Mardi 11 février 2020
La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.
Présidence M. Bruno Studer, président
La commission des Affaires culturelles et de l'Éducation poursuit l'audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, sur la diplomatie culturelle et d'influence, débutée le 22 janvier 2020.
Nous accueillons à nouveau M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Je vous remercie, monsieur le ministre, d'être venu achever l'échange engagé avec notre commission le 22 janvier dernier pour répondre aux questions restées en suspens en raison de l'heure tardive.
Pris par le temps, j'avais dû, en effet, couper court à l'audition. Je répondrai maintenant aux questions restées en suspens, et pour commencer à Mme Constance Le Grip qui m'avait interrogé sur l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (ALIPH).
L'archéologie est un élément essentiel de notre diplomatie d'influence, et nous faisons face à une forte concurrence internationale. J'ai sous ma responsabilité 162 missions de fouilles archéologiques travaillant dans soixante-dix-huit pays. L'ALIPH est née d'un partenariat entre la France et les Émirats arabes unis visant à reconstruire et protéger le patrimoine détruit ou endommagé dans les zones de conflit. L'Alliance, à ce jour dotée de 80 millions de dollars, dont 3 millions par la France, a été créée en 2016. Depuis sa mise en oeuvre en 2018, quarante-trois projets ont été lancés dans quatorze pays, engageant 17 millions de dollars. Je citerai en particulier la réhabilitation du musée de Raqqa en Syrie ; l'initiative « Mosaïque de Mossoul » visant à restaurer six lieux de culte ou historiques de la vieille ville ; le musée national de Tripoli ; la restauration du tombeau des Askia au Mali ; la réhabilitation du monastère de Mar Behnam en Irak ; la sauvegarde du minaret et des vestiges archéologiques de Djam en Afghanistan ; le projet de restauration du palais Al-Badr à Taïz au Yémen. L'ALIPH, qui fonctionne bien, est un bon vecteur d'influence et de présence de la France.
M. Philippe Berta et Mme Danièle Hérin m'ont interrogé sur notre diplomatie universitaire et scientifique. Aux côtés du ministère de l'Enseignement supérieur et avec la participation de l'opérateur Campus France, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères agit dans trois directions. Je mentionnerai d'abord l'appui du réseau de coopération universitaire et scientifique aux établissements français d'enseignement supérieur pour la création et le suivi de leurs propres partenariats. Dans nos postes, cinq conseillers scientifiques et quatre-vingt-quinze experts assument cette responsabilité. Nous assurons d'autre part la promotion de l'expertise française en appui aux filières d'enseignement supérieur des pays concernés. Quarante experts techniques internationaux sont à cette fin sous la responsabilité de l'agence publique Expertise France, elle-même placée sous la tutelle du ministère. Nous agissons enfin en appuyant les établissements français à l'étranger par la délocalisation de l'offre de formation et en en accroissant le nombre. Je souligne le rôle des établissements français à l'étranger internationalisés, dont l'exemple le plus connu est La Sorbonne Université Abu Dhabi. Lancée il y a deux ans, elle fonctionne de manière très satisfaisante, je l'ai constaté en personne il y a peu de temps. La formation qui y est assurée est ouverte aux étudiants d'Abu Dhabi et aux étudiants internationaux ; la qualification du diplôme est très valorisante.
Nous avons engagé en Afrique trois projets significatifs. L'Université franco-tunisienne pour l'Afrique et la Méditerranée a été installée à la rentrée 2019. L'objectif est de créer à partir de cette université sise à Tunis un hub régional d'enseignement supérieur pour former les futures générations d'entrepreneurs et de cadres supérieurs dont l'Afrique et l'espace méditerranéen ont besoin. Les disciplines enseignées sont les sciences humaines et sociales, la gestion de l'environnement et des métiers de l'eau, la science des données et ces nouveaux métiers de l'informatique. L'offre certifiante, nouvelle et performante, permet la collaboration entre l'appareil universitaire tunisien et les grandes universités françaises partenaires que sont l'École normale supérieure de Paris-Saclay, l'École nationale supérieure de techniques avancées et l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
Dans le même esprit, nous avons créé avec les autorités sénégalaises, à la rentrée 2019, l'Université franco-sénégalaise qui permet des qualifications et des formations de haut niveau menant à des diplômes qualifiants français contribuant à l'attractivité de notre présence internationale. Le hub universitaire de Yamoussoukro, en Côte d'Ivoire, est un partenariat spécifique permettant de dispenser des formations universitaires significatives. Nous souhaitons faire de ce dispositif le modèle de référence pour l'avenir du développement de l'enseignement supérieur français, en particulier en Afrique ; voilà qui répond à la question que m'avait posée Mme Danièle Hérin. J'ajoute que nous avons ouvert en Côte d'Ivoire, il y a peu, une école de code informatique pour permettre aux jeunes Ivoiriens de se former aux sciences du numérique et de créer éventuellement des start-up en ce domaine.
En matière de diplomatie scientifique toujours, deux instruments placés sous la double tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères nous permettent d'agir. C'est d'abord l'Institut de recherche pour le développement, présent dans cinquante pays avec 2 000 agents, dont 851 chercheurs et 1 199 ingénieurs et techniciens qui s'intéressent à de nombreux domaines, en particulier la biodiversité, la santé, la sécurité alimentaire et l'agroécologie. C'est aussi le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement. Présent dans cent pays, il regroupe 800 chercheurs qui se consacrent essentiellement à la sécurité alimentaire et à l'agroécologie. Ces deux organismes de recherche permettent, sur place, des coopérations très positives et les synergies sur lesquelles m'interrogeait Mme Hérin.
J'ajoute que lorsque les États-Unis ont annoncé qu'ils renonceraient à appliquer l'Accord de Paris, le président de la République s'est dit déterminé à voir créé un programme susceptible d'attirer en France des étudiants et des chercheurs étrangers travaillant en sciences du changement climatique. Ce programme, dit MOGPA, lancée en juin 2017, a donné des résultats assez significatifs. Les candidatures de 43 chercheurs de très haut niveau ont été retenues et ils ont rejoint des laboratoires français de pointe. D'autre part, 154 étudiants et chercheurs internationaux ont été accueillis en doctorat et en post-doctorat pour des travaux de recherche en sciences du changement climatique et de la transition énergétique ; quarante-huit nationalités sont représentées. C'est une manière supplémentaire de mener la diplomatie universitaire et scientifique.
M. Jean-Jacques Gaultier m'avait questionné sur l'enseignement du français en Tunisie. J'ai déjà traité de l'Université franco-tunisienne, joyau de l'engagement de la France en matière d'enseignement supérieur, mais la Tunisie est un laboratoire de la présence de la France et de la langue française. Elle accueillera en décembre prochain le 18ème sommet de la francophonie, qui marquera le cinquantenaire de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). La Tunisie sera alors le premier pays du Maghreb à accueillir un tel sommet, et le deuxième pour un pays arabophone, après le Liban en 2002. Quatre-vingt-huit États sont membres de la francophonie, dont vingt-six observateurs. Cela dit l'ampleur de ce réseau et l'importance de cet événement. Il y a aujourd'hui quelque 300 millions de francophones dans le monde et l'on estime que ce nombre doublera assez rapidement, particulièrement à partir de l'Afrique, théâtre du développement de la langue française à l'avenir. Nous devons renforcer nos efforts pour que le français devienne la langue de la mobilité intra-africaine. À ce jour, il y a relativement peu d'échanges entre les pays africains ; mais, alors qu'ils viennent de se doter d'un traité consacrant la zone de libre-échange continentale africaine, la diffusion de la langue française peut contribuer au renforcement des partenariats régionaux. Le développement de la langue française en Tunisie est assez significatif : depuis la visite du Président de la République en Tunisie, en janvier 2018, six alliances françaises y ont été créées et quatre écoles françaises ont été ouvertes à la rentrée dernière.
Après que le Président de la République a pris l'engagement, lors du discours qu'il a prononcé à l'Académie française, que le nombre des élèves en français double dans le monde à l'horizon 2030 pour passer de 350 000 à 700 000, une série de mesures ont été prises. Certains pays sont particulièrement réactifs, la Tunisie en particulier ; j'ai moi-même inauguré une des écoles ouvertes dans ce cadre. Nous devons nous astreindre à faciliter l'homologation des projets d'ouverture d'écoles et à accélérer la validation de l'enseignement. La Tunisie est un exemple particulièrement réussi de ce qui est en train de se passer dans le développement de la langue française à l'étranger.
M. Cédric Roussel m'avait interrogé sur la diplomatie sportive. Le 30 avril 2019, j'ai nommé Mme Laurence Fischer, par ailleurs triple championne du monde de karaté, ambassadrice pour le sport. Son rôle est de mobiliser le réseau diplomatique et le réseau de coopération sur les sujets relatifs à l'attractivité de notre territoire en matière de grands événements sportifs ; de renforcer le positionnement des entreprises françaises sur les marchés liés au sport et aux grands événements ; d'améliorer la représentation française dans les grandes instances internationales ; de faire que les programmes de développement intègrent la dimension sportive, en particulier en direction de la jeunesse. Ces priorités se traduisent dans les faits, je puis en attester pour avoir signé deux accords en vue de l'insertion des jeunes et de politique de développement en direction de la jeunesse à partir du sport, au Nigeria d'abord, avec la NBA, puis à Johannesburg. L'Agence française de développement (AFD) a pour mission de développer ce type de programmes et en particulier de renforcer par le sport l'autonomisation des femmes.
Enfin, l'ambassadrice du sport mène une action essentielle pour ce qui concerne les grands événements internationaux à venir : Jeux olympiques de Tokyo, Jeux de la Francophonie de Kinshasa en juillet 2021, Coupe du monde de football, Coupe du monde de rugby en France et, évidemment, Jeux olympiques de Paris. La « diplomatie sportive », champ nouveau de l'action du ministère, commence à prendre forme ; elle vise à renforcer l'influence internationale de notre pays et son attractivité tout en contribuant aux politiques de développement en intégrant le sport, dimension essentielle.
Mme Danièle Cazarian m'avait interrogé sur les objectifs de l'Institut français. Comme je vous l'avais indiqué, mon collègue Franck Riester et moi-même avons réuni son conseil d'orientation stratégique le 13 janvier dernier. Les orientations retenues sont l'accompagnement et le rayonnement des industries culturelles et créatives (ICC) françaises et francophones, la promotion de la langue française et le renforcement de la démarche partenariale au service du développement international. Je souligne que la coopération et l'articulation entre l'Institut français Paris – qui est chargé de proposer prestations et accompagnement pédagogique culturel aux instituts français à l'étranger – et la Fondation Alliance française – dont la responsabilité principale sera désormais la labellisation des alliances – sont en passe de se réaliser alors qu'on les disait inatteignables ; je me réjouis de cette synergie. On compte 800 Alliances françaises et cent instituts français à l'étranger. De manière générale, ils travaillent bien ensemble. Leurs missions sont le plus souvent complémentaires, rarement concurrentes ; elles peuvent être complémentaires sur le plan géographique ou en termes de prestations. Toutes et tous mènent des actions visant à diffuser et à promouvoir la langue française et les valeurs de notre pays.
M. Maxime Minot m'avait interrogé sur l'enseignement français à l'étranger. Il existe trois types d'établissements, dont soixante-et-onze sont gérés directement par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger – l'AEFE. Les établissements conventionnés sont gérés par des associations mais validés par l'AEFE ; ils sont au nombre de 155. Enfin, 522 établissements partenaires sont labellisés par l'AEFE mais leur autonomie de fonctionnement est beaucoup plus forte. Vingt-neuf établissements ont été ouverts depuis 2018, et le nombre d'élèves de l'enseignement français à l'étranger a augmenté : ils sont désormais 370 000, à 60 % étrangers. Ces établissements ont donc une double vocation : rendre service à nos compatriotes établis à l'étranger avec leurs enfants et être un outil d'influence et de formation pour les élèves des pays considérés.
Les personnels de ces établissements travaillent sous trois types de statut. Certains, titulaires de l'Éducation nationale recrutés par l'AEFE et détachés auprès de l'Agence pour être mis à disposition des établissements concernés, ont le statut d'expatriés. Ils sont relativement peu nombreux : ce statut concerne surtout les fonctions d'encadrement. En tout, 6 091 agents sont détachés du ministère de l'Éducation nationale ; une partie sont des expatriés, une partie sont des résidents. Par ailleurs, 38 793 agents sont des personnels de droit local, dont le recrutement a été validé par l'AEFE sur proposition des autorités des établissements concernés. Dans les établissements d'enseignement français à l'étranger travaillent donc des personnels sous trois statuts différents. Nous voulons renforcer la formation pour tous les recrutés locaux, qui peuvent être français ou étrangers et qui sont parfois des titulaires de l'Éducation nationale. La réforme que nous avons décidée tend à augmenter le nombre d'établissements et, parallèlement, celui des enseignants, en favorisant les recrutements locaux. Mais la labellisation des établissements restera de la responsabilité de l'AEFE, seule à même de certifier la qualité du corps enseignant qui y officie. Nous avons prévu des dispositifs de formation par grandes régions pour permettre à ces personnels de mieux se former et de répondre ainsi aux préoccupations et aux demandes exprimées à ce sujet.
M. Stéphane Testé m'avait interrogé sur la situation des bacheliers étrangers qui, ayant réalisé tout ou partie de leur scolarité dans un établissement français à l'étranger, choisissent de poursuivre leurs études supérieures en France. Ils sont 43,7 % dans ce cas. Les élèves étrangers provenant d'un pays extracommunautaire titulaires d'un baccalauréat français reçoivent le même traitement qu'un élève français ou européen quand ils choisissent de faire leurs études supérieures en France. Ils doivent donc obtenir un visa d'études et s'intégrer dans le dispositif Parcoursup. Ils sont accompagnés dans cette démarche par Campus France, qui le fait assez bien ; je m'en suis rendu compte par deux fois, en Amérique du Sud et en Asie. C'est aussi un grand enjeu d'influence.
Mme Elsa Faucillon avait mentionné le cas de Mme Cécile Lebrun, enseignante en Égypte, et de son mari, M. Ramy Shaath, emprisonné dans ce pays. Je suis ce dossier de près : nous assistons dans ses démarches Mme Lebrun qui voudrait rendre visite à son époux, mais les choses sont compliquées. Leur cas a été rappelé plusieurs fois à la présidence égyptienne, y compris lorsque le Président de la République s'est rendu au Caire.
Lorsque j'ai accompagné le Président de la République en Pologne la semaine dernière, nous avons engagé une discussion avec les autorités visant à assurer au lycée français de Varsovie un cadre juridique solide. Si, d'aventure, ces discussions n'aboutissaient pas, l'AEFE prendrait provisoirement l'établissement en gestion directe ; mais l'état d'esprit qu'ont manifesté les autorités polonaises me fait penser que l'on pourra régler la question.
J'en viens aux questions portant sur la place de France Médias Monde (FMM) dans la future holding prévue par la réforme à venir de l'audiovisuel public. J'ai souhaité l'intégration de FMM dans cette nouvelle organisation et ce choix a été retenu lors des arbitrages rendus par le Premier ministre. Le Quai d'Orsay sera étroitement associé à la gouvernance du nouvel ensemble : c'est très important, car il ne faudrait pas que l'audiovisuel extérieur soit la variable d'ajustement du dispositif – j'y insiste alors que vous allez entamer l'examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique.
Monsieur Nadot m'avait interrogé sur la situation de France 24. Cette chaîne est une belle réussite, comment en témoigne le doublement du temps de diffusion en arabe, sa quatrième langue. Elle est diffusée en français, en anglais, en espagnol et en arabe. Je souhaite que sa diffusion s'élargisse dans les autres langues que le français. J'ai ouvert le bureau de la rédaction de France 24 à Bogotá en 2017, et j'ai constaté en me rendant à Mexico il y a quelques jours que son audience est très forte. Cette chaîne donne une information fiable, diffuse la culture française et une certaine conception de l'information ; c'est particulièrement utile dans certains pays.
Je vous l'avais dit, je ne suis pas favorable à ce que l'AFD verse une subvention de fonctionnement à FMM : je considère que ce financement doit rester couvert par la contribution à l'audiovisuel public. En revanche, je suis tout à fait favorable à ce que l'AFD finance des projets qui contribuent au développement des médias des différents pays.
Enfin, en matière audiovisuelle toujours, la bataille numérique est un enjeu stratégique crucial pour notre pays, ce pourquoi le développement des ICC est une priorité pour mon ministère comme pour celui de la culture ; Franck Riester et moi y travaillons de conserve. C'est un terrain d'affrontement mondial majeur, et en tout cas d'influence. Si nous ne sommes pas au rendez-vous, nous risquons de nous faire dominer par d'autres outils, américains ou d'autres provenances, qui nous feraient perdre notre capacité d'influence sur plusieurs pays. Il importe d'être extrêmement vigilant et nous le sommes, même si nous travaillons avec les moyens financiers qui sont les nôtres.
« Mais comment résister à Netflix ? » m'a-t-on demandé. On le peut en mettant en oeuvre la directive sur les services de médias audiovisuels et la directive sur le droit d'auteur et les droits voisins. Leur transposition permettra l'entrée en vigueur de l'obligation de diffuser 30 % d'oeuvres européennes, et de l'obligation de financer la production française et européenne à hauteur de 25 % pour les services de vidéo à la demande. C'est un progrès considérable ; ces instruments appuieront la présence de nos ICC dans le monde et soutiendront nos exportations dans de nombreux pays qui ne demandent que cela, l'attractivité des productions françaises étant très forte dans différents domaines, le cinéma en particulier – ainsi de l'Inde, pays avec lequel nous avons un partenariat intéressant. La création par Bpifrance d'un « Fonds ICC » y aidera. La réponse peut être aussi industrielle, et le lancement de la plateforme de vidéo à la demande Salto qui réunira à l'été France Télévisions, TF1 et M6 contribuera à concurrencer Netflix. C'est une bonne manière de continuer d'être présent et de développer notre modèle de création audiovisuelle et cinématographique.
Mme Sandrine Mörch avait insisté sur l'importance de la culture comme arme de prévention du terrorisme ; c'est en effet crucial et cet aspect participe également de la diplomatie d'influence. Cela suppose de travailler avec des universitaires et des acteurs culturels locaux pour que le partenariat, avec le monde arabe en particulier, serve aussi à développer un islam modéré et permette de combattre indirectement le terrorisme. Je pense en particulier aux Émirats arabes unis : lorsque je me suis rendu à La Sorbonne Abu Dhabi, il a nous a été suggéré de travailler ensemble à l'enseignement dans ce pays d'une approche critique et raisonnée de l'islam et du fait religieux. Cela contribue à cette dynamique, et ce sera aussi le cas à Tunis. D'évidence, l'importance de la culture dans les échanges est plus grande que jamais.
Je vous remercie, monsieur le ministre. Et puisqu'il nous reste un peu de temps, je donne la parole à quelques collègues.
L'inauguration du Louvre Abu Dhabi et d'antennes du Centre Pompidou à Malaga, Bruxelles et Shanghai montre que notre diplomatie muséale est devenue un marqueur fort de la politique culturelle française à l'étranger. Elle permet de faire rayonner nos grandes institutions culturelles et d'attirer des visiteurs supplémentaires en France. Pouvez-vous nous en dire plus sur les bénéfices de cette politique ? D'autres projets d'exportation de notre savoir-faire muséal sont-ils prévus ?
Le Louvre Abou Dhabi est une réussite exceptionnelle par la qualité architecturale du site et par la qualité muséographique de l'établissement. La vocation de ce « musée monde » n'est pas seulement d'accueillir des collections du Louvre à Paris ou des collections dont il peut lui-même acquérir la propriété ; c'est aussi de présenter des expositions sur de nombreux sujets, attrayantes pour l'ensemble du Moyen-Orient et donc vecteurs d'attractivité touristique pour Abu Dhabi. Ce musée, qui devait répondre à de nombreux critères, s'installe remarquablement dans la durée : on dénombre certains jours jusqu'à 13 000 visiteurs, venus de partout.
C'est un bon exemple, et nous voulons proposer que le Louvre Abu Dhabi, né d'un partenariat entre le Louvre et les Émirats arabes unis, devienne un outil de développement de prestations d'ingénierie pour d'autres projets. Nous y travaillons pour le grand musée national du Caire en construction ; nous avons un partenariat significatif dans le domaine archéologique dans ce pays, et nous souhaitons faire en sorte que le musée du Caire soit aussi un bon exemple muséal. Nous sommes aussi en relations avec Addis-Abeba où, depuis le changement de régime politique, des projets sont envisagés pour lesquels une forte demande d'ingénierie muséale nous est faite.
Je mentionnerai enfin l'oasis d'Al Ula, à laquelle l'Institut du monde arabe consacre une exposition que je ne saurais trop vous recommander d'aller voir. Les autorités saoudiennes veulent mettre en valeur, par un impressionnant projet de revitalisation, un site pré-islamique et pré-arabe resté jusqu'à présent enfoui – ce qui, en termes idéologiques, marque une rupture. Il s'agit de faire un lieu d'exploitation touristique d'une région spectaculairement intéressante sur les plans archéologique, historique et géographique. Le roi d'Arabie Saoudite a confié à la France la responsabilité de la définition et de la mise en oeuvre de ce projet en tout point exceptionnel : Al Ula, cité majeure des Nabatéens, c'est Petra décuplée. L'Agence française Afalula, présidée par M. Mestrallet, est chargée d'accompagner son partenaire saoudien dans la transformation de la région en une destination culturelle et touristique mondiale.
En ma qualité de secrétaire général parlementaire de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, je suis très heureux de vous avoir entendu évoquer l'ampleur de l'action que vous menez en faveur de la diffusion de la langue française, vecteur d'influence et de culture. Il paraît cependant incohérent que la France fasse sa promotion avec des slogans rédigés en anglais, tel Choose France ; j'ai fait part de mon incompréhension au Président de la République et j'aimerais connaître votre sentiment. Comme vous, je pense que la diplomatie d'influence s'exerce aussi à travers le sport, une composante de la culture. Le français est, selon la charte olympique, l'une des deux langues de l'olympisme ; comment comptez-vous faire entièrement respecter cette exigence ? Le retour du français dans les instances internationales vous semble-t-il possible après le Brexit ? Enfin, pouvons-nous encore gagner la guerre des idées alors que l'anglais est hégémonique ? La langue est bien plus qu'un moyen de communication : c'est un instrument politique qui véhicule des valeurs. L'égoïsme et le repli sur soi à l'oeuvre montrent que nous devons bien davantage favoriser le multilinguisme comme outil culturel, outil de promotion de notre pays et d'une certaine idée du monde.
Je souscris, bien sûr, à vos propos. Je vous l'ai dit, la langue française a une forte capacité de développement dans le monde à l'avenir, en Afrique en particulier, à condition que nous soyons au rendez-vous. Nous essayons de l'être avec vigilance, comme le montrent les initiatives que nous avons prises. La diffusion de la langue française sur le continent africain renforcera le développement. L'OIF enregistre sans cesse de nouvelles adhésions ; c'est un signe d'attraction et d'influence. La nouvelle donne européenne sera sans doute une opportunité pour respecter de manière régulière, systématique et vigilante, l'usage de la langue française dans l'ensemble des instances européennes ; nous menons ce combat qui n'est pas toujours facile, mais nous devons être intransigeants. Choose France marquait un événement particulier qui concernait pour beaucoup des Anglo-Saxons, mais le choix de ce slogan n'enlève rien à notre détermination générale, qui vaut aussi pour le respect du français comme l'une des deux langues olympiques.
Néanmoins, l'État doit être exemplaire dans le choix des slogans comme dans celui des mots… Mais c'est de musique que je vous parlerai, avec un satisfecit tempéré d'un bémol, si j'ose dire. Le Bureau export, qui accompagne le développement de la filière musicale française à l'étranger, vient de publier des chiffres très encourageants : 121 certifications export – en hausse de 92 % – qui concernent à 80 % des musiques électroniques devant l'urbain, la pop, la chanson, et plus de 5 000 dates de concerts de chanteurs et de musiciens francophones recensées dans le monde en 2019. En France, dix-neuf des vingt meilleures ventes concernent des albums produits en France et chantés en français. Nous avons donc une matière extrêmement forte et ce résultat est enthousiasmant. Le bémol, c'est qu'aucun de ces dix-neuf artistes ne figure dans les classements des ventes internationales. Comment développer nos ventes à l'étranger ? Compléterez-vous les financements de la filière, qui s'établissent actuellement à 2,7 millions d'euros ?
Cette question est plutôt du ressort du ministre de la culture, mais nous avons pris en compte la « diplomatie musicale », ce qui a conduit le ministère de l'Europe et des affaires étrangères à ouvrir en septembre dernier trois postes d'attachés musique à vocation régionale à Abidjan, Bogotá et Singapour. Ces ouvertures de postes témoignent de l'importance que nous accordons à ces exportations. La création musicale française est reconnue, mais il faut, vous avez raison, renforcer sa portée à l'étranger. Cela fait partie du combat que nous menons et participe de la priorité que nous donnons aux ICC dans les enjeux d'exportation dont j'ai la responsabilité partagée avec Franck Riester. Nous travaillons ensemble dans les domaines – musique, cinéma, architecture, jeux vidéo – dans lesquels nous avons une capacité à l'export, qu'il faut féconder au mieux.
La séance est levée à dix-neuf heures.
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Présences en réunion
Réunion du mardi 11 février à 18 heures
Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Géraldine Bannier, M. Philippe Berta, M. Bruno Bilde, M. Bertrand Bouyx, M. Stéphane Claireaux, M. Bruno Fuchs, M. Raphaël Gérard, M. Maxime Minot, M. Paul Molac, Mme Sandrine Mörch, M. Sébastien Nadot, M. Pierre-Alain Raphan, M. Cédric Roussel
Excusés. – M. Ian Boucard, M. Bernard Brochand, Mme Anne Brugnera, Mme Jacqueline Dubois, Mme Annie Genevard, Mme Constance Le Grip, Mme Josette Manin, Mme Sophie Mette, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Bertrand Sorre
Assistaient également à la réunion. – M. Jacques Krabal, M. Jean-François Portarrieu