Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Réunion du jeudi 23 mai 2019 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • LSA
  • agroalimentaire
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La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures dix.

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Bonjour à toutes et à tous. Nous recevons aujourd'hui M. Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso, un hebdomadaire bien connu du monde du retail.

Monsieur Puget, je vous propose, après avoir prêté serment, que vous puissiez, dans le cadre de cette Commission d'enquête dont le thème est celui des relations entre la grande distribution et ses fournisseurs, nous faire un court exposé, un propos de 5 à 10 minutes, relatant votre vision sur ces relations commerciales. Nous aurons ensuite un échange de questions-réponses pour essayer d'avoir une vision claire ou en tout cas éclairée par votre expertise.

Avant de commencer et conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter serment.

M. Yves Puget prête serment.

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Je vous remercie. Monsieur Puget, nous vous écoutons.

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

Yves Puget, directeur de la rédaction du magazine LSA. Cela fait une vingtaine d'années que je suis le secteur de la consommation de l'industrie et du commerce notamment à LSA. LSA appartient au groupe InfoPro Digital, groupe leader de la presse professionnelle, dont les titres les plus importants sont L'Usine nouvelle, Le Moniteur, La Gazette des Communes et LSA, soit une quarantaine de titres.

Je me suis demandé ce que j'allais dire et finalement, comme je suis à LSA depuis un certain nombre d'années, j'ai ressorti une photocopie d'une une datant du 1er février 1990, « Le bras de fer fabricants-distributeurs ». C'est pour moi un vieux débat. Je pourrais ressortir des lois et textes de lois nombreux. Celui qui m'amuse le plus est la loi de 1936 qui interdit pendant un an le développement des magasins à prix unique. Tout cela pour vous dire qu'il n'y a rien de neuf sous le soleil. Je pourrais vous parler des fameuses ordonnances de 1960, quasiment au moment de la naissance de LSA, en 1958, qui avaient défrayé la chronique à l'époque. Un peu plus proche de nous, je pourrais vous parler de l'ordonnance Balladur de 1986, la loi Sapin de 1993, la loi Galland de 1996, la loi relative aux nouvelles régulations économiques de 2001, la loi Dutreil de 2003, la loi Dutreil 2 de 2005, la LME de 2008 et la loi alimentation de 2019, ce qui fait, si on reprend depuis 1986, une loi tous les quatre ans. Effectivement, les distributeurs, les industriels et les parlementaires ont de quoi s'occuper…

Après ce petit clin d'oeil un peu historique, concernant les négociations commerciales 2019, on me dit tous les ans que c'était plus dur que l'année passée. Au cours de certaines années, c'est un jeu de rôle entre les fédérations. Cette année, c'est vrai, c'était plus compliqué. Pourquoi ?

Tout d'abord, il ne faut pas oublier la conjoncture. Partager de la croissance est toujours beaucoup plus simple que partager non pas totalement de la décroissance mais au moins de la stagnation.

Deuxièmement, il ne faut pas oublier non plus ce qui s'est passé cet hiver, à partir du mois de novembre avec les gilets jaunes. Même si cela s'est bien passé, replongeons-nous dans tous les débats début janvier sur l'impôt à la source, qui ont suscité beaucoup d'interrogations sur le pouvoir d'achat. Ont été créées ensuite en 2018 les deux centrales Envergure et Horizon, ce qui a légèrement perturbé le paysage. On peut ajouter une loi qui, en termes de calendrier, est tombée au pire moment, en pleines négociations commerciales. Depuis la loi de modernisation de l'économie s'est rajoutée une obligation de terminer le 1er mars, soit quinze jours après le Salon de l'agriculture, un formidable podium pour tous ceux qui ont envie de râler. Dernièrement, on a rajouté à cela cinq années de déflation. Je peux, ce que j'ai fait, commencer par un petit clin d'oeil en répétant que ces débats sont historiques mais il est vrai que cette année a été plus compliquée. Voilà ce que j'avais envie de dire pour commencer.

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Je vous remercie Monsieur Puget. Je vais passer la parole au rapporteur pour qu'il puisse vous poser quelques questions qu'il a préparées lui aussi.

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Bonjour Monsieur Puget. Je vous remercie d'être présent aujourd'hui dans cette commission. J'ai la responsabilité de rédiger le rapport et de faire des propositions à la fin de ce rapport.

Vous nous avez parlé dans vos propos liminaires de stagnation du chiffre d'affaires de la grande distribution suite à de nombreux événements très récents. Nous avons été interpellés sur cinq ans de déflation, qui correspondent aussi à des regroupements de centrales. Nous étions beaucoup plus nombreux ; plus on avance dans le temps, plus on se regroupe. En fait, il s'avère que plus on se regroupe, plus il y a de déflation. Je voudrais avoir votre avis à ce sujet puisque cela ne fait qu'un an que nous sommes en croissance zéro ; auparavant, nous étions en croissance positive. J'aimerais savoir si, d'après vous, il y a une relation de cause à effet entre les centrales d'achat regroupées et la déflation chez les industriels.

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

Y a-t-il un rapport direct ? Peut-être mais pas totalement. Premièrement, pardon pour eux mais tous ces acteurs se regardent le nombril depuis trente ans, ce qui signifie qu'ils ont les mêmes indicateurs, le même thermomètre. Ils regardent des panélistes de Kantar, d'IRI et de Nielsen qui font très bien leur travail. Cela signifie que Carrefour se compare avec Leclerc, qui se compare avec Auchan.

Cela étant dit, quelle est l'évolution de la consommation ? Quelle est l'évolution du comportement du consommateur ? Il « zappe » de plus en plus, ce qui veut dire qu'aujourd'hui, le concurrent de Leclerc, de Carrefour, de Casino ou d'Auchan n'est plus simplement l'hypermarché qui se trouve à deux kilomètres ou en face de lui mais c'est de plus en plus internet, bien sûr, mais pas seulement : il y a des enseignes comme Grand frais, les enseignes bio…

Regardons l'évolution des boulangeries : même aujourd'hui, une boulangerie qui fait un rayon snacking devient concurrente d'un Franprix. La concurrence est beaucoup plus diffuse. La stagnation du marché concerne la stagnation du marché de la grande distribution, ce dont il faut tenir compte dans les résultats.

Sur la question du prix, j'ai fortement envie de croire à la valorisation, j'ai fortement envie de croire qu'il faut arrêter cette guerre des prix. Or, lorsque j'observe des enseignes qui arrêtent cette guerre des prix pendant quelques mois ou qui font un peu moins de promotions, je m'aperçois que leur part de marché régresse, c'est quasi-systématique, c'est quasi-mathématique.

Cette guerre des prix est destructrice de valeur et il faut trouver des solutions pour l'arrêter. Malheureusement, on est dans un « ménage à trois » : le consommateur, l'industriel et le distributeur. Les trois, depuis des années, ont l'habitude d'acheter, de vendre ou de proposer des promotions. Si vous arrêtez les promotions, l'industriel a l'impression de ne pas faire son travail. Si vous arrêtez les promotions ou les prix bas, le distributeur, l'acheteur a l'impression de ne pas faire son travail et si vous ne faites pas de prix bas et si vous arrêtez les promotions, le consommateur a l'impression de se faire avoir. La difficulté elle est là : taper sur l'un ne suffira pas. Les ménages à trois ne sont jamais simples.

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Je vais en profiter pour vous poser une question. Vous avez parlé des commerces spécialisés aujourd'hui. Comment voyez-vous le marché ? On voit la crise des hypermarchés, on a l'impression que c'est plus diffus. Comment voyez-vous les choses se rééquilibrer par rapport aux surfaces spécialisées ?

Vous venez de parler de la problématique des prix. Dans les points de vente spécialisés, on a l'impression que le prix n'est pas forcément une donnée. Vu de notre fenêtre, nous avons le sentiment que les habitudes des consommateurs tendent à changer et ne plus aller que vers le prix mais à rechercher d'autres choses. Avez-vous fait ce constat d'un point de vue plus macro ? Voyez-vous cela comme une tendance de fond ou est-ce pour l'instant vraiment anecdotique ?

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

Votre question contient plusieurs remarques. Tout d'abord, on est certainement sur une tendance de fond sur la valorisation, notamment sur les enseignes spécialisées, mais c'est un amas de petites tendances. Journalistiquement, on dit souvent qu'il faut un angle papier. Je veux bien vous écrire un papier qui tiendra la route en indiquant que tout le monde veut des produits bio, de la valorisation, de l'éthique, du social, de la responsabilité, du développement durable, de la proximité et du service.

C'est vrai. Tout cela s'additionne. Mais le lendemain, je vais être de mauvaise humeur et je vais vous faire un autre papier pour vous dire qu'une fois qu'on a dit tout cela, le meilleur lancement l'année dernière dans les produits de grande consommation était une glace d'une grande marque, qui n'est absolument pas bio, pas saine et pas faite en France. Quelles sont les enseignes en croissance ? Regardez : Action, Lidl, Primark.

Nous sommes dans un monde de plus en plus complexe.

Donc croire simplement, car on a envie d'y croire (et je fais partie de ceux-là), qu'il faut de la valorisation, c'est vrai, mais croire qu'il n'y a que cela serait une grave erreur car un distributeur connaît très bien le principe : pour analyser la zone de chalandise, notamment dans une grande surface alimentaire, il suffit de regarder les produits abandonnés juste devant la caisse, c'est-à-dire le consommateur qui a dit : « Là, mon caddie est trop plein, je ne pourrai pas donc je laisse le produit en tête de gondole juste devant la caisse. ». Un indicateur très fort pour un directeur de magasin consiste à voir le nombre de produits abandonnés.

Oui, nous avons eu cinq ans de déflation, tous les chiffres le démontrent. Deux remarques par rapport à cela : tous les chiffres démontrent aussi que si on fait un sondage, si on sort dans la rue et qu'on demande à un Français si les prix ont baissé ou monté, tout le monde va dire qu'ils ont monté. Personne, aucun consommateur ne va vous dire que depuis cinq ans les prix ont baissé et les Français n'ont pas tort car les prix ont baissé mais leur panier a monté ; c'est ce que l'on appelle le travail de valorisation. Je n'achetais qu'un pâté simple et maintenant j'achète un pâté avec du piment d'Espelette, un peu plus cher. J'achète un peu plus de bio. J'avais un rasoir à deux lames mais on finira avec des rasoirs 18 lames ! C'est le travail de la valorisation. Avant, on buvait un litre de lait simple. Aujourd'hui, on peut boire un litre de lait avec ouverture facile, pour le matin, le soir et l'après-midi, enrichi en calcium ou je ne sais quoi. Par conséquent, le panier moyen est un peu plus cher. Les deux ont raison : ceux qui disent : « Les gros industriels ont un problème qui est la guerre des prix, ils ont besoin de faire tourner leurs usines, ils ont besoin d'investir, ils ont des besoins de budget en R&D », et le consommateur a raison lorsqu'il dit « Au final, ça coûte plus cher ».

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Je reviens sur la question que je vous ai posée tout à l'heure. Vous avez parlé de ménage à trois. Je pense qu'il y a un peu plus de personnes dans ce ménage mais nous allons reprendre les chiffres. Je crois en la concurrence, je crois en l'offre, la demande et une concurrence qui doit s'équilibrer toute seule ; c'est le principe de l'ultralibéralisme et de l'économie de marché. La France compte 75 millions de consommateurs, entre 2 000 et 3 000 industriels et près de 500 000 agriculteurs, avec au milieu, quatre acheteurs. Est-ce qu'à votre avis, ce ne sont pas ces quatre acheteurs qui font la pluie et le beau temps ? Je prends comme toujours l'exemple du lait : on se retrouve aujourd'hui avec des laits bio au même prix que des laits conventionnels alors qu'on a une demande croissante et une offre très faible, d'où au final un prix qui devrait être plus fort car c'est un produit différent et fortement demandé, mais qui se retrouve au même prix, justement car un de ces quatre au milieu a décidé d'en faire un produit d'appel. N'est-ce pas destructeur de valeur ? Est-ce celui qui se trouve au milieu de ce ménage à trois ou quatre (ces quatre centrales d'achat) qui a détruit la valeur ou pas ?

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

Monsieur le député, je me permets de vous reprendre. Vos arguments sont partiellement faux, pour la simple raison que vous avez cité 2 à 3 000 fournisseurs alors qu'on peut aller jusqu'à 4 000 pour les produits de grande consommation par exemple. Mais en admettant qu'ils soient 4 000, sur ces 4 000, 3 900 passent par neuf centrales d'achat et absolument pas quatre. Quels sont les secteurs économiques où il y a neuf centrales d'achat ? On peut y rajouter Grand frais, Picard, Amazon, la restauration collective, la restauration commerciale et la restauration rapide.

Les quatre centrales que vous citez, à juste titre, ne concernent que les multinationales. C'est un problème pour elles, dont il faut tenir compte. Je suis d'accord sur ce point mais arrêtons de dire qu'une PME ou un agriculteur a 4 centrales d'achat, c'est entièrement faux.

Une PME passe par Leclerc, Intermarché, Carrefour, Système U, Cora, Auchan, Casino, Lidl, Aldi, Grand frais, les enseignes du bio, Picard et Amazon.

Je ne veux pas me faire l'avocat du diable mais si je veux inverser la question, connaissez-vous beaucoup de secteurs avec autant de « fournisseurs » ? Est-ce le cas dans l'automobile, dans la banque, dans la téléphonie ? Et je ne parle pas de la petite centaine de multinationales qui, elles, en ont quatre. Je le répète, contrairement à ce que beaucoup de fédérations peuvent dire, les PME ne passent pas par les regroupements de centrales.

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Je vais donner la parole à notre collègue Yves Daniel pour une question.

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Merci. Yves Daniel, je suis député en Loire-Atlantique. Je voulais vous poser une question très simple. Pensez-vous que les relations commerciales dont nous parlons sont équilibrées dans une chaîne complexe où tous les maillons doivent exister pour que cela fonctionne ? Dans le cas contraire, si on déséquilibre ces relations, cela peut évidemment faire tomber des maillons et déstructurer complètement le fonctionnement de cette chaîne, qui est nécessaire entre la production et la consommation. Comment analysez-vous la notion d'équilibre nécessaire ? Cette notion d'équilibre est-elle importante pour vous ? Comment agir pour protéger chaque maillon de la chaîne ?

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

À la question : « Est-ce que les rapports sont équilibrés ? », je ne pourrai pas répondre « Oui ». Les rapports ne sont pas équilibrés, c'est évident. Lorsque vous êtes une TPE ou une PME en face de Carrefour, vous êtes plus petit. Si je veux faire de l'ironie, je peux peut-être inverser : lorsque vous êtes une marque très forte, emblématique, que vous pesez plus de 50 % de part de marché, le distributeur peut-il se passer de vous en rayon ? Pas toujours.

Pour moi, la vraie question n'est pas de savoir si les rapports sont équilibrés. Malheureusement, je crains que non. La bonne question, la seule question qui est importante pour moi, c'est de savoir si la loi est respectée. Si la loi n'est pas respectée, il faut condamner les distributeurs ; seule la loi compte. Effectivement, une PME est plus petite mais les PME sont aujourd'hui en croissance chez les distributeurs. Un distributeur est très opportuniste ; comme il y a une demande des PME, il fait aujourd'hui plus de place pour les produits de PME dans les rayons. Je ne peux pas répondre que le rapport est équilibré. J'observe néanmoins que dans un certain nombre de pays, les distributeurs sont moins nombreux. La France n'est pas le pays le plus concentré au monde dans la grande distribution. Allez en Hollande, c'est beaucoup plus concentré, j'en suis certain. Je pense que l'Angleterre est également plus concentrée.

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Je reviens sur ce que vous venez de dire pour la rédaction du rapport. Vous dites que quand vous êtes une PME qui vend du pain d'épice au fin fond de je ne sais quelle région, forcément, l'équilibre ne se fait pas face au groupe Carrefour par exemple, qui fait 70 ou 80 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Mais quand vous vous appelez Coca-Cola et que vous vous faites déréférencer et que la grande distribution va se fournir dans d'autres pays pour éviter d'avoir à acheter du Coca en France, quand le groupe Pernod Ricard et le groupe l'Oréal se font déréférencer pendant des mois chez des indépendants, quand Herta se fait déréférencer… je pourrais vous citer tout un tas d'industriels qui sont leaders sur le marché, qui sont soi-disant indéréférençables car le panier moyen se doit de contenir ce produit parce que c'est une habitude mais qui sont pourtant déréférencés, car la punition est une punition de déréférencement si on n'accepte pas un prix. Je voudrais avoir votre avis sur ce sujet s'il vous plaît.

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Je vais en profiter pour ajouter un point. Vous parlez de la demande des PME. Or on constate qu'elle reste marginale et que la relation directe entre un distributeur et une PME reste marginale et localisée sur un faible pourcentage de ce que le consommateur peut trouver dans le rayon. Je peux en parler : le plus gros centre logistique de Leclerc en France se trouve dans ma circonscription. Je peux vous assurer que les camions tournent et que ce ne sont pas des PME qui remplissent les rayons de l'entrepôt logistique. Je suis d'accord avec vous sur la demande des consommateurs. Je n'ai pas forcément l'analyse aujourd'hui et nous l'avons vu au travers de nos différentes auditions : les PME n'ont pas un très grand accès aux rayons de la grande distribution, je pense qu'il y a encore une marge.

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

Selon les chiffres de Nielsen et d'IRI pour l'année dernière, les PME étaient en croissance de 4 % dans la GMS alimentaire et la croissance en alimentaire ne provient que des PME et du bio. Ils ont multiplié l'assortiment.

Pour répondre sur le déréférencement, je ne suis pas avocat ni juriste, je ne fais pas les lois. Seul m'importe le respect de la loi. Si un déréférencement est fait dans le non-respect de la loi, il est illégal et il faut le condamner. Mais le distributeur est maître chez lui, il n'est pas dans l'obligation de référencer tous les produits. Les bases comprennent environ 500 000 références. Sur Internet, c'est possible mais il faudrait assurer les livraisons et les stocks, mais pour les PGC, un hypermarché par exemple comporte 16 000 à 20 000 références. La mission du distributeur consiste à faire son travail d'arbitrage et de choix, même s'il peut de temps en temps se tromper. Ce choix ne doit pas porter que sur le prix, je suis d'accord. Mais si le distributeur déréférence dans la légalité en respectant les délais, c'est son droit.

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Pour être honnête, je me suis beaucoup basé sur le site Internet de LSA, qui est très bien fait. En revanche, j'ai trouvé très peu d'articles consacrés aux négociations commerciales. Comme vous l'avez dit, cela fait cinquante ans que l'on répète que les négociations commerciales sont compliquées, tout le monde se plaint, on en entend parler à droite à gauche mais en allant sur le site consacré à la grande distribution et aux industries agroalimentaires, je ne trouve pas d'article ou très peu. Dans le dernier article que j'ai trouvé, un de vos journalistes expliquait que l'histoire ne fait que bégayer. J'aimerais savoir pourquoi vous n'en parlez pas dans votre magazine. Je souhaiterais également savoir comment vit LSA, comment se structure votre chiffre d'affaires. Vendez-vous des magazines papier ou avez-vous des annonceurs ?

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Avant de répondre, Monsieur Puget, je vous propose d'écouter la question de notre collègue M. Fasquelle.

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Merci. Vous avez expliqué que la loi était la loi, qu'il fallait la respecter pour régler le problème alors que comme vous le savez, la difficulté est que ceux qui sont dans ce rapport de force déséquilibré ne saisissent pas les tribunaux par crainte de représailles. Les difficultés rencontrées aujourd'hui comprennent à la fois une législation qu'il faut peut-être revoir, améliorer et compléter, mais surtout l'application de la loi sur le terrain. Quel est votre regard sur cette difficulté et comment arriver à la surmonter ?

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

Les difficultés sont réelles pour les PME, je suis d'accord, et même pour un grand groupe. C'était le cas récemment pour certaines multinationales qui ont été déréférencées.

Pensez-vous que quelqu'un qui perd le marché des micros à l'Assemblée Nationale va être content ? C'est la vie des affaires, c'est dur, nous sommes dans un monde très dur ; pourquoi ? Car il est hyper réactif et hyper compliqué. C'est un secteur avec beaucoup de fournisseurs et avec de faibles marges. Quand j'étais petit, je faisais mes courses chez Montlaur, Rallye, Euromarché, Félix Potin… ils ont fermé leurs portes et ce n'est pas propre à Internet. Je pouvais faire mes courses chez Telemarket et chez Grosbill ; ils ont fermé leurs portes. Si vous allez aux États-Unis, vous verrez le nombre de faillites de distributeurs. Je ne suis pas du tout en train de les plaindre. Oui, ils ont fait de grosses fortunes dans les années 1970 et 1980 mais aujourd'hui, croyez-vous sérieusement qu'un jeune qui sort d'une école de commerce va vous dire : « Moi, mon rêve, c'est d'ouvrir un magasin » ? Malheureusement, de moins en moins. C'était le cas car oui, il y a eu une grosse fortune de faite. La difficulté est totalement partagée : regardez le nombre de magasins qui ferment aujourd'hui ou qui sont à vendre, regardez les résultats publiés récemment par le groupe Auchan. Encore une fois, je ne suis pas en train de dire qu'ils sont à la rue mais les fondamentaux du commerce étaient, en périphérie, l'immobilier très faible. C'est terminé. Les délais de paiement très importants ont été, à juste titre, réglementés. La consommation était forte et il n'y avait pas de chômage, ce qui n'est plus le cas. Les fondamentaux ont quelque peu disparu.

Je crois encore aux magasins et il faut espérer qu'ils vont perdurer. Ils ont des arguments pour mais c'est plus compliqué pour tout le monde et la grande distribution correspond à une faible marge sur un gros chiffre d'affaires. Quand la croissance est assurée, c'est très bien pour eux car une faible marge sur un très gros chiffre d'affaires rapporte beaucoup. Mais d'une faible marge, on peut très vite passer à une marge négative.

Concernant l'autre question, comme je l'ai dit, LSA a été créée en 1958. D'abord, merci de lire LSA. Nos revenus sont multiples ; nous sommes vendus uniquement sur abonnement (nous étions vendus en kiosque pendant quelques années mais nous avons arrêté), nous avons 15 000 abonnés et une diffusion d'à peu près 20 000 exemplaires. Majoritairement, nos deux profils d'abonnement sont les distributeurs et les industriels. Nos revenus proviennent de la publicité, d'abonnements et d'événements. Nous tenons un grand colloque sur les négociations commerciales tous les ans début octobre, nous faisons des remises de prix, nous vendons des données : la base LSA Expert permet de référencer toute l'évolution du nombre de mètres carrés ; c'est ce qui me permet de vous dire qu'il y a 11 millions de mètres carrés d'hypermarchés en France. LSA est un titre qui se porte bien et sur notre site Internet, environ 120 à 130 000 pages sont vues chaque jour, ce qui pour de la presse professionnelle nous place largement leaders du secteur. Il y a davantage de papiers sur les négociations commerciales que vous ne le dites : nous en rédigeons un quasiment toutes les trois semaines. Mais vous avez raison, c'est très compliqué pour nous d'avoir des informations.

Je suis à LSA depuis plus de vingt ans et je n'ai jamais pu assister à une négociation. Je vois les excès de verbe quand on croit qu'un box est en sous-sol et qu'il faut monter le chauffage. Pour ceux qui ne l'ont pas déjà fait, allez voir des box. Système U, à Rungis, en a un pas très loin de nos bureaux à Antony. Il s'agit simplement de petites salles avec des fenêtres et des portes en verre, tout ce qu'il y a de plus classique.

Mais il faut être honnête, nous avons quand même du mal à obtenir des informations sur cette thématique car c'est le secret des affaires. Les distributeurs comme les industriels ne veulent pas vraiment témoigner sur les conditions. Seules les fédérations témoignent fortement.

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Pour avoir des chiffres ronds, vos contrats avec la grande distribution et avec les distributeurs en général représentent-ils aujourd'hui une grosse partie de vos revenus publicitaires ?

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

Les revenus publicitaires dépendants de la grande distribution sont très faibles. Les abonnements représentent notre première source de revenus pour les distributeurs. Nos publicités viennent essentiellement des industriels, des prestataires de services et un tout petit peu (moins de 10 %) des distributeurs pour la franchise, pour dire que telle enseigne recherche des franchisés.

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Merci de ces précisions Monsieur Puget. Monsieur Pellois, vous avez la parole.

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Merci Madame la Présidente, Monsieur le Directeur. La France n'a cessé de perdre des parts de marché sur le marché mondial depuis 2000, tant en ce qui concerne l'agriculture que l'agroalimentaire. Elle a été deuxième avant 2000, quatrième dans les années 2010 et sixième depuis 2015. Nous voyons bien que nous avons du mal à redresser la barre et que nous avons toujours un excédent de l'ordre de 5 à 6 milliards mais il a été beaucoup plus important dans le passé ; par conséquent, il pèse de moins en moins, surtout uniquement à partir de quelques produits comme le vin et autres. Nous avons pourtant des agriculteurs qui sont au top au niveau technique, c'est assez reconnu, notre agriculture s'est plutôt modernisée. Peut-on tout de même considérer que la guerre des prix a eu une influence sur ce décrochage de la France ? Le fait d'avoir de mauvais prix au niveau du marché français entraîne-t-il des difficultés de notre agriculture au niveau mondial ?

Deuxième question : vous êtes un observateur de ce qui se passe en France mais j'imagine que dans vos différents colloques, vous avez aussi essayé de voir ce qui se passait à l'étranger. Existe-t-il un modèle qu'il nous serait intéressant de copier à l'étranger, où les rapports entre la grande distribution et les industriels sont meilleurs ? Pourrions-nous tendre vers un modèle que nous pourrions aller chercher à l'extérieur ?

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Monsieur Puget, avant de répondre, MM. Fasquelle et Leclabart ont des questions pour vous.

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J'ai le sentiment que dans cette affaire, nous avons toujours un coup de retard en tant que législateurs. En réalité, nous raisonnons comme si le marché était français et comme si le modèle de l'hypermarché était un modèle encore viable alors que tout cela évolue très rapidement. Quel regard portez-vous sur la création de centrales d'achat à l'échelle européenne ? Vous savez que Leclerc a été poursuivi par le Gouvernement à ce sujet dû aux pratiques de sa centrale d'achat qui se trouve en Belgique. D'autres ont-ils tenté de faire la même chose ? Je n'ai pas d'information à ce sujet mais en avez-vous ?

On voit bien que des rapprochements s'opèrent. Aux États-Unis, la chaîne Whole Foods a été rachetée par Amazon en 2017. La conséquence a été le départ de cadres de Whole Foods mais également une pression beaucoup plus forte sur ses fournisseurs avec, dit-on, une diminution de 25 % des prix pratiqués à l'égard de ces fournisseurs. Le coût a été vraiment très rude. Ne risque-t-on pas d'avoir les mêmes problèmes en France et en Europe et n'aurait-on pas intérêt à s'intéresser dès à présent à ces phénomènes pour cette fois-ci avoir un coup d'avance et non plus un coup de retard ?

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Merci Monsieur Fasquelle. M. Leclabart a une dernière question. Nous écouterons ensuite M. Puget.

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Monsieur Puget, ma question va un peu dans le sens de mon collègue M. Fasquelle. Vous avez rappelé que votre magazine a soixante ans puisqu'il date de 1958. Je me souviens qu'il y a quarante ou cinquante ans, Jean-Pierre Le Roch a créé Intermarché, étant parti de chez Leclerc. Dans vos colonnes, il déclarait ceci : « Les riches se font un point d'honneur à acheter pas cher ; les pauvres n'ont pas d'autre solution que d'acheter pas cher ». Cet adage est-il toujours celui du futur ?

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

Il y a beaucoup de questions. Pour répondre à la dernière, l'adage exact était : « Faites des prix bas, les riches adorent ça, les pauvres en ont besoin. » C'est la même chose, nous sommes d'accord, et c'est un vieux principe du commerce. Je dirais que cela fonctionne toujours mais avec un « mais ». Oui, cela fonctionne toujours car malheureusement, pour les personnes dans le besoin, il y en a beaucoup, c'est toujours important de chercher le prix bas. Certaines personnes font leurs courses à un euro près, il faut en être conscient et de temps en temps, sortir de certains microcosmes, sortir un peu de Paris pour voir que certaines personnes sont vraiment dans le besoin, dans le malheur et elles font leurs courses à un euro près. C'est aussi la fonction de la grande distribution.

Concernant les prix bas, si tout est tiré vers les prix bas, je pense que c'est dangereux, que c'est destructeur de valeur et d'emplois. Dans ce cas, les industriels ont raison de râler. On peut quand même dire qu'on peut être le meilleur des prix bas dans des catégories de produits, c'est-à-dire qu'on peut aussi jouer sur un autre secteur : on peut être la voiture la moins chère qui va être aux alentours de 5 000. Mais dans les voitures, dans les 4x4, vous pouvez aussi être le moins cher des 4x4. L'enjeu de la problématique du prix bas est d'être sur des catégories. Tout vers le bas est dangereux mais on peut travailler par catégorie en disant : « On va aller vers le bio, on va aller vers d'autres catégories de produits. Sur ces catégories qui seront plus chères que d'autres, je l'accepte mais j'ai quand même envie d'être l'enseigne la moins chère. » C'est leur droit et c'est une attente des consommateurs.

Je n'ai pas vraiment d'exemple mondial. Je pourrais prendre l'exemple de la distribution suisse, qui travaille très bien avec le monde agricole, très en amont, notamment avec les coopératives, je pourrais vous prendre l'exemple américain, où il y a une forme de transparence dans les relations industrie-commerce. Les données de vente sont communiquées aux industriels, qui peuvent avoir quotidiennement leurs résultats ; la négociation est dès lors beaucoup plus simple et rapide. Les États-Unis sont-ils le modèle rêvé ? Non, pas forcément car ce n'est pas la vie rêvée au niveau de l'emploi. Il n'y a pas un modèle pour lequel je vais vous dire que c'est vraiment le modèle à suivre. Je crois qu'il faut aller piocher dans de nombreux pays. Nous avons le modèle de nos entrepreneurs et de nos lois.

À la fin de la seconde guerre mondiale en Allemagne, c'était le hard discount pour reconstruire le pays. En France, un modèle d'indépendants s'est très vite développé, d'où une surreprésentation des indépendants en France par rapport à d'autres pays. En Angleterre, notamment en raison de la taille du pays et des agglomérations, ils ont beaucoup plus parié sur les supermarchés. On s'aperçoit que notre modèle dépend de ceux qui ont inventé le commerce.

Nous avons en outre le modèle de nos lois. J'ai assisté à d'autres auditions. Si on regarde les marques de distributeurs, Leclerc n'en faisait pas, c'est la loi Galland qui a poussé les centres Leclerc à en proposer. Les enseignes sont réactives aux lois mais également à la conjoncture. Les produits blancs de Carrefour sont tout simplement nés des crises pétrolières des années 1970.

Les MDD ne sont pas un contournement de la loi, elles sont tout à fait légales. Les premières MDD en France remontent à 1901 pour l'alimentaire, avec Casino. Il y a eu des interprétations de la loi et, avec la loi Galland, cela a été dévoyé par les marges arrière, qui étaient beaucoup trop fortes. De mémoire, on arrivait à 33 % de marges arrière. C'est retombé depuis grâce à ou à cause de (à chacun de voir) la LME. Mais la création des MDD n'avait rien à voir avec la loi Galland. Leclerc n'en faisait pas, ils l'ont fait et cela existait auparavant.

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Monsieur Fasquelle, je crois que vous voulez réagir.

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Je voulais simplement vous dire que je n'ai pas dit que les MDD étaient illégales. En revanche, elles ont été créées pour contourner la loi Galland qui renforçait l'interdiction du seuil de revente à perte puisque la taxe sur la revente à perte ne s'applique pas dès lors qu'il y a une marque de distributeur.

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

Je rajoute juste que seul Leclerc n'en faisait pas, les autres en faisaient avant. Ensuite, les distributeurs ont effectivement boosté leur marque de distributeur en fonction de la loi Galland, comme en fonction de la loi alimentation, on peut parier cette année sur une progression de la marque de distributeur. Il s'agit d'une réaction à des lois.

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Nous allons reprendre une dernière série de questions étant donné qu'il nous reste un quart d'heure. Monsieur Pellois.

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Je n'ai pas eu ma réponse lorsque je vous ai demandé si cette guerre des prix n'avait pas une influence sur la perte de compétitivité de la France par rapport aux produits agroalimentaires.

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

D'abord, je pense que le monde agricole sera toujours en conflit avec la grande distribution. Pour prendre l'exemple des fruits et légumes, en dehors des négociations commerciales, il y aura toujours des bonnes années et des mauvaises années, il y aura toujours des aléas climatiques à la production ou à la vente. Historiquement, j'ai toujours connu des conflits. Nous pouvons le regretter mais personne ne peut prévoir durablement la météo et elle est aléatoire.

Concernant le monde agricole, je vois souvent des agriculteurs qui se plaignent, à juste titre pour un grand nombre d'entre eux ; il faut défendre le monde agricole. Je rappelle juste que la grande distribution n'est pas le premier fournisseur du monde agricole ; elle est en bout de chaîne. Au milieu se trouve le monde agroalimentaire et je trouve parfois un peu surréaliste dans ce débat de le résumer aux négociations commerciales sur la santé de l'industrie et du monde agricole. J'assistais hier encore à un colloque organisé par une fédération.

Quand je vois que le monde agricole, l'industrie agroalimentaire où il y a 21 000 postes proposés, je crois, n'arrive pas à embaucher, j'ai envie de dire que c'est là où il faut des lois, là où il faut travailler sur la manière de faciliter la procédure. La responsabilité du législateur ne consiste pas simplement à mettre des barrières mais aussi à créer des ouvertures. Pourquoi le monde de l'agroalimentaire n'arrive-t-il pas à embaucher ? Pourquoi le monde de l'agroalimentaire en France n'exporte-t-il pas suffisamment, très faiblement par rapport à l'Allemagne ?

Nous nous posions hier la question d'un tel déficit de formation à l'anglais. À l'origine, cela vient d'un déficit de l'anglais. Pourquoi y a-t-il beaucoup plus d'ETI en Allemagne qu'en France ? Tout simplement à cause des frais de succession pour les entreprises. Ce n'est pas de la faute de la grande distribution : ils ont des responsabilités, ils sont coupables sur des choses mais pas sur tout, et le rôle de l'État, des gouvernements et donc des députés est aussi de créer des ouvertures et pas simplement de mettre des barrières. La problématique est que la grande distribution ne doit pas être l'unique débouché des industriels. Il y a aussi l'exportation. Quand je vois le déficit de robotisation dans le monde de l'industrie agroalimentaire française par rapport à d'autres secteurs et quand j'entends des personnes dire qu'il faut taxer les robots, je me demande dans quel monde nous vivons. C'est en mettant des robots qu'on va sauver des usines et des salariés. Notre monde agricole est très fragmenté et ce débat est beaucoup plus complexe pour le monde agricole que le simple rapport industrie-commerce.

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Monsieur Puget, je vais proposer à mes collègues une dernière série de questions et je vais vous demander d'être synthétique car il nous reste dix minutes. Je vais d'abord donner la parole à M. Yves Daniel, ensuite à Mme Leguille-Balloy, à M. Leclabart et pour finir, à M. le rapporteur. Je vous demande donc vraiment d'être concis.

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Vous avez, dans votre propos liminaire, listé un certain nombre de lois dont une partie a été votée alors qu'une partie d'entre nous n'étions pas nés. Cela me plaît bien de revenir en arrière et de me dire qu'un certain nombre de lois gèrent ou en tout cas participent à gérer notre société et en particulier toutes ses relations commerciales, tout ce commerce et ce marché d'une manière générale.

Certaines lois que vous auriez pu évoquer sont plus récentes, mais cela montre bien qu'on vote de nouvelles lois mais qu'il y en a toujours qui sont actives, qui ont été votées il y a très longtemps et peuvent être utilisées par notre système juridique ou judiciaire et par tout le monde. On parle beaucoup de la LME, loi qui était censée améliorer les choses mais qui a favorisé la grande distribution et a participé aux déséquilibres dans les relations commerciales. On vote de nouvelles lois sans en enlever certaines qui posent problème. Lesquelles posent problème et sur lesquelles ou à partir desquelles faudrait-il travailler pour gagner en efficacité ?

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Merci Monsieur Daniel. Je vais donner la parole à Mme Leguille-Balloy pour une question concise. Merci.

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Merci Madame la présidente, je reviens sur ce que vous venez de dire, Monsieur, par rapport à la réaction des distributeurs au contexte actuel. Vous venez aussi de parler de la responsabilité et de ce qu'il peut y avoir entre le producteur et la grande distribution. Je pense que tout le monde en est conscient, même les consommateurs et nous, les députés. On recherche la rémunération des agriculteurs et on rencontre de plus en plus de contrats bipartites entre des indépendants de la grande distribution et des agriculteurs, ce qui témoigne d'un changement de pratiques. Mes deux questions sont les suivantes : voyez-vous cette tendance prendre de plus en plus d'importance en France ? Vous êtes en train de dire qu'il y a un problème d'embauche. Je vais juste vous donner un détail : je suis de Vendée, où 29 000 emplois sont recherchés en agroalimentaire. Quel est le problème ?

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Merci Madame la députée. Monsieur Leclabart, si vous voulez bien poser votre question.

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Ma question porte sur le poste EGAlim. Quand je discute avec les propriétaires de magasins indépendants de type Leclerc et Intermarché, ils me disent clairement que toute façon, ils n'ont pas d'autre choix que de s'adapter à la loi. En termes clairs, la loi est faite pour être interprétée. Je constate qu'actuellement, ces distributeurs essaient de ne pas perdre de chiffre d'affaires et surtout pas de marge. Et tous les moyens sont bons, y compris, ce qui est assez nouveau dans mon département en tout cas, l'ouverture de toutes les grandes surfaces et tous les hypermarchés le dimanche. J'ai l'impression que, d'une manière ou d'une autre, ils vont s'adapter et trouver des produits tels que le bio pour pouvoir à la fois augmenter leur chiffre et surtout leur marge et que nous allons assister à une concurrence encore plus féroce au détriment du petit commerce.

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Je vous remercie. Nous écoutons M. le rapporteur pour terminer.

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Je ne suis pas spécialement d'accord avec ce que vous avez dit. Vous expliquez que ce n'est pas de la faute de la distribution si aujourd'hui les prix sont bas, si aujourd'hui l'industriel n'arrive pas à embaucher et à faire de la R&D et si nous ne sommes pas les champions européens et internationaux.

Chez LSA en 2015, vous avez fait 1,6 million de chiffre d'affaires, et 2,3 millions en 2016. J'espère que vous avez aussi fait une bonne année en 2017 et en 2018. Il y a eu de la croissance. Aujourd'hui, on s'aperçoit que depuis cinq ans, il n'y a pas de croissance. Les quatre au milieu font la pluie et le beau temps. Comment voulez-vous expliquer aux gens qu'ils devraient faire de la R&D, qu'ils devraient embaucher, qu'ils devraient croître, qu'ils devraient exporter alors qu'on serre la vis au maximum et qu'on est en permanence en déflation, c'est-à-dire qu'on empêche l'outil de se développer. Aujourd'hui, l'outil ne se développe pas ; on ne parle que de prix bas alors que le gros travail du législateur consiste à faire en sorte que le prix soit « juste ». La différence entre « bas » et « juste » est colossale. Ma question est la suivante : est-ce que d'après vous, ce combat ne consisterait-il pas à aller vers un prix qui soit juste pour l'industriel, l'agriculteur, la grande distribution mais aussi pour le consommateur ? Ne pensez-vous pas que le consommateur ne paie pas son panier trop peu cher et devrait payer son panier à un prix juste et non pas à un prix bas ?

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Merci Monsieur le rapporteur. Monsieur Puget, vous avez à peine plus de cinq minutes pour répondre à toutes ces questions.

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

Avant de parler du prix juste, je parlerai du chiffre d'affaires juste : ce n'est pas du tout notre chiffre d'affaires, il est beaucoup plus gros, mais ce n'est pas grave. Je vous confirme en revanche qu'il est en croissance.

Je rebondis sur ces propos. La LME a rempli ses objectifs. En gros, la loi change tous les deux ou trois ans. Le problème, c'est le pouvoir d'achat, et c'était le cas au moment de la LME. Les prix sont trop élevés. On bouge le curseur et on le place en faveur du pouvoir d'achat pour baisser les prix. Quatre ou cinq ans plus tard, le constat est que cela a des conséquences sur l'emploi, sur l'industrie et sur la R&D et on fait une nouvelle loi en disant que l'on va remettre le curseur de l'autre côté car il faut protéger l'emploi. Cela fait vingt ans que ça dure, un coup à droite, un coup à gauche, sans parler politique.

Que se passe-t-il aujourd'hui ? Il faut que cela change. Je ne suis pas pour le prix bas, je suis contre la guerre des prix mais avec une loi tous les quatre ans, la loi est posée la première année, les industriels et les distributeurs travaillent tranquillement pendant deux ans et ensuite il y a un an de travail pour parler d'une nouvelle loi. Que se passe-t-il ? Les fédérations, les industriels et les distributeurs entre eux, au lieu de se focaliser par exemple sur la manière de faire des codes de bonnes pratiques, de bonne conduite et de mieux travailler ensemble, sont tous en train de dire : « On va faire une nouvelle loi… ». Quant aux multiples gouvernements qui se sont succédé, je conseillerais de commencer par arrêter de mettre des noms de députés ou de ministres à des lois. Ainsi, il y aura peut-être un peu moins de lois car elles ne porteront plus leur nom.

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Les lois ne portent plus le nom de leur ministre mais par contre, cela n'a pas fait baisser le nombre de lois.

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

Le prix juste, malheureusement, est beaucoup plus compliqué.

J'ai envie de croire aux accords tripartites. Certaines enseignes les signent car ils correspondent à une demande. C'est très bien. Dû au grand nombre de fournisseurs, c'est compliqué pour tous les distributeurs de signer avec tout le monde. Mais qu'est-ce qui vous dit que dans quatre ou cinq ans, il n'y aura pas quelqu'un d'autre à notre place qui dira : « C'est quand même scandaleux, c'est quoi, ces ententes verticales ? ». Nous ne sommes pas loin de l'entente verticale.

Tout cela pour dire que les objectifs des pratiques et des lois bougent selon les moments, selon les objectifs des gouvernements et selon les contraintes économiques du moment. C'est là que réside la difficulté. Si j'ai un message à faire passer, c'est celui-ci : je souhaiterais que tout cela se calme, que la guerre des prix cesse. On pourrait parler des conséquences dévastatrices. La guerre des prix ressort aussi de la responsabilité des comparateurs de prix. Historiquement, un distributeur attendait le panel international qui, une fois par mois, faisait relever le prix ; les comparaisons suivaient. Aujourd'hui, c'est une guerre des prix en temps réel. Les comparateurs de prix sont dévastateurs. Ce ne sont pas les distributeurs qui les ont inventés. Leclerc fait le sien mais il y en a beaucoup d'autres. Le premier à avoir utilisé des comparateurs de prix et à avoir changé tous ces prix quasiment en temps réel est Amazon. Ce sont les gens du digital qui essaient d'imposer le prix unique. Je suis contre cette pensée du prix unique selon laquelle le prix d'Internet doit être le prix du magasin.

Un magasin a besoin de vivre, il a des coûts supérieurs, des coûts salariaux notamment, et doit donc logiquement être un peu plus cher ; c'est aussi au consommateur de le comprendre.

Je pense que nous avons un vrai problème au niveau de l'embauche. Pour avoir discuté avec des distributeurs, c'est le même débat. Demander à un distributeur de recruter dans les métiers de bouche pose une vraie difficulté. Nous avons un problème historique de formation, de l'apprentissage en France, un vrai problème d'embauche. En outre, il faut arrêter de détruire des métiers. Une émission de télévision totalement stupide sur le food bashing passe toutes les semaines à la télévision. Le résultat est que les jeunes n'ont plus envie d'aller travailler dans l'industrie agroalimentaire. Le problème est global et médiatique, il réside dans la formation. Je n'ai pas la martingale pour le résoudre.

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Je vais juste vous rappeler deux questions : celle de M. Leclabart sur l'adaptation à la perte de marge et donc l'ouverture plus large des commerces, et celle de notre rapporteur sur les problématiques d'investissement dans les outils de production.

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

Le rêve de tous les hypermarchés n'est surtout pas d'ouvrir tous les dimanches, cela coûterait trop cher et ne serait pas rentable. En revanche, d'ouvrir plus simplement et plus souvent, certainement. En face, Internet se développe. Sur l'alimentaire, sur ce que l'on appelle les produits de grande consommation, Amazon pèse 400 millions d'euros de chiffre d'affaires, ce qui n'est pas énorme. Pour vous donner une idée, cela correspond au chiffre d'affaires des deux plus gros hypermarchés en France. Mais ce chiffre progresse très fortement.

Concernant le dimanche, pour de l'égalité de concurrence, les distributeurs parlent à juste titre d'égalité fiscale face à l'e-commerce mais il y a aussi l'égalité des pratiques du métier qui comprennent les heures d'ouverture. Nous parlions de déréférencement. Pourquoi peut-on déréférencer en une seconde sur Internet alors que très justement, il y a des procédures dans les magasins. Voilà en quoi consiste l'égalité.

Pour terminer sur les ouvertures, il serait bon de les simplifier. Un patron de magasin voit bien qu'il ne sert à rien d'ouvrir certains dimanches, alors que c'est réellement utile dans d'autres lieux. Aller expliquer à certains commerces parisiens de proximité qu'ils ne peuvent pas ouvrir en nocturne est dramatique pour eux. Je ne suis pas pour une ouverture généralisée, cela n'a aucun sens humain, social et économique, mais je suis pour plus de facilité pour des commerçants qui sont tout simplement près de la ligne rouge.

Les investissements constituent un point très important. La France était un modèle. Nous avons en France un très large choix, avec beaucoup de références. C'est un pays où historiquement, beaucoup de marques anglaises, hollandaises ou américaines testaient des produits. Or aujourd'hui, on voit des grands groupes, des multinationales de l'agroalimentaire ou de l'hygiène, la beauté et l'entretien qui ont envie de désinvestir en France car le marché est trop compliqué au niveau de la grande distribution, nous sommes d'accord, mais aussi au niveau des lois et des taxes. On voit que de grands groupes industriels se posent des questions et je trouverais très dommage de voir cette R&D partir de la France.

Au passage, car je tiens à « l'égalité » entre industries et commerces, qui sont tous deux mes lecteurs, je me pose la question : sans la grande distribution, pensez-vous qu'on aurait l'Oréal, Pernod Ricard, Danone ? Ils ont connu de la croissance ensemble, c'est ce qui a permis le départ de l'Oréal, de Pernod, etc. à l'international pour vivre sans la France. Malheureusement, rester en France leur coûte plus que cela leur rapporte car le marché français est très dur. Mais la grande distribution a aussi permis l'éclosion de géants français et il reste de belles PME. Vous êtes en Loire-Atlantique. Si vous descendez un peu plus bas en Vendée, allez du côté de Sodebo, il va très bien. Fleury Michon va un peu moins bien mais il y a encore de belles entreprises.

L'investissement est une vraie préoccupation car les marchés qui n'innovent pas sont forcément des marchés qui régressent.

Pour terminer, j'ai pris cet exemple du lait un peu en souriant sur l'innovation mais le marché du lait allait très mal au début des années 1990 et c'est l'innovation qui, à cette époque, a permis au lait de rebondir. Les marchés où le leader n'innove pas sont des marchés qui régressent. Si on ne donne pas les capacités au leader d'innover, on va droit dans le mur.

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Je vous remercie Monsieur Puget. Nous allons entendre une dernière fois le rapporteur avant de conclure.

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Je voulais juste rebondir sur ce que vous venez de dire en expliquant que l'équilibre entre la grande distribution et les industriels de l'agroalimentaire était bien sûr nécessaire mais que nous étions en train de dériver comme les chiffres le montrent. Vu le nombre d'auditions que nous avons menées, nous nous en apercevons. La grande distribution est en train de prendre le pas sur l'industriel, la MDD est en train de prendre le pas sur l'industriel et nous sommes en train de dériver vers un marché qui est le marché allemand de type Lidl. La marque est en train de disparaître à l'avantage non pas de la MDD mais de la marque d'enseigne. La crainte est là : l'équilibre est complètement en train de s'inverser et la marque disparaît au fur et à mesure. Quand la marque disparaîtra, c'est notre R&D qui disparaîtra, c'est notre capacité d'innovation qui disparaîtra, ce sont nos usines qui disparaîtront car elles seront « maîtrisées » par quatre ou peut-être, dans le futur, deux géants de l'agroalimentaire qui seront aussi distributeurs.

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Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA Conso

Ne vous inquiétez pas, la France est un pays de marques, il y aura toujours des marques. Les magasins ont essayé d'augmenter le taux de marques de distributeur et les consommateurs sont partis. Les marques sont fortes, fort heureusement.

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Je vous remercie Monsieur Puget pour votre éclairage, pour avoir répondu à nos questions et pour vous être déplacé jusqu'à nous. Merci beaucoup.

La séance est levée à dix-heures dix.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 23 mai 2019 à 9 heures

Présents. - M. Grégory Besson-Moreau, M. Yves Daniel, M. Daniel Fasquelle, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Cendra Motin, M. Hervé Pellois

Excusé. - M. Thierry Benoit