L'audition débute à neuf heures.
Mes chers collègues, j'ai le plaisir d'accueillir pour cette table ronde M. Éric Martin, directeur régional et directeur de l'unité de recherche « Risques, écosystèmes, environnement, résilience » (RECOVER) et Mme Aliette Maillard, directrice de la communication et des relations publiques de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), M. Joël l'Her, directeur du département environnement et risques, et M. Yann Deniaud, responsable de la division aménagements et risques naturels, du Centre d'étude et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), M. Gonéri Le Cozannet, prévention des risques et reconstruction et M. Jean-Marc Mompelat, directeur adjoint à la direction des actions territoriales et délégué à l'Outre-mer, du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
Avant de passer la parole à notre rapporteur, M. Yannick Haury, je vous rappelle que cette mission s'est organisée autour de trois volets : le premier est une expertise scientifique, un état des lieux des connaissances scientifiques sur les événements climatiques majeurs et, notamment, leur relation avec le changement climatique ; le deuxième porte sur la gestion de crise en cas d'événements de catastrophe naturelle sur les zones littorales – comment s'organisent les moyens à déployer pour prévenir, anticiper et gérer le risque ? Le troisième porte sur les politiques de reconstruction à engager après de tels événements.
Madame et messieurs, bonjour.
Pourriez-vous nous présenter les missions du BRGM, de l'ISTEA et du CEREMA en matière de prévention des risques climatiques majeurs ?
Pourriez-vous nous décrire les différents processus observés lors d'une tempête ?
Certaines de vos études ou certains de vos modèles ont-ils servi à l'élaboration du plan de prévention des risques naturels en métropole ou en outre-mer ?
Pouvez-vous nous présenter les travaux du BRGM en matière d'aléa « submersion marine » auquel les territoires côtiers sont ou pourraient être confrontés, d'impacts sur ces territoires, et de stratégies d'adaptation ?
Pourriez-vous nous présenter les travaux menés par l'IRSTEA pour évaluer la vulnérabilité des territoires métropolitains et d'outre-mer, commune par commune, pour tout type d'inondation ?
Pouvez-vous nous présenter les travaux menés par le CEREMA sur la prise en compte des risques littoraux, notamment dans les schémas de cohérence territoriaux (SCOT) littoraux ?
Avez-vous mené des actions dans le cadre de la Stratégie nationale de gestion des risques d'inondation lancée par le ministère de l'écologie fin 2014 ?
A-t-on apporté des modifications aux modèles de prévention ou aux moyens utilisés pour la prévention des événements climatiques majeurs à la suite des dernières tempêtes importantes comme l'a été Xynthia ?
Avez-vous analysé les ouragans de cet automne ? En tirez-vous des conclusions particulières ?
Quelles seront à l'avenir les orientations prioritaires de vos travaux pour connaître ces phénomènes et identifier les vulnérabilités des zones côtières françaises face aux événements climatiques majeurs ?
Enfin, quelles recommandations peut-on tirer de ces connaissances pour les décennies à venir, notamment en matière de prévention des risques ?
L'IRSTEA est un établissement public, institut de recherche finalisée qui travaille dans les deux domaines de l'environnement et de l'agriculture. Il a une forte culture d'appui aux politiques publiques et de travaux en partenariat – y compris avec le secteur privé. Cela se traduit, notamment, par des questionnements sur le développement des territoires, en lien avec les risques, et par un appui direct aux ministères concernés, en particulier le ministère de la transition écologique et solidaire (MTES). Le champ d'action de l'IRSTEA englobe l'étude des pluies et leur caractérisation, des crues et des inondations, ainsi que des digues fluviales et maritimes.
Pour ce qui est des actions liées à la prévention, l'IRSTEA s'investit dans la connaissance des événements passés et de la spatialisation des extrêmes, qu'il s'agisse des pluies ou des débits. Ce travail sur le long terme a abouti, entre autres, à la constitution d'une base de données des quantiles de pluie et de débit de la région étudiée au pas d'espace de 1,10 km², SHYREG (Simulation d'HYetogrammes) sur la métropole et certaines îles outre-mer. Mais le mouvement et les données observées ne suffisant pas toujours pour avoir une bonne estimation des extrêmes, l'IRSTEA mène, en parallèle, des travaux de recherche historique.
Pour ce qui est des actions de prévision et de gestion de la crise, l'IRSTEA a une longue culture de développement de modèles hydrologiques, utilisés dans différentes applications, en particulier par les services de prévision de crues : les modèles hydrologiques du génie rural (GR), utilisés pour les crues lentes comme pour les crues rapides.
Pour les crues rapides, les événements les plus extrêmes, typiques de la zone méditéranéenne, des modélisations spécifiques, établies en collaboration avec Météo France et basées sur son réseau de radars, permettent une caractérisation en temps réel. En effet, en cas d'événement extrême comme un orage méditerranéen, la possibilité d'anticipation est très réduite – une heure tout au plus. Il est donc essentiel de disposer d'un outil susceptible de donner l'alerte dès le départ.
Nos outils, dont certains sont en cours de développement, sont utilisés en opérationnel par Météo France pour l'alerte sur les pluies, et par le réseau Vigicrues Flash pour des alertes sur des cours d'eau non couverts par les services de prévision des crues. Ce même type de modèle est déployé dans la région Sud-Est, où il permet d'aller un peu plus loin qu'une alerte simple, en apportant davantage d'informations et en améliorant la formation des personnels en charge dans les communes, accompagnement de la Région.
Pour ce qui est des actions de gestion de la crise et prévention, l'IRSTEA, en plus de son activité de recherche, fournit une expertise de haut niveau sur les performances des digues fluviales et maritimes, sur les techniques de construction et, depuis Xynthia, plus spécifiquement en matière de travaux à réaliser sur les digues maritimes. Cela nous a amenés, par exemple, à proposer un projet important dans le cadre du contrat de plan État-région PACA : la construction d'une digue modèle dans la Camargue côté maritime, précisément pour suivre le cycle de vie des digues côté maritime, où les sollicitations ne sont pas du tout les mêmes que côté fluvial.
Nous avons passé une convention d'appui avec le ministère sur l'expertise et sur des retours d'expérience – qui ont leur importance, et qui doivent se faire entre plusieurs organismes. Nous avons ainsi participé à des retours d'expérience sur Xynthia, sur les événements de Cannes en 2015, et sur les crues de la Loire en juin 2016.
Quels sont nos objectifs de recherche ?
Nous voulons avancer sur la prévention et la prévision des crues : il y a toujours du travail à faire sur la consolidation des estimations des extrêmes.
En matière de gestion de crise, nous souhaitons savoir prendre en compte la vulnérabilité, c'est-à-dire prévoir quels seront les dommages, et prendre en compte le changement climatique au niveau des extrêmes ; les choses à l'évidence évoluent et l'on ne peut pas se contenter d'une définition statique.
Il faut également suivre la gestion des digues sur le long terme, connaître les facteurs qui font qu'une digue se dégrade, et savoir comment améliorer à la fois la solidité de la digue et la gestion du territoire concerné par les digues. Nous nous intéressons aussi aux nouveaux matériaux. Par exemple, l'ajout de chaux, à la terre d'une digue, diminue par deux l'érosion. Le procédé est intéressant et nouveau. Nous avons besoin de savoir ce que cela donne sur le long terme.
Quelles pourraient être les recommandations de l'IRSTEA ?
Nous avons toujours eu le souci de capitaliser l'information, car ce sont des données de base sur le fonctionnement des systèmes. Il est donc important de pérenniser le système. Et le retour d'expérience fait partie des capitalisations.
Anticiper le changement climatique : un volet « risques » est explicitement prévu dans le futur Plan national d'adaptation au changement climatique, qui devrait être publié par le Gouvernement à la fin du premier trimestre, Il faut également mettre du contenu dans ces actions, qui répondent aux questions de votre mission d'information.
Reste la question des digues de protection, en termes de physique de la digue elle-même, pour sa résistance aux sollicitations, puis en termes de gestion de la digue dans l'ensemble du territoire et des incidences sur la vulnérabilité des territoires.
Le CEREMA est un établissement public assez récent – il date de 2014 – et qui a dans ses gênes la prise en compte des risques en lien avec l'aménagement. Il emploie un total d'environ 3 000 agents, dont 200 se consacrent directement aux risques, et notamment aux risques d'inondation.
Selon le décret constituf, le CEREMA a pour mission de « contribuer, en lien étroit avec les collectivités territoriales, à la connaissance des territoires et des espaces maritimes ainsi qu'à la réflexion prospective sur les enjeux et les risques auxquels ceux-ci sont exposés ». Cela permet de situer le CEREMA dans tous les volets du risque, depuis la prévention – et parmi les outils de prévention, il y a notamment la prise en compte de l'aménagement, par exemple avec les SCOT littoraux – et les actions liées à la connaissance de l'aléa lui-même jusqu'à la gestion de crise, en passant par un certain nombre de dispositifs de protection et de prévention.
Les travaux du CEREMA s'inscrivent dans un certain nombre de postures : nous sommes des producteurs de connaissances, de données et d'études ; nous sommes aussi des producteurs de méthodologies, en appui à la mise en oeuvre des politiques publiques, et nous apportons un appui technique à la fois aux services de l'État et aux services déconcentrés sur la mise en oeuvre de ces politiques ; enfin, nous développons des partenariats avec les collectivités pour étudier des solutions innovantes et mettre en oeuvre ces politiques publiques.
Je vous donnerai d'abord quelques exemples sur le développement de la connaissance et sur les données statistiques.
Nous gérons un réseau de houlographes permettant de mesurer les états de mer, autrement dit les vagues et la houle, à l'échelle métropolitaine et outre-mer. À partir de ces données de mesure, nous réalisons des études statistiques sur l'agitation de la mer et, en collaboration avec le service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM), nous étudions les niveaux marins extrêmes sur les côtes françaises. Les données de houle sont accessibles sur le site CANDHIS – pour Centre d'archivage national de données de houle in situ – mises à disposition, notamment de Météo France ou d'autres opérateurs, pour leurs prévisions.
Nous gérons aussi un site plus particulièrement dédié à toute la donnée littorale du ministère, le site Géolittoral, où vous pouvez trouver de nombreuses informations sur l'érosion côtière. Par exemple, la mise en ligne de l'indicateur national d'érosion côtière, qui couvre aujourd'hui toutes les façades métropolitaines et outre-mer, permet d'avoir un premier état des lieux de l'érosion à l'échelle nationale.
Enfin, nous avons publié une base de données sur l'ensemble des ouvrages côtiers. On y trouve de nombreuses informations et données intéressant le littoral.
En 2012, avant Xynthia, nous avons publié une étude sur la Vulnérabilité du territoire national aux risques littoraux, dans laquelle nous avions déjà identifié ce que l'on a appelé les « zones basses littorales », et les enjeux qui y étaient liés.
De la même manière, à partir des données de houle, nous avons publié l'étude intitulée Analyses de surcotes extrêmes tout le long des côtes métropolitaines, dont l'objectif était de mieux qualifier l'aléa.
Pour ce qui touche à la gestion du trait de côté, notre plaquette Développer la connaissance et l'observation du trait de côte, publiée pour la COP21 en 2104-2015, constituait le premier élément de synthèse des connaissances disponibles sur le littoral, par province géographique, à l'échelle de la métropole et des outre-mer. Le travail est toujours en cours, et certains fascicules sortiront cette année.
Les retours d'expériences sont importants dans le développement de la connaissance. Ces dernières années, nous avons été impliqués dans de nombreux retours d'expérience. Nous avons piloté et harmonisé en 2011, pour le compte du ministère, l'ensemble des retours d'expérience après le passage de Xynthia sur les côtes atlantiques, et après les inondations qui ont touché le Var.
En 2015-2016, à la suite de ces retours d'expérience, nous avons publié Étude des systèmes de protection contre les submersions marines – étude de cas sur certains systèmes qui avaient été submergés pendant la tempête Xynthia.
Nous réalisons enfin des cartes de levées de laisses de crues, parmi lesquelles les laisses relevées sur Saint-Martin à la suite du cyclone Irma. Nos experts sont allés recenser les laisses de crue lors d'une mission assez intense, pour bien caractériser l'événement à terre – et donc les effets de la submersion.
Dans le domaine de la méthodologie, l'expertise et l'accompagnement, nous développons nos activités à la fois sur la connaissance et la méthodologie, pour la réalisation d'études du type PPR – plans de prévention des risques. Nous avons contribué à piloter la réécriture du Guide méthodologique plan de prévention des risques littoraux pour le compte du ministère, avec la participation du BRGM, de l'IRSTEA et d'autres. Ce guide a revisité, suite à Xynthia, la façon d'appréhender les risques littoraux sur les côtes.
Dans la poursuite de ces travaux, nous avons publié l'Analyse du fonctionnement hydro-sédimentaire du littoral, qui est un préalable au déploiement d'études plus spécifiques sur les aléas, et qui permet de bien comprendre le secteur dans lequel vont s'inscrire les travaux que l'on pourra mener ensuite – des plans de prévention, voire d'autres types d'études.
Enfin, nous avons récemment publié le guide Collecte des informations sur le terrain suite à une inondation. L'objectif était d'améliorer la prise d'informations sur le terrain, de standardiser autant que faire se peut les informations recueillies et d'améliorer leur capitalisation pour les conserver en mémoire. Ce travail a été réalisé en lien notamment avec ceux du Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévention des inondations (SHAPI), sur la base des repères de crues et d'inondations.
Sur les ouvrages de protection, nous avons beaucoup travaillé, parfois en collaboration avec l'IRSTEA. Nous avons proposé un guide de Préconisations pour le recensement des ouvrages et des structures de défense contre les aléas côtiers, de manière à pouvoir, là aussi, standardiser l'information recueillie. Cela nous a d'ailleurs permis de produire la base de données sur les ouvrages littoraux dont je vous ai parlé tout à l'heure, qui a été publiée l'année dernière et qui sera disponible sur le site Géolittoral.
Nous participons également à l'élaboration de documents techniques de référence, comme The International Levee Handbook, qui fait le point sur tout ce que l'on doit savoir sur les ouvrages en terre qui constituent des digues de protection contre les inondations.
Avec la profession et l'IRSTEA, nous développons des référentiels techniques sur les digues maritimes et fluviales. Le document Référentiel technique — digues maritimes et fluviales a été publié en 2014 ; nous travaillons à sa mise à jour et à ses compléments.
Nous assurons une mission d'appui technique, dans le cadre d'une convention tripartite avec le ministère et l'IRSTEA, sur les ouvrages hydrauliques. Nous développons parallèlement une information à destination des collectivités, notamment sur la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI), avec les évolutions réglementaires concernant la gestion de ces ouvrages. Un appel à projets, en cours, permet de cerner les difficultés et les bonnes pratiques.
J'en viens au volet « vulnérabilités et résilience », avec la prise en compte des risques littoraux dans les SCOT. Les premières interrogations exprimées en 2012 ont abouti au lancement des ateliers nationaux sur les territoires en mutation exposés aux risques, avec des contributions sur la prise en compte du risque et de la vulnérabilité.
L'année dernière, avec le ministère, nous avons publié le Référentiel national de vulnérabilité aux inondations. Ce document nous avait été demandé dans le cadre de la Stratégie nationale de gestion du risque inondation, (SNGRI) ; nous allons appuyer sa mise en oeuvre opérationnelle dans les territoires.
Quelles sont les orientations prioritaires des travaux du CEREMA ? Il s'agit d'abord de développer les connaissances en métropole et outre-mer concernant le littoral impacté tant par le changement climatique – le BRGM vous en parlera – que par les submersions et le recul du trait de côte – nous venons d'ailleurs de finir une étude pour le ministère sur ce thème. L'objectif est clairement de consolider la gouvernance des risques pour mieux les gérer.
Dans ce cadre, l'accompagnement de la prise de compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) et l'émergence de stratégies locales de gestion des risques est fondamentale.
Il convient par ailleurs de renforcer la résilience, en déployant le référentiel de vulnérabilité dans les territoires. Nous souhaitons constituer une plate-forme de retour d'expérience après risque, pour capitaliser sur les bonnes pratiques, dans l'esprit d'une meilleure reconstruction – un build back better en anglais.
Enfin, nous continuons à investir dans la réduction des risques et la préparation des catastrophes, en améliorant les dispositifs de prévision et d'alerte. Nous disposons d'un service d'appui technique, le Grid application service provider (GASP) – ou projet Réseau national des technologies logicielles en français – qui apporte une contribution au service d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations pour améliorer la prévision des crues en réalisant des analyses locales et des courbes de tarage sur certains phénomènes – ces mesures et analyses permettent d'améliorer la prévision des modèles. Nous développons également quelques modèles maritimes.
Nous contribuons à la sûreté des dispositifs de protection, pour que ces dispositifs soient sûrs pour les populations.
Enfin, nous contribuons bien sûr également à la prise en compte des risques dans les projets d'aménagement. Dans le cadre des schémas de cohérence territoriale (SCOT), nous apportons notre éclairage sur la vulnérabilité.
Le CEREMA va s'attacher à renforcer son appui aux collectivités locales. Dans ce cadre, notre priorité est de renforcer les approches multirisques, tout en prenant en compte le changement climatique.
Le BRGM est un établissement public industriel et commercial (EPIC) sous la triple tutelle des ministères chargés de la recherche, de l'environnement et des Mines. Nous sommes l'établissement français de référence en matière de géologie et de connaissance du sous-sol.
Nos compétences s'exercent jusqu'au niveau du plateau continental, donc également sur le littoral concernant les problématiques d'érosion. Certains s'en étonnent, mais la nécessaire maîtrise des aspects liés aux dynamiques sédimentaires, à la connaissance des flux ou des tsunamis nous a logiquement amenés à développer des savoir-faire en matière d'hydrodynamique et de modélisation des mouvements du littoral.
Nos missions sont précisées dans le contrat d'objectifs que nous avons signé avec l'État. Il est arrivé à échéance en 2017. Nous sommes donc en pleine discussion avec nos tutelles pour le renouveler. Ce contrat expose clairement les attentes de notre tutelle en matière de prévention des risques climatiques majeurs : il nous faut renforcer l'appui aux politiques publiques en matière d'analyse et de gestion intégrée des risques naturels et anthropiques, en particulier dans le domaine plus spécifique des risques d'inondations, d'origine météorique ou tellurique. Nous devons également faire progresser les connaissances dans le domaine des modélisations hydrodynamiques et caractériser la vulnérabilité des espaces côtiers et fluviaux à différentes pressions. Nous devons par ailleurs renforcer l'appui à la stratégie nationale de gestion du trait de côte, avec la mise en oeuvre de politiques environnementales et de protection du milieu. Tout cela entre dans le cadre de nos missions générales.
Je souhaiterais toutefois insister sur deux particularités de notre établissement : nous sommes un établissement de recherche réellement finalisée : notre volonté, très marquée, et de donner à nos travaux une traduction opérationnelle rapide dans l'appui des politiques publiques. Seconde originalité, le BRGM s'appuie sur un réseau régional assez dense. Nous sommes présents dans toutes les régions de France, y compris outre-mer, où nous disposons actuellement de deux antennes – dont, pour des raisons institutionnelles, une représentation plus allégée que par le passé en Polynésie française. Notre réseau régional est composé d'environ deux cents personnes. Le BRGM s'appuie par ailleurs sur une direction de la prévention des risques située au siège de l'établissement, à Orléans, où travaille une unité spécialisée dans les risques littoraux, à laquelle appartient M. le Cozannet.
Le schéma ci-dessous décrit les processus qui sont à l'origine des submersions marines lors des tempêtes.
Lors d'une tempête, la baisse des pressions atmosphériques entraîne une surélévation du plan d'eau. Les vents peuvent pousser les masses d'eau vers la côte. Enfin, un processus relativement local se produit au moment du déferlement des vagues, qui conduit à une surélévation de l'eau. On l'appelle le wave set up. Il conduit à une élévation du niveau de l'eau qui peut atteindre quelques dizaines de centimètres. Lors des submersions marines, nous devons à la fois prendre en compte des facteurs à très grande échelle, au niveau de l'Atlantique nord – vagues, vents, pressions – mais également des phénomènes extrêmement locaux liés au déferlement des vagues et au va-et-vient de chacune de ces vagues, ce qui rend l'exercice difficile.
L'élévation du niveau de la mer induira des submersions marines plus intenses et plus fréquentes. Pour s'en rendre compte, il suffit de regarder n'importe quelle courbe d'extrême au niveau de la côte – comme celle produite par le CEREMA. On note que l'écart entre une tempête centennale – qui a une chance sur cent d'intervenir chaque année – et une tempête décennale – qui a une chance sur dix d'intervenir chaque année – est de l'ordre de quarante à cinquante centimètres d'élévation du niveau de la mer.
Pour appuyer la prévention et la préparation aux crises nous disposons d'outils de modélisation, illustrés ci-dessous, dans lesquels on utilise les vagues, modélisées à l'échelle de l'Atlantique nord, les courants et les marées au niveau du plateau continental, mais également, sur une maille très fine, des données LIDAR (laser detection and ranging pour détection et estimation de la distance par laser) qui permettent de reproduire le sol et les fonds marins avec une précision d'un mètre, et de modéliser chaque vague.
Nous pouvons ainsi reconstituer exactement le déroulement du processus de submersion qui s'est produit en 2008 à Gavres dans le Morbihan, dû au franchissement de vagues au-dessus du système de défense, accompagné d'une rupture de la défense. Il est donc nécessaire de représenter chaque vague pour visualiser quelle quantité d'eau est passée au-dessus des défenses et obtenir des représentations réalistes de l'inondation au niveau de ce site – comme nous pourrions le faire pour n'importe quel site.
Dans cet exemple, la modélisation a été validée en reprenant les hauteurs d'eau, mesurées par des collègues du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l'université, au niveau des maisons, mais également les mesures réalisées par des observateurs locaux à différents moments de la journée. Les simulations temporelles concordent avec ce qui a été observé sur le terrain.
Ces outils se sont beaucoup développés après Xynthia, même si la recherche s'en servait déjà auparavant. Le BRGM les déploie localement sur un certain nombre de sites, soit pour contribuer directement aux plans de prévention des risques (PPR) – comme à Dieppe, Arcachon ou Mimizan –, soit dans le cadre de projets de recherche, soit – comme en Camargue –, pour appuyer la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) dans la gestion des risques.
Dans tous les cas, ces modélisations reposent sur des données qu'il faut continuer à collecter et sur le développement de modèles dans lesquels il faut continuer à intégrer davantage de processus – la pluie, les apports d'eau par les fleuves, etc. Autrement dit, il y a encore des efforts à faire.
Sur de tels sites, même si le niveau de la mer s'élève « seulement » de dix à vingt centimètres, le niveau d'eau monte bien au-delà , car il est plus élevé et plus de paquets de mer passent au-dessus des défenses. Si la mer s'élève de dix centimètres, le niveau d'eau augmente, lui, en moyenne de quinze centimètres. La nécessité d'adaptation de ce type de site est donc quasiment immédiate.
Le niveau de la mer est pris en compte dans la prévention des risques littoraux. Les plans de prévention des risques (PPR) littoraux indiquent déjà qu'il faut immédiatement prendre en compte une élévation du niveau de la mer de vingt centimètres – que l'on atteindra entre 2030 et 2050 – et de quarante à soixante centimètres d'élévation du niveau de la mer en 2100. Le scénario bleu prend en compte de faibles émissions de gaz à effet de serre, alors que le scénario rouge prévoit d'assez fortes émissions. Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), nous avons deux tiers de chance d'être dans ces bandes bleues et un tiers de risque d'être au-dessus.
Et même si nous limitons les émissions de gaz à effet de serre, en respectant les accords de Paris, nous avons tout de même un tiers de chance d'être au-dessus de ce qui est prévu actuellement dans la réglementation. Cela mérite d'être signalé car nous ne sommes pas toujours entendus sur le terrain lorsqu'on essaie de justifier ces soixante centimètres…
Nous avons parlé de submersion marine, mais se pose également la question du recul du trait de côte et de l'érosion. Pour parler d'érosion, il faut prendre en compte des phénomènes très complexes liés au transport sédimentaire transversal ou longitudinal, au transport éolien, aux apports de sédiments par les fleuves, à l'érosion des falaises et des sols, à l'impact des ouvrages côtiers et des aménagements fluviaux, etc. Nous sommes beaucoup moins équipés en la matière que pour la submersion marine. Lorsque nous disposons de suffisamment de données passées, nous réalisons malgré tout des études permettant d'alimenter les plans de prévention des risques littoraux sur ces questions.
Comme je viens de vous l'expliquer, nous avons besoin de nombreuses données. Par ailleurs, nos modèles prospectifs distinguent deux types de situations : la situation de droite – en vert – modélise un scénario compatible avec l'accord de Paris, avec une faible érosion ; la situation de gauche – en rouge – modélise un scénario d'élévation du niveau de la mer lié à la poursuite de l'émission des gaz à effet de serre. Dans ce dernier cas, on constate une accélération de l'érosion vers le milieu du XXIe siècle.
On comprend toujours mal les processus à l'origine de l'érosion. Qui plus est, on ne sait actuellement pas placer de manière probabiliste un certain nombre de phénomènes. Ainsi, entre 2013 et 2014, la succession de tempêtes en Europe de l'ouest a causé des reculs du trait de côte de vingt mètres, ou plus, le long du littoral – comme en Aquitaine. Individuellement, chaque tempête n'est pas extrême et cette succession de tempêtes a très peu de chances d'intervenir : on ne sait donc pas dire quelle est la probabilité de survenance d'une telle succession d'événements.
À côté des événements dont on est capable d'indiquer la probabilité, il est donc également important de considérer le cas d'événements très peu probables, qu'on sait mal qualifier en termes de probabilité de survenance, mais qui en fait interviennent malgré tout.
L'élévation du niveau de la mer, comme vous l'a indiqué Anny Cazenave, se poursuivra pendant plusieurs siècles. Des études de collègues américains montrent bien que la transition postglaciaire a duré 20 000 ans et entraîné une élévation de 120 mètres du niveau de la mer, du fait de la fonte des calottes en Scandinavie et au Canada. Ensuite, pendant 6 000 ans, les niveaux marins sont restés stables. Nous regardons actuellement ce qui se passe sur cent ans, mais cela représente deux pixels sur ce schéma ! En réalité, deux cents ans de révolution industrielle et d'émissions de gaz à effet de serre induiront plusieurs centaines de milliers d'années d'élévation du niveau de la mer… Que se passera-t-il si l'on arrive à limiter les émissions de gaz à effet de serre ? On limitera la vitesse de cette élévation. Si la vitesse est limitée à cinquante centimètres par siècle, on devrait pouvoir s'adapter. À l'inverse, si on atteint des pics de quatre mètres par siècle, ce sera plus complexe…
Ma conclusion est la même que celle de toutes les personnes qui travaillent sur les questions côtières en France et à l'international : les politiques publiques qui permettraient de s'adapter à l'élévation du niveau de la mer ne sont pas suffisantes. Si nous voulons être en mesure de nous adapter, elles devront s'accompagner d'une atténuation du changement climatique.
Par ailleurs, comme nous comprenons encore mal certains phénomènes – notamment l'érosion –, il est important de poursuivre nos efforts d'observation pour être capables d'identifier les signaux précurseurs.
Disposez-vous des modèles que vous venez de nous présenter, avec l'ensemble des paramètres et des déterminants, pour toutes les côtes de France, dans l'hexagone et outre-mer, ou seulement pour certaines parties du littoral ?
Concernant les ouvrages, en tant qu'élus locaux, nous échangeons avec les services de l'État sur les risques de submersion et d'inondations. Ils nous expliquent prendre en compte un risque de brèche tous les cent mètres dans ces ouvrages. Est-ce, selon vous, un élément pertinent ?
Les modèles présentés prennent en compte de multiples données : pour les vagues hauturières, loin de la côte, et les courants et marées, relativement loin de la côte, les données sont disponibles sur l'ensemble du territoire, même si, outre-mer, certaines zones mériteraient quelques développements. En revanche, tout ce qui touche à la submersion à la côte, voire à l'évaluation des niveaux extrêmes à la côte, et qui représente des données très importantes, exige des études très locales qui sont réalisées petit à petit, dans le cadre des PPR, pour appuyer des organismes d'État ou lorsque nous développons des outils d'aide à la décision ou des projets de recherche. On est encore loin d'une couverture nationale. Malgré tout, nous avons de très bonnes connaissances jusqu'à vingt mètres de profondeur pour ce qui est des vagues et des niveaux d'eau. La Méditerranée devrait faire l'objet de davantage d'efforts en termes d'études, notamment sur les vents lors des tempêtes, en partenariat avec Météo France et d'autres acteurs.
Les PPR préconisent des brèches de cent mètres de long par tronçon homogène de système d'endiguement. Ce ne sont donc pas des brèches tous les cent mètres, mais des longueurs de brèche, par défaut, de cent mètres.
Nous avons mené une étude statistique suite à Xynthia – malheureusement non encore publiée – et recensé toutes les brèches caractérisées de manière historique. Cela suppose d'en connaître les dimensions complètes et de disposer d'une information suffisamment dense, ce qui n'est pas facile. Néanmoins, nous avions réussi à rassembler un échantillon assez important d'événements maritimes et de brèches. Statistiquement, cette longueur de cent mètres correspondait tout à fait à la médiane de nos constats.
L'objectif des PPR est bien de disposer d'une brèche de cent mètres de long par défaut sur un tronçon ou un casier d'endiguement. Un casier d'endiguement ou casier hydraulique est une zone susceptible d'être inondée lorsque l'ouvrage installé qui protège la zone qui est derrière, rompt. La rupture va donc inonder le casier. On considère qu'il faut au moins une brèche de cent mètres de long par casier, pour voir ce qui va se passer dans ce casier. Si l'ouvrage est géré par un « gestionnaire pérenne », qui respecte la réglementation sur la sécurité des ouvrages hydrauliques et apporte des éléments de connaissance sur la résistance de cet ouvrage, cette longueur de brèche peut être ramenée à une cinquantaine de mètres.
Il faut comprendre que l'on cherche à caractériser un événement extrême, un risque naturel majeur dans le PPR. Or, souvent, les ouvrages ne sont pas dimensionnés pour ce type d'événement. Quand bien même ils le seraient, un ouvrage peut toujours faillir. Le risque de défaillance est réel : il faut donc savoir s'en prémunir. Derrière ces ouvrages, la planification à long terme doit en tenir compte et savoir ce qui va se passer si l'ouvrage rompt. C'est d'ailleurs également exigé par la nouvelle réglementation sur les ouvrages hydrauliques. Le décret du 12 mai 2015 relatif aux règles applicables aux ouvrages construits ou aménagés en vue de prévenir les inondations et aux règles de sûreté des ouvrages hydrauliques encourage cette réflexion : comment fonctionne le système d'endiguement ? Jusqu'à quel niveau est-il sûr et comment fonctionne-t-il tant qu'il ne rompt pas ? C'est en quelque sorte la « garantie » qu'apporte le gestionnaire, par une bonne gestion de son ouvrage.
Ensuite, que se passe-t-il si l'ouvrage vient à défaillir ? Dans ce cas, il faut modéliser l'inondation derrière et s'intéresser à ses effets et à la mise en danger potentielle des personnes qui vivent derrière, afin que des mesures de prévention, d'alerte et, éventuellement, d'évacuation puissent garantir la sécurité de ces populations. Un ouvrage présente évidemment un risque quand il contient de l'eau : au moment où il lâche, bien évidemment, le risque devient beaucoup plus important pour les personnes situées derrière lui. L'objectif de la nouvelle réglementation est bien de savoir comment ces ouvrages fonctionnent en situation normale et ce qui se passe quand ils viennent à défaillir. Les mesures d'alerte et de prévention sont ensuite prises en liaison avec les autorités compétentes. Le gestionnaire de l'ouvrage n'est pas compétent en la matière : ce sont les maires, et le préfet quand il s'agit d'événements majeurs, qui agissent.
Pour compléter notre réponse sur la disponibilité des données, lors de la dernière saison cyclonique – en particulier pour le cyclone Irma sur les Antilles –, nous avons pu répondre aux demandes de la direction générale de la sécurité civile uniquement en Guadeloupe au moment de la crise et fournir des informations sur les effets de la vague au rivage avec une certaine précision. Mais il nous était impossible de fournir ces mêmes données pour les Îles du Nord : elles n'étaient pas disponibles dans cette zone car de précision insuffisante, tant en bathymétrie qu'en topographie au rivage.
Il est donc nécessaire de faire un point complet de la disponibilité de données suffisamment précises, tant outre-mer qu'en métropole. Nous avons pu fournir ces données en Guadeloupe, car non seulement elles étaient disponibles, mais nous avions des modèles bien calés. Un modèle nécessite en effet des travaux préalables, plus ou moins complexes, de calage : nous avions la chance de pouvoir le faire en Guadeloupe, dans le cadre de différentes études réalisées à la suite des ouragans Dean et Omar en 2007 et 2008. Nous avions par ailleurs simulé le grand cyclone de 1928 et ses effets dans le contexte actuel.
Que vous manque-t-il pour que ces données soient disponibles ? De quels outils auriez-vous besoin pour mieux cartographier et récupérer ces données ?
Nous avons besoin de toutes les données. L'absence de marégraphe ou le caractère lacunaire des enregistrements vont limiter les possibilités de mesurer les niveaux marins extrêmes. Dans les marais de Dol-de-Bretagne ou à Dieppe, par exemple, les données sont manquantes ou incomplètes par le fait qu'en cas de surcote, le marégraphe est saturé et n'enregistre pas le pic.
Les données topographiques lidar, précises à un mètre de résolution, font l'objet d'un programme entre l'IGN et le SHOM intitulé Litto 3D. Je ne suis pas en mesure de vous préciser la couverture totale, dans certains secteurs, notamment outre-mer, il y a probablement besoin d'acquisitions complémentaires.
Toutes les données dont nous pouvons disposer pour valider les informations sont importantes. Le fait, par exemple, de repérer les niveaux sur les murs après les événements, pour vérifier que le modèle fonctionne bien, est extrêmement important.
En réponse à la question du rapporteur sur les brèches, dans les priorités actuelles de la Direction générale de la prévention des risques figure l'idée de donner un cadre réglementaire au PPR dans le contexte d'une responsabilité plus grande des collectivités. La responsabilité serait décentralisée, pour mieux prendre en compte le risque de brèche pris par le responsable de l'ouvrage.
Une modélisation hydraulique maritime, sur la côte, est un schéma en plusieurs termes. Il nous faut d'abord une source – la sollicitation maritime, sur laquelle nous devons avoir le maximum d'informations : vent, houle marée, tous les éléments de l'agitation hydrodynamique.
Nous devons ensuite disposer d'une bathymétrie, puisque le comportement des sollicitations hydrauliques est fortement influencé par la bathymétrie en faible profondeur, notamment dans la tranche très proche de la côte, comme vous l'a montré tout à l'heure M. Le Cozannet.
Il faut évidemment connaître ce qui se passe au niveau des ouvrages, puisque cela va avoir une influence sur la dynamique, la matière dont l'eau va transiter de la partie affectée par les sollicitations maritimes vers les côtes.
Enfin, il nous faut des points de mesure à la côte d'événements anciens pour caler nos modèles et les faire tourner sur un scénario connu, afin d'ajuster les paramètres de programmation des écoulements.
Nous avons donc besoin d'un large panel de données, ce qui explique que ces modèles n'offrent pas une couverture exhaustive du territoire. Chaque étude permet d'apporter des éléments de connaissance et de construire un modèle au cas par cas, sur chaque secteur de zone, puisque chaque zone devient un cas de propagation particulière de l'hydrodynamique côtière nécessitant des données spécifiques.
De ce point de vue, le programme Litto 3D offre des bathymétries assez fines ; la couverture de la métropole est pratiquement achevée, me semble-t-il. Mais dans un phénomène de tempête, cette bathymétrie évolue. Une donnée de bathymétrie fine qui date de dix, vingt ou trente ans n'est pas toujours valable aujourd'hui. L'exemple type, ce sont les tempêtes en Aquitaine qui provoquent un retrait du trait de côte de vingt mètres. Il faut parfois mettre cette bathymétrie à jour pour que nos modèles puissent fonctionner. L'acquisition de données se fait à long terme : il faut engranger les informations et les densifier au fur et à mesure.
Ne voyez aucune malice à ma question, mais l'articulation entre les différents instituts et organismes qui travaillent sur ce sujet est-elle bonne ? Ou pensez-vous que l'évolution des contextes et les nouveaux sujets tels que le changement climatique, devraient entraîner certains à se spécialiser davantage ? Il faut des zones d'échange, certes ; mais selon vous, ces échanges ne mériteraient-ils pas d'être optimisés afin d'améliorer l'articulation entre les différents services et le partage des connaissances ?
Cette question préoccupe l'administration centrale : c'est ce qui a conduit la Direction de la prévention des risques à réunir un séminaire le 10 janvier dernier, auquel tous les opérateurs ont participé.
Notre coopération est bonne, nous ne sommes pas du tout en concurrence. Sur ces sujets complexes, qui font appel à des compétences très diverses et nécessitent de l'intégration, je ne crois pas que nous soyons trop nombreux. L'organisation n'est peut-être pas optimale, mais à mon sens, il est difficile d'arriver à quelque chose de vraiment simple.
Nous allons vers une organisation de la recherche par projets : lorsque l'État annonce un projet, le lien se fait. Et les données sont de plus en plus ouvertes. Je ne vois pas de difficultés dans l'organisation actuelle, d'autant que tout changement de structures a un coût. Personnellement, je suis d'avis de faire marcher ce qui existe plutôt que d'imaginer la structure idéale.
Le problème est que de nombreux organismes travaillent sur ces sujets, tandis que nous souhaiterions avoir une couverture complète du territoire en matière d'appréhension et de gestion du risque. Comment mieux coordonner vos actions ? L'idée n'est pas de créer une structure commune, mais vous mettez-vous d'accord sur une planification pour travailler en complémentarité à affiner les données et optimiser les moyens publics indispensables à la poursuite de cet immense chantier ?
Monsieur Mompelat, le BRGM travaille au développement de tous les types de géothermie. Dans quelles mesures les solutions en matière de géothermie développées en outre-mer sont-elles appliquées sans être fragilisées par les événements climatiques ?
Pour l'instant, la seule unité de production d'électricité d'origine géothermique en outre-mer se trouve à Bouillante, en Guadeloupe. Elle n'est pas située très loin du rivage, et le procédé utilisé entraîne des rejets en mer. En cas de forte houle, l'ensemble du bourg de Bouillante est affecté, et l'usine peut également l'être – Ce fut le cas lors du passage du cyclone Lenny en 1999. Il s'agissait d'un ouragan très fort, mais son impact n'a pas affecté le fonctionnement de l'usine dans la durée.
Nous évoquions la limitation du changement climatique ; une usine de production d'électricité telle que celle de Bouillante contribue, fût-ce modestement, à cet objectif. De ce point de vue, le développement de la géothermie dans les outre-mer mérite d'être soutenu, notamment les projets en Martinique.
Le CEREMA a notamment pour charge de consolider la gouvernance des risques pour mieux les gérer. Dans ma circonscription du Calvados, les villes d'Arromanches-les-Bains, Ver-sur-Mer et Asnelles ont été touchées par le passage de la tempête Éléonore.
La compétence GEMAPI est importante ; qu'entendez-vous par : « accompagner la prise de compétence GEMAPI » ? depuis le 1er janvier 2018, la compétence sur l'entretien des digues au titre de la GEMAPI est remontée aux intercommunalités. Pendant la phase de transition, qui finance les édifices, et comment s'organise ce financement ?
Le CEREMA participe à l'accompagnement de la gouvernance par notre ouverture aux collectivités et nos missions d'accompagnement des politiques publiques.
Des appels à projet innovations nous ont permis de collaborer avec des collectivités pour identifier leurs difficultés et dégager des pistes de travail sur les problèmes posés par la prise de la compétence GEMAPI. Ces travaux sont encore en cours. ils devraient déboucher sur quelques documents méthodologiques ou de retour d'expérience.
S'agissant spécifiquement des ouvrages hydrauliques, une série d'ouvrages est en cours de préparation pour expliquer la réglementation aux nouveaux gestionnaires, et accompagner la montée en puissance des gestionnaires d'ouvrages, dont ce n'était pas le métier, pour bien leur expliquer les tenants et les aboutissants des différentes réglementations, notamment les études de danger.
Nous travaillons aussi avec les directeurs généraux sur une foire aux questions (FAQ) pour répondre aux problèmes que soulève la GEMAPI. Nous essayons d'apporter des éléments de réponse circonstanciés avec les administrations centrales.
Pour ce qui est du "financement", au coeur de votre question, le législateur a prévu la possibilité de créer une taxe dédiée pour la GEMAPI, à hauteur de 40 euros, qui permettra d'attribuer un financement spécifique pour sa mise en oeuvre, notamment la gestion des ouvrages. L'instauration de cette taxe, sa collecte et son affectation au budget de gestion de ces ouvrages obéissent aux règles du Trésor public ; les communes peuvent aussi contribuer avec leur budget général, mais ce n'est pas évident dans la période actuelle. Je vous suggère de vous rapprocher de la Direction générale des collectivités locales si vous voulez des informations plus détaillées sur cette taxe.
La taxe qui pourrait être levée incrémentera certes un budget, mais pour le futur. À Arromanches-les-Bains, les dommages subis par la digue sont d'ores et déjà évalués à 2,5 ou 3 millions d'euros. Face à ces montants très élevés, le maire se demande qui va payer, sachant que si la compétence a bien été transférée à l'intercommunalité, le législateur a prévu une période de transition au cours de laquelle les intercommunalités ne sont pas obligées de financer, mais simplement d'accompagner… Est-ce à dire que nous devons nous tourner vers ceux qui étaient auparavant les responsables de l'entretien de la digue, et trouver auprès d'eux le financement pendant cette phase de transition ?
J'ai connu une expérience de ce genre, mais elle n'est pas nécessairement transposable. Pour commencer, qui est le propriétaire ? Bon nombre de ces ouvrages sont orphelins. Ensuite, le maire est responsable de la tranquillité et de la sécurité des habitants, il ne peut donc se dédouaner ; mais il est parfois intéressant de demander aux services de l'État le montant des crédits consacrés à l'ouvrage en question au cours des cinquante dernières années.
Il faut ensuite établir un plan de financement, dont 20 % seront à la charge de la collectivité, mais qui implique également l'État – avec le fonds de prévention des risques naturels majeurs –, via le préfet, la région, voire certains départements. En tout état de cause, si un ouvrage a été mal entretenu, on ne saurait en faire supporter à un instant T toute la charge aux élus, d'autant que les enjeux financiers sont très importants pour des collectivités déjà confrontées à des tensions budgétaires.
On connaît probablement le propriétaire de l'ouvrage dans le cas qui nous occupe. Quand la compétence GEMAPI est transférée à l'intercommunalité, la législation prévoit que le titulaire de la compétence doit déclarer un système d'endiguement pour reprendre les ouvrages qui l'intéressent. Il n'est pas obligé de reprendre tous les ouvrages qui tombent dans son escarcelle : il doit choisir quels enjeux protéger, et quels ouvrages reprendre en gestion au titre de cette prévention des inondations. Il peut considérer qu'il n'a aucun intérêt à investir de l'argent dans des ouvrages qui ne protègent pas grand-chose. Il peut se concentrer sur les ouvrages pour lesquels il existe un véritable enjeu de sécurité publique.
La déclaration du système d'endiguement est facilitée dans la législation. Si l'ouvrage fait déjà l'objet d'études, elles peuvent être réutilisées, remises en conformité, et il est possible de déclarer le système d'endiguement, tel que le conçoit le titulaire de la compétence GEMAPI. C'est à lui de faire son choix, il n'est pas obligé de gérer tous les ouvrages qui lui sont cédés.
Ensuite, il faut effectivement construire un vrai plan de financement, et il existe des dispositifs d'accompagnement. Et puis il faut gérer la transition entre l'ancien gestionnaire et le nouveau, dont la prise de compétence intervient lorsque son système d'endiguement a été dûment déclaré.
Monsieur Martin, vous avez développé votre expertise sur les digues. S'agit-il des digues tous régimes juridiques confondus, publiques comme privées ? Menez-vous un travail spécifique dans les zones où le retrait du trait de côte est plus accentué ?
Monsieur Deniaud, j'anime un groupe de réflexion sur le recul du trait de côte au sein de l'Assemblée ; nous travaillons sur une proposition de loi tendant à reconnaître le phénomène et à prévoir les modalités d'indemnisation des biens. Nous sommes confrontés à un problème : l'absence de données fiables sur le nombre de biens à indemniser à terme. Êtes-vous en mesure de nous fournir une évaluation du nombre de biens concernés par le phénomène inéluctable de l'érosion côtière ? Pensez-vous que les fichiers fonciers soient pertinents pour identifier les enjeux dans les zones soumises au phénomène ?
Enfin, concernant le retrait du trait de côte, la notion de probabilité a été utilisée. Peut-on parler de risque prévisible ?
Dans le domaine de la recherche, l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) s'adresse à tous les gestionnaires. S'agissant de l'expertise, nous intervenons dans le cadre de convention d'appui au bénéfice des Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), autrement dit pour l'État.
Nous avons aussi quelques missions d'assistance à la maîtrise d'ouvrage pour tous les gestionnaires, sachant que si nous intervenons au titre de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage, nous ne le faisons pas au titre de l'expertise, et vice-versa. Mais l'assistance à la maîtrise d'ouvrage n'est pas la priorité.
Mardi dernier, dans le cadre du comité national de suivi de la gestion du trait de côte, nous avons présenté une étude réalisée pour la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature et la direction générale de la prévention des risques, évaluant les enjeux susceptibles d'être affectés par le recul du trait de côte à long terme.
Cette étude s'est appuyée sur nos travaux antérieurs : l'indicateur national de l'érosion côtière, qui donne une vision de la tendance d'évolution des côtes à long terme sur l'ensemble des façades maritimes de métropole et d'outre-mer ; une base de données des ouvrages littoraux, consolidée l'année dernière, qui recense tous les ouvrages – notamment longitudinaux – des côtes métropolitaines et d'outre-mer. Nous avons croisé ces données avec les enjeux, c'est-à-dire la base de données de l'IGN sur les bâtiments et les fichiers fonciers, qui permettent d'avoir une idée de la valeur vénale des logements par l'analyse des transactions.
Plusieurs scénarios y sont présentés, fondés sur des hypothèses d'évolution du trait de côte assez contraintes. Cela permet de calculer, pour chaque scénario, la date à laquelle les bâtiments sont atteints, et ensuite d'évaluer, à l'échelle nationale, des fourchettes de valeur des biens touchés par le recul du trait de côte. Cette étude vient tout juste d'être présentée ; nous verrons sous quelle forme elle peut vous être communiquée pour que vous disposiez des éléments de réponse.
Sur la prévisibilité du recul du trait de côte, la réponse est assez délicate. Il faut distinguer court et long terme. À long terme, le recul est inéluctable, comme le démontrent les tendances que nous pouvons calculer. À court terme, les effets des tempêtes peuvent parfois être très importants – ce qui s'est passé en Aquitaine en 2014 le prouve bien – et une succession de tempêtes peut entraîner un recul beaucoup plus rapide que prévu. Mais si à court terme, les effets peuvent être imprévisibles, à long terme, nous savons que ces secteurs seront touchés.
J'appelle votre attention sur une expérience que mène le Conservatoire du littoral, le projet Adapto. Il consiste à examiner des mesures d'adaptation pour les terrains du Conservatoire du littoral. Est-il vraiment nécessaire de maintenir le trait de côte à sa position actuelle sur ces terrains ? Probablement pas, il n'est pas grave qu'il recule, en revanche il faut s'assurer que les voisins ne seront pas affectés par une inondation de ces terrains, et en conséquence, construire une digue de second rang. C'est un exemple de mesures d'adaptation envisagées sur un certain nombre de terrains.
Ce projet est extrêmement intéressant, notamment pour optimiser les investissements dans les défenses. Une défense de premier rang est beaucoup plus coûteuse à entretenir qu'une défense de second rang.
La plage est un élément central dans la protection des défenses de premier rang : c'est souvent le meilleur amortisseur de houle et d'effets hydrodynamiques. Si la plage disparaît, l'ouvrage sera beaucoup plus attaqué et risque des défaillances plus importantes.
Le recul du trait de côte est une évolution qui se constate à toutes les échelles de temps. Il peut y avoir des phénomènes cycliques, liés à la marée ; des phénomènes de tempête, plus énergétiques ; des phénomènes saisonniers qui entraînent des engraissements et des dégraissements de plage, et des variations annuelles, et centennales.
Pour disposer d'une vision complète de l'évolution du trait de côte, il faut savoir comment les sédiments se déplacent sur la côte, et où ils s'accumulent. Or nous manquons cruellement d'un suivi pérenne, dans la durée, pour avoir le film de cette évolution. Le mieux est de le faire en trois dimensions, avec des données topo-bathymétriques relevées régulièrement. Un projet de cette nature est en cours en Languedoc-Roussillon, où plusieurs lidars sont passés pour fournir cette bathymétrie à plusieurs échelles de temps, et commencer à réfléchir à l'évolution globale, en trois dimensions, des sédiments. C'est aussi le projet que soutient le réseau d'observation dans les Hauts-de-France, qui procède à des suivis lidar et projette de réaliser un suivi topo-bathymétrique tous les six ans, complété par un simple suivi topographique tous les trois ans, pour offrir un film complet de l'évolution de la morphologie à long terme, et ainsi mieux gérer ce recul du trait de côte.
Vous nous confirmez que vous contractualisez avec des collectivités qui veulent suivre ces données bathymétriques à des échelles plus fines.
Je souligne l'importance des observatoires du littoral. C'est bien grâce à eux que nous pouvons mener ces études, faire des observations sur la durée, et avoir la réactivité nécessaire pour apporter des retours d'expérience juste après une tempête.
Lorsqu'ils intègrent tous les acteurs du territoire, ils permettent aussi de mettre l'accent sur les zones à enjeu au sein d'une plus grande région.
On me fait observer, lorsque je visite les villes touchées par la tempête Eleanor, que les ouvrages ont pour effet de détourner l'eau de mer vers d'autres parties du territoire, qui subissent à leur tour des dégâts. Quelles lumières vos expertises peuvent-elles apporter sur les conséquences de cette canalisation de la mer ?
Il existe deux cas de figure. Sur une côte ouverte comme celle de l'Aquitaine, avec un littoral bien rectiligne, les ouvrages ont, en cas de submersion, une influence relativement limitée sur les zones voisines. En revanche, dans des environnements plus fermés, comme la baie de l'Aiguillon ou la baie de Somme, les ouvrages ont une influence sur le niveau d'eau, en face ou à proximité. Si l'un d'eux vient à céder en fond de baie, comme cela a pu se produire lors de la tempête Xynthia, l'inondation peut rapidement se propager.
Restaurer des zones d'expansion de crue et ne pas faire reposer la prévention uniquement sur des murs est une réflexion que nous menons pour les fleuves. Il convient aussi de prendre en compte l'interaction avec l'estuaire, qui ajoute à la complexité des questions concernant la submersion marine, les crues fluviales et les inondations.
Il peut aussi s'agir de petits estuaires, comme celui du Gapeau.
Mon collègue a évoqué l'influence des digues ; le dragage peut-il avoir des conséquences sur le mouvement de l'eau ?
Il est certain que le dragage, qui modifie la configuration générale, peut avoir une influence côté fleuve, mais aussi côté estuaire. Cette donnée est prise en compte dans les modèles locaux.
En outre-mer, les études montrent que moins on touche au littoral, moins on construit de digues et d'ouvrages de résistance aux houles cycloniques, mieux le territoire résiste. Peut-on parvenir aux mêmes conclusions pour l'hexagone ? À long terme, ces ouvrages de protection n'en viennent-ils pas à perturber la capacité de résilience des littoraux ?
À la suite du projet Eurosion, qui faisait un bilan de l'érosion en Europe en 2004, il avait été recommandé de laisser de l'espace pour la mobilité des sédiments côtiers. À Tahiti, la construction de murs sur les littoraux produit des affouillements. De fait, plus on laisse de l'espace pour permettre aux sédiments de migrer, moins on les exploite, plus le littoral a des chances d'évoluer naturellement face à des forçages météorologiques ou climatiques.
Chaque système a une dynamique qui lui est propre. Le fonctionnement des cellules sédimentaires, cyclique, peut être perturbé par différents événements, comme la construction d'ouvrages ou le dragage, parfois de manière irréversible. Il faut bien comprendre le fonctionnement des cellules sédimentaire si l'on veut procéder à des rechargements intelligents.
Que préconisez-vous, en matière de nettoyage par exemple, pour que les plages et les dunes assurent une meilleure protection ? Il me semble que l'emploi de cribleuses, qui tamisent le sable, rend les plages très mobiles. À l'inverse, un nettoyage manuel préserve les laisses de mer et donc les matières organiques. De manière plus générale, faut-il prendre en compte le fait qu'un cordon littoral naturel présente des capacités d'adaptabilité plus fortes, ou la montée des océans est telle que c'est un élément mineur ?
Une expérience, appelée « sand engine », a été menée en Hollande : elle consiste à prélever du sable en mer pour recharger de manière massive la plage. Le littoral évolue ainsi naturellement et la buffer zone – zone tampon – entre la mer et la terre, est plus importante. Tant que le niveau de la mer ne monte pas trop vite, il y a de bonnes chances que cela fonctionne. Sans doute cette expérience ne peut-elle pas être menée partout, en raison d'une disponibilité de la ressource sédimentaire parfois limitée.
Le débordement de l'estuaire de l'Argens, dans le Var, en 2010, a provoqué l'une de nos pires inondations, causant la mort de vingt-cinq personnes entre la Dracénie et le littoral varois. Il s'avère que le dégagement de l'embouchure était insuffisant. Le dragage, assuré des années durant par un sablier, avait cessé en raison de contraintes environnementales. Où en est-on ? Peut-on reprendre le dragage ? Comment rendre ces estuaires plus fluides ?
Je ne peux vous apporter de réponse précise sur le cas particulier de l'Argens. L'encombrement d'un exutoire ayant effectivement tendance à favoriser les inondations en amont, une bonne gestion des estuaires s'impose si l'on veut éviter les inondations.
Je souhaiterais revenir sur la coordination de vos travaux. Comment les missions que vous réalisez sont-elles déterminées ? Partagez-vous certains des axes déployés au sein du PNACC ? Pensez-vous que les politiques publiques tiennent-elles suffisamment compte de vos travaux et vos recommandations ? Le droit doit-il évoluer pour que la prise en compte de la cartographie du risque devienne obligatoire en matière d'aménagement et de constructions et que les cartes soient, demain, opposables ?
La coordination est assurée par l'administration centrale ; la direction générale de la prévention des risques (DGPR) assure la tutelle de l'ensemble des opérateurs. Certaines structurations font appel à d'autres politiques publiques, la politique des risques étant liée à des politiques d'aménagement : la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte est ainsi pilotée par la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN).
Nos préconisations portent principalement sur la responsabilisation des maîtres d'ouvrage, suite au transfert de compétences prévu par la loi GEMAPI. Nous sommes dans une période de transition, mais l'entrée en jeu des acteurs des collectivités territoriales est la garantie d'une meilleure prise en compte des risques et d'une plus grande efficience. Reste à travailler sur le changement climatique…
Les domaines de recouvrement existent et il appartient à l'administration centrale d'assurer la cohérence. De grands travaux, ou missions, auxquels nous participons tous, sont conduits sous le chapeau du ministère qui assure la coordination. Il peut exister des ambiguïtés, comme cela a été le cas avec le dispositif CATNAT, où il a fallu formaliser les choses et répartir les différents opérateurs sur le territoire selon une logique géographique.
Il y a matière à améliorer la concertation, au niveau tant national que régional. À cet échelon, les opérateurs publics manquent d'espaces formels de concertation. Si cette concertation est plus facile dans de petits territoires, outre-mer notamment, elle est essentielle pour éviter le gaspillage et les doublons, davantage occasionnés par la méconnaissance du travail des autres que par l'esprit de concurrence.
La DGPR joue un rôle important de coordination. Les organismes ont signé une convention cadre avec le CEREMA et plusieurs actions sont ciblées, dont une sur les digues.
Sur le long terme, nous aimerions explorer toutes les conséquences de la GEMAPI, l'influence de la gestion des inondations sur les milieux aquatiques. Un sujet est en train d'émerger, celui des solutions non techniques, fondées sur la nature. Enfin, dans le cadre du Plan National d'adaptation au changement climatique (PNACC), nous aimerions développer les services climatiques – tout ce qui aide les décideurs à prendre en compte l'information climatique.
Nous disposons de scénarios climatiques, nous connaissons les projections en matière de températures et de précipitations, mais les conséquences sur les territoires restent encore à quantifier. Les courbes sur le trait de côte qui ont été présentées sont d'ordre global. Nos connaissances ne nous permettent pas encore de les décliner au niveau local. Quantifier au niveau local est un grand enjeu de politique publique, mais cela exige beaucoup de moyens.
Pour pouvoir progresser plus vite sur le plan des connaissances et obtenir des relevés, pouvez-vous imaginer vous associer, dans le cadre d'une démarche participative, avec les associations, les citoyens et les communes ?
Le CEREMA a développé une application pour smartphone, Rivages, qui permet de relever la position du trait de côte sur les plages et de transmettre ces données. On peut trouver sur le site Géolittoral le descriptif de cette application disponible sur le playstore. Beaucoup d'informations sont déjà remontées et c'est grâce à Rivages que la cartographie du trait de côte de Saint-Martin a pu être effectuée.
Pour ce qui est des submersions et des relevés de laisses, un prototype est en développement. Un projet de recherche, en lien avec le service d'hydrométéorologie, permettait de faire remonter des informations des particuliers pour analyser les laisses de crue. Il existe encore d'autres projets de science participative. La difficulté est de valider la donnée et de s'assurer de sa qualité technique avant de l'intégrer aux informations.
La DGALN ambitionne de pousser un réseau national des observatoires du trait de côte, qui permettrait de partager les protocoles et les données, de monter en compétence et d'aider les observatoires locaux à acquérir de l'information susceptible d'être capitalisée et réutilisée au niveau national.
L'état des connaissances et des recherches peut-il permettre aux responsables publics d'établir un zonage pertinent sur l'érosion ?
Comment décentraliser les recherches que vous menez ? Nous avons tous un tropisme, et nous connaissons bien les spécificités de nos territoires. Ainsi, l'Estérel occidental est une roche à fleur de terre, touchée par les incendies, les pluies torrentielles et victime d'une érosion nouvelle ; quant à la Dracénie, c'est un entonnoir de calcaire. Nous ne sommes pas des scientifiques, mais en béotiens, nous faisons des observations. Comment rapprocher cette vision de la vôtre ?
Demain aura lieu en Loire-Atantique la troisième rencontre du Défi maritime et littoral, qui sera l'occasion d'une réunion de restitution. Il existe des départements ou des régions qui ont souhaité écrire des livres bleus ou aller plus loin pour prendre en compte ces phénomènes littoraux.
Techniquement, nous avons la capacité technique de réaliser ces zonages. C'est juste une question de moyens.
Il existe bien deux niveaux d'action. Des politiques nationales sont décidées avec des déclinaisons régionales, qui se font par l'intermédiaire de nos organismes ou des services déconcentrés de l'État. Il existe aussi des programmes, qui se créent à partir de l'expression de besoins régionaux.
Il est vrai que nous disposons des moyens techniques pour réaliser ces zonages. C'est d'ailleurs ce qui se fait pour le recul du trait de côte, dans le cadre du PPR. Vu la complexité des phénomènes, il faut descendre du niveau d'échelle, affiner les études et prendre en compte les particularités locales pour obtenir un zonage précis. Dans l'instruction des PPR, et c'est l'un des objets du guide d'analyse du fonctionnement du littoral, nous recommandons de prendre en compte toutes les connaissances, y compris les connaissances locales, et de les intégrer dans la démarche. Ainsi, nous disposons d'un diagnostic complet du territoire, qui tient compte de ses spécificités. Tout élément de connaissance est utile.
L'articulation entre les niveaux national et local se fait. Mais disposer d'études suffisamment fines et obtenir des résultats pertinents au niveau local requiert des moyens.
Compte tenu des derniers développements de la recherche, le guide méthodologique du PPR, très détaillé pour ce qui est de la submersion marine, mériterait quelques mises à jour concernant l'évolution du trait de côte.
Je vous remercie. N'hésitez pas à nous faire parvenir toute documentation complémentaire qui pourrait éclairer la mission.
L'audition s'achève à dix heures quarante-cinq.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 1er février 2018 à 9 heures
Présents. - M. Bertrand Bouyx, M. Lionel Causse, M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Sophie Panonacle, M. Hugues Renson, Mme Maina Sage