MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE
Mercredi 5 janvier 2022
La séance est ouverte à quatorze heures
(Présidence de M. Thomas Gassilloud, rapporteur de la mission d'information)
Nous accueillons le colonel Stanislas Rouquayrol, commandant des formations militaires de la sécurité civile. Cette audition intervient alors que nous avons entendu le 20 octobre 2021 le préfet M. Alain Thirion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises. Nous souhaitons connaître les aspects opérationnels et concrets de l'action des forces de la protection civile, dans une période où les risques naturels s'intensifient en raison du réchauffement climatique. Des portions importantes du territoire sont susceptibles d'être confrontées à des crises de grande intensité. Nous serons heureux de vous entendre sur vos travaux, vos retours d'expériences (RETEX) des catastrophes qui ont touché notre pays durant les dernières décennies et les scénarios que vous étudiez. Cette audition est également l'occasion de mieux connaître votre organisation.
Cette audition me donne l'occasion de présenter les formations militaires de la sécurité civile (FORMISC). Ces dernières contribuent à la résilience de la sécurité civile française, de la nation et de l'Union européenne. Cette structure se trouve à la jonction du ministère des armées et du ministère de l'intérieur. Elle est également complémentaire des sapeurs-pompiers territoriaux. Elle possède un contrat opérationnel exigeant pour agir face à tous types de catastrophes.
Ces unités militaires trouvent leur origine dans l'une des plus grandes catastrophes du XXe siècle en France, la rupture du barrage de Malpasset à Fréjus, en 1959. À cette époque, le général de Gaulle, constatant la désorganisation des moyens de secours, a décidé que l'armée interviendrait dans ce type de secours à la population. Ainsi sont nées ces formations militaires qui ont pris corps officiellement en 1988. Elles sont mises à la disposition du ministre de l'intérieur dans le domaine de la sécurité civile, selon les dispositions du code de la défense. Ces jeunes unités militaires sont intégrées à la sécurité civile française depuis leur création. Elles ont vocation à intervenir dans l'urgence face aux catastrophes naturelles, technologiques et sanitaires, en appui et en complément des différents acteurs du secours territorial en France ou à l'étranger. Elles sont engagées sur ordre du directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC).
Comme l'a indiqué le général Patrick Poitou, que vous avez reçu le 20 octobre 2021, les FORMISC appartiennent au pilier divisionnaire Territoire national au même titre que nos camarades de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP). En revanche, elles présentent la particularité d'être composées de militaires employés sur tout le territoire, voire à l'étranger en cas de besoin. Fortes des 1 401 sapeurs-sauveteurs militaires de l'armée de terre, leur commandement s'organise autour d'un état-major et de trois unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile (UIISC). Notre état-major est basé dans le XXe arrondissement de Paris. L'UIISC 1 se trouve à Nogent-le-Rotrou (Eure et Loire), l'UIISC 7 à Brignole (Var) et l'UIISC 5 à Corte (Haute-Corse). En outre, les sapeurs-sauveteurs participent à l'armement du centre opérationnel de gestion interministérielle de crise (COGIC) à Beauvau et aux neuf centres opérationnels nationaux, métropolitains et ultra-marins.
Avec les établissements de soutien opérationnel et logistique (ESOL), les établissements nord et sud et les soixante agents civils, les FORMISC constituent le groupement des moyens nationaux terrestres de la DGSCGC et représentent 56 % de ses effectifs. Le groupement d'intervention du déminage, le groupement des moyens aériens et le groupement des moyens nationaux terrestres (GMNT) appartiennent à la sous-direction des moyens nationaux de cette direction générale.
Cette organisation montre l'originalité et l'étendue des compétences de cet outil unique et polyvalent au sein de la DGSCGC. Elle permet aux FORMISC d'être présentes sur l'intégralité du spectre d'une crise. D'abord, elles participent à l'anticipation et à la planification avec des cadres expérimentés. Ces derniers arment les centres opérationnels zonaux. Le COGIC ainsi que certains experts nationaux en feux de forêt ou en risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC) participent également à cette phase de préparation. Les FORMISC participent aussi à la conduite des opérations avec l'apport essentiel de la force opérationnelle que constituent les sapeurs-sauveteurs et les UIISC. Enfin, lors de la phase de stabilisation, elles favorisent un retour à la vie normale, « le jour d'après », avec des moyens spécifiques et uniques au sein de la sécurité civile : engins de travaux publics, machines de production d'eau potable, pompes à grand débit au sein des ESOL.
Échelon national d'intervention d'urgence de la sécurité civile, les FORMISC sont en mesure d'intervenir en permanence, quels que soient le lieu et le type de catastrophe. Elles peuvent déployer partout en France et dans le monde jusqu'à 262 sapeurs-sauveteurs en moins de trois heures, soit 25 % de leur effectif opérationnel. Elles sont en mesure de déployer jusqu'à 600 sapeurs-sauveteurs en moins de 72 heures pour une durée d'un mois sans relève. Cette autonomie logistique est permise par la structure régimentaire de ces unités, qui intègrent le soutien en matière de ravitaillement sanitaire et mécanique au sein du détachement. Le statut militaire et l'organisation militaire de ces unités confèrent une grande souplesse d'emploi dans l'engagement. Il permet le déploiement de sauveteurs dans toutes zones d'emploi, y compris en zone de conflit, et leur maintien aussi longtemps que nécessaire.
Pour mener à bien ces missions et garantir un engagement optimum, l'état-major assure la gouvernance en liaison avec ses deux ministères d'appartenance : le ministère des armées et le ministère de l'intérieur. Ces derniers couvrent l'ensemble des tâches suivantes : le recrutement des personnels ; leur gestion ; les nombreuses formations ; la dotation en équipements ; la préparation opérationnelle ; la veille technologique et le déploiement des interventions programmées de manière inopinée. Ce contrat opérationnel s'adapte en fonction des saisons et des risques associés. En période estivale, plus de la moitié de la force opérationnelle est déployée en zone de défense et de sécurité sud pour lutter contre les feux de forêt, tout en conservant une réserve d'intervention et une soixantaine de sauveteurs engageables sur crise – ce fut le cas la nuit du 3 août 2020 à Beyrouth à la suite de l'explosion dans le port.
Au-delà de la lutte contre les feux de forêt, les FORMISC interviennent sur toutes les catastrophes naturelles et technologiques majeures : inondation, séisme, tempête, cyclone, pollution maritime industrielle, crise sanitaire et humanitaire. Nous procédons alors à la mise en œuvre de l'élément de sécurité civile rapide d'intervention médicale (ESCRIM). Il s'agit d'un hôpital de campagne de la sécurité civile armée en collaboration avec le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Gard. Dans le domaine de la gestion des crises, les FORMISC peuvent déployer un module d'appui à la gestion de crise (MAGEC) qui constitue un poste de commandement opérationnel inter-services. Elles mènent aussi régulièrement des missions d'appui en situation de crise et de conflit, au profit des préfectures ou des ambassades. Les sapeurs-sauveteurs prennent part au continuum sécurité-défense dans le domaine des risques NRBC. Ils peuvent mettre en œuvre des détachements spécialisés pour identifier et circonscrire une menace NRBC puis participer à la décontamination d'urgence des populations. Les FORMISC appartiennent également au détachement central interministériel d'intervention technologique (DCI-IT) du fait de leur capacité de détection, de prélèvement et d'analyse de matières biologiques, géologiques et chimiques.
Les FORMISC disposent également d'une expertise dans le domaine de l'intervention à l'étranger. Dès leur création, elles ont été engagées dans les plus grandes catastrophes à travers le monde : à Mexico, à Haïti, au Japon. Elles sont devenues un acteur majeur du mécanisme de protection civile de l'Union européenne. Aujourd'hui, sur les dix-huit modules d'intervention français certifiés, dix-sept sont armés par les FORMISC. Nous pouvons donc considérer que ces unités représentent le premier levier étatique en cas de crise internationale sous mandat européen. Avec ses deux modules lourds de recherche de victimes sous décombres certifiés par les standards de l'Organisation des Nations unies (ONU), elles peuvent travailler dans un contexte international. L'année 2022 verra la classification de notre hôpital de campagne selon les standards de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Compte tenu de leurs effectifs et du spectre élargi des missions qui leur sont confiées, les sapeurs-sauveteurs doivent être polyvalents. Leurs détachements d'intervention demeurent réversibles. Les FORMISC appliquent à la sécurité civile les principes chers au maréchal Foch. Elles garantissent la liberté d'action nécessaire au décideur pour agir n'importe où et n'importe quand selon les situations. Elles permettent de concentrer des efforts sur une crise particulière et contribuent à l'économie des moyens en sachant mettre en œuvre des équipements pointus, onéreux et uniques en France. Elles soulignent également le rôle de l'État face à tout type de crise.
De par leur statut militaire, leurs ressources humaines jeunes et aguerries, leur capacité de réaction, leur polyvalence et l'étendue de leurs domaines d'intervention, les FORMISC constituent un acteur majeur de la résilience nationale dans le domaine de la sécurité civile. Cette résilience peut s'entendre comme un cycle comprenant trois phases : l'anticipation- préparation, l'intervention et le retour aux conditions normales – « le jour d'après ». Les FORMISC peuvent agir sur ces trois éléments de la résilience et représentent par conséquent une capacité unique.
L'anticipation et la préparation se traduisent par un cycle important de formations pour chaque sapeur-sauveteur, à savoir une vingtaine de stages pour un officier polyvalent, malgré un système permanent d'astreinte et avec des matériaux conditionnés. Ces derniers sont aptes à la projection par voie terrestre, aérienne ou maritime avec les moyens de la réserve nationale des établissements de soutien opérationnel et logistique. Les FORMISC peuvent être déployées en tant que dispositif préventif. C'est notamment le cas tout l'été pendant la campagne de feux de forêt ou pour la sécurisation de grands événements, mais également en anticipation de phénomènes climatiques extrêmes en cas d'alerte météorologique de tempête et de cyclone.
Dernièrement, les FORMISC ont été employées dans des missions d'appui aux forces de sécurité intérieure dans le cadre du troisième référendum en Nouvelle-Calédonie en décembre 2021. Durant la phase d'intervention-adaptation, les sapeurs-sauveteurs permettent de pallier les structures locales impactées par les catastrophes en proposant, par exemple, une production d'eau potable ou des communications satellitaires. Ce fut le cas lors de la tempête Alex dans les Alpes-Maritimes.
Enfin, dès le début de la crise du covid, les FORMISC ont été engagées depuis les évacuations des Français de Chine jusqu'à l'appui aux campagnes de vaccination en métropole et en outre-mer.
En cas de crise sur le territoire national, les FORMISC peuvent recourir à des matériaux modernes ou rustiques pour maintenir le dispositif de secours. L'inter-opérationnalité constitue une des forces majeures des FORMISC pour intégrer tout type de dispositif français opérationnel, national ou international. Cette double culture – ministère de l'intérieur et ministère des armées – leur permet d'être interopérables lors d'actions interministérielles. Les FORMISC participeront à l'exercice Coubertin piloté par l'état-major des armées en préparation des Jeux olympiques de 2024.
Au-delà de la protection des personnes et des biens, les FORMISC sont présentes sur l'ensemble du continuum de la crise et participent à l'accélération du retour à la normale. Lors des « jours d'après », elles contribuent au rétablissement des axes de circulation ; elles mettent en œuvre des moyens d'hébergement d'urgence ; proposent des sources d'énergie et d'éclairage ; produisent de l'eau potable et renforcent un système de santé déficient avec l'hôpital ESCRIM, comme ce fut le cas après l'incendie de l'hôpital de Pointe-à-Pitre en 2017.
Par ailleurs, les FORMISC contribuent, à leur niveau, à la cohésion nationale en portant auprès de la jeunesse un témoignage de solidarité, de service et de bien commun. Elles répondent aux aspirations de jeunes Français et sont complémentaires à l'offre offerte par les forces armées : servir sous les drapeaux pour sauver nos concitoyens. Chaque année, plus de 180 jeunes volontaires sont recrutés et formés au sein des unités. Au bout d'un an, pour la moitié d'entre eux, ils peuvent s'engager et poursuivre leur carrière dans l'institution. En tant que creuset de formation, les FORMISC irriguent également les organisations civiles de sécurité et plus particulièrement les sapeurs-pompiers territoriaux en apportant une ressource humaine qualifiée. Les sapeurs-sauveteurs sont impliqués dans différentes actions au profit de la jeunesse : contrat d'apprentissage, sécurité civile… Dans les outre-mer, nous participons à un nombre important de formations au profit des régiments de service militaire adaptés : secourisme, techniques de sauvetage et déblaiement…
J'espère avoir montré que les FORMISC, à leur juste niveau, sont pleinement impliquées dans la résilience de la sécurité nationale et civile française. Elles sont la parfaite illustration de la participation permanente de l'armée de terre à la protection et au secours de nos concitoyens.
Dans l'analyse des risques auxquels nous devrons faire face dans un futur proche, les outre-mer constituent un point d'attention opérationnel particulier. En effet, ces territoires sont exposés à des dangers spécifiques tels que les conséquences du dérèglement climatique et les risques extrêmes, cycloniques et sismiques principalement. Les acteurs locaux ainsi que les renforts nationaux pourraient être mobilisés de façon croissante sur des problématiques d'assistance aux populations. Les FORMISC cherchent en permanence à anticiper la modélisation de leurs moyens afin d'apporter la réponse la plus juste. Elles veillent à être complémentaires des moyens territoriaux en proposant des moyens robustes et spécialisés sur les enjeux critiques auxquels doivent faire face nos sociétés occidentales, tels que la hausse des risques pandémiques, la gestion des flux croissants de population… Les évolutions en termes d'innovation technique, de transformation numérique et de renforcement des moyens contre les risques NRBC sont aussi prises en compte. Cette modernisation devra être accompagnée d'investissements conséquents en matériels et en ressources humaines. Nous avons exprimé ce vœu dans le cadre de la préparation de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) prévue entre 2023 et 2027.
La jeunesse est notre public prioritaire. Nous souhaitons ainsi nous assurer de la résilience de la nation de demain. Les FORMISC poursuivront leurs efforts à destination des jeunes Français. Nous continuerons à mener des actions de formation et d'encadrement tant en métropole, à travers des stages en lien avec le service national universel, que dans les outre-mer, pour offrir des formations qualifiantes d'intérêt général. Nous souhaitons ainsi apporter une résilience des territoires face aux catastrophes potentielles.
Au-delà de notre échange sur la résilience, il me paraît important de connaître vos structures. Nous disposons de ce « jardin à la française » composé d'unités civiles et militaires. En tant qu'élus de terrain, nous connaissons le maillage des sapeurs-pompiers territoriaux professionnels, avec qui nous entretenons une relation permanente.
Vous êtes une unité du génie de l'armée de terre, mise pour emploi auprès du ministère de l'intérieur afin d'exercer des missions de sécurité civile. Vous ne disposez pas de compétence territoriale mais constituez un renfort national des moyens locaux de sécurité civile. Vous êtes projetables lors de catastrophes à l'étranger. Pour résumer, vous constituez la pointe avancée de la sécurité civile, particulièrement disponible du fait de votre organisation et aussi de votre statut militaire. Vous êtes très opérationnels, car vous vous entraînez au quotidien et vous disposez d'équipements adéquats.
Quelle est l'origine des sapeurs-sauveteurs ? Quel est votre lien avec les armées ? Comment évaluez-vous le volume de vos forces au regard des moyens territoriaux ?
Le facteur humain est en effet un point essentiel. Nous sommes des corps de troupe de l'armée de terre. Notre organisation, notre structure et notre fonction RH sont identiques à celles de l'armée de terre. À ce titre, nos officiers étudient à l'école du génie d'Angers. Les recrutements peuvent être directs ou semi-directs. Les sous-officiers passent par Saint-Mexant. Nos militaires du rang sont tous recrutés à travers les centres d'information et de recrutement des forces armées (CIRFA) et suivent le cursus initial du système militaire. Nous assurons la formation initiale de nos jeunes recrues en interne au sein des UIISC. En revanche, nous suivons tous les stages de cursus qui sont assurés au sein de l'armée de terre. L'école du génie est notre maison-mère, avec laquelle nous entretenons des relations importantes. Cette école forme au génie de combat et au génie de sécurité civile. Nos cadres peuvent alterner des postes aux FORMISC, dans l'armée de terre, au ministère des armées, au centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) et dans d'autres structures.
Concernant les volumes, nous sommes une petite unité de 1 401 postes. Nous avons connu une baisse des effectifs de 2005 à 2017, puis une stabilisation. Nous avons atteint la limite possible en matière d'effectifs pour pouvoir agir sur l'intégralité du spectre des missions évoquées. C'est à ce titre que, dans les travaux préparatoires de la LOPMI, nous avons exprimé la volonté et l'ambition de rétablir l'effectif au niveau de 2005. Nous disposions alors de plus de 1 500 sapeurs-sauveteurs. Il s'agirait même de dépasser ce chiffre pour mettre en œuvre de nouveaux matériels plus performants. Nous devons désormais travailler avec des drones et des systèmes de communication plus complexes. Ces projets nécessitent de disposer de cadres et de militaires du rang plus performants et davantage formés à ces domaines.
Etant totalement intégrés à l'armée de terre, vous avez probablement des réservistes au sein de votre unité. La capacité de disposer d'une masse de moyens peut être intéressante en termes de résilience. Certains d'entre eux ont peut-être une double casquette et possèdent des compétences technologiques. D'autres peuvent être des sapeurs-pompiers volontaires (SPV) et apporter des compétences complémentaires. Que répondriez-vous aux citoyens qui s'interrogeraient sur la nécessité de placer des militaires à la disposition de la sécurité civile ? Votre statut militaire apporte une disponibilité très haute. Pour les armées, il s'agit de conserver des capacités critiques au service de la sécurité civile et de maintenir à disposition et d'entretenir des moyens et des compétences pour intervenir y compris en zone de conflit dégradée d'un point de vue technologique ou NRBC. Quelle est la logique de l'entretien de ce « jardin à la française » ?
Nous disposons d'une trentaine de réservistes. Ce dispositif monte en puissance. Il s'agit souvent d'experts qui peuvent être engagés en mission dans les centres opérationnels départementaux (COD). Quelque 30 % de nos jeunes sapeurs-sauveteurs sont également pompiers volontaires. Il existe donc un lien culturel fort entre les FORMISC et le monde du secours. Les jeunes s'engagent par passion du métier et trouvent, au sein de nos unités, un équilibre unique entre le monde militaire organisé comme un régiment de l'armée de terre et les missions de secours.
Concernant la logique des recours, étant mis pour emploi auprès du ministère de l'intérieur, nous n'avons pas à tenir compte de la règle des « 4i ». Le directeur général de la sécurité civile décide de notre emploi. Nous savons que la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) a été créée à la suite du drame de l'ambassade d'Autriche. Cette polyvalence des moyens militaires et civils en France fonctionne bien. Ce statut militaire nous permet, en tant que force de réaction rapide, de disposer d'unités immédiatement disponibles et capables d'agir dans la durée. Nous ne sommes pas occupés par des missions de secours quotidien comme la BSPP ou les SDIS. Par conséquent, nous sommes directement disponibles. Nous avons le temps de nous entraîner et pouvons demeurer disponibles pour des missions de longue durée. Nous constituons l'échelon national à la main de l'État pour prêter main-forte à un dispositif local ou territorial qui ne pourrait pas répondre à une catastrophe majeure.
Nous représentons un réel intérêt pour les armées, car nous constituons un lien entre le monde militaire et nos concitoyens. À travers nos unités, les armées peuvent témoigner de leur engagement au quotidien au profit de la population. En tant que militaires, nous disposons d'une souplesse d'emploi pour intervenir en situation de conflit. C'est par exemple dans ce cadre que nous sommes sollicités pour évacuer des ressortissants – au Liban en 2006 et dernièrement en Afghanistan –, pour prendre en charge des populations réfugiées et les accueillir.
Je suis rapporteure du budget de l'armée terre. Depuis le début de nos auditions ce matin, il me semble que chaque intervenant se prévaut de ses spécialités notamment concernant les risques NRBC. Vous considérez-vous comme le maillon d'une chaîne de résilience ? Je suis favorable à l'augmentation de vos effectifs. Comment organisez-vous cette capacité de résilience qui apparaît plus dense que votre effectif propre ?
Nous constituons un maillon de cette chaîne de la résilience, et plus particulièrement concernant les risques NRBC. Je ne prétends pas que nous sommes les meilleurs spécialistes. Toutefois, si nous avons vocation à compléter l'échelon local, nous disposons également de spécialistes qui travaillent en total partage d'expérience dans une communauté d'experts en matière de NRBC. Le détachement central interministériel d'interventions techniques (DCIT) est piloté par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). On y retrouve des membres du commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Nous expérimentons ensemble des moyens spécifiques pour détecter des menaces et atténuer des risques. Nous disposons également d'un partage local. Nos stages et nos formations sont mixtes. S'y retrouvent des unités militaires – unité de Nogent-le-Rotrou, régiment de dragons de Fontevraud-l'Abbaye – et de nombreux stagiaires des SDIS. Il existe donc un véritable partage d'expériences dans cette communauté. Lors de grands événements et d'exercices zonaux – les zones sont régulièrement organisatrices de ces entraînements –, les UIISC sont déployées dans le cadre d'activités qui mettent en œuvre des moyens spécifiques.
Notre réponse à la tempête Alex est une illustration claire de notre spécificité. Lors de cette catastrophe, les unités ont pu, dans la nuit, apporter une réponse massive en mobilisant 300 sapeurs-sauveteurs sur le terrain. Nous avons mis des personnes à l'abri, effectué de la reconnaissance de berges avec des drones, rétabli des itinéraires avec des engins de travaux publics, géré des flux logistiques avec la mise en place de centres opérationnels de crise, produit de l'eau potable, recherché des personnes disparues et assuré des liaisons qui étaient devenues inopérantes. Par le biais de liaisons satellitaires, nous avons conservé une communication avec des hameaux coupés du monde. Nous avons également garanti la venue de secours d'urgence pour les populations les plus touchées.
Cette intervention illustre notre complémentarité. La zone était sous le choc de la catastrophe. Des éléments extérieurs ont permis de soutenir les populations localement. Le travail que nous menons régulièrement en été avec les moyens de l'aviation légère de l'armée de terre (ALAT) lors de la campagne des feux de forêt nous a permis de déployer des équipements facilement et rapidement. La logistique que nous cultivons constitue un atout majeur. Nous avons mené des ascensions importantes à pied pour apporter de l'équipement et de la nourriture aux populations éloignées. La capacité à tenir sur des séquences de 36 à 48 heures sans dormir représente une réelle plus-value dans l'engagement des secours. Cette polyvalence s'illustre au travers des missions et des modules mis en place dès le début de la crise. Deux mois après, des sapeurs-sauveteurs étaient encore sur place pour produire de l'eau potable.
Il est nécessaire de poursuivre le développement de moyens robustes et modernes. Les drones représentent un outil essentiel, car ils facilitent la reconnaissance de feux de forêt ou d'autres catastrophes. Nous avons toujours besoin de camions polyvalents pour lutter contre des incendies et des inondations. Pour faire face aux grands événements à venir – coupe du monde de rugby, Jeux olympiques de 2024 –, nous avons exprimé notre volonté d'accroître nos effectifs pour asseoir notre polyvalence. En effet, le couteau suisse que constituent les FORMISC atteint ses limites en termes de capacité. Aujourd'hui, nos dronistes sont également les maîtres-chiens du régiment, tandis que nos trésoriers ou nos responsables RH sont aussi engagés durant l'été sur les feux de forêt. Tous les sapeurs-sauveteurs ont plusieurs casquettes, ce qui représente une plus-value essentielle mais également un frein au développement. Le risque d'événements catastrophiques est croissant. Par conséquent, il est important de maintenir la pérennité de notre action en tout temps et en tout lieu. Être en permanence capable de projeter une compagnie dans chaque unité polyvalente nécessite de disposer de personnes formées dans tous les domaines. Cette bataille de la formation est essentielle pour répondre à notre contrat opérationnel.
La militarité constitue un atout pour la résilience en raison des capacités de planification et de la rusticité. Vous avez évoqué le soutien mécanique et sanitaire au sein du détachement. Avez-vous échappé à la réforme du soutien interarmées de ces vingt dernières années du fait de votre emploi au profit de la sécurité civile ? Plus globalement, êtes-vous concerné par la politique d'emploi et de gestion des parcs (PEGP) ? Vous gérez des pics d'engagement et non des parcs à vocation spécialisée, contrairement au reste de l'armée. En termes de nomenclature budgétaire, dépendez-vous du ministère des armées ? Êtes-vous intégré à la loi de programmation militaire (LPM) ?
Nous ne sommes pas dépendants de la LPM. Notre budget dépend du ministère de l'intérieur – programme 161 Sécurité civile. Cette position nous confère de la souplesse. Je veux souligner l'excellent état de nos matériels et notre disponibilité technique opérationnelle, qui atteint régulièrement 90 %. Ces éléments découlent des efforts consentis par le ministère de l'intérieur et la DGDCGC.
Nous disposons de régiments autonomes. Chaque régiment possède son service de santé, ses ateliers et son autonomie financière. Cette liberté d'action est une garantie de notre réactivité. Nous bénéficions également des services des établissements logistiques, où se trouve la réparation de la maintenance de niveau 3. L'armée de terre réalise aussi un effort important à notre profit. Les formations initiales ont lieu au sein de l'armée de terre, qui garantit une ressource qualifiée au profit du ministère de l'intérieur.
Vous bénéficiez du meilleur des deux mondes. La résilience est fondée sur la capacité à fournir des moyens, ce que vous offrez. Toutefois, on ne peut pas s'organiser pour pallier toutes les situations en permanence.
Vous avez évoqué le mécanisme de protection civile de l'Union européenne. Dix-sept modules sont fournis par les FORMISC. Comment s'organise-t-on, à l'échelle de l'Union européenne, pour que ces unités interagissent ? Comment sont-elles préparées à intervenir sur le territoire de l'Union européenne ou à l'étranger ? Pouvez-vous nous décrire cette collaboration internationale ? Vous avez également mentionné l'hôpital de campagne ESCRIM qui répond aux critères de l'OMS. Existe-t-il des concepts de renfort mutuel à l'échelle mondiale ?
Les formations militaires de la sécurité civile sont très intégrées au sein du mécanisme européen de protection civile. L'Europe de la sécurité civile fonctionne bien et est particulièrement active. Nos unités ont constitué un élément moteur dans la construction du mécanisme de protection civile de l'Union (MPCU). L'Union européenne a certifié un certain nombre de nos modules – feux de forêt, inondations – que nous avons dupliqués pour l'Europe. Ils ont été contrôlés et évalués lors d'expertises menées par l'Union européenne. Par conséquent, ces modules sont disponibles si la France accepte de les détacher au profit d'une action sous tutelle de l'Union européenne. De telles missions sont remboursées à hauteur de 85 % par l'Union européenne. Dix-sept modules sont certifiés sur dix-huit – ce dernier correspond au module des Canadairs du groupement des moyens aériens de la sécurité civile. Ce mécanisme garantit une norme : nous devons être projetables avec un préavis très bref et autonomes pour quinze jours. Nos détachements partent en autonomie logistique, alimentaire et sanitaire, ainsi nous ne constituons pas une charge pour le pays qui nous reçoit. Ce mécanisme est entraîné par des formations européennes qualifiantes au sein desquelles nous envoyons régulièrement nos officiers. Afin de garantir leur interopérabilité, nos modules s'entraînent dans nombre d'exercices qui sont financés par l'Union européenne.
Il est rassurant de savoir que l'Europe de la sécurité civile fonctionne bien. Pour autant, l'emploi mutualisé de plusieurs États européens n'est pas courant. S'agit-il d'une question d'orgueil ? L'urgence d'intervention freine probablement le recours aux forces voisines. Comment se passe l'activation de la sécurité civile ?
Ce mécanisme de protection civile est de plus en plus régulièrement activé. Cet été, lors des incendies en Grèce, nous avons été projetés avec des modules de lutte contre les feux de forêt, aux côtés d'unités espagnoles et allemandes. Le 15 juillet 2021, en Belgique, nous avons engagé un module inondation pour secourir la région de Liège. Ce mécanisme est jeune et monte en puissance. Il est utilisé avec ses moyens terrestres sur le territoire de l'Union et à l'étranger. Ainsi, nous sommes intervenus à Haïti cet été après le séisme, avec un module de production d'eau potable. D'autres modules européens agissaient en parallèle. L'état-major de cette mission était constitué de différents spécialistes européens. Il existe une volonté commune et partagée d'assumer le renfort d'autres structures, notamment lorsque les coûts sont élevés.
Nous espérons que ce phénomène n'incitera pas chaque pays à diminuer son engagement national. Comment jugez-vous l'investissement de nos voisins dans la sécurité civile ?
Je n'ai pas de regard global sur les autres pays. La France est extrêmement active au sein de l'Union européenne quant aux mécanismes de protection civile. Elle est le premier contributeur de modules. Ce leadership a permis de constituer notre spécificité d'engagement au sein de l'Union européenne de la protection civile. Chaque pays européen dispose de structures particulières. La structure française est atypique. Par exemple, l'Espagne dispose d'unités militaires d'urgence sous l'autorité du ministère de la défense espagnol. En dépit de ces structures distinctes, le culte de la mission est partagé par tous. La protection civile européenne motive collectivement.
L'OMS certifiera prochainement notre hôpital de campagne. Au sein de l'Organisation des Nations unies, dans la communauté de sauvetage-déblaiement, la France est également leader. Il s'agit de vecteurs d'influence et de soft power de la France.
La réunion se termine à quinze heures.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur la résilience nationale
Présents. – Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Alexandre Freschi, M. Thomas Gassilloud, Mme Sereine Mauborgne