La commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de l a police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale entend M. Matthieu Volant, délégué régional du syndicat national des territoriaux (CFE-CGC), et M. Pierre-Philippe Padrines, référent professionnel pour la police municipale.
L'audition commence à quatorze heures quinze.
Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur la question des polices municipales par l'audition de représentants du syndicat national des territoriaux (CFE-CGC).
Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire « je le jure ».
(Les personnes auditionnées prêtent serment)
Nous souhaiterions vous entendre sur votre statut, vos différentes missions – mais également celles que vous pourriez effectuer –, l'armement, la collaboration avec la police nationale et la gendarmerie nationale et la mise en place d'une école nationale de police municipale.
Je suis chef de service d'une police municipale en région parisienne. J'ai intégré la fonction publique territoriale il y a trente-cinq ans et j'exerce des activités syndicales depuis une trentaine d'années ; j'ai ainsi suivi l'évolution de la profession sur trois décennies – pendant laquelle nous sommes passés de 5 000 à 23 000 policiers municipaux.
Nous attendons beaucoup de cette commission d'enquête, notre avenir en dépendra. Nous vous parlerons des équipements, mais ce qui nous tient le plus à cœur, c'est la formation ainsi que notre positionnement actuel dans le paysage de la sécurité intérieure. Nous ne savons pas ce que l'on attend de nous ; nous avons donc, nous aussi, des questions à vous poser.
Je suis chef de service d'une police municipale importante. Je suis un pur produit de la police municipale. En sortant de l'université, j'ai choisi d'intégrer le corps de police qui devait se développer, la police de proximité par excellence, avec l'idée de construction, tout en restant proche des administrés. Je suis passé de la catégorie C à la catégorie B, j'ai encadré un certain nombre de structures dans le nord de Paris, et je suis maintenant basé dans l'Est de la France. J'ai également une bonne connaissance du monde de la nuit, puisque j'ai encadré des brigades de nuit durant un certain nombre d'années. Enfin, depuis une dizaine d'années, depuis l'assassinat d'Aurélie Fouquet, je me suis engagé syndicalement.
Au gré des gouvernements et des rapports, les missions de la police municipale ont été définies. Le rapport Ambroggiani, notamment, nous avait enthousiasmés, le préfet donnant l'impression de comprendre les tenants et les aboutissants de la police municipale, ainsi que ses attentes et ses enjeux. De nombreuses annonces ont été faites depuis, mais le contexte s'est précipité avec, en 2015, les attentats terroristes, et le développement par la police municipale d'un certain savoir-faire.
Si la France compte 3 600 services de police municipale, certaines villes comme Marseille ou Nice disposent de 500 ou 700 agents, alors que certaines communes n'emploient qu'un seul policier municipal – la Creuse n'en compte aucun. Le contraste est énorme. Un effort de formation a été réalisé pour ces 23 000 policiers municipaux, même la marge de progression reste évidente.
La question principale est la suivante : quel rôle vont jouer ces policiers, dans le paysage de la sécurité publique, dans les années à venir ?
La demande de notre syndicat de participer à ce débat était motivée par l'envie de vous faire part de notre ressenti, sachant que nous avons mené une enquête auprès de nos adhérents en début d'année 2019. Nous connaissons ainsi les attentes et les questionnements de la base.
La police municipale intervient sur des secteurs d'intervention de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, selon les villes. Des conventions sont, en général, signées entre la collectivité et la police ou la gendarmerie ; pensez-vous que ces conventions précisent suffisamment bien le rôle de chaque force ?
Par ailleurs, que pensez-vous des équipements des policiers municipaux ? Souhaiteriez-vous qu'ils soient identiques – dans toutes les communes – ou préférez-vous que le choix soit laissé à chaque collectivité d'en décider ?
Le principe de libre administration des communes permet aux polices municipales d'être dotées d'équipements totalement différents, voire disparates, d'une commune à l'autre. Mais ce principe permet aussi à un maire de bien équiper sa police.
Récemment, les polices municipales ont été dotées de pistolets semi-automatiques 9 millimètres – des pistolets que nous n'avions plus depuis quelques années. Nous sommes également équipés de lanceurs de balles de défense (LBD), une arme qui fait polémique. Sachez que nous n'en sommes pas friands, la police municipale n'étant pas chargée de faire du maintien de l'ordre – et nous y tenons. Cette arme n'est donc pas appropriée à nos fonctions.
En revanche, je suis favorable à l'armement de toutes les polices municipales, notamment depuis les tragiques événements dont ont été victimes Aurélie Fouquet, Clarissa Jean-Philippe et d'autres collègues, qui ont été moins médiatisés. Nous devons pouvoir nous défendre légitimement, dans un cadre légal, bien entendu.
Dans ce domaine, la formation que nous avons suivie me semble appropriée. Nos moniteurs en maniement des armes (MMA) sont formés par la gendarmerie et la police nationales ; la formation est sélective et sévère. Un maire qui souhaite armer sa police peut se donner les moyens de l'entraîner au tir de façon régulière.
Concernant l'équipement, nous disposons de ce dont nous avons besoin – gilets pare-balles, armes de poing, etc. Certaines polices municipales réclament des armes d'épaule, notamment depuis l'attentat de Nice, certains prétendant que le camion aurait pu être arrêté si les policiers avaient eu ce type d'arme. Il s'agit d'un débat dans lequel je ne m'engagerai pas, d'autant que l'armement dont nous disposons me paraît suffisant. Bien entendu, les policiers doivent être formés, et ils le sont ; je ne pense pas qu'un maire serait assez « fou », si j'ose m'exprimer ainsi, pour affecter des policiers armés sur la voie publique sans formation.
Concernant les véhicules, les motos ou d'autres matériels, nous pouvons avoir à peu près tout ce que nous voulons, tout est une question de moyens. En revanche, les policiers sont insuffisamment spécialisés. Certains motocyclistes n'ont pas reçu de formation digne de ce nom, par exemple. Il existe des prémices de formation en première couronne, délivrées par nos amis de la police nationale, mais elle ne dure qu'une quinzaine de jours. De même, s'agissant des brigades cynophiles de la police municipale, je cherche encore le cadre légal ; il conviendrait de le préciser.
Syndicalement parlant, notre position concernant l'armement est claire. Nous demandons que soient appliquées les dispositions du code du travail : tout employeur est censé fournir à son employé les outils de travail nécessaires à la fonction qu'il exerce ; les équipements de protection, par exemple, font partie de nos outils de travail.
Nous souhaitons qu'un minimum non négociable soit imposé, lorsqu'un maire décide de doter la commune d'une police municipale. Un agent de police municipale, avec un uniforme, qui patrouille dans sa commune, représente l'ordre ; de fait, on ne sait pas ce qui peut se passer. Or un certain nombre d'agents patrouillent encore aujourd'hui sans ce que nous pensons être le minimum, à savoir un générateur de gaz incapacitant, un bâton de défense et un gilet pare-balles – je ne parle même pas d'une arme. Nous demandons simplement le respect du code du travail, et du bon sens, pour que les agents puissent patrouiller avec le matériel nécessaire à leur fonction.
Par ailleurs, le maire doit actuellement justifier le non-armement, en catégorie B, de sa police municipale. Nous aimerions que cette question soit débattue avec des spécialistes, afin de définir le bon positionnement à adopter au sein de la commune.
Messieurs, je souhaiterais que vous développiez un peu plus la nature de vos fonctions au sein de la police municipale.
Nous sommes agents de police judiciaire adjoints, selon l'article 21 du code de procédure pénale. Nous avons en charge, sur le territoire communal, le bon ordre, la sécurité, la tranquillité et la salubrité publique. J'insiste sur le terme « bon ordre », puisque nous ne faisons pas de maintien de l'ordre – même si, nous l'avons vu récemment, lors des manifestations, la frontière est fine. Certaines polices municipales ont été obligées de s'engager auprès de la police nationale, en renfort, et auraient pu connaître quelques problèmes. Heureusement, cela s'est bien passé dans l'ensemble.
La police municipale est une police républicaine, issue de la révolution française. Le maire dispose des pouvoirs de police judiciaire et nous sommes sous sa responsabilité. Le cadre légal est très strict, je ne pense pas qu'il y ait plus strict.
Nous intervenons sur différents incidents, ce qui est intéressant : un accident de la circulation, un malaise sur la voie publique – si nous avons suivi la formation – des différends familiaux, etc. Si je puis m'exprimer ainsi, je dirais que la police nationale et la gendarmerie nationale sont la mutuelle générale et les polices municipales, les mutuelles complémentaires. Nous devons harmoniser notre travail, de façon positive. Nous ne tentons pas de concurrencer nos collègues de la police nationale et de la gendarmerie ; ce n'est ni notre rôle ni notre volonté. Cependant, nous devons trouver notre place, ce qui est compliqué en ce moment ; d'où un certain malaise.
Pour quelles raisons avez-vous du mal à trouver votre place ? Est-ce par rapport à la police nationale, la gendarmerie nationale ou parce que vous n'êtes pas équipés de façon adéquate ?
Non, cela se situe à l'échelon supérieur. Pierre-Philippe Padrines et moi-même faisons partie de l'encadrement des polices municipales. C'est à cet échelon que nous questionnons notre positionnement par rapport aux autres forces de sécurité publique.
La convention de coordination a le mérite d'exister. Il s'agit d'un premier outil qui permet d'établir un dialogue constructif, sachant qu'elle devait être rediscutée chaque année. Il s'agissait, dans un premier temps, d'un socle d'échanges visant à répartir les rôles, puis à faire le bilan et à les réajuster.
Mais le contexte s'est durci. Une première fois lors de la Coupe du monde, une deuxième avec les attaques terroristes et enfin une troisième fois avec le mouvement des « Gilets jaunes ». Qui fait quoi ?
Il n'est évidemment pas prévu que la police municipale fasse du maintien de l'ordre, pourtant des polices municipales se retrouvent en situation de maintien de l'ordre. L'apport de la police municipale a été déterminant dans un certain nombre de situations qui dégénéraient. Un apport dont tout le monde s'accorde à dire qu'il a été valable.
Nous avons du mal à retrouver au quotidien le « partenariat à la coproduction de sécurité publique », décidé il y a quelques années. Il nous est demandé, sans que nous puissions en discuter, d'accomplir telle ou telle tâche, non prévue dans la convention de coordination. La commune fait profil bas, accepte et rien n'est discuté. Nous souhaitons retrouver ce côté partenarial.
Depuis le mouvement des gilets jaunes, tous les samedis des ordres sont donnés ; avec cette subtilité entre le bon ordre et le maintien de l'ordre. Une fois que les manifestants ont détourné le dispositif et que nous nous retrouvons face à eux… Est-ce du bon ordre ? Du maintien de l'ordre ? La frontière est franchie et nous sommes bien obligés d'agir. En résumé, un certain nombre de théories ne résistent pas à l'expérience de la pratique.
Par ailleurs, certains circuits, dans les communes, font que M. ou Mme la commissaire s'adresse directement au cabinet du maire, qui ne sait pas obligatoirement de quoi il est question, puis cela redescend et la police municipale se retrouve sur le terrain sans savoir quoi faire. Les circuits ne sont pas encore en place dans de nombreuses communes.
Je citerai un autre exemple. Depuis les attentats de Nice, la période estivale est plus sérieusement encadrée. Or dans certains territoires, la police nationale ou la gendarmerie décide du dispositif et la police municipale doit obéir, sans pouvoir en discuter. Ce n'est pas l'esprit de la convention de coordination lorsqu'elle a été pensée.
Telles sont les raisons qui nous poussent à dire que nous sommes aujourd'hui au milieu du gué. Mais nous pensons également que nos interlocuteurs, par manque de culture, ne savent pas exactement dans quel sens aborder la question de la police municipale.
Vous nous dites que la police municipale a du mal à trouver sa place. L'évolution des territoires, et notamment les intercommunalités, a poussé certains élus à demander la création d'une police intercommunale, parfois au détriment de la police municipale. Et j'ai pu constater, par ailleurs, que la création d'une police intercommunale, avait eu pour conséquence la diminution des effectifs de la gendarmerie nationale – par exemple.
Avez-vous constaté cette situation ? Et plus généralement quelles évolutions avez-vous pu constater – positives et négatives – après la création d'une police intercommunale ?
Il existe, aujourd'hui, des agents de police municipale, des agents de sécurité de la voie publique (ASVP) et des gardes champêtres. Pensez-vous qu'il serait intéressant de les regrouper ?
Ensuite, pensez-vous que la création d'une école nationale de police municipale serait une bonne chose ?
Enfin, les missions de la police municipale devraient-elles être élargies – je pense notamment au contrôle d'identité ? Les agents municipaux doivent attendre plusieurs minutes que la police nationale arrive pour effectuer le contrôle d'identité et ils n'ont pas le pouvoir de retenir l'individu. Il y a là une vraie question.
Matthieu Volant et moi sommes formateurs au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et, en ce qui me concerne, il y a plus d'une vingtaine d'années que je réclame, à mon humble niveau, une formation dans une école de police municipale. Même apprendre à s'habiller est nécessaire, car nous devons être « beaux » sur la voie publique – la police nationale, les pompiers et la gendarmerie apprennent cela. La création d'une école ou d'un centre de formation est donc pour nous indispensable pour recevoir une formation digne de ce nom. Même si, six mois de formation pour des agents de police judiciaire adjoint nous paraissent être une durée correcte.
S'agissant du contrôle d'identité, je pense que, outre le maire, nous n'aurons jamais d'officier de police judiciaire (OPJ) en police municipale, et je n'en vois pas l'intérêt. Nos OPJ de tutelle sont les fonctionnaires de la gendarmerie et de la police nationale.
Le contrôle d'identité, régi par l'article 78-2 du code de procédure pénale, fait l'objet d'un vaste débat dans la police municipale. En ce qui nous concerne, pour contrôler une personne, une infraction doit avoir été commise – article 78-6 ; nous ne pouvons pas procéder à un contrôle d'identité de façon impromptue. Par ailleurs, si je ne me trompe pas, un contrôle d'identité doit être effectué sous le contrôle d'un magistrat.
Enfin, concernant les trois fonctions, l'ASVP est un employé communal – il n'est ni policier municipal, ni garde champêtre – qui peut être un agent technique, administratif, ou du patrimoine. Sur demande du maire, il doit être agréé par le procureur de la République et assermenté par le juge du tribunal d'instance.
Beaucoup de maires choisissent, par facilité, d'engager des ASVP – peut-être parce qu'ils sont moins payés, et je pèse mes mots – pour mettre du bleu marine sur la voie publique. Mais ils ne disposent pas des pouvoirs de police des policiers municipaux.
Les gardes champêtres, c'est différent. Il s'agit d'une ancienne structure, qui, me semble-t-il, sont OPJ. Ils représentent la police des campagnes et nous souhaiterions les voir intégrer le corps de la police municipale, avec leurs pouvoirs de police rurale. Ils sont peu nombreux, peut-être 1 500.
L'idée de voir les polices municipales devenir des polices territoriales, à savoir un niveau de taille critique, répondrait à un certain nombre de problèmes que nous rencontrons aujourd'hui.
Les sapeurs-pompiers ont connu cette situation, il y a une trentaine d'années : ils sont passés d'agents communaux à agents départementaux. Sans aller aussi loin, nous pensons qu'une rationalisation de l'organisation de la police municipale en France doit passer par cette évolution. L'accès à la sécurité est d'ailleurs une disposition du préambule de la Constitution.
Nous pensons que les administrés ont tout à gagner à une nouvelle organisation des polices, à l'échelon territorial. Je l'ai indiqué dans mon propos liminaire, la majorité des polices municipales, en France, ne compte qu'un seul agent. Or, entre sa formation initiale, la formation continue et ses repos, il est très peu présent dans la commune ; cette organisation n'est pas satisfaisante. En revanche, une mutualisation des moyens et des effectifs permettrait une plus grande présence de la police de proximité, à savoir la police municipale, sur la voie publique.
L'audition se termine à quatorze heures quarante-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale
Réunion du mardi 28 mai 2019 à 14 h 15
Présents. - M. Olivier Gaillard, M. Joaquim Pueyo, Mme Nicole Trisse
Excusés. - M. Xavier Batut, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Marietta Karamanli