Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 17 juin 2020 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • biodiversité
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  • pacte vert
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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 17 juin 2020

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission, de M. Jean Bizet, Président de la Commission des affaires européennes du Sénat, de Mme Barbara Pompili, Présidente de la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale et de M. Hervé Maurey, Président de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat

La séance est ouverte à 17 h 05.

I. Audition, commune avec la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale et les commissions des affaires européennes et de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, de M. Frans Timmermans, premier vice-Président exécutif de la Commission européenne en charge du Pacte vert pour l'Europe

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. M. le Président Timmermans, merci d'avoir accepté cette invitation à venir dialoguer avec nous, parlementaires français. Nous avons le plaisir de vous entendre aujourd'hui, dans ce format élargi qui réunit les commissions des Affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que leurs commissions du développement durable et de l'aménagement du territoire.

Vous êtes chargé au sein de la Commission européenne du Pacte vert européen, sujet d'une actualité et d'une importance majeure. Malgré la pression de certains États membres et groupes de pression pour reporter ce Pacte vert ou amoindrir ses ambitions en raison de la crise du Covid-19, la Commission a réaffirmé, à notre grande satisfaction, le caractère prioritaire de ce projet, en assurant qu'il serait la colonne vertébrale du plan de relance et de l'économie durable et résiliente que nous devons reconstruire.

Il reste que les ambitions environnementales se heurtent à un certain nombre de réalités économiques et politiques. Comment garantir que les investissements du plan de relance soient compatibles avec les objectifs du Pacte vert ? La réussite du Pacte vert sera liée à sa bonne prise en compte dans l'ensemble des politiques de l'Union. À cet égard, les politiques communes de l'Union – et notamment la réforme de la politique agricole commune, qui a un rôle majeur à jouer dans la préservation de la biodiversité – pourront-elles réellement tenir compte du Pacte vert ?

Par ailleurs, vous avez récemment qualifié la « loi climat » prévoyant la neutralité climatique en 2050 de « locomotive du Green Deal ». Dès avant la crise, la Pologne avait demandé un délai avant de s'engager sur cet objectif. Êtes-vous confiant sur la possibilité d'obtenir un consensus au Conseil sur ce point ? En outre, les premiers échanges au Parlement européen témoignent d'une volonté d'être encore plus ambitieux, avec notamment un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui pourrait atteindre 65 % en 2030, et un objectif de neutralité carbone qui pourrait être individualisé pour chaque État, et non un objectif global à l'échelle de l'Union. Que pensez-vous de ces propositions ?

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Jean Bizet, président de la commission des Affaires européennes du Sénat

La crise que nous traversons n'a pas entamé l'ambition de l'Union européenne vers la neutralité carbone. Notre commission y souscrit pleinement, convaincue comme vous que l'Union doit se réinventer pour être plus verte, plus numérique, plus résiliente. Ces trois objectifs sont inséparables et doivent être envisagés de manière cohérente. Cela implique de s'entendre à 27 sur une définition de ce qu'est le verdissement. Nous ne devons pas nous résoudre à la décroissance au motif de la lutte contre le changement climatique. Cette lutte exige au contraire d'encourager les sauts technologiques qui permettront d'inventer un avenir meilleur et respectueux de la planète. L'Union européenne ne doit se priver d'aucune technologie, que ce soit en matière énergétique, en matière industrielle ou en matière agricole, pour atteindre les objectifs ambitieux qu'elle s'est assignés. C'est pourquoi nous sommes particulièrement inquiets que la Commission propose un verdissement de l'agriculture passant par une réduction de moitié de la surface agricole utile. Pourquoi ne pas recourir à d'autres moyens comme les nouvelles techniques de sélection variétale et les produits de biocontrôle ? Cela permettrait à la fois d'accompagner la transition écologique de l'agriculture en Europe et d'assurer notre souveraineté alimentaire. Ces deux impératifs vont de pair et l'un ne doit pas être sacrifié à l'autre.

De même, l'Union européenne doit rester attentive à soutenir les investissements qui amélioreront son autonomie énergétique tout en contribuant à la décarbonation de l'économie. À cet égard, le sort réservé à l'énergie nucléaire dans la taxonomie des investissements verts nous préoccupe. Nous restons aussi attentifs aux moyens que la Commission propose de réserver au projet de réacteur nucléaire ITER dans le futur cadre financier pluriannuel. Il est impératif, dans le respect des engagements pris, de consacrer à ITER les moyens adéquats pour assurer la poursuite de ce projet capable de créer pour l'avenir une source durable d'énergie sûre et respectueuse de l'environnement. Quelle est votre position à ce sujet ?

En outre, nous ne devons pas oublier que la responsabilité de la lutte contre le changement climatique est l'affaire de tous. L'Union européenne doit donc se doter d'instruments permettant d'en répartir la charge afin qu'elle ne pèse pas sur nos seules entreprises. Celles-ci ne pourront pas résister à la concurrence déloyale de compétiteurs qui ne seraient pas soumis aux mêmes exigences environnementales. Notre politique commerciale commune doit être optimisée en ce sens et les accords commerciaux doivent intégrer cet objectif. Nous soutenons aussi la mise en place d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières afin d'établir des règles du jeu égales pour tous. À cet égard, pouvez-vous nous préciser comment s'articule votre action avec celle du commissaire chargé de la politique commerciale ?

Le Sénat a récemment adopté un avis motivé s'inquiétant de la conformité du projet de loi européenne sur le climat au principe de subsidiarité. Même si nous souscrivons à l'objectif de neutralité climatique à l'horizon 2050, il nous semble que la Commission va trop loin en demandant à pouvoir définir par acte délégué la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La définition de cette trajectoire n'est pas un élément technique, ni mécanique, elle soulève des enjeux importants en termes économiques, sociaux, technologiques et industriels, ainsi que d'aménagement du territoire dans chacun des États membres. Aussi, définir la trajectoire vers la neutralité carbone à l'horizon 2050 revêt un caractère éminemment politique. Cette décision doit être pleinement acceptée par les États membres pour être mise en œuvre avec succès. Comment la Commission envisage-t-elle de prendre en compte cet avis motivé ?

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La crise actuelle nous a fait prendre conscience de notre profonde fragilité. Nous devons surmonter une pandémie qui trouve une grande partie de ses causes dans les atteintes à l'environnement. Ses lourdes conséquences économiques et sociales révèlent la vulnérabilité de nos économies et leur manque de résilience. C'est tout notre mode de développement qui doit être interrogé à la lumière de cette expérience. Elle a démontré la nécessité de valoriser les circuits courts, de relocaliser certaines activités, mais aussi de promouvoir celles qui permettent la transition écologique et qui sont pourvoyeuses d'emplois non délocalisables.

Il nous faut répondre à l'urgence climatique, toujours aussi présente. Dans la phase de relance, tout l'enjeu consiste à répondre à des enjeux économiques et sociaux immédiats sans perdre de vue le moyen et le long termes. Ces horizons sont justement ceux du Pacte vert présenté par la Commission européenne pour faire de l'Europe le premier continent à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050.

Dans le contexte actuel d'urgence, la tentation existe chez certains de revoir cette ambition à la baisse au profit d'une relance « grise ». Pouvez-vous nous confirmer que la Commission européenne tiendra bon sur ses objectifs et son calendrier ? Comment compte-t-elle s'assurer que les mesures de soutien actuelles sont compatibles avec l'ambition du Pacte vert ?

Dans le Pacte vert, la Commission propose un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union, prévu pour 2021, pour s'assurer que les biens produits dans l'Union ne seraient pas pénalisés par rapport à des industries étrangères davantage émettrices de CO2. Comment ce mécanisme est-il accueilli par les États membres et les États tiers ? Le calendrier envisagé vous paraît-il toujours tenable ? Quelle serait l'articulation avec les traités de libre-échange conclus par l'Union, dont la soutenabilité climatique est questionnée ?

Enfin, l'effort pour la transition écologique, pour être accepté de tous, doit être solidaire et inclusif. Transformer un modèle économique ne se décrète pas. Il faut que chacun y trouve son intérêt et convienne aussi qu'il en va de l'intérêt général. Cela suppose un travail de conviction, mais surtout des mesures d'accompagnement, qui seront l'objet du Fonds de transition juste. Quelle pourrait être la déclinaison concrète et opérationnelle des interventions de ce fonds ?

Il est indispensable de donner des perspectives d'avenir à tous ceux qui craignent que la transition écologique se fasse au détriment de leur emploi. Elle doit au contraire être une opportunité pour tous, comme doit l'être la réforme de la politique agricole commune pour les agriculteurs.

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Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat

Avec le Pacte vert dont vous avez la charge, vous êtes au cœur de nombreux débats passionnés et essentiels pour l'avenir de l'Union européenne. Le Pacte vert comporte en effet un programme de transformations structurelles de l'économie européenne visant à atteindre la neutralité climatique d'ici à 2050. La crise du Covid-19 que nous affrontons et dont nous allons avoir à subir les conséquences encore un certain temps a profondément bouleversé le paradigme sur lequel nous avons fondé notre modèle de développement. La soutenabilité de notre croissance, l'impact de nos activités sur la nature ou encore notre prise en compte de l'urgence climatique ont été sous-estimés.

Nous avons donc aujourd'hui la possibilité de faire de cette crise une opportunité unique dont le Pacte vert peut être le principal instrument. Comment comptez-vous le faire évoluer pour tenir compte de ce nouveau contexte ? Comment comptez-vous le combiner avec la relance de l'économie européenne ? Autrement dit, l'urgence climatique et l'urgence de la reconstruction peuvent-elles coexister ?

Les stratégies « Biodiversité 2030 » et « De la ferme à la fourchette » sont ambitieuses. Vous avez déclaré vouloir restaurer un équilibre entre les activités humaines et la nature. Notre commission a émis des recommandations en ce sens afin de renforcer la protection des écosystèmes et de lutter contre le trafic illicite d'espèces protégées. Comment comptez-vous faire pour que ces objectifs ambitieux soient atteints alors que la Cour des comptes de l'Union européenne a récemment montré l'inefficacité des politiques de l'Union pour enrayer le déclin de la biodiversité des terres agricoles ?

Notre commission a également appelé le Gouvernement à consacrer un volet ambitieux au secteur des transports dans le cadre du plan de relance. Qu'en est-il au niveau européen ?

Enfin, concernant la loi climat, la Commission doit publier fin septembre une étude d'impact relative aux différents scénarios d'objectifs pour 2030. Une majorité semble aujourd'hui se dessiner au Parlement européen pour un objectif de 55 % de réduction des émissions de CO2, tandis que la rapporteure propose d'aller au-delà, conformément aux préconisations du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Le Conseil devrait définir sa position cet automne et la position finale de l'Union européenne devrait être consolidée pour la COP 26, reportée au printemps 2021. Qu'avez-vous à répondre à ceux qui s'interrogent sur le réalisme de ces objectifs ? S'agira-t-il d'un objectif moyen européen laissant plus de temps aux États les moins avancés ou d'un objectif pour chaque État membre ? Pensez-vous enfin que la crise actuelle et les impératifs de la relance économique pourront aboutir à une révision à la baisse de l'ambition de la Commission sur ce sujet ?

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Frans Timmermans, Premier vice-président exécutif de la Commission européenne en charge du Pacte vert pour l'Europe

. C'est un grand plaisir que d'être aujourd'hui avec vous. J'ai toujours beaucoup apprécié, dans mes autres fonctions, les relations avec le Parlement français car, pour développer nos politiques, nous devons pouvoir compter sur votre soutien et votre aide dans la définition de ces politiques.

Le coronavirus a plongé notre économie dans une récession inédite. Nous devons réagir fortement et de manière solidaire, afin que cette crise n'ait pas un coût social, politique et économique exorbitant. L'Union européenne a déjà pris des décisions importantes pour aider les gouvernements, les entreprises et les citoyens, par exemple grâce à l'assouplissement de l'utilisation des fonds structurels ou au soutien aux mécanismes de chômage partiel.

Le 27 mai dernier, la Commission a proposé un plan de relance européen ambitieux, s'appuyant sur un endettement commun et le cadre financier pluriannuel pour apporter des réponses communes à la hauteur de la crise exceptionnelle que nous connaissons. Ce plan met l'accent sur trois enjeux essentiels pour l'avenir de l'économie européenne : la transition verte, la transition numérique et la résilience de nos économies. Comme vous le savez, il sera discuté cette semaine par les chefs d'État ou de gouvernement. J'espère qu'une décision sera prise au mois de juillet, car si nous perdons trop de temps, nous ne serons pas en mesure de réagir à temps aux difficultés économiques.

Notre stratégie vise à transformer l'Union européenne en une société prospère et juste, dotée d'une économie moderne, compétitive et efficace dans l'utilisation des ressources, et capable d'atteindre l'objectif de neutralité carbone en 2050. Le Pacte vert reste notre boussole. Rien n'a changé : il est même encore plus urgent d'agir en ce sens.

Nous publierons en septembre notre étude d'impact afin de réviser l'objectif de réduction des émissions à l'horizon 2030, qui s'établira entre - 50 % et - 55 %. Nous n'irons pas au-delà. D'abord parce que je n'ai pas de mandat pour faire une autre proposition. Ensuite parce qu'il serait impossible de trouver un accord sur un objectif plus ambitieux, au Parlement européen comme au Conseil. En réponse aux réserves du Sénat sur l'instrument juridique que nous avons proposé, j'indique que ce qui compte pour la Commission est de pouvoir établir une trajectoire permettant de réduire les émissions de 55 % en 2030 et d'atteindre la neutralité en 2050, mais également de pouvoir adapter notre trajectoire si nécessaire. Nous avons proposé de le faire par actes délégués, mais ce n'est pas l'élément central de la proposition. Si le Parlement européen et les parlements nationaux, comme le Sénat, s'y opposent, je ne vois pas d'inconvénient à changer d'instrument. Néanmoins, il faut pouvoir parvenir à un accord sur la trajectoire sans que cela puisse être empêché par un État membre : il est donc nécessaire qu'un tel accord puisse être pris à la majorité qualifiée. À défaut, nous risquerions de ne pas réussir à définir une trajectoire.

Notre projet de relance propose de placer la double transition, verte et numérique, au cœur des investissements à réaliser. Pour bénéficier des fonds de la facilité pour la reprise et la résilience, qui représentent 560 milliards d'euros, les plans nationaux devront notamment se conformer aux plans nationaux énergie climat traduisant au niveau national les objectifs 2030. La puissance de feu de notre programme d'investissement, InvestEU, qui sert de catalyseur pour l'investissement privé, sera accrue pour financer les infrastructures durables et les investissements dans les secteurs stratégiques. Le Fonds de transition juste sera porté à 40 milliards d'euros. Les fonds structurels seront également renforcés et contribueront à atteindre les objectifs du Pacte vert.

Je vois l'agriculture comme un allié, et non comme un adversaire. On doit donner à nos agriculteurs une perspective bien meilleure car l'argent de la PAC, notamment dans le cadre du premier pilier, est bien souvent perçu, non par les agriculteurs, mais par les propriétaires.

Nous ne pouvons pas nous permettre de reconstituer simplement l'économie du monde d'avant. Faire des investissements qui deviendront, dans quelques années, des « actifs échoués », car ils ne sont pas compatibles avec notre objectif de neutralité climatique et la protection de l'environnement, n'aurait pas de sens : ce serait un gâchis considérable, pour nous comme pour les générations futures. Nous faisons certes des emprunts qui nous engagent pour l'avenir, mais avec l'objectif d'établir une société plus juste et soutenable. Nous avons le devoir de reconstruire notre économie sur des bases plus saines et respectueuses des limites de notre planète. Il s'agit non seulement de protéger notre santé et notre environnement, mais aussi de moderniser notre appareil productif pour positionner l'Europe en leader dans les secteurs qui feront l'économie de demain.

Nous travaillons avec Thierry Breton pour renforcer la résilience européenne et rendre l'Europe moins naïve : nous devons pouvoir défendre notre industrie quand elle va dans la bonne direction et que les autres ne le font pas. Disposer d'un mécanisme d'ajustement aux frontières est indispensable : nous tiendrons les délais et examinerons, secteur par secteur, les mesures nécessaires pour éviter les « fuites de carbone » et empêcher une concurrence faussée sur la base de politiques ne contribuant pas à l'objectif de neutralité climatique.

Dans le secteur de l'énergie, nous devons faire des énergies renouvelables une priorité des plans d'investissement, car elles risqueraient sinon de souffrir de la crise. Nous présenterons d'ici quinze jours une stratégie sur l'hydrogène propre. Je précise que nous n'avons rien contre le nucléaire, mais, d'un point de vue économique, est-ce un investissement rationnel, compte tenu de la baisse continue du coût des énergies renouvelables ?

La mobilité propre constitue un autre axe essentiel. Je pense notamment au soutien aux véhicules propres, à la mise en place de points de recharge pour les véhicules électriques et aux transports urbains en commun qui doivent être relancés.

Enfin, nous devons investir dans l'économie circulaire, afin que notre économie soit sobre en ressources et plus résiliente. Le discours du Président de la République de dimanche dernier m'a encouragé à insister sur le Pacte vert et les projets de la Commission. Je vois la France comme l'un des alliés les plus importants dans ce projet, qui sera fondamental pour l'avenir de notre société.

S'agissant des futurs accords commerciaux, il faudra repenser le système et exiger de nos partenaires internationaux le suivi d'une trajectoire qui mène à la neutralité climatique à l'horizon 2050.

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. Nous avons accueilli avec une grande satisfaction le Pacte vert pour l'Europe que vous avez présenté en décembre 2019. La crise sanitaire à laquelle nous venons de faire face a déstabilisé les agendas législatifs, mais l'ambition reste la même : la relance doit être verte. À défaut, nous risquerions de faire face, dans les prochaines décennies, à des bouleversements encore plus importants que ce que nous venons de connaître.

Comme l'ont souligné plusieurs ministres de l'environnement dans une récente tribune, cette sortie de crise appelle des solutions de long terme, qui dépassent le simple cadre de la relance économique. À ce titre, les citoyens ont exprimé, à plusieurs reprises, leur souhait de voir renforcée la souveraineté politique et économique de la France, et plus largement de l'Union européenne, souhait que nous partageons en tant que représentants du peuple.

Avec mes collègues de La République en Marche, nous œuvrons depuis maintenant trois ans pour que nos paroles se concrétisent en actes et ne restent pas lettre morte. En ce sens, nous voulons que cette promotion de la souveraineté nationale et européenne devienne réalité. Dans notre monde où les systèmes de production et de consommation sont très globalisés, la Commission européenne a-t-elle entamé des travaux, à la suite de la crise sanitaire, pour assurer cette souveraineté ? Comment intégrer pleinement l'empreinte carbone et les émissions importées dans les mesures du Pacte vert ?

La loi française relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dont j'ai été la co‑rapporteure, nous a permis d'adopter un nombre important de mesures qui donnent une trajectoire ambitieuse en matière d'économie circulaire. Pour autant, pendant mes travaux, le risque de distorsion au principe de libre circulation des biens nous a empêchés de donner un caractère obligatoire à certaines mesures, qui favorisaient pourtant la transition écologique : je pense notamment à l'information du consommateur. Dans ce cadre, un critère vert, ambitieux, au même titre qu'il existe un critère sanitaire pour justifier le retour des barrières aux échanges de marchandises, pourrait-il être élaboré ?

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Jean-François Rapin, sénateur

. Merci de vos différentes présentations. J'aimerais insister sur le volet agricole du Green deal, en rappelant que le débat sur son dimensionnement budgétaire était déjà vif avant la crise. Entre-temps, nous avons eu à vivre une crise sanitaire conséquente. Si l'on en croit la Commission européenne aujourd'hui, la double stratégie, entre « Biodiversité 2030 » et « De la ferme à la fourchette », représenterait pour le secteur agricole davantage d'opportunités que de contraintes. Or, cela reste à confirmer. Les efforts attendus de la part des agriculteurs d'ici à 2030 sont considérables.

Nous avons travaillé, dans les commissions des finances et des affaires européennes auxquelles j'appartiens, sur le cadre financier pluriannuel, en particulier sur la récente proposition de la Commission, et la rallonge de 15 milliards d'euros pour le deuxième pilier. Cela nous laisse penser qu'aujourd'hui, la politique agricole n'est plus une politique économique, mais devient une politique environnementale. Cette transformation devra se faire non au détriment mais à l'avantage des agriculteurs.

Les adaptations de cette politique nouvelle vont se faire dans un contexte de crise sanitaire, ou à sa sortie. Toutes les politiques préalablement mises en œuvre devront être revisitées pour ne pas fragiliser l'agriculture européenne et nationale. Rappelons que durant la crise, le soutien de l'Europe est resté discret ; des accords commerciaux ont été noués, avec le Mexique notamment, sur lesquels nous allons probablement devoir revenir pour préciser leur mise en œuvre ; les marchés restent défavorables.

Ce que je crains pour demain, c'est une agriculture à deux vitesses : l'une, pour les riches, de très grande qualité certes ; une agriculture venant des pays tiers, d'autre part, à bas coûts, permettant aux plus pauvres de se nourrir. J'aurais aimé avoir votre éclairage sur cette vision des choses.

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Monsieur le Commissaire, je suis en charge du rapport pour la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale sur la neutralité carbone 2050. Je partage les ambitions, que vous portez au nom de la Commission européenne avec la présidente Mme Von der Leyen. Vous avez émis l'idée que 25 % du budget de l'Union soit consacré à la transition environnementale. Nous sommes en pleine discussion du cadre financier pluriannuel (CFP). Ma première question est : tiendrez-vous cette ambition budgétaire ? Il y a des vents contraires, qui viennent plutôt de l'Est et de certains lobbys.

Ma deuxième question porte sur la loi climat, en discussion au Parlement européen. Nous avons auditionné récemment M. Pascal Canfin, et suivi avec attention le rapport de Mme Jytte Guteland. Ils souhaitent rehausser les ambitions en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 60 % ou 65 %, ce qui semble élevé pour la Commission mais correspond aux objectifs portés par le GIEC, avec un point de passage en 2040 à 80 % ou 85 %. Ces objectifs sont-ils tenables à vos yeux ?

La question qui vient immédiatement est celle de la neutralité climatique. Aujourd'hui, nous parlons de neutralité à 27, mais la Commission est très allante sur l'idée d'une neutralité climatique par pays. Pensez-vous qu'un compromis soit possible ?

Vous proposez un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Comment avancent les négociations ?

Enfin, sur le Fonds de transition juste, il y a eu une hausse 40 milliards d'euros dans le cadre du dernier cadre financier pluriannuel. Quelle répartition envisagez-vous entre les États ?

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Jean-Yves Leconte, sénateur

Pensez-vous qu'avec le plan de relance et les perspectives de cadre financier pluriannuel actuelles, vous avez les moyens de convaincre les pays récalcitrants d'améliorer les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ?

Le plan de relance, qui va être largement concentré sur la période de 2020 à 2024, concerne surtout le court terme. Par rapport aux échéances de 2030 et 2050, nous avons besoin de politiques de long terme. Comment parvenir à mobiliser les fonds privés ? La taxonomie des investissements pourrait-elle aider ? Enfin, comment envisager la pondération des fonds propres des banques pour améliorer la prise en compte des actifs écologiques ?

Considérez-vous que l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui donne le droit aux États de choisir leur mix énergétique, est compatible avec nos objectifs de neutralité carbone ?

Pensez-vous que les accords commerciaux signés ou en cours de négociation sont réellement un atout ou un handicap par rapport à ces objectifs ?

Nous importons actuellement environ 50 % de nos émissions. Aujourd'hui, nous voulons faire des relocalisations, ce qui entraînera de nouvelles émissions sur le territoire européen. Comment faire en sorte que ceci n'aggrave pas nos difficultés à atteindre nos objectifs pour 2030 et la neutralité à l'horizon 2050 ?

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Le Parlement européen a adopté l'état d'urgence climatique en novembre 2019. Le Pacte vert doit y répondre et mettre l'Europe sur la trajectoire de la neutralité carbone. L'industrie alimentaire émet 25 % à 30 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde selon le rapport du GIEC. Pour répondre aux objectifs ambitieux du Pacte vert, les États membres devront réduire de moitié les usages et expositions aux pesticides d'ici 2030.

Réforme de la PAC, stratégie « De la ferme à la fourchette »… Les agriculteurs sont au centre des préoccupations. À cet égard, la Commission a dévoilé sa stratégie et affirmé que l'alimentation européenne est réputée sûre, nutritive et de qualité élevée. La stratégie « De la ferme à la fourchette » devrait donc constituer la norme mondiale en matière de durabilité : elle propose un plan d'action pour les deux objectifs de lutte contre le changement climatique et de sécurité alimentaire.

L'Europe de demain ne se fera pas sans les agriculteurs, mais nous ne pouvons leur demander toujours plus si ces exigences les empêchent d'être compétitifs et de vivre de leur travail. Le Pacte vert met en œuvre certains objectifs de bon sens, comme le renforcement des pouvoirs des agriculteurs dans les chaînes alimentaires, sans préciser comment les atteindre. À l'inverse, des objectifs précis et contraignants sont fixés sur la réduction de l'utilisation des pesticides et des fertilisants.

Le groupe MODEM souhaite donc vous interpeller sur ces deux questions : comment concilier l'ensemble des objectifs affichés, alors que nous n'avons toujours pas d'alternative pour bon nombre de produits phytosanitaires ? Quelle place pour une agriculture écologique intensive qui permet le maintien d'un accès de tous à une alimentation de qualité à des prix abordables, tout en assurant un juste revenu à nos agriculteurs ?

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Anne-Catherine Loisier, sénatrice

Je voulais revenir sur vos propos car il me semble que depuis 2015, les droits à paiement de base (DPB) ne sont plus perçus par les propriétaires mais par les fermiers.

Mon sujet principal est plutôt celui de la filière forêt-bois. Je souhaiterais savoir comment cette filière vertueuse est prise en compte dans les réflexions sur le plan de relance, tant sur le volet de l'utilisation du matériau bois dans la construction, avec l'enjeu d'une transition écologique dans le secteur très polluant du bâtiment, que sur celui des stratégies de reboisement et donc de captation de carbone, ainsi que de relocalisation de l'industrie du bois, qui permet de proposer des emplois de sécurité non délocalisables.

La filière forêt-bois, ainsi que l'ont dénombré un certain nombre de rapports, est un secteur incontournable et décisif pour atteindre les objectifs de politiques publiques de l'Union européenne. Monsieur le Premier vice-président, comment la prenez-vous en compte dans vos réflexions ?

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Le plan de relance présenté fin mai par la Commission insiste sur le lien entre relance économique et construction d'une économie résiliente à long terme. L'instrument de facilité pour la résilience et la relance, qui a pour objectif d'accélérer la transition des États membres absorbe, à lui seul, 560 des 750 milliards d'euros du plan. Les États membres qui souhaiteront bénéficier des aides devront proposer un plan de relance national compatible avec les priorités stratégiques de l'Union européenne, notamment le Pacte vert. Les plans de relance devront être cohérents avec les plans nationaux pour l'énergie et le climat et les plans nationaux pour une transition juste.

De manière pragmatique, quelle est pour vous la meilleure méthode pour évaluer les besoins structurels de chaque État permettant la résilience et favorisant les capacités de relance ? Faut-il des outils sur mesure ? Quels doivent être, selon vous, les outils d'évaluation et de contrôle permettant de s'assurer que l'ambition environnementale soit bien prise en compte de manière effective ?

Enfin, la Commission européenne entend également faire de sa vague de rénovation énergétique un pilier de la relance post-Covid. Comment imaginez-vous que cela puisse se matérialiser ?

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Frans Timmermans, Premier vice-président exécutif de la Commission européenne

. Quand on parle de souveraineté, ce que nous cherchons à la Commission, c'est renforcer la résilience des sociétés et des économies européennes. M. Thierry Breton parle souvent d'écosystèmes et il a raison. Il faut analyser leurs besoins en matière de transition écologique tout en évitant des pertes d'emplois. Il faut créer un environnement économique européen qui soit compétitif à l'échelle mondiale tout en respectant des exigences sociales et environnementales qui relèvent de nos valeurs fondamentales. Pour cela, nous devons faire des propositions par secteurs.

S'agissant de la PAC, je souligne que la transition doit être soutenue par une PAC axée sur le Pacte vert. Nous ne pouvons continuer avec la PAC actuelle. La nouvelle PAC, telle que proposée en juin 2018, doit aider les agriculteurs à améliorer leurs performances environnementales, grâce à un modèle davantage axé sur les résultats, une meilleure utilisation des données et analyses, une amélioration des normes environnementales obligatoires et une orientation accrue des investissements vers les innovations technologiques et numériques. Le numérique peut aider l'agriculture d'une manière inouïe.

La réforme de la PAC vise également à garantir un revenu décent aux agriculteurs, à améliorer l'efficience des paiements directs en plafonnant l'aide aux revenus et en les orientant mieux vers les agriculteurs qui en ont besoin et sont à la hauteur de l'ambition écologique. La capacité des États membres à veiller au respect de ces obligations sera soigneusement évaluée dans les plans stratégiques et contrôlée durant toute leur mise en œuvre. La réforme peut concourir à la réalisation du Pacte vert pourvu que les propositions essentielles survivent au processus de négociation moyennant certaines améliorations. Il faut maintenir nos ambitions budgétaires avec, je l'espère, un succès de la négociation en juillet. Le Fonds de transition juste a été augmenté à 40 milliards d'euros pour aider des régions qui ont un retard important dans les domaines énergétique et industriel, pour faciliter leur transition et les aider à développer de nouvelles activités et de nouveaux emplois. Les évaluations avaient été faites pour un budget de 7 milliards d'euros par État concerné et par secteur : il faut à présent les actualiser.

Pour le financement privé, je suis assez optimiste parce que, quand on parle avec le secteur bancaire et financier, il dit craindre de perdre des fonds dans des projets sans avenir. Cela témoigne d'un changement d'attitude qui doit nous aider à aller vers un verdissement. Mais la taxonomie des investissements devra aider : c'est pourquoi nous ferons de nouvelles propositions d'ici la fin de l'année.

Il sera nécessaire de revoir les accords commerciaux : il y a une poussée sociétale dans tous les Etats membres pour cela, y compris dans mon propre pays d'origine. Les citoyens veulent désormais que ces accords soutiennent nos valeurs et la protection sociale et environnementale.

Nous voulons développer une stratégie scientifiquement fondée pour éviter la déforestation, surtout concernant les forêts primaires, et créer un équilibre entre le potentiel économique de ce secteur et le potentiel écologique des régions rurales et urbaines. La stratégie en la matière sera publiée l'an prochain.

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André Gattolin, sénateur

Ce Pacte vert ne va pas de soi ; il faut saluer la détermination du Commissaire sur ce sujet. Dans un rapport du 5 juin 2020, la Cour des comptes européenne a conclu que « le déclin de la biodiversité des terres agricoles se poursuit aujourd'hui malgré des mesures ciblées prises dans le cadre de la PAC ». Le rapport souligne les lacunes européennes sur ce sujet : certains régimes de la PAC ouvriraient un plus grand potentiel de préservation de la biodiversité, mais la Commission et les États auraient privilégié les mesures au plus faible impact. Pire, la Cour des comptes juge que le suivi et l'évaluation ne seraient pas fiables concernant les mesures de la biodiversité. Certains indicateurs n'ont ainsi pas été réactualisés depuis quinze ans. Comment assurer un suivi plus précis des dépenses budgétaires et assurer des indicateurs de meilleure fiabilité pour évaluer l'incidence de la PAC sur la biodiversité ? Comment comptez-vous répondre aux recommandations de la Cour pour mieux coordonner les objectifs en matière de biodiversité avec la prochaine PAC ?

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On ne peut que se féliciter que la Commission maintienne le cap du Pacte vert. Alors que nous allons disposer de plusieurs mois supplémentaires pour préparer la COP 26 repoussée à 2021, comment la Commission compte-t-elle rallier certains États membres comme la Pologne à un message commun ? Par ailleurs, le Pacte vert vise-t-il une politique industrielle équilibrée pour les énergies renouvelables (EnR) ? Il ne faudrait pas délaisser l'hydrogène au profit de l'éolien par exemple. Quelle vision du développement des EnR la Commission défendra-t-elle ? Autre sujet de taille, la rénovation énergétique pour laquelle on n'a de cesse de dénoncer les retards pris par la France. La Commission devrait évaluer les stratégies nationales : sous quelle forme cela se fera-t-il ? Enfin, les transports durables devront être promus après cette crise, aussi bien pour les voyageurs que les marchandises, et il me semble que le projet de canal Seine-Nord Europe soutenu par l'Europe pourrait à cet égard faire figure d'exemple.

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Ronan Dantec, sénateur

. Les succès des baisses d'émission de CO2 sont souvent liés à un prix du carbone élevé. Concernant le mécanisme de taxe carbone aux frontières, cela signifie-t-il que vous envisagez une augmentation du prix du carbone en Europe pour le système d'échange de quotas d'émission (ETS) ou les contributions pour les émissions domestiques ? Cela soulève la question de l'opportunité de recettes nouvelles pour l'Europe. L'Europe est-elle prête aux bras de fer économique que cela suppose avec la Chine ?

Nous ne pourrons pas stabiliser le climat uniquement par l'effort européen, il faut intégrer les autres économies majeures et les pays en développement. Un soutien plus affirmé aux pays du Sud, notamment africains, pour rejoindre la stratégie de l'Accord de Paris, est-il envisagé dans votre stratégie globale ? La dimension de développement semble très absente des discours actuels, alors que ces pays ont souffert et souffrent au moins autant que nous de la crise actuelle.

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. La stratégie en matière de désinvestissement dans les énergies fossiles doit être intégrée à nos objectifs. Un rapport récent de l'OCDE et de l'Agence internationale de l'énergie montre qu'en 2019, le soutien à la production d'énergie fossile a augmenté de 38 % dans les pays dits développés et émergents. Or, ce rapport note aussi que la période actuelle devrait être celle d'un changement d'orientation et de politique. Nous pensons que face à la crise actuelle, il ne s'agit pas de relancer des politiques mais de bifurquer de manière radicale et changer de paradigme. Or, pour le moment, l'ensemble des décisions prises au niveau des pays européens comme de la Banque centrale européenne (BCE) ne montrent pas une telle prise de conscience. J'en veux pour preuve le soutien renouvelé de la BCE avec le rachat d'actifs décidé par le Conseil des gouverneurs le 4 juin, qui pourrait apporter jusqu'à 90 milliards d'euros aux entreprises les plus polluantes, comme le craignent les ONG Climate Finance ou Some of us. Malgré l'appel à prendre en compte cette urgence climatique dans les décisions de rachat d'actifs, les gouverneurs ne font pas évoluer la politique de la Banque centrale. Comment, dans le cadre du plan de relance verte, peut-on intervenir pour le désinvestissement dans les énergies fossiles ?

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Pierre Laurent, sénateur

. Ma question porte sur la place du ferroviaire dans le Pacte vert. Ces dernières décennies, la Commission européenne s'est surtout préoccupée de déréglementer ce secteur, avec des effets climatiques et environnementaux particulièrement délétères. Pour prendre un exemple qui concerne la France, le secteur du fret ferroviaire est le premier à avoir été déréglementé : depuis, la part du transport ferroviaire de marchandises a reculé de moitié. À l'inverse, dans notre pays et à l'échelle européenne, nous avons assisté à une explosion du transport routier de marchandises, à l'opposé de l'objectif de décarbonation désormais affiché comme un objectif majeur de l'Union européenne. J'ajoute que ces politiques de déréglementation systématiques, combinées avec la politique de concurrence, ont conduit à entraver la construction de coopérations industrielles européennes dans le domaine du ferroviaire, coopérations nécessaires pour assurer notre souveraineté en la matière.

Ma question se décline en trois volets. Quelle est l'ambition de reconquête que vous vous fixez avec le Pacte vert en matière de ferroviaire (singulièrement dans le domaine du transport de marchandises) ? Quelle est votre ambition de financement pour soutenir la construction des infrastructures : si par exemple la SNCF décidait d'un plan massif d'investissements dans le ferroviaire, le Pacte vert pourrait-il l'aider ? Enfin, êtes-vous favorable à une révision des critères de la politique de concurrence pour favoriser une politique de construction de coopérations industrielles européennes pour lutter contre la pollution ?

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. Dans un rapport publié le 5 juin dernier, la Cour des comptes européenne a jugé « inefficace » l'impact de la PAC en matière de préservation de la biodiversité sur les terres agricoles. Ce résultat décevant est le fait d'exigences de verdissement trop faibles et d'un manque de suivi des dépenses destinées à cette mission.

Je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire qu'il est temps d'allier agriculture, environnement, alimentation et santé globale. Pour cela, nous devons être plus ambitieux et réformer en profondeur les dispositifs existants. C'est justement l'une des priorités du groupe Écologie, démocratie, solidarité de l'Assemblée nationale : soutenir la transition agroécologique en accompagnant la sortie des pesticides et en garantissant la préservation de la biodiversité, des ressources et des sols.

En février, la Commission a donné son feu vert au régime d'aides proposé par la France pour le paiement des services environnementaux. Ce système doit permettre de rémunérer les agriculteurs qui mettent en œuvre des pratiques vertueuses. Des expérimentations ont été mises en place dans le Finistère. Pensez-vous qu'un tel dispositif puisse être généralisé au niveau européen ? L'outil national qui se rapproche le plus de ces paiements dans la PAC actuelle, ce sont les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC). Toutefois, ces mesures sont liées seulement à des obligations de moyens, pas à des obligations de résultat. Cela empêche d'en mesurer l'impact et de les rendre vraiment efficaces, comme le suggère le rapport de la Cour des comptes européenne. Une obligation de résultat signifie une prime de risque plus élevée : si la rémunération de ce risque n'est pas incitative, alors très peu d'agriculteurs contracteront des MAEC.

Pour que ces dispositifs soient attractifs, il faut introduire une prime de risque et lever les contraintes financières, administratives et les incertitudes sur la pérennité des aides dans le temps. Il faut avoir des outils à la hauteur de nos ambitions : donner aux agriculteurs des compensations financières supérieures aux seuls surcoûts engendrés par les MAEC, c'est-à-dire mettre en place une véritable rémunération sur la base de ces objectifs environnementaux.

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Jérôme Bignon, sénateur

. Le Pacte vert européen que vous portez doit rester au cœur de la relance européenne. Le 20 mai dernier, la Commission a dévoilé deux stratégies : la stratégie « De la ferme à la table » et celle en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030. Je suis heureux de les voir menées de front. Les pratiques durables sont essentielles, qu'elles soient agricoles, commerciales ou de consommation. La sécurité alimentaire et l'accès à une alimentation de qualité sont nécessaires. Responsable sur mon territoire d'une banque alimentaire, je ne peux malheureusement que constater l'augmentation du nombre de mes compatriotes qui ont besoin de s'y rendre depuis le début de la crise.

Monsieur le Premier vice-président, pouvez-vous nous expliquer comment la stratégie globale que vous proposez pourra permettre aux pays européens, notamment les plus fragiles, d'accéder à une alimentation de qualité ? J'ai noté que la problématique des zones humides faisait partie intégrante de la stratégie « From farm to fork », en lien avec la production alimentaire durable. Pouvez-vous nous préciser quelles sont les discussions déjà entamées au sujet du plan d'action pour la gestion intégrée des nutriments ainsi que son articulation avec la réforme de la PAC ? Il est important de proposer des alternatives à nos agriculteurs et de leur assurer un niveau de vie décent.

Enfin, le Pacte vert sera financé par le budget européen auquel sera arrimé un plan de relance dont la négociation est en cours. L'Europe traversait déjà des moments de tension, avant la pandémie, à cause du Brexit ou des négociations relatives au CFP. Le sommet qui se profile s'avère une nouvelle fois crucial. Quel est l'impact de la crise sur la mise en place du Pacte vert et de son financement ? Comment sont appréhendées les idées de taxe sur les plastiques ou encore de mécanisme d'ajustement carbone aux frontières afin d'assurer le financement de la relance verte de l'Europe ?

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. Monsieur le Premier vice-président, alors que nous nous trouvons aux prémices d'une terrible crise économique, nous constatons d'ores et déjà que les tenants du système capitaliste font tout pour bloquer la transition écologique et sociale de nos sociétés. En France, cette résistance est incarnée par le MEDEF, syndicat du patronat et interlocuteur privilégié du Gouvernement. Dans un document daté du 3 avril, son président a ainsi demandé à notre ministre de la transition écologique et solidaire de suspendre l'application de nouvelles mesures environnementales impactant les entreprises. Il exige de revenir sur les maigres avancées écologiques contenues dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, en particulier sur la création de nouvelles filières « pollueur-payeur », qui imposent aux professionnels de contribuer financièrement au recyclage et à la gestion des déchets. Cet exemple nous semble emblématique du combat que le néolibéralisme s'apprête à livrer dans ce monde post-Covid‑19. À ce titre, le Pacte vert devra faire face à cette résistance productiviste en affrontant des secteurs d'activité dont l'avenir est conditionné à l'échec de la transition écologique. Je pense ici au secteur bancaire.

Ce sujet est rarement évoqué dans le débat public, à l'exception notable des travaux de M. Gaël Giraud qui font sur ce point l'unanimité : il rappelle que les banques européennes ont partie liée avec la transition écologique ; beaucoup d'entre elles ont dans leur bilan des actifs liés aux hydrocarbures fossiles. Si nous décidions demain de faire du charbon et du pétrole des « actifs échoués », c'est-à-dire de les interdire dans le commerce, ces banques, elles en sont conscientes, encourent un risque. Le « greenwashing » permet aux banques de faire croire qu'elles se sont mises au vert, alors qu'en réalité elles n'ont aucune intention de financer pour de bon un changement de société qui signifierait la fin de leur modèle d'affaire actuel. Or nous savons que le Pacte vert repose beaucoup sur l'initiative privée.

Dans ce contexte, comment agir avec un concours timide des banques ? Comment réussir cette transition écologique avec des banques qui pourraient jouer le jeu du chantage à la faillite ? L'enjeu est de taille puisque, pour la seule période 2019-2023, les montants nécessaires à l'atteinte des objectifs énergétiques et climatiques français dans le secteur du bâtiment, des transports et de la production d'énergie sont estimés entre 55 et 85 milliards d'euros par an, soit 2,5 % à 4 % du PIB.

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Frans Timmermans, Premier vice-président exécutif de la Commission européenne

. Je salue le rapport de la Cour des comptes européenne auquel il a été fait référence. Ce rapport conclut qu'il faut renforcer notre approche de la biodiversité et que le changement climatique fait peser des menaces persistantes sur la sécurité alimentaire. Les plantes, les animaux, les pollinisateurs jouent un rôle essentiel dans notre système alimentaire et dans la préservation d'un régime alimentaire sain. À travers notre stratégie sur la biodiversité, nous voulons créer une alliance nouvelle entre l'agriculture et la nature. La Cour des comptes a également tiré un bilan très critique des résultats de la dimension « verte » de la PAC. On risque de perdre un million d'espèces ! La situation est critique.

S'agissant des sources d'énergie renouvelables, la Commission est très pragmatique. Il existe des opportunités considérables à l'échelle européenne et même mondiale en ce qui concerne l'hydrogène : stockage de l'énergie renouvelable, production directe d'énergie… Des pays comme ceux du Maghreb pourraient utiliser l'énergie solaire pour produire un hydrogène très utile à l'économie européenne. Les infrastructures déjà en place pour le gaz naturel pourraient être très facilement adaptées pour transporter l'hydrogène. De même, je crois que l'acier est un secteur industriel essentiel pour l'Europe. Mais l'acier ne pourra pas survivre s'il ne devient pas vert. Et un moyen pour y parvenir, c'est d'utiliser l'hydrogène. C'est une évolution envisageable d'ici quelques années. Une fois que l'on aura un acier vert en Europe, on aura un avantage concurrentiel énorme vis-à-vis du reste du monde.

Malgré une chute momentanée des prix – il est encore à environ 20 euros la tonne –, le système ETS a survécu à la crise. Si on l'améliore – en réduisant les quotas d'émission attribués gratuitement ou en l'élargissant à d'autres secteurs -, il reste encore le meilleur système pour fixer un prix du carbone. En outre, les recettes qu'il génère peuvent être directement investies pour créer une économie circulaire et soutenable.

Sur les aspects internationaux, il faut se débarrasser de toute naïveté au sujet de la politique chinoise, qui est devenue plus agressive et complique le développement de relations d'amitié dans le domaine commercial. En même temps, notre relation avec la Chine est essentielle pour développer des projets communs et aboutir à une décarbonation de l'économie chinoise à l'horizon de la moitié du siècle. Par ailleurs, l'Afrique est, selon moi, un continent qui dépend de nous et dont nous dépendons. Si nous n'avons pas compris, en tant qu'Européens, que notre sort est étroitement lié à celui de l'Afrique, nous n'avons rien compris. Pour la Commission européenne, il est essentiel de donner la priorité aux relations avec l'Afrique, notamment dans le domaine du climat et de l'énergie. Les dirigeants africains ont bien compris que nous voulions établir une relation entre égaux, entre pays qui ont le même but, même s'ils ne se situent pas au même stade de développement, et qui doivent parallèlement décarboner leurs économies.

Le désinvestissement dans l'énergie fossile est en cours et il progresse très vite : des décisions fortes ont été prises par la Banque européenne d'investissement et d'autres investisseurs, même si des décisions de la BCE sont encore nécessaires. Les investisseurs ont compris qu'ils perdraient de l'argent s'ils investissaient dans l'énergie du passé. L'énergie renouvelable est moins coûteuse que l'énergie traditionnelle.

L'année 2021 sera « l'année européenne du rail ». Il est très important pour la Commission de développer une stratégie performante dans ce secteur. Il faut créer des systèmes modulaires de transport de marchandises. Il y a des exemples en Europe où cela fonctionne assez bien, en Suisse ou en Autriche, mais il faut le faire à l'échelle européenne. Je ne crois pas que la diminution du fret soit nécessairement liée à la libéralisation car, dans la même période en Allemagne, le fret a augmenté alors qu'il s'agit d'un marché déjà libéralisé. Je ne crois pas qu'il y ait un tel lien, mais en même temps je vois bien la nécessité urgente d'investir dans notre système de chemin de fer et de créer un système de transport modulaire afin de débloquer le transport routier et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre.

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Guillaume Chevrollier, sénateur

. La crise sanitaire a rappelé la place essentielle du secteur du numérique qui a permis la continuité d'un grand nombre d'activités économiques. Si nous savons que le numérique permet d'éviter l'émission de gaz à effet de serre, il semble plus que jamais nécessaire de se pencher sur son empreinte environnementale et ses externalités négatives, en termes de consommation d'énergie ou d'émission de carbone. Le Green Deal prévoit-il des mesures et des investissements pour une transition numérique s'inscrivant pleinement dans le cadre de la transition écologique ?

Alors que la fabrication et le transport des terminaux constituent une part majeure de l'empreinte carbone du numérique, un mécanisme de barrière écologique sur ces importations serait efficace. Quelle est l'action de la Commission européenne sur cette question et sur la souveraineté technologique dans le secteur du numérique ?

Par ailleurs, la pandémie de la Covid-19 a mis en lumière des liens croissants entre l'émergence de maladies zoonotiques et la destruction de nos écosystèmes. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a publié des recommandations sur ce sujet, notamment un renforcement de la lutte contre le trafic d'espèces protégées et une sensibilisation accrue sur la question de la déforestation importée. Comment la stratégie en matière de biodiversité du Green Deal intègre-t-elle ces deux points ?

Enfin, je voudrais relayer l'incompréhension des agriculteurs suite aux annonces de la Commission européenne sur le Pacte vert. Les orientations annoncées semblent se faire sans étude d'impact et sans concertation avec les agriculteurs qui, comme vous l'avez dit, sont des acteurs essentiels de la biodiversité. Il convient véritablement de les associer, de les soutenir et qu'il y ait des moyens financiers associés et plus d'efficacité sur les prestations pour services environnementaux pour les haies et la gestion de l'eau, par exemple, car l'agriculture est un secteur essentiel pour permettre la construction de la société prospère et juste que vous souhaitez. Il faut véritablement faire cette alliance nécessaire de l'agriculture et de la nature.

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. Je voudrais vous interroger sur la protection de la biodiversité marine. La Commission européenne souhaite porter cette protection de 11 % à 30 % des mers au sein de l'Union, sachant que celle-ci ne peut se faire sans le soutien des États limitrophes, dont certains ne s'érigent pas en modèle : je pense notamment au Royaume-Uni, placé au second rang des États européens pratiquant le plus massivement la surpêche, contre l'avis des scientifiques. J'aimerais savoir ce que prévoit l'Union européenne pour inclure Londres dans la protection de la biodiversité marine européenne et quelle est la stratégie anticipée en l'absence d'un accord à l'issue de la période de transition.

Concernant les partenariats commerciaux, il me semble qu'il y a une contradiction dans les actions de la Commission européenne avec les objectifs environnementaux. En effet, l'Union européenne souhaite limiter les conséquences environnementales de l'activité économique européenne et les risques sanitaires associés. Mais, d'un autre côté, elle multiplie les partenariats commerciaux ; je pense notamment au Mexique, à l'Australie, à la Nouvelle-Zélande et au MERCOSUR, sans introduire de clauses environnementales. Quelles clauses environnementales contraignantes, présentant des engagements forts et inédits, l'Union européenne prévoit-elle d'intégrer dans ces accords pour maintenir une certaine cohérence entre ses politiques ?

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Claude Bérit-Débat, sénateur

. Mes questions porteront pour l'essentiel sur les transports. La première concerne l'ambition portée par le Green Deal et le Plan de relance en matière de décarbonation des transports terrestres, notamment par le soutien à la filière hydrogène. Quel montant lui sera consacré pour, par exemple, la R&D, la reconversion des chaînes de production ou le déploiement des infrastructures de recharge ? Par ailleurs, compte tenu des difficultés actuelles de la filière automobile, le renforcement des normes d'émission des véhicules, programmé pour juin 2021, est-il toujours d'actualité ?

Ensuite, les appels à un plan de relance du secteur du fret ferroviaire se multiplient en France comme en Europe et je viens, avec des collègues socialistes de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, de signer une tribune sur ce sujet, intitulée « Le ferroviaire, grand absent du plan de relance ». Je voudrais savoir si des mesures de soutien au transport ferroviaire de marchandises sont prévues dans le cadre du Green Deal et du plan de relance. Quels pourraient être les contours de ces mesures de soutien en matière d'infrastructures et d'aides ? Quelles sont les pistes envisagées pour engager la décarbonation du secteur du transport de marchandises et de voyageurs ?

Enfin, le Régime de compensation et de réduction de carbone pour l'aviation internationale, dit « programme CORSIA » (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation), prévoit, à l'échelle mondiale, la compensation des émissions du secteur aérien supérieures aux niveaux enregistrés en 2019 et en 2020. La Commission européenne a pourtant proposé que seule l'année 2019 soit retenue comme référence pour le calcul des compensations, afin de tenir compte de la chute du trafic en 2020. Cela ne reviendrait-il pas à vider le programme de son contenu, étant donné que le trafic pourrait mettre plusieurs années à revenir à son niveau de 2019 ? La crise sanitaire n'était-elle pas au contraire l'occasion de donner à CORSIA une véritable ambition ?

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. Je voudrais pour ma part m'exprimer en tant que président du groupe d'étude sur l'hydrogène. En France, nous avons des start-ups et une R&D de pointe mais, comme souvent, un problème de lien avec l'industrie. Or, l'hydrogène, c'est l'avenir car c'est une technologie de rupture autant qu'une opportunité, pour l'Europe, de relocalisation industrielle. Comment l'Union européenne compte-t-elle soutenir le développement de cette technologie ?

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Daniel Gremillet, sénateur

. La commission des affaires économiques du Sénat a fait une série de préconisations pour relancer l'économie tout en accélérant sa décarbonation. Parmi les propositions de la Commission européenne figure un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, nécessaire pour protéger l'industrie européenne du dumping dont bénéficient certaines entreprises étrangères. Pourriez-vous nous en dire plus et, notamment, à quelles conditions un tel mécanisme serait compatible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ?

S'agissant des investissements publics soutenus dans le cadre du Green Deal, ceux-ci devront respecter le « serment vert ». Quel est le degré de normativité de ce dernier ? Faut-il considérer que les aides seront conditionnées ? Si c'est le cas, une telle conditionnalité n'est-elle pas contre-productive car peu adaptée aux réalités économiques ?

Le Fonds pour une transition juste, qui est crucial pour la reconversion industrielle, sera revalorisé à 32,5 milliards d'euros. Les critères d'éligibilité, s'agissant des régions et des activités, seront-ils revus ?

Le Green Deal mobilise les fonds du programme Horizon Europe pour la transition vers une énergie propre. La Commission n'a toutefois pas précisé pour quel montant. Quel sera-t-il ?

Enfin, comment faire cohabiter le Green Deal avec la nécessité de préserver une agriculture européenne compétitive ?

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Geoffroy Didier, membre du Parlement européen

. La crise du Covid-19 et ses conséquences n'ont pas diminué mais au contraire renforcé la nécessité d'une transition écologique accompagnant la révolution numérique. Le 27 mai dernier, la présidente Mme von der Leyen a présenté un plan de relance audacieux de 750 milliards d'euros. Pour la première fois, l'Union européenne empruntera en son nom propre. Mais qui dit emprunt dit remboursement et la question des modalités de remboursement des emprunts est essentielle. La Commission européenne a annoncé la création de nouvelles ressources propres à cette fin, parmi lesquelles une compensation carbone aux frontières. Je m'interroge toutefois sur une autre ressource propre, qu'a également évoquée la Commission, perçue sur l'activité des entreprises européennes tirant bénéfice du marché intérieur. Y a-t-il là l'éventualité d'un impôt européen sur les sociétés, qui s'ajouterait aux impôts sur les sociétés nationaux ? Si c'est le cas, faut-il craindre qu'un jour, ce soit les citoyens européens eux-mêmes qui se verraient imposer un impôt européen sur le revenu ?

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Frans Timmermans, Premier vice-président exécutif de la Commission européenne

. Je vais m'efforcer de répondre à toutes les questions mais, pour certaines très techniques, des réponses écrites vous seront adressées ultérieurement.

La transition numérique fait partie intégrante du Green Deal. Nous sommes en pleine révolution industrielle. L'Union européenne doit tenir son rang, elle qui ne représente que 4 % de la population mondiale. Cette transition numérique est nécessaire à notre croissance et nos emplois futurs, mais également à la promotion de nos valeurs et la sauvegarde de notre modèle social.

La pandémie est la conséquence d'un déséquilibre dans notre relation avec la nature. C'est pourquoi la lutte contre les trafics d'espèces animales et végétales rares doit être intégrée dans les accords commerciaux. Il convient notamment que les produits issus de la déforestation puissent faire l'objet d'interdictions d'importation ou que les consommateurs soient informés de l'origine de ces produits.

La stratégie sur la biodiversité n'a pas fait l'objet d'une étude d'impact, car ce n'est pas une proposition concrète. Toutes les propositions concrètes issues de cette stratégie feront l'objet d'une étude d'impact, et vous aurez l'occasion de donner votre avis.

S'agissant des transports, il faut accompagner la transformation du secteur automobile vers les véhicules électriques. Pour les transports lourds, il faudra avoir recours à d'autres moyens comme des carburants soutenables, voire synthétiques, ou recours à l'hydrogène. Il faudra déployer des infrastructures de recharge des voitures électriques à travers l'Europe et accélérer la production de tels véhicules car c'est le seul moyen de réduire les prix. À l'heure actuelle, leurs prix sont inaccessibles pour beaucoup de gens. Nous préparons également des projets de soutien au secteur ferroviaire, et vous en serez informés.

J'aimerais être plus ambitieux pour CORSIA, mais nous dépendons des partenaires internationaux. L'accord avec Air France est un bon exemple de transformation du secteur. Les vols à courte distance n'ont aucun sens, et le gouvernement français va dans la bonne direction.

Notre stratégie sur l'hydrogène sera présentée le 8 juillet. Je serais très heureux de recevoir les parlementaires du groupe d'étude concerné à Bruxelles pour en parler et vous présenter les initiatives d'autres pays membres. La France a intérêt à faire partie du groupe de pays qui progressent rapidement sur ce sujet.

S'agissant du mécanisme d'inclusion carbone, il ne sera pas appliqué aux pays qui ont signé l'accord de Paris et démontrent qu'ils s'orientent vers la décarbonation de leur économie. Il est légitime que nous défendions notre industrie. Je pense que ce mécanisme est tout à fait conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce. La proposition de la Commission est en cours d'élaboration, même si j n'ai pas de calendrier à vous donner pour l'instant.

S'agissant de l'agriculture et de l'alimentation, le rapport de la Cour des comptes européenne montre que nous sommes en train de détruire notre biodiversité et que nous devons changer notre système alimentaire tout en garantissant la production d'aliments accessibles à tous et de bonne qualité. La réforme de la PAC doit aller dans cette direction.

S'agissant des ressources propres, le sens des propositions de la Commission est de demander aux grandes entreprises de contribuer au fonctionnement du marché intérieur, car elles en profitent davantage que les petites. Toutefois, la fiscalité relève de la souveraineté nationale : nous avons donc besoin de l'accord unanime des États membres pour avancer dans ce domaine. Si nous voulons une souveraineté européenne, nous devons avoir une fiscalité européenne. À l'avenir, les décisions dans ce domaine devraient être prises à la majorité qualifiée. Je ne vois pas comment nous pourrions établir une fiscalité juste sans imposer des entreprises qui ne payent pas d'impôts actuellement, notamment dans le secteur des nouvelles technologies. J'ai beaucoup de mal à comprendre la colère américaine quand nous rappelons que ces entreprises, qui font des milliards de bénéfices en Europe, devraient payer un impôt en Europe. La distorsion de traitement entre ces grandes entreprises et les petites qui acquittent leurs impôts est insupportable. C'est au niveau européen qu'on pourra apporter une réponse à ce problème.

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. Beaucoup de travail nous attend. Vous avez sans doute remarqué que beaucoup de nos questions portaient sur l'agriculture. Comme vous l'avez dit, l'agriculture est un allié, et non un adversaire.

Les parlementaires nationaux devront veiller à ce que les plans de relance nationaux soient compatibles avec les objectifs du Pacte vert. Il faudra aussi ratifier le plan de relance et le cadre financier pluriannuel dans un calendrier très serré. Nous resterons donc en étroit contact avec les institutions européennes.

La séance est levée à 19 heures.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Présents. - M. Jean-Louis Bourlanges, M. André Chassaigne, Mme Yolaine de Courson, M. Bernard Deflesselles, Mme Marguerite Deprez-Audebert, Mme Frédérique Dumas, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Nicole Le Peih, M. Patrick Loiseau, Mme Danièle Obono, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Straumann, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

Excusés. – Mme Marietta Karamanli, M. Joaquim Pueyo

Assistaient également à la réunion.

- M. Christophe Arend, M. Guy Bricout, M. Michel Delpon, Mme Nadia Essayan ; Mme Véronique Riotton, M. Jean-Marc Zulesi

- M. Didier Geoffroy, Mme Anne Sander, membres du Parlement européen.