La séance est ouverte à neuf heures cinq.
La mission procède à l'audition de M. Marc Pontaud, directeur de recherche, et de M. David Salas, chef du groupe de météorologie de grande échelle et climat, du Centre national de recherche météorologique (CNRM) de Météo-France.
Nous accueillons M. Marc Pontaud, directeur de recherche au Centre national de recherche météorologique (CNRM) et M. David Salas, chef du groupe de météorologie de grande échelle et climat du CNRM.
La présente audition est publique et retransmise sur le site de l'Assemblée – elle donnera lieu à un compte rendu.
Il s'agit d'établir un état des lieux des connaissances scientifiques en matière de changement climatique : comment organise-t-on son observation, comment recoupe-t-on les informations, comment arrive-t-on aujourd'hui, dans la France métropolitaine et outre-mer, à avoir un dispositif performant de recherche et d'observation de ces événements climatiques ?
La prévisibilité et le suivi des événements climatiques sont au coeur de la présente mission d'information. C'est donc avec le plus grand intérêt que nous vous auditionnons aujourd'hui et nous vous retrouverons lors des deuxième et troisième phases de nos travaux.
Le rapporteur va préciser l'objet de votre audition.
Pouvez-vous, messieurs, nous présenter le CNRM, une unité mixte de recherche (UMR) constituée par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Météo-France ? Quelles sont vos recherches prioritaires en matière de prévision du temps et d'évolution du climat ? Pouvez-vous expliciter de quelle manière les objectifs du CNRM sont notamment orientés par les missions opérationnelles de Météo-France ? Pouvez-vous nous présenter les différents événements climatiques majeurs pouvant affecter les zones littorales françaises, dans l'hexagone et outre-mer ? Quelles connaissances scientifiques pouvez-vous apporter à la mission d'information s'agissant de la prévision, de la formation, du développement, de la fréquence et de l'intensité des événements climatiques majeurs dans les zones littorales françaises ? Quel est l'impact des changements climatiques sur la formation, le développement, la fréquence et l'intensité des événements climatiques majeurs dans les zones littorales ? Comment analysez-vous le lien entre le réchauffement des eaux de la mer et les événements climatiques majeurs ? Quels sont les liens avec El Niño et La Niña ? Que pouvez-vous nous dire de la connaissance et la compréhension des ouragans de l'automne dernier ? Quelles sont les zones littorales françaises les plus vulnérables ? Quelles recommandations peut-on tirer de ces connaissances pour les décennies à venir ? Quelles seront les orientations prioritaires de la recherche ?
Il est intéressant de noter que la performance des modèles européens a été soulignée cet automne, y compris par les prévisionnistes américains. Comment se situe notre expertise scientifique au niveau mondial ?
L'activité de recherche est centrale, au sein de l'établissement public Météo-France. Elle est organisée en unités mixtes de recherche ou de services, en partenariat avec différentes entités – vous avez évoqué le CNRS. Le CNRM est la grande unité de recherche de Météo-France ; il est situé à Toulouse – avec une annexe à Grenoble pour l'étude des avalanches, qui ne nous concerne pas aujourd'hui – et compte 230 employés permanents et une centaine de non-permanents – doctorants, post-doctorants etc. Météo-France est également la tutelle du Laboratoire de l'atmosphère et des cyclones (LACY), situé à La Réunion, qui a pour vocation d'améliorer la prévision des cyclones et qui est en lien avec la mission de Météo-France de protection des risques cycloniques dans cette partie de l'océan Indien.
Le CNRM part de la recherche amont pour aller vers la recherche la plus appliquée, afin de répondre à la mission confiée à Météo-France : assurer la protection des personnes et des biens, mais aussi contribuer à la valorisation socio-économique de l'information météorologique et climatique.
Il importe, pour établir des prévisions météorologiques, de disposer d'une bonne information de l'état initial de l'atmosphère. C'est pourquoi nous développons une compétence particulière, d'une part pour instruire des processus, pour les comprendre afin, ensuite, de mieux les modéliser, d'autre part, pour qualifier des instruments qui, eux, ont vocation à être opérationnels. Nous allons par exemple tester des détections pour les lumières, dites « lidars », mais aussi des radars spécifiques. Voilà pour la partie amont.
Ces éléments doivent ensuite alimenter le modèle de prévision. Les équations sont connues, bien posées et elles sont résolues grâce aux modèles mathématiques ; puis il faut les écrire de manière informatique – les modèles différant en fonction du mode d'écriture. Reste que, fondamentalement, la première étape est la création des conditions initiales pour établir une prévision où que ce soit, en outre-mer, en métropole ou une prévision globale. Cette phase s'appelle l'assimilation. Il existe une école française en la matière puisque nous avons été très novateurs, depuis les années 1980, dans le développement d'une technique appelée 3D-Var. Pour démarrer nos prévisions, nous essayons de produire la meilleure condition initiale à l'instant T, tout en tenant compte de l'importance de l'histoire – en général les vingt-quatre heures précédant la prévision. Nous avons donc développé des techniques qui intègrent cette dimension temporelle. Il faut en outre savoir que le système des équations que nous employons est très fortement non-linéaire et, de fait, les méthodes utilisées jusqu'à présent nous obligeaient à les simplifier un peu, à les linéariser car les phénomènes rapides, intenses, avec de fortes variations dans le temps, pouvaient être indurés. Aussi la recherche de demain consistera-t-elle à employer une technique qui gardera l'avantage d'une assimilation étendue sur vingt-quatre heures, mais qui prendra en compte cette non-linéarité. C'est ce qu'on appelle l' « assimilation d'ensemble ».
La construction des conditions initiales comprend donc cette partie mathématique ; elle s'appuie également, dans un second temps, sur la valorisation des informations météorologiques dont nous disposons. Nous avons en effet besoin de traduire les images fournies par le satellite en informations utiles pour notre modèle. Ainsi développons-nous ce que nous appelons les opérateurs d'observation. Nous menons en outre d'importants travaux sur de futurs satellites comme ADM-Aeolus, programme de l'Agence spatiale européenne, qui permettra de mesurer le vent partout sur le globe. Nous pourrons également compter sur le programme européen Météosat troisième génération (MTG), avec un satellite qui sera mis sur orbite aux alentours de 2022 et qui sera pourvu d'un sondeur infrarouge centré à la fois sur la métropole et sur l'océan Indien – outil dont nous pourrons tirer une bonne information – et sur une nouvelle génération de satellites européens défilants qui nous permettront de disposer d'informations pour tout le globe. Autant d'instruments, j'y insiste, grâce auxquels nous pourrons améliorer les conditions initiales d'analyse de l'atmosphère.
Ensuite, pour ce qui concerne l'état de la mer, des travaux sont en cours visant à améliorer les conditions initiales de notre modèle de vagues. Nous pourrons compter, dans le cadre du projet Copernicus, sur le satellite Sentinel 1, pourvu d'un radar à synthèse d'ouverture, sur le satellite Sentinel 3, mais aussi sur le CFOSAT (China-France Oceanography satellite), satellite franco-chinois grâce auquel nous allons pouvoir améliorer la définition de l'état initial de la surface océanique.
Les conditions initiales définies, il faut passer au modèle destiné à la prévision. Les travaux en cours pour améliorer le système sont tous fondés, je l'ai dit, sur un jeu d'équations standard appelées équations de « Navier-Stokes ». Pour ce qui est de la partie physique de l'atmosphère, des interactions des particules de rayonnement dans les nuages, les travaux en cours visent à mieux représenter la microphysique nuageuse, à savoir les processus qui se développent au sein du nuage pour former les gouttelettes d'eau. Il s'agit d'un enjeu important, car on se rend compte que la dynamique des systèmes fortement précipitants, que ce soit pour les éléments dits cévenols qui concernent la côte du Sud de la France ou pour les cyclones qui concernent la plupart de nos territoires d'outre-mer, est assez difficile à comprendre sur le plan physique – il faut la mesurer puis la modéliser.
Autre élément important pour nous : connaître tout ce qui se passe à la surface. Nos modèles permettent de connaître la température de la surface de la mer, mais pas de mesurer les interactions réelles, comme c'est le cas dans les modèles de climat. Notre but à court terme est par conséquent de coupler notre modèle d'atmosphère avec le modèle d'océan car les flux, les interactions sont ici très importants. Cet aspect concerne aussi bien l'outre-mer que les éléments cévenols. Mieux représenter la surface – qui a un rôle crucial dans le comportement de l'atmosphère – est peut-être un aspect encore plus sensible pour la métropole – on pense ici à la réévaporation de l'humidité de la surface, qui passe directement par le sol ou bien par la végétation.
Nous sommes en train par ailleurs de franchir une étape. Nous avons longtemps considéré que l'évolution de l'atmosphère pouvait être prévue de façon déterministe : connaissant une condition initiale, on avait une grande confiance dans la prévision réalisée. On savait néanmoins que le système était chaotique, donc sensible aux conditions initiales. Or quand on s'attaque à des échelles comme celle de la convection, celle de la précipitation – voire des cyclones –, il faut savoir quel est l'univers du possible à partir d'une condition initiale connue. Aussi développons-nous depuis quelque temps une technique appelée ensembliste, très familière au monde climatologique, mais utilisée dans une moindre mesure pour la prévision numérique du temps car cette technique coûte cher et doit donc être appliquée dans un temps limité. Il s'agit de perturber les conditions initiales avec les méthodes mathématiques appropriées et d'obtenir plusieurs prévisions pour la même situation afin de tâcher d'en tirer une information probabiliste répondant à la double question suivante : quelle confiance puis-je avoir dans la prévision de référence et quel est le risque d'avoir une prévision extrême qui n'est représentée qu'une seule fois dans l'univers du possible ? Nous travaillons donc à la valorisation de cette information probabiliste sur la prévision, autrement dit, en langage simple, sur la confiance que je peux avoir dans la prévision et dans les risques qui lui sont associés.
Je poursuivrai par l'évocation de considérations davantage liées au climat, mais qui comprendront un début de réponse aux questions que vous nous avez posées.
À Météo-France, les activités de modélisation du climat se trouvent en aval du travail de prévision numérique du temps : nous capitalisons sur l'effort de modélisation concernant l'atmosphère. À partir de ce modèle d'atmosphère, toute la connaissance évoquée par M. Pontaud, nous développons un modèle de climat qui reste très proche de la prévision du temps. Ce modèle de climat permet de mieux comprendre les évolutions passées du climat et d'anticiper ses évolutions futures sur des échelles de temps relativement longues : de l'ordre de quelques décennies ou, typiquement, jusqu'à la fin du XXIe siècle.
Mais nous menons également d'autres activités. Ainsi, lorsqu'on couple un modèle d'atmosphère de climat avec un modèle d'océan, on devient capable de faire de la prévision saisonnière climatique, c'est-à-dire qu'on est capable de définir les grandes tendances climatiques à l'horizon de plusieurs mois et jusqu'à un an dans certains cas, ce qui a des implications directes, par exemple en ce qui concerne les risques cycloniques. On est ainsi capable de dire si la saison à venir va être plus ou moins intense sans toutefois pouvoir affirmer qu'un cyclone va frapper telle région. Il s'agit bien d'une notion de risque.
Nous réalisons également des simulations plus fines que les simulations mondiales – lesquelles ont une résolution horizontale de l'ordre de 100 kilomètres, pour Météo-France comme pour les autres instituts dans le monde. Or 100 kilomètres pour représenter la finesse des climats des îles de la Polynésie ou la complexité du climat de La Réunion, avec un relief très marqué, ce n'est pas suffisant. C'est pourquoi nous réalisons des simulations plus fines, dites régionales, de l'ordre de 10 kilomètres pour les régions d'outre-mer. À titre exploratoire, nous commençons à faire des simulations avec une résolution de 2,5 kilomètres qui nous permet de résoudre explicitement les phénomènes météorologiques extrêmes. Notre objectif, pour 2021, est de réaliser de nouvelles simulations fines pour les différentes régions d'outre-mer afin de contribuer, en particulier, à la connaissance et à la décision.
Après cette brève introduction, je présenterai des phénomènes extrêmes concernant l'outre-mer, avec les cyclones, et l'hexagone, avec, entre autres, les tempêtes.
Les cyclones sont classés en différentes catégories de violence par le vent moyen soutenu sur une minute. Si le vent dépasse 118 kilomètres par heure, ce qui est déjà considérable, on peut dire qu'on a affaire à un cyclone. Les catégories de « Saffir-Simpson » vont de 1 à 5, du moins au plus intense, la catégorie 5 correspondant aux cyclones pour lesquels les vents, sur une minute, peuvent dépasser 249 kilomètres par heure – événement bien sûr très dangereux. Les cyclones ne se caractérisent pas seulement par le vent et ont, c'est bien connu, un oeil. Ce sont des phénomènes particuliers dits « à coeur chaud », à savoir des dépressions qui tournent dans le sens des aiguilles d'une montre dans l'hémisphère sud et dans le sens inverse dans l'hémisphère nord.
Parmi les dangers présentés par les cyclones on pense en général au vent mais il faut également ajouter les pluies extrêmes, sources d'inondations ou de glissements de terrain. On note également une surélévation du niveau des mers, liée à la dépression à cause de laquelle l'air pèse moins sur la mer. N'oublions pas la houle cyclonique qui provoque des vagues de 10 mètres voire 20 mètres si le cyclone est particulièrement intense et se déplace rapidement. On pense aux cyclones qui ont dramatiquement touché Saint-Martin, Saint-Barthélemy ou la Guadeloupe, à l'automne dernier. On a aussi à l'esprit différents événements qui ont affecté la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, La Réunion et toutes les régions d'outre-mer en général.
Les phénomènes de formation des tempêtes de moyennes latitudes des deux hémisphères, quant à eux, sont très différents par rapport aux phénomènes de formation des cyclones. Nous sommes ici face à des phénomènes qui se produisent, assez grossièrement, à la suite de conflits de masses d'air – dus aux différences de température importantes aux latitudes considérées.
On peut dire qu'on est confronté à une tempête lorsque le vent moyen soutenu sur dix minutes atteint ou dépasse 89 kilomètres par heure, à savoir 48 noeuds. Il s'agit d'une tempête de force 10. On peut aller jusqu'à une tempête de force 12 quand le vent dépasse 118 kilomètres par heure, et nous sommes ici au début de l'échelle de « Saffir-Simpson » relative aux cyclones : il y a un continuum. Un ouragan de force 12, et il y en a eu dans l'hexagone au cours du XXe siècle, comme celui d'octobre 1987 qui a frappé les côtes normandes et le Nord de la France, correspond à un cyclone de catégorie 1. Les pertes en vies humaines et les dégâts sont alors importants.
J'en viens aux pluies extrêmes, qui peuvent ne pas être associées à des tempêtes ou à des cyclones, comme les événements dits méditerranéens, connus également sous l'appellation un peu réductrice d'événements cévenols, et qui correspondent à des pluies pouvant représenter l'équivalent de plusieurs mois de précipitations en une seule journée, à savoir autour de 400 millimètres – voire beaucoup plus. Ce phénomène est dû au déplacement de masses d'air très humides du Sud vers le Nord, masses qui viennent buter sur le massif des Cévennes ou celui des Alpes. Les masses d'air remontent brutalement et la condensation qui s'ensuit provoque des orages et de fortes précipitations. Météo-France étudie le phénomène de près à la fois par l'observation – et plusieurs études récentes nous montrent que ces événements semblent devenir plus intenses depuis une trentaine d'années – et par la modélisation – notamment avec les modèles très fins évoqués précédemment.
Un phénomène moins connu affecte les zones côtières, couramment appelé Medicane, sorte de cyclone méditerranéen qui tiendrait le milieu entre un cyclone tropical et une tempête de moyenne latitude. Comme les cyclones tropicaux, les Medicanes ont un oeil – et une image satellite peut donner l'impression qu'il s'agit d'un cyclone ; en revanche, les processus de formation sont différents : les Medicanes se produisent en général en fin d'été ou en début d'automne lorsque les eaux de la Méditerranée sont encore très chaudes et lorsque, en altitude, de l'air froid arrive du continent, l'atmosphère devient alors instable et des mouvements verticaux de l'atmosphère provoquent des orages et de fortes précipitations. Il s'en est produit une centaine depuis 1947 ; l'un d'entre eux a affecté la Corse il y a quelques années.
Ils sont tout de même un peu plus faibles que les cyclones tropicaux mais leurs vents peuvent dépasser 130 kilomètres par heure et donc causer eux aussi des dégâts importants.
Je reprends l'organisation de Météo-France. Le décret qui crée Météo-France attribue à cet établissement public des missions très précises, en particulier la protection des personnes et des biens par rapport aux risques météorologiques. Météo-France fonctionne par contrats d'objectifs et de performance (COP) signés avec l'État et renouvelés tous les cinq ans. C'est l'occasion de construire les priorités de l'établissement au regard des attentes de l'État. La définition du COP prend plusieurs mois pendant lesquels nous rencontrons, bien sûr, les représentants de notre tutelle principale, le ministère de la transition écologique et solidaire, mais aussi ceux de la direction générale de la pêche et de l'aquaculture, ou encore ceux du monde économique, du secteur aéronautique qui sont affectés par les phénomènes météorologiques. Les priorités de l'établissement et les étapes de la recherche sont définies pendant cette phase. En interne, ces priorités sont déclinées et leur mise en oeuvre fait l'objet de suivis de projets – selon les méthodes du management – avec rendus de comptes.
Avez-vous défini des zones, en France, qui risquent d'être particulièrement affectées par le changement climatique ?
Nous menons des actions de recherche très soutenues sur l'arc méditerranéen de France, en particulier parce qu'il subit des pluies extrêmes. Ce fut le cas à Cannes en 2015 avec d'importantes pertes de vies humaines. Autre exemple : il y a une dizaine de jours, deux tornades ont touché les Pyrénées orientales.
Nous menons également des actions de recherche en outre-mer, concernant en particulier la Polynésie, les Antilles, La Réunion et la Nouvelle-Calédonie. Il s'agit notamment d'étudier la fréquence des cyclones.
La question de la fréquence se pose également aux Antilles où, lors des quarante dernières années, on observe en moyenne un événement cyclonique tous les quatre ans. Une dizaine de cyclones ont donc eu lieu dans cette zone depuis quarante ans.
S'agissant de l'intensité, toutes les îles ne subissent pas avec la même fréquence les événements les plus extrêmes. Plus on remonte vers le nord, plus le risque augmente et plus les cyclones ont une propension à devenir violents. En Martinique, un événement important a lieu en moyenne tous les dix ans, contre tous les sept à huit ans en Guadeloupe et plutôt tous les six ans à Saint-Barthélemy. À l'inverse, il n'y a pas de cyclone en Guyane, située trop au sud pour être affectée.
Nous menons des études pour évaluer dans quelle mesure les fréquences de ces événements les plus intenses pourraient évoluer et si l'on constatera – ou pas – une augmentation du nombre de cyclones. Ce sujet sera l'un des principaux sujets de l'intervention de Mme Valérie Masson-Delmotte, qui répondra tout à l'heure précisément à vos questions sur le climat futur.
Que fait-on pour mieux assurer la prévision de ces phénomènes ? Le modèle de prévision français est global : il couvre l'ensemble du globe, avec une meilleure résolution pour la métropole, il est donc intéressant pour les phénomènes qui la concernent. Parallèlement, et c'est très important, nous avons développé le modèle AROME (acronyme pour Applications de la recherche à l'opérationnel à méso-échelle) doté d'une résolution beaucoup plus fine – entre un et deux kilomètres et demi. Une instance de ce modèle tourne toutes les heures pour la métropole, mais aussi pour chacun des territoires d'outre-mer, couvrant de larges secteurs : l'arc antillais jusqu'à Haïti, la Guyane, la Nouvelle-Calédonie et la grande Polynésie Française, enfin, la Réunion et l'océan Indien. L'établissement a porté ses efforts sur ces techniques numériques et de modélisation, afin de répondre à toutes les questions qui vont bientôt se poser à propos de ces phénomènes, fortement significatifs. Ce modèle fonctionne très bien pour prévoir ces phénomènes dans ces territoires.
Par le biais des données que vous recueillez, constatez-vous une augmentation du nombre ou de l'intensité des événements climatiques ? Disposez-vous de suffisamment d'éléments pour effectuer un constat ?
Là encore, Valérie Masson-Delmotte répondra de manière plus complète. Vous avez raison, on observe une augmentation de l'intensité des événements climatiques, mais uniquement dans le bassin Atlantique nord.
Les modèles à échelle fine, évoqués par M. Pontaud, sont un enjeu important pour la prévision des cyclones dans les régions d'outre-mer. On a pu le constater lors de l'événement cyclonique Maria : il s'est brutalement intensifié, passant d'une catégorie 1 à 5 – la plus intense – en seulement quinze heures. Ce phénomène avait été parfaitement pressenti par le modèle AROME : cela justifie vraiment le développement et l'utilisation de tels outils.
J'évoquerai rapidement le processus météorologique en cause : en altitude, ce qu'on appelle dans notre jargon un « talweg » – l'équivalent d'un trou d'air – a créé un phénomène d'aspiration qui a brutalement intensifié le cyclone Maria. Un modèle de prévision est capable de le déceler. Nous pouvons ensuite en tirer toutes les conséquences en termes de message d'alerte, en vue de protéger les personnes et les biens.
Quelles sont les évolutions des phénomènes météorologiques sensibles dans un proche futur ou un peu plus lointain ? Mme Masson-Delmotte pourra vous apporter une réponse précise. Pour résumer, il n'y a pas de raison pour qu'il y ait plus de cyclones à l'avenir mais, l'atmosphère étant un peu plus chaude, le cycle hydrologique atmosphérique sera peut-être plus intense. On peut donc s'attendre à des phénomènes un peu plus intenses, surtout en précipitations – plus qu'en vent. Pour les tempêtes de la côte atlantique, nous ne disposons actuellement pas de signal particulier.
Compte tenu de ce que l'on sait des processus de formation des cyclones, aucun élément ne permet de conclure à une augmentation du nombre de cyclones dans le futur. Valérie Masson-Delmotte vous apportera des précisions, sur la base de la littérature récente. Pour autant, étant donné le supplément d'énergie disponible dans le système climatique, on peut s'attendre à des événements globalement plus intenses lorsqu'ils parviennent à se former.
Je suis député de la Réunion. Nous connaissons actuellement un cyclone. Mais, d'après mes informations, tout se passe bien. Je reçois même des messages de mes collègues à la Réunion, me demandant de remercier Météo France pour ses prévisions et sa capacité à bien informer la population. Pour autant, nous connaissons une petite polémique – cela arrive malheureusement dans ce genre de situation – relative à la prise de décision du préfet : quel est le rôle de Météo France dans la décision du préfet de passer de l'alerte orange à l'alerte rouge ?
J'ai compris qu'une deuxième audition aura lieu concernant le fonctionnement institutionnel de Météo France, en présence de son président-directeur général. En quelques mots, nous sommes une instance de conseil auprès de l'État, en l'occurrence nous conseillons le préfet.
Vous nous aviez par ailleurs posé une question à laquelle nous n'avons pas répondu concernant l'efficacité comparée des modèles américain et européen. Puisque vous parlez de la Réunion, je voudrais rappeler l'historique de la dépression tropicale Ava, qui est allée percuter Madagascar. Quelques jours avant cet événement, les prévisions du Centre européen de prévision météorologique à moyen terme annonçaient une trajectoire vers Madagascar, quand le modèle américain Global forecast system annonçait une trajectoire qui s'infléchissait vers la Réunion, ce qui a mis en alerte les autorités publiques. Notre modèle « Action de recherche petite échelle grande échelle » (ARPEGE) était cohérent avec le modèle Integrated forecast system du centre européen. En l'espèce, le modèle européen était meilleur.
De même, pour les événements de la Guadeloupe, de la Martinique, des Îles du Nord, le modèle du Centre européen est, de loin, le meilleur – les chiffres le montrent. Ce modèle européen, global, et le modèle français, ARPEGE, également global, sont en fait identiques. Ils sont le résultat d'une collaboration assez unique entre une organisation européenne – avec un statut d'organisation internationale – et un pays membre. Nous avons développé ensemble un modèle global, avec des configurations légèrement différentes lorsqu'il est utilisé par le centre européen ou par la France. Ces modèles sont excellents : le meilleur modèle de prévisions globales est celui du centre européen et le meilleur modèle à courte échéance sur l'Europe est le modèle français.
Les Américains ont fini par prendre en compte nos prévisions. Notre modèle AROME de petite échelle, qui traite de manière explicite les précipitations et les phénomènes convectifs, couplé à ces modèles de grande échelle, apporte une information très précieuse sur l'évolution des phénomènes. En effet, il ne suffit pas de prévoir la trajectoire d'un cyclone, il faut également prévoir son intensification ou son affaiblissement.
C'est ce que nous faisons à la Réunion : nous suivons le phénomène – j'y travaillais encore cette nuit, ainsi que mes collègues. Initialement, la prévision du centre européen le faisait passer au nord de l'île, ce qui lui aurait été très dommageable. Le modèle français ARPEGE prévoyait plutôt un passage au sud, AROME indiquant que le phénomène s'amoindrissait. Il s'agissait de prévisions délicates, sur des centaines de kilomètres, deux à trois jours à l'avance. Mais nous sommes aujourd'hui capables de produire des prévisions qui permettent de bien informer les populations et le préfet, qui doit ensuite prendre ses décisions. Vous comprendrez que nous ne sommes pas là pour juger la polémique locale.
Je suis très heureuse de participer à cette audition. Dans les îles – et plus particulièrement en Guadeloupe d'où je viens –, nous apprécions nos prévisionnistes de Météo France. Les personnels en Guadeloupe sont-ils bien équipés pour faire leur travail ? Il y a quelques années, je me souviens de difficultés liées aux radars situés au niveau de la Désirade. Cela a-t-il été réglé ?
Je suis député du littoral, dans le Calvados. Sur les plages du Débarquement, le trait de côte recule. À Météo France, qu'est-ce qui fonde la pertinence d'un modèle ou son évolution ? Vous avez partiellement répondu à cette question, en comparant les modèles que vous utilisez pour évaluer le parcours des cyclones. Mais pourriez-vous nous apporter des précisions quant à ces modélisations ? Nous avons parlé de statistiques et de fréquences, mais a-t-on observé des particularités dans la distribution des événements climatiques ? En effet, les fréquences ne nous renseignent pas sur la distribution de ces séries statistiques.
Je suis députée des Îles du Nord, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Nous constatons des phénomènes de plus en plus violents. Lors du passage de l'ouragan Irma, les vents ont dépassé les 350 kmh. Dans le futur, allons-nous subir des vents beaucoup plus forts ou avons-nous atteint un maximum ? Est-il exact que cet ouragan a été classé en catégorie 6, alors qu'il n'existait jusqu'à présent que cinq catégories ? Par ailleurs, est-il exact qu'un phénomène de tornades a été constaté à l'intérieur de l'ouragan ?
Député des Landes, je souhaite vous interroger sur les risques de submersion : comment Météo France travaille-t-il sur ces dossiers, souvent liés aux bancs de sable et à des événements climatiques se déroulant au large des côtes ? Sur notre littoral, comme sur tous les littoraux de métropole et d'outre-mer, des vagues importantes causent régulièrement des dégâts. Des modélisations et des études sont en cours, notamment à Biarritz. Y êtes-vous associés ?
Madame Bénin, les radars sont un élément essentiel de la qualité de la prévision de nos modèles, notamment pour le modèle de haute résolution AROME. Nous attachons une très grande importance au maintien de ces installations. Deux radars sont positionnés dans la zone, un en Guadeloupe et un en Martinique. Ils se recoupent et se servent mutuellement de secours. Leur portée visuelle – entre deux cents et deux cent cinquante kilomètres – est intéressante pour nous. Ces données sont essentielles. À deux cent cinquante kilomètres, nous pouvons disposer d'une information très précise sur un phénomène émergent, donc mieux le décrire et l'observer. Aujourd'hui, l'un des enjeux est de prendre en compte ces données pour améliorer la prévision de nos modèles dans ces régions.
Le modèle AROME a été développé et mis en place l'année dernière dans tous les territoires d'outre-mer, mais n'a pas encore la capacité d'ingérer ces données. Nous avançons par étapes dans le processus d'assignation. C'est un peu lourd et cela demande beaucoup de travail, mais nous souhaitons valoriser ces informations à toute petite échelle. C'est une priorité pour Météo France dans le réseau métropolitain et dans tous les territoires d'outre-mer. Reste une difficulté à traiter : nous n'avons pas encore de radar en Polynésie française.
MM. Bouyx et Causse ont évoqué la submersion des côtes. Un processus de vigilance vagues-submersion a été institué. C'est le résultat d'un travail préparatoire d'étude de la vulnérabilité et des zones à risque, réalisé dans le cadre d'une collaboration par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), le Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) et Météo France. Plus récemment, nous nous sommes également rapprochés du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
Pour instaurer cette vigilance, nous avons dû créer un ensemble de systèmes spécifiques de modélisation, qui s'emboîtent : le premier modèle produit une prévision hauturière et globale des vagues. Le deuxième modèle dispose d'une résolution plus fine – à deux cents mètres – qui permet de disposer de l'état de la mer au plus près de la côte. Le troisième modèle gère la hauteur d'eau : il prend en compte les effets des marées et du vent sur la surélévation. Nous additionnons ensuite l'impact de l'élévation dynamique de la mer liée à la marée et au vent qui souffle sur la surface de l'océan avec l'état de la mer. Nous disposons ainsi d'une information sur la hauteur d'eau.
En amont, nous disposions déjà d'une cartographie de la côte, avec les zones à risques. Cela nous permet donc d'évaluer si le risque est supportable ou non, en fonction de sa localisation. Ainsi, récemment, certaines prévisions de hauteur d'eau suite au passage de la tempête Eleanor nous ont beaucoup inquiété pour Saint-Malo.
Ce travail est en perpétuelle évolution. Il fait partie de nos priorités. Nous essayons d'améliorer nos prévisions en intégrant de plus en plus de données satellites, importantes pour contrôler les conditions initiales.
En réponse à Madame Guion-Firmin, on peut souligner qu'Irma, qui a frappé Saint-Martin et Saint-Barthélemy, était un événement hors norme – vraiment exceptionnel. C'est l'ouragan le plus puissant jamais enregistré sur le bassin atlantique à l'est de l'arc antillais. Dans l'histoire moderne, c'est-à-dire pour nous depuis la fin des années soixante-dix – date à partir de laquelle on dispose de mesures à partir de satellites en fin de période –, c'est le premier ouragan qui a touché les petites Antilles alors qu'il était déjà en catégorie 5, avec des vents maximaux de 295 kmh en moyenne sur une minute – la catégorie 5 commence à 249 kmh… Les rafales étaient donc probablement beaucoup plus importantes.
Il figure parmi les cinq ouragans les plus puissants au monde ayant traversé une terre habitée. Il est resté soixante-douze heures d'affilée en catégorie 5, ce qui constitue également un record sur le bassin atlantique depuis le début de l'ère satellitaire. Avant, nous n'étions pas capables de disposer de ces statistiques.
Évidemment, Irma a engendré des pertes en vies humaines et des dégâts considérables, ce que tout le monde déplore. Ce qui frappe, au-delà d'Irma, c'est la succession de trois ouragans majeurs : Irma, José, puis Maria qui a touché la Guadeloupe, mais également la Dominique en catégorie 5, avec des vents de 160 kmh. C'est cette succession d'événements exceptionnels qui interroge à la fois le citoyen et les scientifiques. La recherche estime que les conditions terribles de ce mois de septembre étaient favorables à la formation de ces événements. Elles étaient favorables pour Irma et le sont restées pour José et pour Maria, ce qui explique cet enchaînement. Sans vouloir faire de parallèle abusif sous nos latitudes, pour des phénomènes intéressants l'Hexagone – et pour répondre à M. Bouyx – on se souvient de l'enchaînement des tempêtes Lothar et Martin en 1999. Ces tempêtes extrêmement intenses – qualifiées de bombes météorologiques – ont frappé successivement le nord et le sud de la France, avec une intensification extrêmement rapide.
Mais rien ne permet d'affirmer que l'on assiste à une augmentation de la fréquence des tempêtes. En hiver, la zone de prédilection – le rail – de ces tempêtes se situe actuellement dans la Manche. Sachant que ces événements résultent de la confrontation de masses d'air froid et de masses d'air chaud, dans la mesure où le réchauffement climatique actuel réchauffe davantage l'Arctique que les latitudes moyennes de nos régions, la différence de température entre l'Arctique – où réside l'air froid – et nos latitudes a tendance à diminuer. En théorie, cela devrait donc plutôt défavoriser la formation des tempêtes. Malgré tout, des tempêtes pourront continuer à se former dans le futur, même si elles se forment plus difficilement. Comme en 1999, on assistera aussi probablement encore à ces phénomènes d'intensification rapide, résultant de l'interaction d'une tempête – donc d'une dépression qui se forme – avec le fameux courant-jet – des vents très intenses, soufflant entre 8 et 12 kilomètres d'altitude, à des vitesses pouvant aller jusqu'à 400 kmh. Les avions l'utilisent pour aller plus vite entre l'Amérique et l'Europe.
Je compléterai en répondant à une question précédemment posée concernant les interactions entre El Niño et les cyclones.
On le sait, malheureusement, en Polynésie, des cyclones se produisent plus fréquemment quand un événement El Niño en cours. Qu'est-ce qu'El Niño ? C'est une anomalie de réchauffement au large des côtes péruviennes, dans le Pacifique tropical est, qui se produit de manière irrégulière – tous les deux à sept ans. La dernière a été observée en 2015-2016. Ces événements réchauffent la température de la surface océanique. Certaines régions, d'habitude plus concernées par les houles cycloniques, doivent alors gérer des phénomènes de cyclone. Cela a été observé en Polynésie, mais également dans des régions où cela n'avait pratiquement jamais été observé auparavant, au large des côtes pacifiques mexicaines par exemple, où un événement très intense s'est produit en 2015.
Quel est le futur d'El Niño ? Pour l'instant, la recherche n'est pas en mesure de se prononcer sur l'augmentation ou la diminution de sa fréquence. Nous restons très prudents à ce stade. Valérie Masson-Delmotte pourra éventuellement compléter mes propos avec d'autres éléments.
Je vous remercie pour ces informations, passionnantes pour le vécu de ces territoires. Elles nous permettent de comprendre comment ces phénomènes sont actuellement mieux appréhendés. Si vous disposez de compléments suite aux nombreuses questions qui vous ont été posées, n'hésitez pas à nous les adresser.
L'audition s'achève à dix heures.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 18 janvier 2018 à 9 heures
Présents. - Mme Justine Benin, M. Bertrand Bouyx, M. Lionel Causse, M. Stéphane Claireaux, Mme Claire Guion-Firmin, M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, Mme Sophie Panonacle, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Hugues Renson, Mme Maina Sage
Excusé. - M. Philippe Gomès
Assistait également à la réunion. - Mme Sophie Auconie