, comme pour toute affaire polémique, replacer la scène dans son contexte. Cette affaire s'est déroulée au moment le plus fort de la contestation des lycéens. Les manifestations ont été violentes, des lycéens se sont comportés de manière très violente à l'égard des policiers, mais également à l'égard des personnels de l'éducation nationale – dont certains ont été agressés.

Le choix des policiers du 78 ont été confirmés par l'IGPN, après enquête administrative qui a établi qu'aucune faute n'a été commise ; aucun comportement déviant en termes de procédure n'a été relevé. Aujourd'hui, nous sommes dans le cadre d'une information judiciaire, pour pouvoir travailler sur cette affaire. Nous allons démarrer les auditions des lycéens, dont un certain nombre n'ont pas encore été entendus, à défaut de plaintes déposées au moment des faits.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Concernant les jeunes, justement, un adolescent de seize ans n'a plus rien à voir avec un jeune de cet âge il y a trente ans. Que pensez-vous de l'ordonnance de 1945 ? Un policier nous a expliqué qu'il venait d'arrêter, pour la cinquantième fois, un jeune de quinze ans pour détention de stupéfiants, et qu'il l'avait arrêté pour la première fois à douze ans. Cet adolescent a toujours été remis en liberté, avec un simple rappel à la loi. Ces décisions donnent un sentiment d'impunité à ces certains jeunes. Par ailleurs, des trafiquants majeurs utilisent les services de mineurs, sachant qu'ils ne seront pas inquiétés par la justice. Quel est votre avis sur le sujet ? Pensez-vous qu'un mineur de plus de quinze ans devrait être jugé comme un jeune majeur ?

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Brigitte Jullien, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale

C'est une question philosophique à laquelle il est très difficile de répondre, l'ordonnance de 1945 ayant été adoptée dans une volonté pédagogique et de protection de l'enfant. L'ordonnance n'a jamais été réformée, alors même qu'il a été largement débattu de cette question. Je ne m'estime pas qualifiée pour dire ce qu'il conviendrait de faire.

Je pourrais également vous raconter des histoires de mineurs que nous avons vus grandir, qui ont commencé par commettre un petit délit avant de s'aguerrir. Si nous ne les arrêtons pas à un moment, si l'institution ne réagit pas, ils basculent ensuite dans le grand banditisme. Tous les policiers ont une histoire à raconter sur un gamin de douze ans qui volait des bonbons, des mobylettes, puis des voitures et qui a mal tourné – cambriolages, vols à main armée. J'ai vécu cette situation, il y a encore deux ans.

Faut-il être plus sévère avec eux ? Les personnes chargées de l'éducation des enfants le sont. Mais cela ne s'applique pas au système pénal. Il appartient, selon moi, à des personnes qualifiées de se charger de ces enfants. Malgré tout, je le sais, ces situations exaspèrent les policiers. Des policiers qui discutent avec ces jeunes, qui les voient basculer.

La brigade des mineurs effectue un travail extraordinaire avec eux. Ils ont des solutions et savent qu'ils peuvent les récupérer à un moment donné. Mais l'institution n'a peut-être ni les moyens ni le temps d'investir sur ce sujet. Il conviendrait presque de faire de l'accompagnement individuel.

La question va devoir être posée à un moment, et nous devrons nous arrêter sur la situation de ces mineurs, qui ont un parcours particulier et à qui il faut donner une chance de se réinsérer – ils en ont les capacités. Je ne sais pas s'il convient de réformer l'ordonnance de 1945, mais nous devrions, en tout cas, écouter davantage les policiers de la brigade des mineurs.

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Il conviendrait peut-être d'installer une passerelle avec les éducateurs de rue. Il serait peut-être utile, pour arriver à travailler en lien avec les travailleurs sociaux et l'Éducation nationale – je n'oublie pas les parents, bien entendu –, de revoir la notion de secret professionnel. Il est indispensable de travailler collectivement – parents, éducateurs, éducation nationale, brigade des mineurs, justice – si nous voulons aider ces enfants.

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Brigitte Jullien, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale

Il faut travailler sur le secret partagé – plutôt que le secret professionnel. Et, effectivement, un travail collectif est nécessaire, dans ce domaine.

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En 2017, une réforme a unifié la procédure de légitime défense entre les policiers et les gendarmes, mais l'obligation des critères de simultanéité et de proportionnalité demeure. Que pensent les policiers de ces deux critères ? Ont-ils le sentiment d'être empêchés d'utiliser leurs armes, de faire leur travail ?

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Bertrand Michelin, directeur adjoint de l'Inspection générale de la police nationale

J'ai participé à un groupe de travail, avec certains parlementaires, pour bâtir ce nouveau cadre. L'exigence de simultanéité et de proportionnalité a toujours été imposée par la jurisprudence.

Quel était le cadre préalable, pour un policier, pour faire usage d'une arme ? La légitime défense. Or la légitime défense n'est avérée que si la riposte est proportionnée et a lieu dans le même trait de temps que l'agression. Une obligation qui était prévue pour les gendarmes, dans le code de la défense. Aujourd'hui, elle est commune aux deux forces de l'ordre et encadre juridiquement l'usage des armes.

Le TSUA nous permet de savoir comment évolue l'usage des armes dans les forces de l'ordre. De sorte, que je puis vous indiquer que, au vu des chiffres dont nous disposons, cette disposition n'a aucune influence sur l'utilisation de l'arme individuelle. Elle a même baissé, en volume, en 2018.

L'audition se termine à dix heures dix.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 9 heures

Présents. – M. Olivier Gaillard, M. Denis Masséglia, M. Christophe Naegelen, Mme Josy Poueyto, M. Jean-Louis Thiériot

Excusés. - M. Jean-Claude Bouchet, M. Rémi Delatte, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Kuster