La réunion

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L'audition débute à neuf heures.

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Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du président Julien Aubert et de Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure, retenus par l'examen du projet de loi relatif à l'énergie et au climat.

Pour commencer notre journée d'auditions sur les comparaisons internationales, nous recevons M. Sebastian Schwenen, professeur assistant au Centre sur les marchés de l'énergie de l'université de Munich. Vous êtes spécialiste en économie de l'énergie et de l'environnement et avez coécrit avec votre collègue, Mme Chloé Le Coq – que nous entendrons après vous –, plusieurs articles sur la régulation des prix sur le marché de l'électricité. Cette audition, en anglais, fera l'objet d'une traduction.

Notre commission d'enquête arrive à la fin de son programme d'auditions. Aujourd'hui, nous nous attachons à comparer les choix de transition énergétique de l'Allemagne, de la Suède et du Portugal.

L'Allemagne a choisi un modèle qui fait reposer la charge du soutien aux énergies renouvelables sur le consommateur – sa facture d'électricité a quasiment doublé en dix ans. En tant qu'économiste, quelle appréciation portez-vous sur les choix allemands de transition énergétique, qu'il s'agisse des énergies renouvelables – essentiellement éolien et photovoltaïque – subventionnées, de la sortie de l'énergie nucléaire et du coût induit, des choix fiscaux opérés dans la loi allemande sur les énergies renouvelables ( Erneuerbare Energien Gesetz - EEG) ? Selon l'Institut économique de Düsseldorf, le coût total s'élèverait à 520 milliards d'euros jusqu'en 2025.

Quelles seront les incidences de la réforme de la loi EEG intervenue en 2017 sur le développement des énergies renouvelables ? Elle retient notamment le mécanisme de l'appel d'offres pour le soutien aux producteurs d'électricité.

Le fonds spécial énergie-climat ( Energie-und-Klimafonds -EKF) créé en 2010 vise à soutenir la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique. Pouvez-vous nous préciser son fonctionnement ?

Nous allons vous donner la parole pour un exposé liminaire d'une vingtaine de minutes. Puis, les membres de la commission vous interrogeront.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je suis dans l'obligation de vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(M. Sebastian Schwenen prête serment).

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Sebastian Schwenen, professeur assistant au Centre sur les marchés de l'énergie de l'Université de Munich

Je suis ravi d'être parmi vous. En guise d'introduction, j'ai préparé quelques diapositives sur la transition énergétique en Allemagne, afin que vous disposiez d'une vue d'ensemble de la situation actuelle.

Ma première diapositive explique notre présence ici : la transition énergétique n'est pas une fin en soi ; le véritable problème, ce sont les émissions de CO2. Or ces dernières ont principalement augmenté à cause de l'homme, comme le souligne le graphique gris, alors que les émissions naturelles – celles des forêts –, en jaune, sont quasi stables.

Pourquoi, en Europe et en Allemagne, a-t-on commencé par décarboner le marché de l'électricité ? Cet histogramme du cabinet McKinsey l'expose clairement. La colonne à l'extrême gauche représente les émissions européennes en 1990 et celle de droite, les objectifs pour 2050 – une baisse de 80 à 85 %. En 2010, le secteur de l'électricité était responsable de la majeure partie des émissions et, vous le voyez, il sera quasiment décarboné en 2050. Nous ne voulons pas toucher à l'industrie pour le moment. Nous nous sommes donc concentrés sur le secteur de l'électricité, financièrement plus abordable à traiter.

Ma troisième diapositive s'intéresse de plus près à l'Allemagne : en 2017, près de 45 % des émissions allemandes étaient issues du secteur de l'électricité. Ensuite venaient les transports – près de 20 % –, puis les foyers – essentiellement le chauffage et un peu la cuisine. En plus d'être le moins onéreux à décarboner, le secteur de l'électricité est donc celui qui pèse le plus.

Comment avons-nous décarboné ? Quels choix s'offraient à nous ? Le premier était le nucléaire, le deuxième, le développement des énergies renouvelables – éolien, solaire –, et le troisième – qui n'en est pas vraiment un – la capture et le stockage des émissions, opérés au niveau des centrales à charbon. Mais cette technologie n'était pas mature quand nous avons entamé notre transition, et ne l'est toujours pas. En outre, après l'accident de Fukushima, nous nous sommes tout naturellement tournés vers l'éolien et le solaire.

La production d'électricité d'origine renouvelable a fortement augmenté depuis 2002, puis avec l'adoption de la loi EEG : éolien terrestre en orange sur le graphique, biomasse en bleu, photovoltaïque en jaune – qui représente 6 à 7 % de la production d'électricité –, éolien offshore développé un peu plus tard. La production d'électricité d'origine renouvelable représente désormais environ 37 %. Bien entendu, cela dépend des conditions météorologiques, notamment de l'ensoleillement.

Comment y sommes-nous parvenus ? Nous avons mis en place des tarifs de rachat – chaque unité produite correspondant à un prix de rachat. Plus récemment, nous sommes passés à un système d'appels d'offres afin de contrôler la quantité. En effet, entre 2010 et 2012, l'État a racheté beaucoup d'électricité solaire, mais le marché seul décidait des volumes. Avec ce système d'appels d'offres, nous reprenons la main. La part des énergies renouvelables doit encore augmenter : nous prévoyons une hausse de 3 gigawatts par an.

Combien coûte cette transition ? Le graphique décompose l'évolution du prix par kilowatt/heure (kW/h) payé par le consommateur allemand entre 2006 et 2016. Le coût de la production est en bleu foncé, les coûts liés au réseau sont en bleu plus clair et sont restés à peu près constants – à 60 centimes d'euro. À l'inverse, la redevance pour énergie renouvelable a beaucoup augmenté et nous a permis de financer notre soutien aux énergies renouvelables. En 2016, elle représentait environ 9 centimes d'euro kW/h. Pour un foyer type consommant environ 4 000 kW/h par an, c'est un surcoût de 360 euros.

Bien entendu, ces chiffres sont des moyennes. Ainsi, les foyers disposant de panneaux photovoltaïques en bénéficient directement. À l'inverse, les locataires ne peuvent pas se permettre d'en installer et paient donc plus. Il ne faut pas oublier cette problématique de la redistribution.

La baisse des émissions de CO2 enregistrée en Allemagne est modeste, mais réelle, comme le souligne la courbe jaune du graphique suivant. Notre sortie du nucléaire a entraîné un transfert de la production d'électricité vers les centrales à charbon, technologie qui engendre beaucoup d'émissions. Les avantages que nous allons tirer de la sortie du nucléaire seront beaucoup plus visibles lorsque nous aurons également achevé notre sortie du charbon.

J'en viens au dernier tableau, préparé par un de mes collègues : à mesure que nous décarbonerons, il conviendra d'électrifier le secteur des transports, le chauffage, etc. En effet, comme vous pouvez le constater, beaucoup de voitures roulent encore aux carburants fossiles. Mais, au fur et à mesure de la transition, il faudra aussi être attentif aux effets de rétroaction (feedback loops) : la demande en électricité augmentant, le marché de l'électricité va prendre de l'ampleur.

Quels sont les débats actuels en Allemagne ? Il y en a quatre principaux : la question de la sortie du charbon ; l'adéquation du réseau et la sécurité d'approvisionnement ; comment tirer le meilleur parti des synergies pour le transport et le chauffage ? Enfin, nous envisageons une taxe carbone dans différents secteurs.

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Je vous remercie, monsieur Schwenen, pour votre exposé très intéressant. J'aimerais entendre votre retour d'expérience sur la rentabilité des différents équipements. L'Allemagne a beaucoup d'avance sur nous pour ce qui est du nombre et de la qualité des unités de méthanisation, des panneaux photovoltaïques et des éoliennes terrestres. En France, il existe une polémique sur les bons et les mauvais outils, en matière de rentabilité, pour produire de l'énergie renouvelable. Que pensez-vous de chacun des équipements ?

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Sebastian Schwenen, professeur assistant au Centre sur les marchés de l'énergie de l'Université de Munich

Chacun possède des avantages et des inconvénients. En réalité, tout dépend du stade de la transition énergétique auquel vous vous situez. Si vous en êtes au début, comme en Allemagne, peut‑être le système du rachat est‑il le plus approprié. À chaque unité produite, que ce soit en solaire ou en éolien, correspond un prix fixé par mégawattheure. Il y a eu, chez nous, une augmentation assez marquée du solaire. Mais si l'on fixe un prix qui convient au marché, celui‑ci investira beaucoup, et l'État n'aura plus la main sur la situation. L'avantage d'un tel système est de présenter très peu de risques pour les investisseurs, dans la mesure où il leur suffit de dire à leur banque qu'ils vont installer une ferme éolienne ou photovoltaïque pour obtenir de l'argent. Cependant, étant donné que l'État perdait la main, nous avons décidé de passer par le système de l'appel d'offres, dans lequel aucun prix n'est fixé par unité. Si nous voulons, par exemple, 3 gigawatts de solaire, le moins‑disant l'emportera, ce qui permettra également de contrôler la puissance installée. Il n'existe pas de réponse simple et tranchée, puisque tout dépend de la situation du pays et du stade de la transition énergétique auquel il se situe.

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Je vous remercie, monsieur Schwenen, pour votre très riche présentation. La structure énergétique allemande est assez différente de la nôtre, dans la mesure où notre électricité est fortement décarbonée. L'institut économique de Düsseldorf estime à 520 milliards d'euros le coût total des investissements à faire jusqu'en 2025 pour assurer les objectifs de la transition énergétique. Lorsque vous avez évoqué, tout à l'heure, la possible création d'une taxe carbone, cela signifiait‑il qu'il y ait besoin de fonds supplémentaires pour pallier l'insuffisance des investissements actuels ?

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Sebastian Schwenen, professeur assistant au Centre sur les marchés de l'énergie de l'Université de Munich

La taxe carbone n'a rien à voir avec les investissements qui ont été faits dans le secteur – il y en a d'ailleurs eu beaucoup, qui ont été coûteux, notamment pour subventionner les renouvelables. Cette taxe vise plutôt à sortir du charbon. De fait, tant qu'il représentera une part importante du mix énergétique, les investissements dans les renouvelables resteront moins rentables. Avec une taxe carbone, le charbon sera voué à disparaître plus facilement, pour être éventuellement remplacé par le gaz. Un deuxième débat, qui n'est pas non plus directement lié aux investissements qui ont été faits, concerne le secteur aérien. J'ai cru comprendre qu'une taxe était prévue en France sur le transport aérien.

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En France, le coût de l'électricité est beaucoup moins élevé qu'en Allemagne, puisque notre kilowattheure est à 18 centimes, quand le vôtre s'élève à 30 centimes. À la suite des différents mouvements sociaux, nous avons pris conscience de l'importance de la problématique de l'acceptabilité sociale. Disposez‑vous d'une estimation de la limite d'acceptabilité par le consommateur allemand ? Par ailleurs, en Allemagne, il semble y avoir beaucoup moins de chauffage électrique qu'en France, ce qui laisse supposer une conversion et un remplacement de certaines énergies, qui sont beaucoup moins chères, par l'électricité. Ne vous attendez‑vous pas à des mouvements sociaux ?

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Sebastian Schwenen, professeur assistant au Centre sur les marchés de l'énergie de l'Université de Munich

Nous parlons en effet de ces questions en Allemagne. Pour ce qui est de la limite d'acceptabilité par les consommateurs, je peux me hasarder à vous répondre que cela dépend de ceux qui sont interrogés. La plupart des agriculteurs allemands ont déjà installé des éoliennes et en profitent. Au contraire, ceux qui participent moins à la transition énergétique auront probablement un seuil d'acceptabilité bien inférieur.

La transition dans le secteur de l'électricité se passe bien. En revanche, s'agissant du chauffage, je pense que ce sera beaucoup plus compliqué. Il faudra beaucoup de conversions, l'Allemagne comptant environ 40 millions de foyers, ce qui coûtera beaucoup d'argent. J'ignore quel sera le seuil d'acceptabilité, d'autant que nous n'avons pas encore entamé cette transition. Nous allons devoir réfléchir à l'éventualité de mouvements sociaux, cela va sans dire.

Néanmoins, cette question de l'acceptabilité, nous l'avons abordée sous certains aspects, notamment avec notre système d'appels d'offres, puisque l'agence qui en est responsable a intégré parmi ses critères celui de la diversité des soumissionnaires. Il n'y a pas que les grosses entreprises qui peuvent faire des offres, des groupements de citoyens le peuvent aussi.

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Les objectifs de conversion et de réduction du CO2 sont‑ils couplés à une trajectoire de réduction de la consommation par secteur ?

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Sebastian Schwenen, professeur assistant au Centre sur les marchés de l'énergie de l'Université de Munich

Des objectifs en matière d'efficacité énergétique ont été fixés, comme sur le plan de la consommation. Des efforts ont été déployés pour rendre la consommation d'électricité plus souple. Par exemple, pour les industries, il existe des programmes d'incitation, où lors des pics de demande, la production est réduite, afin de favoriser un meilleur usage de l'électricité.

Dans le secteur du bâtiment, la KfW a créé des incitations pour atteindre une meilleure efficacité énergétique, en accordant à des ménages des prêts à des taux très intéressants. Il existe des programmes pour encourager l'efficacité énergétique, mais jusqu'à présent les efforts se sont essentiellement portés sur l'intégration des renouvelables.

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L'Allemagne a fait le choix de sortir du charbon, tout en abandonnant le nucléaire. Elle mise sur un fort développement des énergies renouvelables. Comme vous l'avez laissé entendre dans votre intervention liminaire, elle s'expose ainsi beaucoup plus fortement aux problématiques saisonnières ou d'intermittence. Comment l'Allemagne se prépare-t-elle pour atteindre les objectifs fixés dans le domaine électrique ? Qu'a-t-elle prévu pour répondre au problème de l'intermittence ? Le coût des investissements est-il financé par la contribution des consommateurs ou fait-il l'objet d'une planification budgétaire ?

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Sebastian Schwenen, professeur assistant au Centre sur les marchés de l'énergie de l'Université de Munich

Le coût des intermittences est porté essentiellement par les opérateurs, le réseau, mais, in fine, c'est bien le consommateur qui paye puisque les coûts de réseau sont répercutés sur les ménages.

Je pense qu'avant tout, il ne faut pas voir l'Allemagne comme une île ; il faut se garder de la considérer isolément. Le marché de l'électricité est aussi européen. Quand le soleil ne brille pas en Allemagne, peut-être fait-il très beau en France, en Pologne ou ailleurs. La clé, ce sont les échanges au niveau européen. Ce n'est donc pas un problème purement allemand ni spécifiquement français. Le marché européen existe et se caractérise par sa liquidité. L'Allemagne adopte des mesures pour augmenter ses capacités de stockage mais je pense qu'au regard de l'intermittence, il faut prendre en compte les marchés allemand et européen.

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La France fait le choix de maintenir la part de 50 % de nucléaire dans la production d'électricité. Cela n'offre-t-il pas à l'Allemagne une garantie face au risque d'intermittence, même s'il faudra certainement, à terme, développer le stockage ?

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Sebastian Schwenen, professeur assistant au Centre sur les marchés de l'énergie de l'Université de Munich

Effectivement, le nucléaire fait partie du même portefeuille. L'Allemagne prépare également une interconnexion avec la Norvège. Si on arrive à accroître la part du nucléaire, cela pourra contribuer à réduire les intermittences. Toutefois, cela soulève également tous les problèmes techniques que l'on connaît.

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Merci beaucoup pour la clarté de vos propos et la qualité de vos réponses. Notre échange fut riche et instructif, et nous a apporté un éclairage complémentaire à celui fourni par l'Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE), que nous avons auditionné la semaine dernière.

L'audition s'achève à dix heures.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Réunion du jeudi 25 juillet 2019 à 9 h 15

Présents. - Mme Sophie Auconie, M. Vincent Thiébaut

Excusés. - M. Julien Aubert, M. Christophe Bouillon, Mme Véronique Louwagie, Mme Marjolaine Meynier-Millefert