Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 12h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • discrimination
  • diversité
  • défenseur
  • identité
  • racisme

La réunion

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La mission d'information procède à l'audition de Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, et de Mme George Pau-Langevin, adjointe en charge de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l'égalité.

La séance est ouverte à 12 heures.

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Mes chers collègues, nous avons l'honneur de recevoir à présent Mme Claire Hédon, Défenseure des droits.

Madame Hédon, notre mission d'information a été créée par la Conférence des présidents le 3 décembre 2019 mais, en raison de la crise sanitaire, elle n'a pu commencer ses travaux qu'au mois de juin. Depuis, Caroline Abadie, la rapporteure, et moi-même organisons nos auditions tambour battant afin de tenter de cerner le sujet très complexe qu'est la persistance du racisme dans la société française, racisme qui prend de nouvelles formes, comme nous avons pu le constater, hélas, au fil de nos travaux.

Si le racisme est un phénomène profond auquel le législateur s'intéresse de longue date, nous ne pouvons pas passer sous silence son actualité ; je pense notamment à la question des rapports de la population avec la justice et la police, qui anime le débat public depuis quelques mois, outre-Atlantique et plus récemment en France. Police et justice jouent, à n'en pas douter, un rôle majeur dans la lutte contre le racisme. La contribution de la Défenseure des droits que vous êtes nous sera très précieuse pour étayer nos analyses.

Nous avons déjà entendu de nombreux interlocuteurs, notamment des universitaires, qui nous ont aidés à mieux appréhender les concepts, des représentants de grandes associations spécialisées dans la lutte contre le racisme, dont l'ancrage territorial nous permet de bénéficier de retours exhaustifs du terrain. Nous avons également eu l'honneur de recevoir le ministre de l'éducation nationale et la ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances ainsi que les autorités publiques compétentes dans ce domaine.

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Nous avons en effet choisi d'interroger tout d'abord des universitaires afin de donner un cadre à cette mission d'information. Puis nous avons rencontré des associations, chacune étant spécialisée dans la défense d'un groupe de personnes ayant des origines communes, afin de comprendre, sans remettre en cause notre attachement à l'universalisme, ce que peuvent vivre les personnes, en particulier les jeunes, victimes de discriminations liées à leur pays d'origine, leur couleur de peau ou leur religion. Nous constatons également depuis quelque temps que la diversité au sens large, étendue notamment aux femmes et aux personnes en situation de handicap, s'invite dans nos débats : après la concurrence mémorielle, nous assistons à une concurrence des diversités que vous avez peut-être également pu observer.

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Madame la Défenseure des droits, je tiens, avant de vous donner la parole, à saluer votre adjointe et notre ancienne collègue, Mme Pau-Langevin, que je félicite pour sa nomination.

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Claire Hédon, Défenseure des droits

Je vous remercie de m'avoir sollicitée car l'objet de votre mission d'information fait partie de mes priorités – ce n'est pas sans raison que j'ai souhaité avoir George Pau-Langevin à mes côtés en tant qu'adjointe chargée de la lutte contre les discriminations. Je me réjouis également que vous ayez ouvert vos auditions à des acteurs européens tels que l'Unia, le centre interfédéral pour l'égalité des chances, qui est notre homologue belge en matière de lutte contre les discriminations, ou l' Independant office for police conduct (IOPC), notre homologue britannique en matière de déontologie de la sécurité.

Le Défenseur des droits travaille depuis de nombreuses années sur les discriminations fondées sur l'origine. Plusieurs rapports, dont vous avez certainement pris connaissance, ont été publiés sur ces enjeux, dont le dernier, intitulé Discrimination et origine : l'urgence d'agir, a paru en juin dernier. En la matière, je me situe dans la lignée de mon prédécesseur.

La crise sanitaire et la période de confinement ont mis en lumière et exacerbé les inégalités sociales et les discriminations, en particulier celles qui sont subies par les personnes d'origine étrangère ou perçues comme telles. Ainsi, les personnes d'origine immigrée ont été, certaines études l'ont bien montré, surexposées au risque sanitaire et à la maladie. Ces discriminations subitement rendues visibles sont trop souvent ignorées ou minimisées alors qu'elles affectent le quotidien et le parcours de vie de millions d'individus. Il me paraît donc urgent d'agir pour qu'elles soient dénoncées et combattues.

Avant de préciser les compétences du Défenseur des droits en matière de discriminations fondées sur l'origine, je souhaiterais clarifier les notions de racisme et de discrimination.

Le racisme renvoie à une idéologie ou à un système de domination fondé sur une hiérarchisation des groupes en raison de leur prétendue origine ou race ; ses manifestations peuvent être multiples : propos, pratiques, attitudes, préjugés, idéologie et discriminations. La loi distingue ces dernières des autres manifestations du racisme ; le juge ne les appréhende pas de la même façon. La sanction des paroles, écrits ou images qui stigmatisent, humilient ou attisent le racisme est prévue par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Quant aux violences racistes, elles relèvent des circonstances aggravantes des crimes et délits prévus dans le code pénal. S'agissant de l'appréhension juridique des discriminations raciales, le Défenseur des droits mobilise le droit de la non-discrimination. Issu du droit européen, il définit la discrimination comme une inégalité de traitement en raison d'un critère prohibé par la loi – par exemple, l'origine, mais ce peut être également le handicap – dans un des contextes prévus par la loi, notamment l'emploi, le logement et l'accès aux biens et aux services.

Cette définition appelle deux précisions. Aux termes de la loi du 27 mai 2008, l'inégalité de traitement peut être volontaire ou non, consciente ou non, de sorte que des pratiques neutres en apparence, insidieuses ou invisibles peuvent également être sanctionnées. Par ailleurs, les discriminations fondées sur l'origine peuvent être appréhendées par d'autres critères que l'origine : l'apparence physique, le nom, la nationalité, le lieu de résidence, l'appartenance ou la non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation, une prétendue race ou à une religion, la capacité de s'exprimer dans une autre langue que le français.

Ainsi, les discriminations fondées sur l'origine se distinguent du racisme, mais elles s'inscrivent souvent dans un continuum d'attitudes hostiles, qui comprennent des préjugés, des stéréotypes, des propos, des comportements stigmatisants ou des situations de dévalorisation. C'est ce que montrent les résultats particulièrement intéressants du dernier baromètre sur la perception des discriminations dans l'emploi, publié la semaine dernière, que le Défenseur des droits réalise conjointement avec l'Organisation internationale du travail (OIT). De telles attitudes hostiles peuvent in fine constituer un harcèlement discriminatoire au travail, que la loi définit comme des agissements liés à un motif prohibé subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. J'ajoute que, à la suite de nos recommandations, ces agissements n'ont plus besoin d'être répétés : un acte unique jugé particulièrement grave peut suffire.

Les discriminations raciales révèlent en définitive le poids des stéréotypes. La discrimination fondée sur l'origine vise des individus, non pour ce qu'ils font mais pour ce qu'ils sont ou sont supposés être. Elle repose sur des stéréotypes associés aux individus sur le fondement de signes extérieurs – couleur de peau, traits du visage, texture des cheveux… – ou de caractéristiques socioculturelles – religion, lieu de résidence… – qui laissent supposer une origine étrangère. Elle ne se réduit donc pas à une question de nationalité ou de parcours migratoire ; elle touche d'ailleurs, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), près de 21 % de la population française.

La sensibilisation contre ces stéréotypes est donc essentielle pour lutter contre les discriminations. Tel est l'objet de deux dispositifs que nous pilotons : le programme des Jeunes ambassadeurs des droits (JADE), lesquels se rendent dans les écoles pour sensibiliser les enfants à leurs droits – le site internet « égalité contre racisme » contribue également à cette sensibilisation en rassemblant des ressources juridiques et des moyens d'action –, et la plateforme pédagogique Éducadroit.

Quelles sont les différentes formes de discriminations liées à l'origine que révèlent nos saisines et nos rapports ?

Entre janvier et septembre 2020, 12 % des dossiers que nous avons reçus au siège concernaient des discriminations. Dans ces dossiers, l'origine est invoquée dans 12 % des cas, ce qui en fait le deuxième critère de discrimination, après le handicap, qui concerne quant à lui 19 % des dossiers. Mais si l'on intègre les critères de nationalité, de conviction religieuse, d'appartenance physique, de patronyme, de lieu de résidence, l'origine, dans son acception large, concerne environ 28 % de nos saisines en 2020. Les domaines concernés sont majoritairement l'emploi – 60 % des saisines, l'emploi privé représentant les deux tiers d'entre elles –, puis l'accès à des biens et services, à hauteur de 10 %, et le logement, à hauteur de 10 % également.

Pour illustrer la diversité des dossiers que nous instruisons dans ce domaine, je citerai les refus d'inscription à l'école opposés à des mères d'enfants roms résidant dans des campements ou des hôtels, le comportement discriminatoire des forces de l'ordre à l'égard des Roms ou des personnes sans domicile fixe, les discriminations fondées sur l'apparence physique – au sujet desquelles nous avons publié en 2019 une décision-cadre –, la discrimination systémique de vingt-cinq travailleurs maliens dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, reconnue en 2019 par le conseil de prud'hommes de Paris, et les discriminations fondées sur la religion, principalement des refus d'accès aux centres de loisirs du fait du port du voile ou la suppression des menus de substitution dans certaines cantines scolaires.

Au-delà de ces exemples, je veux insister sur l'ampleur des discriminations liées à l'origine dans notre société. Je n'entrerai pas dans le détail des chiffres, que vous connaissez bien ; je rappellerai uniquement deux constats corroborés par les enquêtes. Les personnes perçues comme non blanches sont désavantagées dans l'intégralité des sphères de la vie sociale : elles sont davantage exposées au chômage, à la précarité sociale, à de mauvaises conditions de logement, à un état de santé dégradé et à des contrôles policiers plus fréquents. Par ailleurs, les discriminations fondées sur l'origine se combinent à d'autres formes de discriminations et d'inégalités liées aux ressources économiques, au statut dans l'emploi, au genre, à l'orientation sexuelle et à la religion.

Les personnes qui sont au croisement de différentes formes de discrimination sont ainsi particulièrement exposées au processus de stigmatisation et d'exclusion. Pour ne citer qu'un seul chiffre, les femmes âgées de 18 à 44 ans vues comme noires, arabes ou asiatiques ont une probabilité deux fois et demie plus élevée d'expérimenter des discriminations dans l'emploi que les femmes vues comme blanches. Les discriminations doivent donc être considérées dans une perspective systémique et intersectionnelle qui prenne en compte les représentations stigmatisantes, l'interaction entre les différents types de discriminations subies, les inégalités socio-économiques et la part des institutions.

Pour ces différentes raisons, l'expérience des discriminations a des conséquences délétères et durables pour les parcours individuels et la société. Pour les personnes concernées, elles provoquent à la fois une perte de bien-être, une perte de chance et, du fait des efforts décuplés, une perte de confiance. Sur ce point, je vous renvoie également au baromètre réalisé avec l'OIT, qui souligne les effets des discriminations non seulement sur la vie professionnelle mais aussi sur la vie personnelle, la santé physique et psychologique.

Avant d'évoquer nos recommandations, je tiens à souligner deux limites auxquelles se heurte actuellement la lutte contre les discriminations. D'une part, malgré l'adoption de directives européennes en 2000, les discriminations raciales n'ont fait l'objet d'aucune politique publique propre, contrairement à celles fondées sur le genre ou l'orientation sexuelle. D'autre part, la voie du contentieux est insuffisante à plusieurs égards. Les victimes tendent en effet à être découragées par la complexité de l'établissement de la preuve, la faiblesse des sanctions et des indemnités ainsi que le coût important des procédures ; le dispositif d'action de groupe est limité puisqu'il est privé de financement public, complexe et réservé aux syndicats ou à des associations anciennement créées. Il est donc urgent de faire des discriminations fondées sur l'origine une priorité politique.

Pour lutter contre les discriminations dans leur dimension systémique, il est indispensable de lutter conjointement contre, d'un côté, la pauvreté, le chômage et l'insalubrité et, de l'autre, les discriminations liées à l'origine en tant que telles. Sur ce dernier point, plusieurs recommandations ont été formulées dans notre dernier rapport. Premièrement, il convient de favoriser la connaissance et la recherche grâce à la création d'un observatoire des discriminations, discriminations qu'il importe en effet d'évaluer. Deuxièmement, des plans d'action structurés doivent être élaborés au sein des organisations professionnelles pour définir des objectifs clairs fondés sur des diagnostics précis et des méthodes d'action concrètes et transversales relevant de responsables identifiés. Troisièmement, le droit au recours doit être effectif, les condamnations judiciaires doivent être dissuasives et des campagnes de sensibilisation doivent être organisées.

Enfin, nous devons travailler en collaboration étroite avec les acteurs de la société civile et les associations engagées sur le terrain, dans la lignée de l'action menée par notre institution, qui a créé un comité d'entente « origines » en 2017. Ce comité réunit deux fois par an les associations engagées dans la lutte contre les discriminations liées à l'origine et à la religion. Quelles que soient les approches promues par ces associations, de tels échanges permettent de dessiner un horizon commun, celui d'une société sans discrimination raciale.

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Nous avons auditionné ce matin Mme la directrice de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), puis M. Thierry Geoffroy, responsable des affaires publiques de l'Association française de normalisation (AFNOR), à propos de la labellisation des employeurs qui s'engagent dans des politiques de lutte contre les discriminations, avant de tenir une table ronde sur la représentation de la diversité dans les médias. J'ai trois questions à vous poser sur ces thèmes.

Concernant la police, le débat porte actuellement sur les contrôles d'identité. Un certain nombre d'acteurs publics et de citoyens dénoncent des contrôles « au faciès ». Vous préconisez, me semble-t-il, une modification de l'article 78-2 du code de procédure pénale, pour y introduire le principe de non-discrimination dans le cadre de ces contrôles. Pouvez-vous revenir sur cette proposition et nous rappeler de quelles analyses et statistiques elle procède ?

S'agissant de l'emploi, il serait intéressant, là aussi, que vous reveniez sur vos préconisations, notamment concernant les obligations d'audit de certaines entreprises.

Enfin, comment votre institution appréhende-t-elle l'enjeu de la représentativité des médias, sans tomber dans la caricature ou dans un miroir grossissant, qui serait l'effet inverse de celui que nous cherchons à obtenir ?

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Cette matinée nous a permis d'aborder des sujets extrêmement variés. Nous avons évoqué, par exemple, la collaboration que votre institution entretient avec l'IGPN, et l'intérêt qu'il y aurait à la renforcer pour améliorer la relation de la population à sa police. Notre discussion a notamment porté sur les contrôles d'identité. Par la suite, nous avons débattu du label diversité dans les entreprises. Je suis curieuse de savoir – même si la question peut paraître naïve – si celui-ci protège des discriminations dont vous disiez avoir connaissance dans les entreprises. Je voudrais enfin réagir à la proposition de création d'un observatoire pour évaluer les discriminations. L'étude trajectoire et origines (TeO) de l'Institut national d'études démographiques (INED), les travaux menés par l'INSEE et plusieurs associations ne sont-ils pas suffisants, à vos yeux, pour mesurer l'étendue des discriminations ? Il me semble que celle-ci est déjà suffisamment documentée. La limite, à mon sens, réside dans l'engagement collectif, l'action en justice, la charge de la preuve. Un testing doit amener une entreprise, une agence immobilière à engager un travail de réflexion et à améliorer ses procédures, mais pourquoi ne conduit-il pas, à un moment donné, au prononcé d'une sanction ?

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Claire Hédon, Défenseure des droits

S'agissant des agences immobilières, nous avons constaté que, même si la sanction n'était pas dissuasive, elle suscitait une prise de conscience et un changement des pratiques. Cela exige, toutefois, que des rappels soient faits très régulièrement ; à défaut, on en revient à la situation antérieure.

J'échange régulièrement avec l'IGPN comme avec l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Je suis convaincue de l'intérêt du contrôle interne, comme du contrôle externe, de la déontologie des forces de sécurité : l'un n'exclut pas l'autre. On ne peut pas envisager de se passer d'un contrôle interne, mais on peut le rendre plus indépendant. La vraie question est de savoir si les sanctions demandées sont réellement appliquées. On n'a pas beaucoup de données à ce sujet à l'IGPN. L'IGGN est plus transparente : on sait que ses recommandations sont suivies dans plus de 95 % des cas.

Dans le cadre de l'épidémie de la covid, on a réussi à quantifier les contrôles d'identité et les amendes prononcées, ce qui montre bien que c'est possible. Il me paraît indispensable, comme mon prédécesseur, d'opérer des expérimentations pour déterminer si le récépissé constitue la solution, ou s'il faut plutôt quantifier les contrôles d'identité. Peut-être avez-vous demandé à l'Association des collèges européens de police (AEPC) – une institution extrêmement transparente – quels travaux ils mènent en la matière ? Les contacts avec nos homologues européens sont une source très riche d'information et un moyen d'échanger des bonnes pratiques. Je suis persuadée qu'il faut avancer sur la question des contrôles d'identité, car ils induisent une certaine perception de la police de la part des jeunes. Même si ceux-ci nous saisissent peu, ils sont, sans conteste, victimes de discriminations. Nous avons réalisé une étude montrant que les personnes jeunes perçues comme non blanches ont vingt fois plus de chances d'être contrôlées que les autres.

Je ne suis pas en mesure de vous dire si les saisines dont nous sommes l'objet en matière d'emploi concernent des entreprises ayant reçu le label diversité. Je ne suis pas sûre que le label suffise, mais il montre que l'entreprise s'est posé la question et a travaillé sur des actions de formation. De fait, la formation régulière est l'un des facteurs permettant de lutter contre les discriminations.

La représentativité des médias est essentielle. Pour avoir été responsable des programmes de Radio France internationale (RFI) et avoir cherché à accroître la présence des personnes de couleur – sans y avoir très bien réussi –, je peux vous dire que la tâche n'est pas simple. Cela se joue en partie au stade de la formation dans les écoles de journalisme. Sciences Po a beaucoup fait en matière de diversité, mais celle-ci ne se retrouve pas dans les effectifs de son école de journalisme. Une des explications que m'a données l'école est que les jeunes issus de la diversité ont envie d'occuper un emploi offrant des conditions de stabilité et de rémunération supérieures à celles qu'ils pourraient trouver dans le monde du journalisme. Un autre obstacle au recrutement de personnes d'origines variées est le manque de volonté de l'encadrement. Je suis très sensible à la question de la représentativité. Les efforts menés en ce domaine contribuent à une ambiance de lutte contre le racisme et les discriminations.

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Le sujet des contrôles d'identité est douloureux et donne lieu à beaucoup de réactions négatives, notamment de la part des forces de sécurité. Longtemps, les jeunes et les habitants des quartiers ont dénoncé le fait qu'ils étaient davantage soumis à ces contrôles, mais, en face, leurs propos étaient démentis. On ne disposait pas de données objectives permettant de documenter le phénomène. Seule la fondation Open Society Justice Initiative avait mené une enquête sur ce sujet, publiée en 2009.

En 2017, le Défenseur des droits a publié une enquête très précise sur un échantillon de 5 000 personnes, qui a clairement fait apparaître que ce n'était pas un fantasme. On y lit en effet que 80 % des hommes, au sein de la population générale, déclarent n'avoir jamais fait l'objet d'un contrôle de la part des forces de police au cours des cinq années précédentes. En revanche, 50 % des hommes perçus comme arabes ou noirs déclarent avoir subi un contrôle, et le pourcentage monte à 80 % pour les jeunes de 18 à 25 ans. Nous ne disons pas que les forces de sécurité procèdent à ces contrôles parce qu'elles sont racistes ; nous affirmons simplement que le sentiment qu'ont les personnes concernées, notamment les jeunes, d'être victimes d'un traitement discriminatoire repose sur une réalité factuelle.

Tant qu'on n'aura pas la possibilité de tracer précisément les comportements à l'œuvre, par le fameux récépissé ou une attestation quelconque de contrôle, on échangera opinion contre opinion, sans pouvoir vraiment faire changer les choses. J'ai appartenu à un gouvernement qui, contrairement à ses promesses, n'a pas institué le récépissé, parce que les forces de police ne l'ont pas voulu. Il serait temps de reconnaître qu'on a besoin d'une traçabilité. On ne peut pas laisser perdurer ce phénomène, qui agit comme un poison dans la vie des gens.

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Claire Hédon, Défenseure des droits

Au moins, expérimentons !

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Les forces de police répondent qu'en règle générale, elles effectuent des contrôles en application des réquisitions du procureur de la République, en un endroit donné, à un moment donné. Or, si les réquisitions sont reprises jour après jour, les forces de l'ordre obtiennent la possibilité de pratiquer des contrôles en permanence. Par ailleurs, lorsqu'elles agissent en application de réquisitions, elles n'ont pas à expliciter les motifs du contrôle. On a l'impression que les forces de l'ordre font à peu près ce qu'elles veulent ; leurs prérogatives ne sont manifestement pas assez encadrées. Cela ne me paraît pas conforme aux exigences démocratiques. Sans doute beaucoup de policiers n'ont-ils pas conscience de pratiquer une discrimination lorsqu'ils se livrent à de tels comportements ; ce sont souvent les discriminations indirectes qui empoisonnent les choses. Nous formons un certain nombre de fonctionnaires territoriaux et de membres des forces de police. Il faudrait, à mon sens, intensifier cette formation pour que les intéressés prennent conscience que des comportements qui leur semblent neutres peuvent être discriminatoires.

Comme en matière de discriminations liées au travail, il faudrait appliquer à ce domaine le renversement de la charge de la preuve. En effet, il est souvent extrêmement difficile de prouver l'existence d'une discrimination. La victime se contenterait ainsi de fournir les éléments, et la personne mise en cause devrait prouver qu'elle n'a pas commis de discrimination. Ce serait une manière d'avancer, et j'espère que votre mission reprendra à son compte cette proposition.

Je lis chaque année avec beaucoup d'intérêt le rapport de France Télévisions sur les efforts que la société engage pour améliorer la diversité à l'écran. Tous les ans, on voit que de nombreux efforts sont faits, mais que les choses n'avancent pas beaucoup. J'ai le sentiment qu'en supprimant les médias spécialisés, comme France Ô, on aboutira peut-être, en 2020, à un résultat pire que celui des années précédentes. Il est peut-être nécessaire de supprimer une chaîne dédiée à l'outre-mer, mais il faut s'assurer que la diversité demeure présente. On n'a pas l'impression que la politique soit suffisamment dynamique en la matière.

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Madame la Défenseure des droits, permettez-moi de saluer notre ancienne collègue George Pau-Langevin, dont vous nous avez privés ! Ses qualités et ses compétences nous manquent, mais je constate qu'elle est déjà en plein travail, et je suis sûre que votre collaboration sera très riche.

À propos du lien de confiance entre la police et le citoyen, l'audition de l'IOPC avait été très intéressante. J'en retiens l'importance de l'indépendance : la proportion de personnes n'appartenant pas à la police est de 75 % au sein de l'IOPC. Il s'agit d'un élément concret sur lequel nous pouvons nous appuyer pour faire avancer les choses. Je ne sais pas si une réforme complète de l'IGPN est nécessaire, mais la façon de faire des Britanniques peut offrir une piste sérieuse.

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Claire Hédon, Défenseure des droits

J'ai fait part de ma position à la directrice de l'IGPN. J'estime que l'existence d'un contrôle interne est importante, en plus du contrôle externe dont est chargé le Défenseur des droits. Il serait intéressant de renforcer les moyens des deux côtés.

Il ne fait aucun doute que le contrôle interne opéré par l'IGPN pourrait être plus indépendant et plus transparent. Quelle proportion des sanctions recommandées par l'IGPN est appliquée ? Quand les recommandations de l'IGPN ne sont pas appliquées, quelle est la raison ? Je l'ai déclaré devant la commission d'enquête consacrée au maintien de l'ordre : au cours des trois dernières années, le Défenseur des droits a demandé des poursuites disciplinaires dans trente-six situations, mais aucune n'a été décidée. Lorsque nous demandons des rappels à la loi, nous sommes suivis dans les trois quarts des cas. Lorsque nous demandons des poursuites disciplinaires, nous ne le sommes jamais.

Avant de tout réformer, essayons de mieux appliquer ce qui existe. Pourquoi nos décisions ne sont pas appliquées ? Pourquoi une bonne partie des recommandations de l'IGPN appelant à des sanctions ne sont pas appliquées ? La confiance ne reviendra que si les dérapages sont suivis de sanctions. Je ne pense pas que des dérapages surviennent tout le temps, mais lorsqu'il y en a dans la police, ils doivent être sanctionnés.

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La représentation de la diversité dans les médias impose un travail en amont. Des personnes travaillant dans ce milieu me disent qu'elles sont prêtes à embaucher, mais qu'elles ne trouvent pas de candidats. S'il y a une autosélection parce que les jeunes issus de la diversité ne se présentent pas aux écoles de journalisme, nous ne pouvons pas reprocher aux médias de ne pas les embaucher. Ce problème existe depuis des années.

Sur un autre sujet, des policiers sur le terrain me font part de leurs difficultés. Ils ne cherchent pas à stigmatiser une population en particulier, mais certaines populations sont plus impliquées dans certains trafics. Selon le sujet sur lequel ils travaillent, les policiers contrôleront plus de personnes qui, d'après eux, sont susceptibles de commettre des infractions.

Parfois, l'un de leurs moyens d'action est de contrôler régulièrement des jeunes pour qu'ils ne participent pas aux trafics. Il y a un jeu du chat et de la souris : les jeunes se mettent « au vert » une semaine ou deux et reprennent leur trafic quand les contrôles s'arrêtent.

Quel système trouver pour qu'il n'y ait pas de discriminations déplacées, tout en laissant les policiers faire leur travail selon leur intuition et leurs pratiques ?

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Claire Hédon, Défenseure des droits

Je me suis exprimée sur le rôle des écoles de journalisme en matière de représentation de la diversité dans les médias. Cette excuse n'est pas suffisante de la part de ceux qui recrutent. Il est possible de recourir à la formation continue, ou de proposer des stages. Il y a un vrai problème de manque de diversité dans les médias, pas uniquement liée à la couleur et à l'origine, mais aussi sociale. Il est vrai que le recrutement de personnes issues de la diversité est un peu plus compliqué, mais avec une vraie volonté, c'est possible.

S'agissant des contrôles d'identité, contrôler de façon répétée les mêmes personnes dans certains quartiers n'a pas d'intérêt. D'autant qu'il serait utile que la police travaille à autre chose, nous avons besoin d'elle à d'autres endroits. Quel est l'intérêt qu'un policier demande systématiquement au même jeune de présenter ses papiers d'identité plusieurs fois dans la semaine, si ce n'est pour braquer ce jeune qui se sentira encore plus stigmatisé et discriminé ?

Les conclusions de l'IOPC à ce sujet démontrent l'intérêt de la transparence. L'IOPC sait bien qu'il y a plus de contrôles dans certains quartiers, par exemple dans l'objectif de lutter contre le trafic de drogues. Mais ils en ont une vision claire, alors que nous n'avons que du ressenti, mal chiffré, faute de traçabilité. La traçabilité nous permettrait de mieux comprendre, donc de mieux expliquer.

C'est pourquoi je pense qu'il faut absolument lancer des expérimentations. Je n'ai pas d'idée arrêtée sur la meilleure solution : dans certains endroits, nous pouvons instaurer des récépissés de contrôle d'identité ; dans d'autres, une simple évaluation chiffrée qui permettrait à une personne de demander combien de fois elle a été contrôlée. Normalement, les forces de l'ordre procèdent à une vérification avec la pièce d'identité, mais comme ils contrôlent toujours les mêmes jeunes, ils ne le font plus. Menons rapidement des expérimentations pour savoir quelle serait la meilleure méthode chez nous.

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On entend beaucoup cet argument de la part des forces de l'ordre, mais il me semble qu'il constitue un aveu d'impuissance. Les policiers font ces contrôles parce qu'ils ne savent pas comment faire autrement. Il faudrait réfléchir aux moyens à leur disposition pour lutter contre le trafic de drogues et éviter la délinquance des jeunes, mais les contrôles ne sont pas efficaces, puisque nous savons tous qu'ils ne vont pas dissuader les petits trafiquants dans les quartiers.

C'est l'inefficacité de notre lutte contre le trafic de drogues dans les quartiers qu'il faut interroger, les contrôles d'identité ne sont pas une solution, d'ailleurs ils n'ont aucune suite dans 95 % des cas. C'est une manière de manifester sa présence aux jeunes, mais ce n'est pas très utile.

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Nous avons évoqué avec la directrice de l'IGPN les outils qui pourraient être plus utiles aux forces de l'ordre que ces contrôles d'identité et la palpation a été évoquée mais je ne voudrais pas que nous nous retrouvions dans une prochaine mission d'information pour étudier le trop grand nombre de palpations !

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Claire Hédon, Défenseure des droits

Spontanément, je vous avoue être très dubitative. J'ai peur des dérapages.

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Il ne faut bien sûr pas permettre les palpations en toute situation quel que soit le comportement, mais uniquement en vue de la recherche de certains éléments.

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Claire Hédon, Défenseure des droits

Cette proposition m'inquièterait.

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Il faut une justification pour se lancer dans une palpation. Si des éléments objectifs la justifient, et qu'il en reste ensuite une trace, pourquoi pas ? Mais remplacer les contrôles d'identité par des palpations ne nous paraît évidemment pas une solution très positive.

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Estimez-vous que le Défenseur des droits est suffisamment connu de la population ? Permettre un meilleur accès au droit à toutes les populations fait partie de vos objectifs, est-ce que la promotion du Défenseur des droits est suffisante, et de quelle façon pourrait-elle être améliorée ?

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Dans le cadre du débat sur le projet de loi contre les séparatismes – je continue d'employer l'ancien intitulé…

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Claire Hédon, Défenseure des droits

« Projet de loi confortant le respect des principes de la République ».

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…Olivier Faure a appelé à la création d'un défenseur de la laïcité. Notre mission d'information ne porte pas sur cette question, mais nous constatons de fréquentes confusions dans l'approche de la laïcité à la française, que certains vivent comme une forme de racisme. Nous avons beaucoup discuté du concept d'islamophobie et de sa perversion.

Est-ce que le Défenseur des droits est aujourd'hui saisi de ces questions de laïcité ? Se pourrait-il qu'il soit l'éventuel futur défenseur de la laïcité ?

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Claire Hédon, Défenseure des droits

Nous allons rendre un avis sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République dans les jours qui viennent.

Je ne suis pas convaincue qu'il soit utile de multiplier les défenseurs, il existe déjà un Défenseur des droits et des libertés. Les problèmes de laïcité nous sont soumis sous l'angle de la discrimination, par exemple les interdictions de port du voile dans les lieux où il n'y a pas lieu de le réglementer.

Madame Lazaar, je vous remercie de votre question qui fait écho à l'une de mes préoccupations. Notre institution existe pour rétablir les personnes dans leurs droits. Elle reçoit 103 000 saisines par an, dont 80 % aboutissent chez nos délégués territoriaux, qui résolvent huit cas sur dix. Nous avons donc une certaine efficacité. Mais il y a des personnes en difficulté qui ne nous connaissent pas, ne pensent pas à nous saisir, n'imaginent pas que la démarche est gratuite et qu'un courrier non timbré suffit. Et un certain nombre de jeunes qui ont des difficultés d'accès à leurs droits, dont ceux qui sont victimes de discrimination lors des contrôles des forces de sécurité, ne pensent pas à nous saisir.

Mon prédécesseur a fait un énorme travail pour faire connaître l'institution, il faut continuer. Avec l'équipe de direction, nous avons réfléchi aux moyens de mieux nous adresser aux jeunes, qui doivent penser à nous saisir. Nous sommes là pour rétablir la confiance par l'accès au droit. Si les personnes ne savent pas qu'elles peuvent nous saisir, elles ne se sentent pas respectées dans leurs droits et perdent confiance.

C'est un point essentiel, nous nous demandons comment faire au mieux, où aller pour être mieux connus des jeunes. Il est indispensable que des campagnes d'information sur le racisme et les discriminations soient faites par l'État. Nous lançons une campagne sur les réseaux sociaux auprès des jeunes pour les inciter à nous saisir.

En interne, ces propos déclenchent une forme de panique car nous n'arrivons déjà pas à tout faire. Il faut une augmentation du nombre des saisines, mais aussi résoudre les problèmes au fur et à mesure. Lorsque nous constatons des difficultés récurrentes, il est indispensable que notre dialogue avec les services publics permette de les résoudre pour que le nombre des saisines sur cette base diminue.

À cet égard, la dématérialisation est une chance pour un certain nombre de gens, mais pas pour tous. La présence physique dans les services publics est indispensable pour ceux qui ont du mal à nous saisir. Mieux toucher les jeunes fait partie de nos préoccupations, et si votre mission d'information pouvait contribuer à lancer des campagnes de sensibilisation à ces questions, ce serait déjà important. Le comportement des joueurs du match de football PSG‑Basaksehir – qui ont quitté le terrain pour protester contre des propos racistes – a fait beaucoup, mais ce n'est pas suffisant !

La séance est levée à 13 heures.