La séance est ouverte à 19 heures.
Présidence de M. Éric Ciotti, président de la commission.
Mes chers collègues, nous recevons Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police.
Madame la directrice, permettez-moi de témoigner à nouveau, au nom des membres de la commission d'enquête, de notre soutien plein et entier.
Après avoir procédé à une première série d'auditions, nous avons souhaité vous entendre une nouvelle fois pour obtenir des précisions sur certains points.
Cette audition se déroule à huis clos, elle fera l'objet d'un compte rendu. Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Françoise Bilancini prête serment.)
L'objet de cette commission d'enquête n'est pas de faire le procès de quiconque mais d'œuvrer pour améliorer les procédures. Or les différentes auditions que nous avons conduites nous donnent le sentiment que, depuis votre prise de fonctions, le fonctionnement des procédures liées au recrutement, à l'habilitation et à la détection de la radicalisation est bien meilleur. Soyez donc rassurée quant au sens de cette audition.
Lorsque nous l'avons entendu, M. de Bousquet, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, nous a indiqué qu'un retour d'expérience (Retex) était prévu le 14 janvier. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est ressorti ?
Que pensez-vous des recommandations formulées en décembre par l'inspection des services de renseignement (ISR), notamment de la proposition de confier à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) toutes les enquêtes préalables au recrutement et à l'habilitation des personnels, y compris de ceux de la DRPP ?
Quel rôle joue l'officier de sécurité auprès du psychologue lors du recrutement des agents de la DRPP ? Ce rôle pourrait-il être renforcé, notamment pendant le déroulement de carrière ?
L'inspection des services de renseignement a recommandé de contrôler les habilitations des agents de la DRPP accordées avant votre arrivée en 2017. Avez-vous pris une telle mesure ? Quels en sont les résultats ?
Le Retex s'est déroulé devant la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT). Je ne peux, hélas, évoquer devant vous les éléments judiciaires car il appartient au parquet national antiterroriste (PNAT) de révéler le contenu du rapport de synthèse d'enquête et parce qu'une commission rogatoire est en cours – les premières auditions viennent de se dérouler.
S'agissant de la partie administrative du Retex, les mesures prises en interne à la préfecture de police ont fait l'objet d'une communication. Le préfet de police a insisté sur les mesures de sécurité bâtimentaire et sur le dispositif interne de remontée des signes de radicalisation, qu'il a formalisé dans une note du 7 octobre 2019, confirmée par une seconde datant du 11 janvier 2020.
Le flux ascendant se fait depuis les directions d'emploi vers une cellule spécifique placée auprès du cabinet du préfet de police. Une fois les signalements centralisés au cabinet, ils remontent à l'inspection générale de la police nationale (IGPN).
Dans sa dernière instruction, l'IGPN détermine le processus administratif de traitement des cas de radicalisation chez les forces de l'ordre. Un groupe d'évaluation centrale (GEC), sur le modèle des groupes d'évaluation départementaux (GED) mais traitant spécifiquement des fonctionnaires de police, centralise les signalements qui remontent des différents services – préfecture de police ou DGPN.
Après que l'IGPN a trié les dossiers, le travail d'évaluation peut commencer au niveau de chacun des services – la DRPP pour le ressort de la préfecture de police, le service central du renseignement territorial (SCRT), pour la DGPN et en tant que de besoin la DGSI. Il s'agit de caractériser la radicalisation, de mesurer le risque que fait peser le fonctionnaire sur le service. Il peut être décidé, en l'absence d'éléments probants, de ne pas poursuivre la procédure. Les autres cas remontent au GEC, où les services de renseignement rendent compte de leurs recherches.
La procédure débouche sur une décision administrative qui peut affecter le déroulement de la carrière du fonctionnaire. La décision, pour les cas les moins graves, peut être prise par la direction ou l'autorité d'emploi ; dans les autres cas, elle inclut l'avis de la commission créée par l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure.
La garde a été consolidée, les procédures d'accès des visiteurs ont été modifiées. J'ai instauré une « surcouche » de sécurité à la DRPP : les fonctionnaires entrés avec une carte d'agent dans le bâtiment de la préfecture de police devront, pour pénétrer dans notre service, être munis d'un badge que je serai la seule à délivrer. Seront autorisés à entrer principalement les fonctionnaires de la DRPP et les visiteurs appartenant à la police ou à un autre service de renseignement.
Les personnels d'entretien ne peuvent accéder aux locaux que dans des plages horaires restreintes et avec un badge supplémentaire. À mon arrivée, j'avais demandé qu'ils fassent l'objet d'un rétrocriblage, mais comme les effectifs ont été partiellement renouvelés – certains, en congé maladie, ont été remplacés –, un nouveau criblage sera effectué. L'entretien est assuré en régie ; employés par la préfecture de police, ces personnels portent déjà un badge spécifique qui leur permet d'accéder aux bâtiments.
Tous les prestataires sont-ils en régie ? Qu'en est-il des personnes chargées du nettoyage ?
Je ne sais pas s'ils appartiennent à la préfecture de police ou s'il s'agit d'un héritage des personnels de la ville ; une chose est sûre, ils ne sont pas employés par une société privée et travaillent de façon permanente pour nous. Pour entrer dans notre service, ils doivent passer par l'un de nos bureaux, spécifiquement identifié, y déposer leur téléphone portable et leur carte d'identité avant de se voir remettre un nouveau badge. Les créneaux horaires dans lesquels ils peuvent être présents sont limités.
Ces mesures vont se renforcer, mais ce qui relève du bâtimentaire implique des changements lourds et longs. Nous avons déjà grandement amélioré les accès, nous continuons à doubler les portes, à construire des sas, toutes choses imposées par ailleurs par l'instruction générale interministérielle n° 1300 (IGI 1300). Nos locaux sont désormais une zone protégée.
Vous avez indiqué lors de votre première audition que vous aviez déjà restructuré les bureaux en faisant en sorte, par exemple, que les flux de visiteurs ne se mélangent pas.
Nous avons récupéré de nouveaux locaux et nous sommes en train d'appliquer des mesures de sécurité renforcées.
Non, ils étaient engagés depuis longtemps. Dès mon arrivée, j'ai souhaité entamer des travaux sur la partie sécurité des systèmes d'information et réseau, installer de nouveaux locaux, durcir les conditions d'accès. J'ai proposé en 2018 d'inscrire ces travaux au budget, ce qui a été validé : en octobre dernier, l'attribution de locaux clairement déterminés, la mise aux normes IGI 1300 du réseau étaient déjà en cours. L'attentat est intervenu alors que nous étions en pleine phase de durcissement et d'amélioration – depuis 2018 pour les bâtiments, depuis le commencement de l'année 2019 pour l'informatique. Ces améliorations se poursuivent, mais assez lentement, puisqu'elles impliquent des travaux lourds d'infrastructures et de câblages. Ces derniers doivent être effectués par des entreprises habilitées.
Parallèlement, nous avons introduit des modifications dans l'organisation, qui supposaient une nouvelle gestion des ressources humaines. Comme je vous l'ai indiqué lors de la première audition, je comprends aujourd'hui que Mickaël Harpon a nourri une certaine frustration devant ces évolutions. Il a vu passer un train qui allait un peu trop vite pour lui. Alors qu'il possédait des compétences qui lui étaient « personnelles » et qui correspondaient à un niveau d'exigence relativement peu élevé, il a assisté au changement de taille du service et à sa professionnalisation – aux côtés de policiers ou d'agents administratifs qui faisaient de l'informatique ont été recrutés comme contractuels des ingénieurs informaticiens dont c'était le métier.
J'ai été très prudente, car il est délicat de dire à des policiers qui ont très bien fait leur travail depuis des années : « Écoutez les gars, on monte à l'étage supérieur maintenant, on va prendre des gens différents ! ». J'ai eu la chance d'avoir devant moi deux personnes très allantes : le chef de section, que vous avez auditionné, et son adjoint, malheureusement décédé. Eux-mêmes m'ont dit qu'ils avaient besoin de ces changements et ils ont accueilli les jeunes ingénieurs à bras ouverts. Je voulais qu'il y ait dans la section, qui est en train de devenir un département, cette double culture.
Mickaël Harpon voulait participer à ce projet. Mais son handicap physique l'isolait et empêchait sa bonne compréhension lors des réunions de travail. Il avait demandé à bénéficier d'un interprète en langue des signes, ce qui n'était pas toujours possible. Lui-même voulait progresser : il avait l'intention de passer le concours de technicien des systèmes d'information et de communication (SIC). Il s'inscrivait donc dans une perspective de qualification, à la fois pour être associé au projet et pour améliorer sa rémunération, car il avait aussi des projets personnels – tout cela, je l'ai découvert après coup.
Avec l'arrivée de nouvelles recrues et d'outils performants, du niveau d'un service de renseignement, Mickaël Harpon a vu passer un train plus moderne, plus professionnel et plus complexe. Il a dû se sentir un peu perdu, probablement.
Combien de signalements avez-vous recensés depuis que la nouvelle procédure est en place ?
De la même façon que les signalements de radicalisation dans la population générale ont augmenté après chaque attentat, nous avons observé un pic des signalements dans la police après le 3 octobre. La préfecture de police comme la DGPN ont transmis des cas, que nous allons traiter.
Après le 3 octobre, j'ai fait un signalement qui concernait l'un des membres de mon personnel, mais il n'est pas fondé sur un problème de radicalisation.
Comme cela nous a été demandé, nous avons effectué la revue des cadres. Nous avions déjà commencé, avant même le 3 octobre, à réexaminer l'habilitation de personnels affectés à des missions particulières. C'est dans ce cadre que j'ai été amenée, après l'affaire Harpon, à prononcer trois retraits d'habilitation. Il convient d'y ajouter un refus d'habilitation, dans le cadre d'une enquête qui n'était pas achevée à cette date.
Nous avons décidé de demander au GEC d'évaluer l'un de ces cas. S'agissant d'un membre de ma direction, et par souci de neutralité et d'indépendance, l'enquête sera menée par un autre service. Les enquêtes de renseignement que nous déclenchons dans de pareilles circonstances sont parfois longues – celles que nous menons pour d'autres directions ont commencé pour certaines il y a plus d'un an. Cet agent n'est plus chez moi : il s'est vu retirer son habilitation et ne peut plus accéder à nos locaux.
Le préfet Lallement a parlé lors de son audition de 33 signalements depuis le 3 octobre. Son directeur de cabinet nous a indiqué quelques jours plus tard que leur nombre était passé à 36.
Nous avons beaucoup travaillé à la préfecture de police et des cas anciens sont ressortis : au 14 janvier 2020, 76 cas d'agents radicalisé avaient été pris en compte, dont 33 étaient clôturés.
Non, il y avait un stock. Certains cas remontent à assez longtemps. Comme je vous l'ai dit, nous ne sommes pas restés inactifs entre 2015 et 2019. Il existait déjà une procédure, avec un circuit plus court : les cas de radicalisation de personnels de la police étaient traités au niveau du cabinet du préfet de police, lors de réunions impliquant le préfet de police, la DRH et le directeur de cabinet. Le GEC spécialisé n'existait pas, mais ces cas étaient déjà pris en compte.
Non. Ces quatre cas correspondent à des retraits d'habilitation dont la cause n'est pas la radicalisation.
Non, aucun. Cependant, l'un de ces cas sera évalué à ma demande. Je ne peux pas vous communiquer les raisons précises du retrait, dont certaines sont liées à l'environnement personnel.
Oui. Il figure dans les 43 cas toujours en cours d'examen et a été soumis à évaluation à ma demande. Encore une fois, les quatre retraits ou refus d'habilitation n'ont rien à voir avec la radicalisation. En général, la vulnérabilité liée à notre métier est la cause principale des retraits : quelque chose, dans la personnalité, dans l'environnement personnel, dans les comportements, est incompatible avec l'habilitation et le travail dans un service soumis au secret de la défense nationale.
Les procédures d'habilitation relevant du ministère de l'Intérieur seront transférées dans un service unique au sein de la DGSI. Je n'ai pas d'observation particulière à ce sujet. Lorsque mon adjoint et moi-même avons pris la direction de ce service nous avons, à la demande du préfet de police alors en poste, consolidé juridiquement le dispositif de la DRPP d'enquête d'habilitation de ses personnels et de ceux relevant de la préfecture de police. Nous avons constaté immédiatement qu'il y avait un problème juridique et un risque de fragilisation. Cela a abouti à la signature d'un protocole avec la DGSI. Celle-ci l'a signé en connaissance de cause ; elle a dû estimer que la DRPP était capable, d'un point de vue technique et professionnel, de mener ces enquêtes. En effet, les agents qui en sont chargés ont été formés par la DGSI et toutes les enquêtes se déroulent conformément aux normes appliquées aux personnels de la DGSI. Le nouveau dispositif s'appliquera après le premier trimestre 2020, la DGSI devant au préalable régler des questions d'organisation de ses ressources humaines.
Oui. L'échéance a été fixée à la fin du premier trimestre ; la date devra être précisée avec la DGSI.
Au début de l'année 2019. En tout état de cause, la DGSI a estimé que nous pouvions mener les enquêtes. Nous les poursuivons donc ; certains dossiers sont en cours. Comme convenu, toutes les enquêtes que nous menons sont transmises à la DGSI. Celle-ci est en outre sollicitée au titre du travail de criblage que nous réalisons en amont des enquêtes.
Dès mon arrivée, j'ai mis un terme à la pratique qui consistait à se contenter d'un criblage des personnels de la DRPP : même si cela n'était pas illégal, j'ai considéré que le criblage était insuffisant pour les personnels d'un service de renseignement. J'ai ainsi décidé de mener des enquêtes reposant notamment sur un entretien individuel : j'ai organisé dès mon arrivée un service d'enquête dont les membres ont été formés selon des normes précises et chaque fonctionnaire fait face à deux personnes qui l'interrogent sur différents sujets propres à fournir des éléments concernant sa personnalité. Il appartient dorénavant à la DGSI de déterminer de quelle manière elle gèrera ces enquêtes.
Dès les premiers recrutements, entre la fin de l'année 2017 et le début de l'année 2018. Je n'ai bien évidemment pas pu organiser des enquêtes sur l'ensemble des personnels déjà en place. Mais dès mon arrivée, au mois d'avril 2017, nous avons procédé à des entretiens.
Ce dispositif entraînait un durcissement du secret-défense qui, outre les habilitations, englobe également les différents process de travail au sein du service et d'importantes règles de comportement. Comme je l'ai déjà dit à différentes inspections, lorsque j'ai instauré ce dispositif, un tract syndical a immédiatement été publié : cela n'a pas traîné et cela signifiait que le changement de culture était perceptible.
Dès avant l'affaire Harpon, nous avions engagé une revue des cadres, dont les quatre retraits ou refus d'habilitation évoqués précédemment sont issus. Nous avions un doute concernant ces personnels et nous avons approfondi notre enquête ; l'un des cas est un refus d'habilitation d'une personne qui venait de rejoindre nos services. La revue des cadres se poursuit, en particulier concernant les professions et les missions les plus sensibles.
Les procédures de recrutement ont également fait l'objet d'une préconisation de l'ISR. Dès mon arrivée a été instaurée une procédure consolidée s'appuyant sur un jury constitué de différents cadres de la direction. Tous les candidats sont reçus et interrogés sur les métiers de la DRPP et la perception qu'ils en ont. Chacun des responsables de service présent pose des questions en rapport avec la mission qui leur sera éventuellement proposée. À leurs côtés, des membres du service des ressources humaines disposent du dossier individuel de chaque candidat. Autant que faire se peut, nous sélectionnons des dossiers exempts de sanctions ; le cas échéant, nous examinons la nature de la sanction et les faits auxquels elle se rapporte. Enfin, j'ai recruté un psychologue contractuel qui est très au fait de ce que représente le fait de travailler sous le secret. En effet, lorsqu'on leur explique qu'ils vont faire l'objet d'une enquête assez intrusive afin d'obtenir l'habilitation, certains renoncent. D'autres estiment qu'ils ne pourront pas vivre avec le secret, sans pouvoir partager des éléments de leur travail avec leurs proches. Le psychologue nous aide à détecter ce type de vulnérabilité ; d'autres sont directement liées à la mission qui sera confiée au candidat. Le psychologue détermine alors avec précision l'emploi qui conviendra le mieux au candidat, notamment en fonction de sa résistance au stress.
L'ISR préconise de poursuivre ces pratiques, ce que nous faisons, et de créer un service de contrôle interne. Celui-ci s'exerce de différentes façons : d'une part, le contrôle interne passif qui porte sur les accès, les réseaux et l'informatique, et qui est en cours d'élaboration. D'autre part, le contrôle interne physique. Actuellement, je suis en mesure de diligenter une nouvelle enquête d'habilitation immédiatement, puisque le service est dans mon périmètre. À l'avenir, je devrai en faire la demande à la DGSI sur la base d'un dossier. Le service de contrôle interne, composé de fonctionnaires de la DRPP, observera le comportement et l'attitude des agents – par exemple s'ils laissent traîner des documents sur leur bureau. Les membres de ce service procèderont aussi à des revues de détails, pointant par exemple l'absence de signalement d'un changement de situation individuelle, qui constitue une alerte quant à la loyauté et la sincérité de la personne concernée. Ainsi, ce service vérifiera auprès des ressources humaines que les agents ont bien signalé qui son mariage, qui son PACS. C'est très important, parce que cela peut amener à enquêter sur le compagnon. Le service de contrôle interne sera amené à élaborer un certain nombre de pratiques et de règles, à la fois pour nous aider et pour orienter la DGSI dans les reprises d'enquêtes dont nous aurions besoin. Tout cela demande du temps, notamment pour mener à bien le recrutement de ces personnels, qui est en cours. La création de ce service permettra de rassembler l'ensemble des éléments qui devront être versés à un dossier. À terme, cela pourrait aboutir à un signalement pour radicalisation ou au réexamen d'une habilitation.
Dans le cadre du projet stratégique de la préfecture de police, l'ISR préconise également le renforcement de la sécurité des systèmes d'information, qui figurait dans ma lettre de mission en 2017. Ce renforcement est en cours ; un ingénieur de sécurité des systèmes d'information (SSI) a été recruté et encadre deux assistants locaux de sécurité des systèmes d'information (ALSSI). Nous avons durci les règles de comportement relatives à l'accès aux réseaux actuel et futur. Cela concerne notamment l'utilisation de clés USB, l'attribution des droits d'administrateur, etc.
Avec le précédent responsable de la SSI, nous avons lancé la diffusion d'une lettre mensuelle de sensibilisation aux enjeux et aux règles de la SSI. Nous effectuons également des rappels des bonnes pratiques et nous procédons à des tests : des pièges sont tendus, afin d'observer la réaction des fonctionnaires, par exemple lorsqu'ils reçoivent un e-mail piégé. Le cas échéant, nous envoyons des lettres de rappel et d'admonestation. Il s'agit d'une action au long cours, qui était déjà menée avant l'affaire Harpon ; nous sommes et serons très vigilants à ce sujet. Le nouveau système d'information nous permettra d'automatiser et de renforcer le contrôle des accès et des pouvoirs des administrateurs, le cloisonnement entre les différents services, etc.
La sensibilisation et la formation à la radicalisation ont également été renforcées, afin que les personnels sachent bien ce qu'ils doivent faire. En effet, pour faire remonter des informations utiles, il est nécessaire de connaître le sujet.
À cet égard, nous avons été frappés, lors d'auditions de fonctionnaires de la DRPP, par le fait qu'ils étaient rarement formés à la détection de la radicalisation.
Nous avons créé une formation spécifique, qui comporte un module consacré à la radicalisation. Le suivi de ce module est désormais obligatoire pour tous les nouveaux arrivants, qu'ils travaillent sur ces problématiques ou non. Ce faisant, les fonctionnaires de ce service de renseignement partagent un tronc commun de connaissances. Après l'affaire Harpon, le psychologue et les spécialistes de la radicalisation ont procédé à une nouvelle action de sensibilisation auprès des personnels en charge des enquêtes, afin qu'ils adaptent leurs questions. En outre, nous avons augmenté la durée de la sensibilisation à la radicalisation pour les nouveaux arrivants. Parallèlement, nous participons à double titre aux actions générales de formation effectuées au niveau de la préfecture de police : en tant que formateurs, porteurs du discours avec d'autres experts externes, et en tant qu'agents formés.
Vous faites référence à l'audition d'un agent issu de mes services, en charge du traitement de la radicalisation. Il vous a certainement expliqué qu'il a choisi ce poste à cause des attentats : il travaillait précédemment dans un autre secteur et a voulu s'engager au moment de la création des unités de traitement de la radicalisation – entre 2012 et 2015. Au départ, le traitement du nombre massif de signalements a été artisanal ; avant la création du fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), il se faisait avec des tableaux Excel. Au sein de la DRPP, les agents qui se sont portés volontaires pour effectuer ce traitement avaient un autre cœur de métier ; la radicalisation n'était en réalité le cœur de métier de personne ! C'est pourquoi cet agent a dû vous dire qu'il n'avait pas de formation spécifique. À la suite de la création du FSPRT, ce service de lutte contre la radicalisation n'a fait que grossir : l'entité à laquelle appartient désormais ce fonctionnaire, qui traite de la radicalisation, est une subdivision dotée d'une cinquantaine d'agents. Elle s'appuie sur 150 autres agents qui traitent les cas au long cours, de manière opérationnelle. Tous les signaux, même faibles – quelqu'un qui crie « Allahou Akbar ! » dans la rue –, sont conservés et traités chez nous : on ne met rien sous le tapis. Néanmoins, cet agent a dû vous dire qu'il ne s'occupe pas des policiers radicalisés. Effectivement cette tâche revient à une unité spécifique dont la constitution et le mode de fonctionnement sont protégés par des règles strictes de confidentialité.
Pour en revenir à la formation, tous les agents ont accès au catalogue de formation. Les fonctionnaires du service informatique ont pu vous dire qu'ils n'avaient pas suivi de formation relative à la radicalisation ; cela n'est pas anormal, car les formations qu'ils demandent à suivre sont plutôt liées à leur métier. Ils suivront toutefois des modules de sensibilisation, mais objectivement, chacun reste dans son couloir de nage. Les fonctionnaires en charge de la radicalisation et de la prévention du terrorisme suivent des stages de formation spécifiques à leur cœur de métier. En tout état de cause, les fonctionnaires ont le loisir de s'inscrire à la formation de leur choix ; tel a été le cas de Mickaël Harpon, avec un traducteur en langue des signes. Enfin, il est préférable que les fonctionnaires ne soient pas toujours en formation, et qu'ils passent suffisamment de temps dans leurs services respectifs.
La sensibilisation à la radicalisation est-elle systématique, y compris pour les agents des fonctions support ?
Oui. C'est déjà le cas pour les nouveaux arrivants : des modules y sont dédiés dans le cadre de la formation initiale. Nous allons procéder à une revue concernant l'ensemble des fonctionnaires, quel que soit leur métier. Il s'agit d'un travail de longue haleine : 800 personnes sont concernées. Par ailleurs, les fonctionnaires parlent entre eux : l'un de collègues de Mickaël Harpon avait ainsi questionné ses collègues en charge de la radicalisation au sujet des signaux. Il est plus simple de former d'abord les nouveaux arrivants, mais petit à petit, des modules sont organisés pour tous. La priorité a aussi été donnée aux fonctionnaires chargés des enquêtes d'habilitation, pour qu'ils soient en mesure de détecter des signaux dès la phase de recrutement, et aux titulaires des métiers les plus sensibles, qui suivent à nouveau ces formations. C'est précisément dans ce contexte que j'ai été amenée à procéder à des retraits d'habilitation, qui, une fois encore, ne sont pas liés à de la radicalisation ; mon attention a été attirée par d'autres sujets.
Je n'entrerai pas dans les détails s'agissant de la partie technique du réseau, qui relève du domaine classifié. Ce projet, très structurant pour la DRPP, est construit avec un important service partenaire, qui nous aide beaucoup.
Il s'agit d'un service interne du renseignement. Ce projet nous permettra de mutualiser des outils. Comme nous partageons le même standard, nous pouvons nous prêter des applications propres aux services de renseignement, ce qui permet à la fois de nous faciliter le travail et d'éviter des coûts supplémentaires.
Toutes les préconisations de l'ISR sont donc en cours de mise en place. Nous avons entrepris un travail sincère, auquel je suis particulièrement attachée. Je suis extrêmement touchée et malheureuse, non seulement des faits et de leurs conséquences, mais aussi de l'injustice que constitue leur survenue à ce moment précis, compte tenu des efforts d'ores et déjà consentis, tant d'un point de vue financier que de celui de l'investissement personnel des fonctionnaires.
Vous avez évoqué des mesures de sécurité bâtimentaire et indiqué que les locaux de la DRPP sont devenus zone protégée.
En effet. Une zone protégée est un endroit particulier : n'importe qui ne peut pas y entrer, même un magistrat. Pour ce faire, des conditions doivent être respectées.
Si vos locaux sont devenus zone protégée, cela signifie qu'ils ne l'étaient pas, ou qu'ils l'étaient moins.
Ils l'étaient d'ores et déjà – on parle de bâtiments abritants –, mais l'arrêté et les pièces annexes n'étaient pas complets et ne l'exprimaient pas exactement.
Un local ne peut être considéré comme abritant si cela n'est pas écrit dans un arrêté et des annexes, ce qui n'était pas le cas.
Elle l'était. En 2017, nous avons entrepris d'anonymiser l'organigramme et les implantations du service, et de faire acter dans le droit cet état de fait. Nous en avons obtenu la validation quasiment au moment de l'affaire Harpon. La liste des locaux abritants est désormais arrêtée, ce qui a été rendu possible par la stabilisation dans nos locaux.
La situation est différente pour le matériel informatique : une homologation est nécessaire, notamment concernant la partie relative à la classification. Elle sera faite lorsque les travaux de mise aux normes des systèmes d'information seront achevés.
Oui, pour ceux qui s'y connaissent. Des services procèderont bientôt à cette homologation.
La séance est levée à 19 heures 55.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, Mme Marie Guévenoux, Mme George Pau-Langevin