COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Lundi 10 mai 2021
La séance est ouverte à dix heures quarante.
(Présidence de M. Jean-Carles Grelier, coprésident de la mission)
La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l'audition de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
Après plus de cinquante heures d'auditions et deux déplacements, la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) arrive presque au terme de ses auditions en vue de la préparation d'un rapport sur l'évaluation des agences régionales de santé (ARS). Agnès Firmin Le Bodo et moi‑même avons, dès l'origine, pris deux partis. Le premier est d'évaluer les ARS sur leurs dix années d'existence et pas seulement depuis le début de la crise sanitaire. Le second est de ne pas céder aux sirènes qui nous poussent à proposer la suppression des ARS. À l'heure où le monde de la santé est bousculé par la crise sanitaire, une telle réforme n'aurait en effet pas de sens. Nous avons donc préféré proposer des améliorations, en réfléchissant notamment à une meilleure territorialisation.
Je voudrais commencer par une note d'ambiance. Vous avez été, monsieur le ministre, praticien hospitalier, parlementaire, rapporteur général de la commission des affaires sociales et membre de la MECSS. Votre lecture des ARS a‑t‑elle évolué au gré de ces fonctions ?
Au cours des auditions, plusieurs de vos prédécesseurs au ministère de la santé ont jugé que l'administration centrale était restée organisée en silos et n'avait pas accompagné l'évolution des ARS. Est-ce ainsi que vous voyez les choses ? Je prends l'exemple du département dont je suis l'élu, où un service d'urgences va sans doute être fermé en pleine crise sanitaire par l'ARS en raison d'un manque d'effectif, le Centre national de gestion ayant laissé partir deux praticiens hospitaliers par voie de mutation. N'y a-t-il pas là une occasion de fluidifier les relations entre les différents services de votre ministère et les ARS ?
À l'occasion des différentes auditions, nous avons pu constater une très grande disparité dans l'organisation territoriale des ARS, notamment au niveau du département. Si la souplesse de leur statut est plutôt intéressante, cette disparité se traduit par des situations où des directeurs départementaux siègent au comité exécutif (COMEX) ou se trouvent même investis d'un important pouvoir délégué du directeur général alors que, dans d'autres, les délégués départementaux ne sont que des courroies de transmission. Cela a généré des incompréhensions et des réactions négatives des associations d'élus locaux. Le Ségur de la santé prévoit le renforcement du lien territorial entre le ministère de la santé, d'une part, et les acteurs de la santé et les élus des territoires, d'autre part. Comment améliorer les choses ? Pensez-vous qu'il faudrait aller jusqu'à définir un schéma organisationnel identique pour tous les départements afin d'assurer une parfaite égalité entre tous les territoires ?
Je connais la qualité des travaux de la MECSS, dont j'ai suivi les publications au fil des ans. La MECSS, grâce à sa capacité à anticiper et à travailler dans la transversalité, est le lieu pour se poser les bonnes questions, au-delà des clivages politiques.
Je ne suis pas venu pour vous dire que tout va bien. Je n'avais cette habitude ni comme médecin, ni comme député, ni comme rapporteur général ; je ne l'ai pas plus comme ministre. Toutefois, mon premier message est de reconnaître l'exceptionnelle capacité de réactivité des agences régionales dans la durée et dans l'effort. Je la vis au quotidien. J'ai par exemple envoyé avant le week-end un SMS à un certain nombre de directeurs généraux d'ARS pour leur donner des objectifs chiffrés de vaccination à atteindre au 15 mai et les enjoindre à redoubler leurs efforts de mobilisation en ouvrant les centres de vaccination la nuit ou encore en vaccinant les vacanciers sur les aires d'autoroute.
Prenons de la hauteur. Nous parlons d'une crise sanitaire. Une crise, par définition, arrive sans qu'on ait pu l'anticiper et bouleverse l'action du quotidien. Les acteurs des agences régionales doivent donc traiter les affaires courantes, qui sont légion, et en même temps gérer et piloter la réponse à la plus grande crise que le monde ait connue depuis plus d'un siècle. Si tout cela se faisait sans difficulté et sans besoin de renfort dans les territoires, le premier procès que je pourrais faire en tant qu'ancien rapporteur général serait de juger que les ARS sont surdimensionnées en temps normal. Or, malgré les renforts et les soutiens, les équipes des ARS gèrent la crise au prix d'une fatigue conséquente, car elles sont mobilisées en semaine et en week-end et ont dû renoncer à des congés. Ces équipes sont des travailleurs de première ligne, essentiels et très engagés, qui ont réussi à faire face et continuent à le faire. Je leur tire donc mon chapeau.
Cette agilité que je constate dans mon quotidien avec les ARS, je la constate également avec les hôpitaux. Ainsi, des espaces permettant d'accueillir des civières de malades du covid-19 à l'extérieur des bâtiments, afin d'éviter de contaminer les autres patients, ont pu être organisés en 72 heures, voire en 48 heures. Autre exemple : les capacités en lits de réanimation ont été triplées grâce à la transformation de blocs opératoires en salles de réanimation. Je pourfends donc le discours de ceux qui voient dans l'hôpital une vieille structure trop rigide qu'il faudrait moderniser. Les hôpitaux en France sont modernes et réactifs. Il faut cesser de focaliser son attention sur ce qui ne va pas ! Malgré trois vagues épidémiques importantes, nous pouvons nous targuer de n'avoir jamais eu à trier les malades et nous n'avons pas subi de carence de médicaments de réanimation. La France n'a pas connu les scènes que nous avons pu voir en Italie, avec des malades utilisant des bouteilles d'oxygène dans les voitures, ou en Inde, où trois malades se partagent un même masque à oxygène. Ces résultats ont été obtenus grâce aux efforts des personnels des hôpitaux.
Je ne suis pas issu de la majorité qui a voté la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST : il serait donc facile pour moi de la critiquer. Je salue au contraire le formidable travail de construction qui a abouti à la « loi Bachelot » : celle-ci a non seulement créé les ARS, mais également mis fin au pilotage en silos de l'offre de médecine de ville et de médecine hospitalière en créant la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Cet outil centralisé donne une vision à 360 degrés de l'offre de soins. Cela ne me choque pas de voir, d'un côté, des administrations centrales focalisées sur des objectifs nationaux et, de l'autre, des agences déconcentrées et polyvalentes ayant une vision globale au niveau régional.
La structure qui doit avoir une vision centrale, polyvalente et à 360 degrés au niveau national, c'est bien le ministère. Il avait été question de créer une agence nationale de santé, et j'en avais d'ailleurs été partisan, mais trop regrouper à l'échelle nationale, c'est prendre le risque de faire disparaître le politique. Une telle agence aurait eu pour conséquence une totale dépolitisation de la gestion de crise sanitaire. Je ne m'inscris pas dans les procès contre l'État profond, mais la place du politique dans la gestion d'une crise sanitaire au sein d'un système démocratique comme le système français est fondamentale.
La question de l'organisation départementale a été abordée en début de mandat afin d'améliorer les conditions de recrutement des délégués départementaux. Historiquement, les postes de directions départementales furent occupés par des fonctionnaires exerçant des fonctions de direction dans les sept structures fusionnées par la loi HPST. On demandait donc à des ingénieurs des eaux, sans doute très compétents, de gérer la politique sanitaire et sociale à l'échelle d'un département, en lien avec les élus. Aujourd'hui, les profils des délégués départementaux ont considérablement évolué et continueront d'évoluer.
Je constate lors de mes déplacements que les élus ont tendance à comparer le directeur général de l'ARS de leur région au préfet de leur département. Je ne connais pas le nom des préfets de région ni des délégués départementaux d'ARS qui se sont succédé au cours de mon mandat de député. Je connaissais en revanche le préfet de département et le directeur général de l'ARS. On ne peut pas comparer un délégué départemental à un préfet de département : ni les fonctions ni la force de frappe organisationnelle en proximité ne sont les mêmes. Il est donc important qu'un directeur général d'ARS entretienne la même proximité avec les élus qu'un préfet de département. Cette importance a été renforcée après la réforme des régions. Je demande donc aux directeurs généraux d'ARS et aux délégués départementaux nouvellement nommés d'être le plus possible en lien avec les élus dans les territoires. Leur fonction politique est aujourd'hui très forte.
Le fonds d'intervention régional (FIR) est un outil d'agilité des ARS. Chaque année, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, certains essayent de fixer des sous-objectifs au niveau national. C'est une chance énorme pour notre pays d'avoir des agences régionales dotées de budgets conséquents qu'elles peuvent dépenser comme elles le souhaitent. C'est ce qui a permis pendant la crise sanitaire de trouver très rapidement, sans avoir besoin d'aller chercher des budgets au niveau national, des solutions opérationnelles. Voilà un aspect réussi de la déconcentration.
Nous allons discuter de ce qui doit être amélioré ou renforcé. Je ne suis pas là pour faire l'apologie des ARS et des délégations départementales, mais il ne faut pas perdre de vue l'effort conséquent réalisé par ces structures. Lors de mes déplacements, je demande aux préfets que je rencontre leur avis sur l'action des ARS. Tous me disent, à l'exception d'un préfet qui avait eu des difficultés avec son délégué départemental, qu'ils sont heureux de travailler avec les ARS et que les choses se passent très bien. Je le constate aussi de ma fenêtre. Il faut donc insister sur ce qui fonctionne tout en corrigeant ce qui doit l'être.
Je constate que vous rejoignez notre avis, monsieur le ministre : il ne faut pas supprimer les ARS, comme certains nous enjoignent de le faire, mais bien essayer d'améliorer ce qui peut l'être. Toutefois, je n'irais pas jusqu'à dire, comme vous-même ou les préfets, que tout va bien.
Disons que tout ne va pas mal. La crise sanitaire a mis en avant les ARS et soulevé l'enjeu de leurs relations avec le territoire. Jean-Carles Grelier et moi-même sommes convaincus que des améliorations peuvent être apportées – nous ferons des propositions à ce sujet dans la partie de notre rapport consacrée à la gestion de crise. Comment institutionnaliser les relations que les directeurs généraux d'ARS ont construites avec les préfets ? Quel rôle donner aux délégués départementaux ? Il faut lutter contre ce sentiment d'éloignement des ARS, qui s'est renforcé après la loi créant les grandes régions, même si certains collègues que nous avons interrogés n'ont pas ce ressenti. Quels moyens humains affecter à cet objectif et avec quels profils ? Faut-il désengorger les directions régionales pour mettre plus de moyens dans les départements ? Il faut également lutter contre le sentiment d'inégalité territoriale. Jean-Carles Grelier et moi-même proposons d'instituer un schéma d'organisation identique pour toutes les ARS.
Dans le cadre d'une crise qui, comme celle que nous traversons, dure, l'idée d'une réserve administrative pouvant épauler les équipes du ministère et des ARS, qui sont sur le pont jour et nuit, semble intéressante. Une telle réserve pourrait être intégrée à un schéma de crise.
Ma dernière question porte sur la démocratie sanitaire et sur le rôle des usagers et des élus. Quelle en est votre vision ?
Je voudrais d'abord saluer le travail des coprésidents et de la rapporteure, qui a permis de dresser un bilan du déploiement des ARS et de dessiner des perspectives pour le futur.
Santé publique France, établissement public placé sous la tutelle du ministère de la santé, et les ARS peuvent élaborer des conventions sur le suivi épidémiologique, des investigations en santé environnementale, la réserve sanitaire ou les campagnes de prévention. Sur ce dernier point, les inégalités d'engagement dans les régions sont flagrantes, d'autant plus que les ARS sont actuellement principalement mobilisées sur l'offre de soins. Envisagez-vous une déconcentration plus poussée dans ce domaine ? La prévention en région doit être développée avec les décideurs locaux et Santé publique France doit être plus visible dans les territoires.
Mon groupe a l'habitude de vous interroger régulièrement sur la répartition territoriale du fonds d'intervention régional. Je suis d'accord avec vous, c'est un outil important pour adapter le financement des ARS en fonction des besoins qu'elles identifient dans leur territoire, en matière tant d'offre médico-sociale et de soins sanitaires que de prévention ou de facilitation de l'accès aux soins. Nous proposons notamment que le FIR soit réparti en fonction d'indices tenant compte de la situation sanitaire régionale, afin d'éviter que les maladies chroniques ne pèsent trop lourdement sur le système de soins. Cette question est centrale, notamment dans les Hauts-de-France. Comment réduire la fongibilité asymétrique, qui joue souvent au détriment du FIR ?
Il faut renforcer le niveau départemental. Le Premier ministre s'y est d'ailleurs engagé et j'y suis très favorable. Tous les postes fonctionnels qui doivent être créés le seront à l'échelle départementale afin de permettre au délégué départemental de faire face à la multiplicité de ses missions. Cela permettra en outre de renforcer les relations avec les collectivités.
Un cadrage interdépartemental est souhaitable, mais un schéma identique ne permettrait pas de tenir compte de la particularité de chaque département. On ne peut pas comparer l'Isère et la Lozère. La crise sanitaire, mais aussi la gestion quotidienne nous ont montré qu'une certaine souplesse était nécessaire. Il faut prendre garde à ce que la décentralisation ou la déconcentration ne s'accompagnent pas de règles strictes établies au niveau national. De nombreux directeurs généraux d'ARS se plaignaient que les priorités nationales de politique sanitaire à appliquer dans les territoires consommaient 90 % de leur FIR, transformant ainsi un fonds qui devait être dédié à l'innovation et à l'intervention directe en un budget qui taisait son nom. Les choses se sont améliorées, mais il faut faire attention. Je précise que les sommes allouées au FIR sont fongibles, sauf la partie consacrée à la prévention, qui est sanctuarisée et ne peut être amputée.
La réserve de support est fondamentale. Elle a d'ailleurs été activée au niveau central et au niveau territorial. J'ai moi-même pu voir cette réserve en action puisque la bibliothèque du ministère a été transformée en un immense open space où se côtoyaient des personnes venues de partout pour nous prêter main forte. Le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales fait un gros travail pour garder la mémoire des personnes ayant travaillé dans ce cadre tout au long de la crise sanitaire. Leur participation a été plus ou moins longue. Certains l'ont fait de façon bénévole et les profils étaient divers : des personnes venant du secteur public – des militaires, des pompiers, des gendarmes – de la société civile ou du secteur privé. On m'a reproché d'avoir fait appel à des acteurs privés, mais je ne le regrette pas, car ils ont fait preuve d'un savoir-faire incroyable, notamment en matière logistique.
La plupart des ARS souhaitent avoir davantage la main sur les « cellules d'intervention en région » (CIRE) qui, aujourd'hui, relèvent de Santé publique France. J'ai d'ailleurs observé un manque de liaison en certains endroits entre les CIRE et les ARS. Il faudra en tirer les conclusions une fois la crise passée.
La santé environnementale est un sujet passionnant. Pas plus que les autres pays, la France ne dispose d'une capacité parfaitement adaptée dans ce domaine et j'ai pu constater comme député et comme médecin les lacunes de notre système, mais il s'agit d'un domaine émergeant dans lequel nous avons encore tout à apprendre.
La santé environnementale et son organisation territoriale demandent des moyens importants car il s'agit de mener des actions de prévention, d'information et d'intervention, y compris dans l'urgence. Lors de l'incendie de l'usine Lubrizol, la communication avait été faite par secteur plutôt que de façon globale : sur la qualité de l'eau d'abord, puis, deux jours plus tard, sur la qualité de l'air. Je m'attendais naïvement à voir des médecins en blouse blanche expliquer aux habitants qu'ils pouvaient vivre en toute sécurité dans la périphérie de l'usine, mais on a préféré fonctionner de façon très sectorielle. Je ne suis pas certain que les médecins du travail aient été appelés en urgence, alors qu'ils étaient les plus à même de connaître la nature des produits stockés dans l'usine et dont la combustion aurait pu provoquer des dégâts sanitaires. Je ne suis pas convaincu non plus que l'on appelle en premier lieu les médecins du travail et les vignerons en cas de pollution agricole à côté d'une école, alors qu'ils connaissent les produits et la zone d'épandage. La réponse aux cas d'agénésie des bras, qui, dans l'Ain et ailleurs, faisaient peur à la population n'a pas été suffisamment globale et structurée.
Les réponses aux enjeux de santé environnementale doivent être améliorées et nécessiteront d'importants moyens publics. Le métier de préventologue pourrait être une piste d'amélioration : il serait chargé, dans le cadre d'une pensée globale, de former, d'informer et d'enquêter sur place, avec une équipe capable de se projeter immédiatement pour réaliser des prélèvements d'eau et d'air.
Dans l'esprit d'Agnès Firmin Le Bodo comme dans le mien, il ne s'agit pas de créer un schéma d'organisation départemental sur le modèle des anciennes directions départementales des affaires sanitaires et sociales, avec la même lourdeur. L'idée est que chaque délégué ou directeur départemental ait le même degré de compétence, pour gérer par exemple une partie du FIR, et de délégation de la part du directeur général de l'ARS afin que la réponse aux demandes des acteurs de santé et des élus locaux soit la plus rapide possible dans tous les départements du territoire.
L'organisation départementale ne peut être la même dans un département sur le territoire duquel se trouve un site classé Seveso et dans un département qui n'en a pas. Encore une fois, je suis favorable à un cadrage, mais pas à une organisation uniforme.
Des débats ont eu lieu pour savoir s'il fallait retirer les enquêtes sur les eaux de la compétence des ARS pour les transférer aux préfectures. Sans la compétence et la disponibilité des agents des ARS, qui sont capables de réagir les soirs et les week-ends pour faire face à une urgence sanitaire potentielle, la qualité de la réponse n'aurait pas été la même. Cette vision globale est indispensable.
Globalement, nous partageons votre analyse. Une des surprises de nos auditions est le malaise exprimé par les représentants du corps du génie sanitaire et des corps de contrôle qui, à plusieurs reprises, se sont interrogés pour savoir s'ils avaient encore leur place dans l'organigramme des ARS. Le corps du génie sanitaire se trouve souvent partagé entre le préfet au titre de la police administrative et le directeur général de l'ARS pour la police sanitaire. Certains d'entre eux ont manifesté le souhait de quitter le giron sanitaire pour rebasculer sous le giron préfectoral.
Pourquoi avoir fait le choix, dès le début de la crise, de déroger au code de la danté publique en confiant l'essentiel de la gestion de la crise au ministère de la santé plutôt qu'au ministère de l'intérieur ? Nous avons posé cette question à votre secrétaire général et à votre directeur général de la santé : ils nous ont renvoyés à la dimension politique – je m'adresse donc directement à vous. Les préfets que nous avons auditionnés nous ont dit que les relations avec les ARS étaient fluides mais la question demeure de savoir pourquoi ils n'ont pas été les premiers acteurs de la crise. Le code de la santé publique prévoit en effet qu'en cas de crise sanitaire, c'est le préfet qui est à la manœuvre, avec l'expertise du directeur général de l'ARS.
La crise sanitaire a été l'occasion de voir l'intelligence de terrain se manifester. De nombreuses organisations ont fait fi des habitudes en agissant avec efficacité hors des cadres et des normes. Pouvez-vous nous donner des garanties que ces pratiques menées au plus près de la réalité du terrain seront prises en considération une fois la crise terminée ? Les hôpitaux se sont organisés de façon beaucoup plus souple qu'à l'accoutumée, en s'affranchissant dans une certaine mesure de l'autorité administrative des ARS. Nous espérons que des décisions fortes seront prises à la suite de ce retour d'expérience.
Les comités exécutifs des ARS sont composés pour un tiers de personnes issues des corps de contrôle et la totalité des délégués départementaux y siègent.
Il m'est arrivé de dire qu'en cas de crise sanitaire, les préfets prenaient la main de fait sur la gestion de crise. L'article L. 1435-1 du code de la santé publique dispose, dans son alinéa 5, que le préfet peut placer les services de l'ARS sous son autorité quand une crise sanitaire entraîne un risque de trouble à l'ordre public. Cela peut être le cas d'un attentat ou d'une guerre bactériologique, mais ce n'est pas forcément le cas d'une épidémie. Le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, le préfet Bouillon, qui fait autorité, s'est exprimé devant la mission pour faire part de ses doutes sur la prise en main de la crise par les préfets, alors que ceux-ci n'ont pratiquement plus aucune compétence en matière de santé et qu'ils ne connaissent aucun des interlocuteurs, en dehors peut-être du directeur du SAMU. Il a ajouté que la collaboration avait bien fonctionné et que les préfets ne voulaient pas s'en occuper ; ces derniers me l'ont d'ailleurs tous confirmé. Nous avons fortement impliqué les préfets dans le pilotage des centres de vaccination aux côtés des ARS. Les préfets comme les directeurs généraux des ARS ont fait un très gros travail, mais le leadership en matière de politique vaccinale est assuré par les ARS et ce sont elles qui sont comptables de notre bilan.
La souplesse des pratiques est un des acquis positifs de cette crise terrible, qui nous a conduits à bazarder tout un tas de règles rigides et de normes qui n'ont pas de sens. La loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification adoptée à l'initiative de Mme Rist a ainsi rendu non opposable aux établissements de santé une partie conséquente du code de la santé publique, ce qui, avant la crise, eût été impensable. Aujourd'hui, nous disons à tous ceux qui se sont formidablement organisés pendant la crise : ce que vous avez réussi à faire, il n'y a pas de raison que vous ne soyez pas capables de le faire en un jour ordinaire. Nous voulons faire davantage confiance et imposer beaucoup moins de rigidité et de lourdeur.
Je mène un combat permanent dans mon ministère, parce que les habitudes de l'administration centrale peuvent revenir rapidement. En voici un exemple. Le régime d'autorisation de certains plateaux techniques m'agaçait profondément comme député et continue à m'agacer comme ministre. Les délais pour obtenir un équipement d'imagerie par résonance magnétique peuvent aller jusqu'à deux mois. Or il peut arriver que, dans une région, le comité ad hoc – la commission spécialisée de l'organisation des soins – valide trois ou quatre projets d'équipement mais que l'ARS ne puisse accorder qu'une seule autorisation dans l'année : comment en est-on arrivé là ? Le législatif comme l'exécutif ont considérablement rigidifié le droit en multipliant les normes, notamment dans le cadre de la maîtrise médicalisée. La gauche comme la droite ont fait le procès de l'hospitalo-centrisme et ont instauré des barrières et des garde-fous pour aller vers davantage de médecine de ville.
De même, le financement de la réanimation fonctionne par autorisations. Un hôpital peut se voir contraint de maintenir dix lits de réanimation et, que ces lits soient occupés par des malades ou non, le coût sera quasiment le même puisque les charges fixes en réanimation représentent 85 % des coûts liés à l'activité du service. Si tous les lits ne sont pas occupés, l'hôpital perdra de l'argent avec la réanimation. Cela a induit des comportements de recours excessif à la réanimation pour des patients qui n'en relevaient pas forcément. Aucun patient n'a été intubé alors qu'il n'en avait pas besoin, mais des facturations ont été faites pour rentabiliser un service de réanimation. Cela n'a pas de sens, surtout dans le cadre d'un dispositif qui fonctionne par autorisation. J'en avais fait le constat dans le cadre d'un rapport que j'ai rédigé en 2015 lorsque j'étais député, et nous sommes en train de changer cela. Nous devons faire évoluer notre référentiel de gouvernance nationale pour tenir davantage compte des réalités de terrain.
Une des raisons qui nous amènent à penser qu'il faut renforcer les délégations et les directions territoriales, c'est le sentiment d'hospitalo-centrisme des ARS ressenti par l'ensemble du secteur médico-social. Ce sentiment repose sur des chiffres, étant donné l'importance du budget consacré à l'hôpital. À titre personnel, je pense que la mutation vers le secteur médico-social était en bon chemin, mais que la création des grandes régions a empêché son aboutissement. Ce secteur se sent aujourd'hui « lésé ».
Vous avez parlé, monsieur le ministre, de préventologue – on peut aussi parler de préventeur ; la sémantique reste à définir – mais la prévention est un enjeu de santé publique. Nous continuons à nous interroger sur le positionnement de Santé publique France par rapport aux ARS, car nous n'avons toujours pas obtenu de réponses claires à ce sujet, malgré les auditions que nous avons menées. C'est un vrai souci.
Un important retour d'expérience est en cours sur Santé publique France. La fusion au sein de Santé publique France de structures telles que l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé ou l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires a pu avoir du sens pour constituer un organisme davantage tourné vers les grandes campagnes de prévention que vers la gestion de crise. Depuis le début de l'épidémie, Santé publique France a été réorientée vers la gestion de crise, mais l'heure n'est pas venue de dresser un bilan définitif. Le bilan se construit au quotidien afin d'identifier des pistes de réforme. Dans cette perspective, et je le dis sans flagornerie, j'ai besoin des travaux parlementaires et du regard transversal que vous portez sur ces questions.
Il existait deux secteurs médico-sociaux : celui qui avait déjà une gouvernance médicalisée bien structurée et celui qui n'en avait pas. Pour ce dernier, il a fallu la créer très rapidement et, pour le premier, les liens avec le champ sanitaire se sont faits beaucoup plus rapidement. Le lien entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social est précieux et je dirais, même si j'ai horreur de cette expression, qu'il est gagnant-gagnant. Le paquet a été mis sur le médico-social ; ce secteur a mobilisé énormément d'énergie des équipes, car il s'est trouvé au cœur de la crise. Les gens y mouraient le plus et c'est donc là qu'il fallait prévoir la plus grande protection. Lorsque le lien entre l'hôpital et les établissements médico‑sociaux, tels que les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), préexistait grâce à une gouvernance forte, par exemple pour le matériel de protection, la vaccination ou la filière de prise en charge et d'hospitalisation ad hoc de patients, tout a bien fonctionné et cela a été magique.
La relation avec les départements pose en revanche davantage de questions, même si certains départements ont fourni une aide précieuse, notamment en matière de transport de marchandises ou de matériel de protection. Nous devons consacrer notre énergie davantage à la gouvernance des EHPAD – elle fera d'ailleurs l'objet d'un futur projet de loi – qu'à la crainte que l'hôpital « bouffe » le médico-social, car c'est plutôt l'inverse qui risque de se produire. En effet, si les choses ne sont pas bien structurées, les charges placées en aval et en amont de l'action des hôpitaux pourront pourraient les empêcher d'accomplir le cœur de leur mission. Il faut donc veiller à ce qu'une congruence très forte existe entre l'hôpital et le médico-social.
Lors d'un déplacement dans l'Yonne, la semaine passée, avec Agnès Firmin Le Bodo, nous avons pu constater que la déléguée départementale ne siégeait pas au comité exécutif de l'ARS – je le signale toutefois avec réserve car la crise sanitaire a interrompu, notamment dans l'Yonne, le processus de décentralisation vers les délégations départementales.
J'ai bu vos propos, monsieur le ministre, lorsque vous avez parlé des plateaux techniques et exprimé le souhait de passer d'un régime d'autorisation à un régime de déclaration. Au mois de juin dernier, j'ai défendu dans l'hémicycle une proposition de loi qui visait à permettre la réorganisation des hôpitaux pendant la crise. Cette proposition n'a malheureusement pas reçu votre aval – dont acte.
Comment voyez-vous demain la gouvernance des ARS, pour répondre notamment à l'aspiration des élus départementaux et régionaux d'être plus fortement impliqués dans la gouvernance de la santé ? La crise a été l'occasion de voir les départements et les régions agir de façon parfois très efficace aux côtés des ARS. Les dix-huit directeurs généraux que nous avons auditionnés ont évoqué l'idée de créer un conseil d'administration qui viendrait se substituer au conseil de surveillance et à l'intérieur duquel pourraient siéger les élus des territoires. Est-ce également votre souhait ? Comment pourrait-on permettre la co‑construction avec les régions dans le domaine sanitaire et les départements dans le domaine médico-social ? Cette question est essentielle pour l'avenir. À titre personnel, je ne suis pas favorable à une totale décentralisation ni à la création d'objectifs régionaux de dépenses d'assurance maladie. Comme vous, je considère que la santé doit d'abord être gérée au niveau national, afin de garantir l'égalité d'accès et de prise en charge dans tous les territoires.
En Bourgogne-Franche-Comté, le COMEX est appelé comité de direction (CODIR) et la déléguée départementale de l'Yonne y siège.
Il n'existe pas de minorité de blocage dans le conseil de surveillance des ARS. Le directeur ne sera donc pas gêné dans la présentation de son budget. Les élus, qui n'y ont aucun poids décisionnel, ne sont dès lors pas incités à y siéger. Les grands élus sont d'ailleurs la plupart du temps absents des ARS – c'est un problème. La future loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la décomplexification, dite loi « 4D », prévoit la transformation du conseil de surveillance en conseil d'administration avec deux vice‑présidences revenant à des représentants des collectivités territoriales. Je souhaite que ces postes soient occupés par les grands représentants des collectivités. Je suis favorable au renforcement des compétences et du rôle des élus locaux dans les prises de décisions dans le domaine sanitaire au niveau régional. Un décret allant en ce sens est d'ailleurs en cours de préparation et sera signé dès la promulgation de la loi. Le lien entre les collectivités et l'État doit être renforcé dans le domaine sanitaire.
Il faut des preuves d'amour et la première preuve d'amour, ce fut la transformation du comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers en Conseil national d'investissement en santé. Désormais, les décisions concernant les projets inférieurs à 150 millions d'euros sont décentralisées et déconcentrées : il n'y a plus d'intervention de l'État. J'ai demandé que les élus fassent partie des processus décisionnels sur les budgets hospitaliers. Par ailleurs, on peut rêver, rien n'empêche les collectivités de mettre au pot commun.
Je ne suis en revanche pas favorable à une plus forte implication des élus dans la gestion du risque sanitaire. Je n'ai d'ailleurs pas été en phase avec les élus qui s'y sont essayés. Certains l'ont fait plus ou moins publiquement, qu'il s'agisse de politique vaccinale ou d'ordonnance de certains médicaments. Je me réjouis que ces initiatives aient été bloquées au niveau national.
En tant que député, j'ai été l'auteur d'un amendement, qui a été adopté, renforçant le rôle des élus locaux comme acteurs des politiques de santé publique. La politique de santé publique a d'ailleurs été historiquement conduite par des élus locaux, à qui l'on doit les grands gains d'espérance de vie dans l'histoire de notre pays : le tout-à-l'égout, l'eau potable, l'ouverture des fortifications pour laisser passer l'air, l'élargissement des voies pour éviter une trop grande promiscuité ou encore la gestion des déchets. Aujourd'hui, je ne peux pas concevoir qu'une collectivité territoriale élabore un plan local d'urbanisme ou un plan de transport sans volet sanitaire. Le sanitaire doit imprégner les politiques des collectivités. La santé n'est pas un domaine exclusivement régalien et elle doit être davantage décentralisée, mais la gestion du risque nécessite un pilotage particulier qui doit rester l'apanage de l'État, en concertation avec les élus.
Vos services pourraient-ils nous adresser le projet de décret que vous avez évoqué, afin que nous puissions le prendre en considération dans les conclusions de notre rapport ? Puisque je suis en train de quémander des informations, j'en profite pour vous dire que nous avons adressé à votre secrétariat général, il y a déjà quelques semaines, un questionnaire et la MECSS souhaiterait vivement obtenir une réponse. Je vous rappelle que la MECSS a le privilège de pouvoir enquêter sur pièces ou sur place : nous ne voudrions pas être obligés d'aller frapper à la porte de votre ministère pour obtenir cette réponse !
La réponse au questionnaire est prête et vous sera envoyée dans les jours qui viennent. Ne vous déplacez pas – si vous venez, je vous offrirai le café ! Quant au décret, il est encore en cours de préparation.
Merci, monsieur le ministre, de nous avoir consacré du temps ce matin dans le cadre d'un agenda sanitaire et parlementaire chargé.
La séance est levée à onze heures quarante-cinq.