Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Réunion du mercredi 25 avril 2018 à 8h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Mercredi 25 avril 2018

La séance est ouverte à huit heures cinquante-cinq.

Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête procède à l'audition de M. Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES).

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Mes chers collègues, nous débutons cette série d'auditions avec M. Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) à qui je souhaite la bienvenue et que je remercie d'avoir bien voulu se rendre à notre invitation.

Je vous informe, monsieur Raynaud, que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de télévision interne et consultables en vidéo sur le site internet de l'Assemblée nationale.

Avant de vous donner la parole pour un exposé liminaire, je vous rappelle que, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. Denis Raynaud prête serment.

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Merci beaucoup de me donner l'occasion de m'exprimer devant cette commission. Mon intervention a été préparée avec des collègues de l'IRDES : Guillaume Chevillard, Véronique Lucas-Gabrielli et Julien Mousquès.

À l'IRDES, nous travaillons notamment sur l'accessibilité des soins, qui intéresse les membres de votre commission : mesure de la qualification et de la densité de l'offre, organisation des soins, conditions d'exercice des praticiens.

Avec la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), nous avons développé un indicateur – l'accessibilité potentielle localisée (APL) – qui est utilisé par les agences régionales de santé (ARS) pour construire les zones servant de base à leur politique territoriale. À l'IRDES, nous continuons à travailler sur cet indicateur qui a le mérite d'exister et d'avoir une déclinaison opérationnelle mais qui reste perfectible.

Nous cherchons notamment à mieux prendre en compte l'offre, la demande et l'éloignement. Loin d'être triviales, ces questions vont permettre d'affiner la notion de désert médical, qui dépend de seuils définis à partir de nos travaux méthodologiques. Nous cherchons aussi à remédier au caractère par trop communal de cet indicateur, qui peut le rendre discutable quand il faut prendre en compte la réalité dans les périphéries des grandes villes ou dans les zones de montagne. Nous travaillons donc sur des mesures infra-communales. Nous voulons améliorer la mesure des distances, compte tenu de remarques qui nous ont été faites sur les zones urbaines denses et les zones de montagne : chacun sait que l'on ne traverse pas Paris en trente minutes et que, en montagne, la durée du déplacement dépend de ce que les géographes appellent la déclivité et la sinuosité des routes, qui peuvent rendre les conditions d'accès particulièrement difficiles.

Pour améliorer ces travaux sur la mesure du temps d'accès aux soins, nous ne nous focalisons pas uniquement sur la durée des trajets en voiture mais nous nous intéressons aussi aux transports en commun ou à la marche. Dans certaines zones urbaines très denses comme la région parisienne, ces modes d'accès sont sans doute plus pertinents que la voiture.

Il y a deux ans, nous avons publié une étude sur les déplacements des patients, dont je vais mettre quelques exemplaires à votre disposition. Il est important de comprendre les déterminants de ces déplacements qui atténuent voire compensent la disparité de l'offre, même s'ils constituent une contrainte.

Quant aux questions d'organisation des soins et de conditions d'exercice des professionnels, elles sont cruciales pour vos travaux dans la mesure où elles ont des répercussions sur les motivations des médecins quand ils décident de s'installer ou de se maintenir dans un lieu donné. Nous travaillons sur l'exercice dans les structures pluri-professionnelles de proximité. Les évaluations passées ont montré que ces maisons de santé pluri-professionnelles (MSP) avaient eu un effet vraiment positif en matière de démographie médicale, que ce soit dans les zones rurales ou dans les zones urbaines.

Dans les zones rurales, ces structures ont permis de maintenir la démographie médicale ou de limiter sa décroissance. Dans les zones urbaines, les maisons de santé se sont installées plutôt dans des quartiers périphériques, ce qui a souvent permis d'améliorer un peu l'offre. Nous sommes en train de compléter nos travaux, qui datent de deux ou trois ans, car la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) nous a demandé d'évaluer l'accord conventionnel interprofessionnel qui sert de cadre à la rémunération des maisons de santé.

Nous avons une évaluation en cours sur la coopération entre les médecins et les infirmières, à travers l'évaluation du protocole « Action de santé libérale en équipe » (ASALEE), un cadre dans lequel le suivi de malades chroniques s'effectue sous la forme d'une délégation de certaines tâches de médecins aux infirmières. Cette pratique peut permettre au médecin de dégager du temps, et donc d'accroître l'offre médicale.

Dernière thématique liée à vos sujets et sur laquelle nous travaillons : l'évaluation des expérimentations de télésurveillance. La télésurveillance permet-elle d'améliorer l'offre de soins ou la qualité de la prise en charge du patient ? Les résultats ne seront pas disponibles dans l'immédiat car nos travaux viennent de commencer.

En conclusion, je dirai que l'organisation des soins est l'un des facteurs qui peuvent expliquer les comportements d'installation des médecins. Ce n'est donc pas à négliger. À la lecture de la littérature internationale sur l'efficacité des mesures destinées à réguler ces installations, on identifie d'ailleurs trois principaux leviers : le profil de recrutement des étudiants en médecine, leur lieu de formation, les modes d'organisation des soins.

Jusqu'à présent, il n'y a jamais vraiment eu d'évaluation très sérieuse des mesures de coercition ou d'incitation financière, que ce soit en France ou à l'étranger. Nous avons le sentiment confus qu'elles ne sont pas très efficaces, mais les publications internationales regrettent l'absence d'évaluation vraiment sérieuse.

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Vous dites qu'il n'y a pas vraiment d'évaluation. Dans ces conditions, sur quoi peut-on s'appuyer ? Je rappelle que l'intitulé de notre commission d'enquête fait référence à l'accès aux soins et à l'évaluation des politiques publiques.

En matière d'incitation financière, des mesures de régulation ont été adoptées pour certaines professionnels : les infirmières, les kinésithérapeutes, les sages-femmes, les dentistes. Il serait bon que vous nous éclairiez sur les modèles d'organisation et de régulation européens. La dégradation de l'accès aux soins a été très sensible en France, mais aussi dans les pays voisins.

Votre éclairage nous serait aussi utile en ce qui concerne les déplacements dont les coûts sont mis en exergue tous les ans, lors de l'examen du budget de la sécurité sociale. Je ne parle pas des traitements très lourds pour lesquels les taxis et les ambulances coûtent une fortune. Les dépenses de déplacement se multiplient et, parfois, il est difficile d'avoir des bons de transport dans les territoires les plus éloignés. Comme les actes médicaux, ces déplacements induisent aussi un reste à charge pour le patient.

En matière de conditions d'exercice, vous avez indiqué que les maisons de santé pluri-professionnelles (MSP) ont évité un accroissement de la désertification. Avez-vous des préconisations à nous faire dans ce domaine ?

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

L'IRDES est un institut de recherche. Quand je parle d'évaluation, je fais état de travaux effectués par des chercheurs, publiés dans des revues scientifiques et fondées sur des méthodologies validées. De telles évaluations permettent de produire des conclusions établies d'un point de vue scientifique.

Quand on veut apprécier l'effet d'une politique publique, il est important d'avoir un groupe de contrôle. Or il n'y en a pas dans la plupart des évaluations menées, ce qui peut conduire à des contresens. Prenons l'exemple des maisons de santé dans les zones rurales. Si l'on observe seulement l'évolution de la densité médicale dans les endroits où sont installées les maisons de santé, on va constater qu'il n'y a pas d'amélioration. On va alors en conclure qu'elles ne servent à rien. Si l'on dispose d'un groupe de contrôle, on pourra observer deux zones rurales comparables à tous points de vue – ce qui pose des questions méthodologiques assez complexes que je ne vais pas exposer ici –, dont l'une possède une maison de santé et l'autre pas. On peut alors se rendre compte que les tendances sont différentes d'une zone à l'autre en matière de densité médicale. Cette différence s'appelle l'effet du traitement, en l'occurrence l'effet de l'organisation des soins dans le cadre d'une maison de santé.

De tels groupes de contrôle seraient nécessaires pour évaluer l'effet des incitations financières. On aurait envie d'observer des territoires comparables, les uns ayant bénéficié d'incitations financières et les autres pas.

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Avez-vous des éléments qui permettent d'apprécier les choses de façon précise ?

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Non.

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Département par département, des cartographies ont été établies pour faire des comparaisons. Soit dit en passant, vous parlez toujours de zones rurales, mais il y a aussi des déserts médicaux en ville.

Quel est le coût social et sanitaire des déserts médicaux ? L'accès aux soins y est difficile mais, en plus, la prise en charge est encore plus décalée, plus différée, comme on le voit en matière de prévention des cancers.

Le déficit d'organisation des soins rejaillit naturellement sur l'encombrement de l'hôpital public et sur les urgences. Comme nous le savons, 85 % à 90 % des gens qui vont aux urgences n'ont rien à y faire, ce qui engendre un coût très élevé qu'il faudrait prendre en compte.

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Nous n'avons pas d'évaluation détaillée des différentes mesures et nous ne disposons pas des données nécessaires pour le faire. Les chercheurs aimeraient bien avoir des données sur l'évolution des zonages dans les ARS et savoir quelles zones ont bénéficié d'aides afin de mener des travaux d'évaluation.

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Les ARS ont tout cela ! Vous leur avez écrit ? Elles ne vous donnent rien ? Je ne crois pas que les statistiques soient très compliquées à réaliser.

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Détrompez-vous. Pour faire des statistiques, il faut des bases de données homogènes et historicisées. Il nous faut des séries longues. Peut-être que ça existe dans certaines ARS mais il n'existe pas de base nationale de zones. D'ailleurs, chacune des ARS possède des marges de manoeuvre – et je pense que c'est une bonne chose – pour décliner les préconisations nationales au niveau local afin de tenir compte des spécificités de son territoire. Ces informations existent au sein de chaque ARS mais il n'y a pas vraiment de base qui permette d'évaluer sérieusement l'ensemble des mesures d'incitation financière qui ont été appliquées. En tout cas, à ma connaissance, le travail n'a pas été fait selon les règles que je préconise, en ayant notamment un groupe témoin.

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Avez-vous demandé aux ARS les cartographies et les zonages ?

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Nous travaillons avec des ARS.

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Nous travaillons avec certaines ARS, notamment celle d'Île-de-France, et avec la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-d'Oise sur les questions d'accessibilité. Les ARS sont des partenaires. Peut-être pourrez-vous poser la question à la DREES avec laquelle nous travaillons aussi sur ces sujets. Il est clair qu'il faudrait dégager plus de moyens pour l'évaluation. On ne peut pas tout faire.

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Vous ne l'avez pas demandé formellement ? Je posais la question pour savoir si elles vous avaient refusé les éléments.

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Non, non.

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Les derniers éléments dont nous disposons par les ARS datent de 2015. Dans nos départements, les conseils de l'Ordre ont tout, car aucun médecin ne s'installe sans s'y inscrire. C'est assez facile de faire la cartographie. Je suis un professionnel du secteur, c'est pourquoi je vous en parle librement.

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

En ce qui concerne les déplacements, je parlais des patients qui se rendent chez leur médecin et non pas des transports remboursés par l'assurance maladie. Il est important de comprendre les déterminants de ces déplacements. Des chercheurs ont analysé les déplacements pour des soins hospitaliers, et ils ont notamment fait apparaître les taux de fuite – fraction des journées d'hospitalisation des malades d'une région donnée, réalisées hors de cette région – auxquels les hôpitaux sont attentifs pour établir leur modèle économique. Cette approche peut aussi être utilisée pour la médecine de ville.

Il y a quelques mois, nous avons publié une étude sur le recours aux urgences des personnes âgées. Cette étude a été effectuée en marge des travaux d'évaluation des expérimentations concernant les personnes âgées en risque de perte d'autonomie (PAERPA). Nous avons pu montrer qu'il y avait un lien très net entre l'offre de ville, de premier recours, et l'accès aux urgences. Sans surprise, le recours aux urgences est beaucoup plus élevé dans les endroits où l'offre est défaillante. En la matière, l'indicateur clé est le recours aux urgences non suivi d'hospitalisation qui, dans la littérature internationale, est retenu comme l'un des signes de la mauvaise qualité de l'organisation des soins. La carence de l'offre de premier recours – médecin généraliste, infirmier, kinésithérapeute – conduit à une sollicitation accrue des services d'urgences. Le résultat n'est pas surprenant mais il est établi.

L'IRDES travaille beaucoup sur les restes à charge et sur les remboursements des assurances complémentaires, données qui nous posent des difficultés de collecte car elles n'entrent pas dans le système national des données de santé (SNDS) même si la loi le prévoit. Sous l'angle de la problématique du jour, on peut parler de cumul de difficultés : les personnes qui habitent dans des zones éloignées de l'offre doivent se déplacer pour accéder aux soins et elles risquent de subir des restes à charge plus élevés.

Même éloigné de l'offre, le patient accède aux soins. On ne sait pas mesurer, cela dit, les délais d'attente et les éventuels reports de soins dus à l'éloignement. Nous retenons quelques indicateurs, notamment la probabilité pour un patient d'avoir une consultation de généraliste dans l'année. Cet indicateur, aussi simple que discutable, dépend très peu de la densité de l'offre de soin. Il est légèrement supérieur dans les zones où l'offre est très importante – le premier quartile – mais il est stable entre le deuxième et le quatrième quartile. Les gens se déplacent et accèdent aux soins. En revanche, nos travaux montrent qu'ils perdent de la capacité de choix, ce qui peut poser la question des dépassements d'honoraires et des restes à charge. Éloigné de l'offre de soins, le patient peut avoir plus de mal à choisir un médecin qui ne pratique pas de dépassement d'honoraires.

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Dans le rapport intitulé Pratique spatiale d'accès aux soins, publié par l'IRDES en octobre 2016, il est écrit qu'« une faible accessibilité de l'offre de soins conditionne les déplacements des patients et majore les inégalités sociales d'accès aux soins. » C'est quand même fondamental. L'IRDES existe depuis trente-trois ans. D'après votre expérience, quelles pistes pouvez-vous nous proposer pour parvenir à trouver une solution à ce manque d'égalité dans l'accès aux soins ?

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

La localisation des médecins sur le territoire est une problématique d'aménagement du territoire, qui fait l'objet de travaux de recherche. Il y a deux ans, j'ai été membre d'un jury de thèse, devant lequel une étudiante a montré que l'installation des médecins était notamment liée à la présence, ou non, de la 3G sur le territoire. C'était ce qui ressortait de manière significative, une fois pris en compte tout le reste.

La formation et les conditions d'exercice ont également leur importance ; je crois d'ailleurs que l'Ordre des médecins vous a dit la même chose. La délégation des tâches est à mon avis intéressante, et je note qu'elle est d'autant plus facile à mettre en place que l'on exerce dans des structures collectives, regroupées, pluriprofessionnelles. On pourrait aussi évaluer le développement de la télémédecine, qui est encore assez limité. Mais là encore, il faudra mener des travaux d'évaluation sérieux, et ne pas se borner à quelques observations basiques.

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Ma question concerne justement la télémédecine. En tant qu'organisme de recherche, vous vous inscrivez dans une démarche scientifique. De son côté, la représentation nationale se demande comment construire l'avenir, à partir des données disponibles. Il nous faudra, notamment, résoudre rapidement le problème des déserts médicaux, sans quoi la situation continuera à se dégrader. Je sais bien que le temps de la science n'est pas celui de la décision politique. Mais quand on mène des politiques publiques, il faut s'adapter et prendre des décisions.

L'accès aux soins fait partie des missions de l'IRDES. Pouvez d'ores et déjà nous dire ce que vous avez pu collecter comme informations sur le rôle potentiel de la télémédecine ? En quoi celle-ci pourrait-elle nous apporter des éléments de réponse ?

Par ailleurs, quand on fait de la recherche, on travaille sur des données françaises, mais on peut également être amené à regarder ce qui se fait ailleurs. Y-a-t-il déjà, dans les pays étrangers, des travaux consolidés permettant de voir dans quelle direction on aurait intérêt à aller ? Peut-on en tirer des enseignements qui nous permettraient d'améliorer de manière significative l'accès aux soins ?

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Aujourd'hui, on parle beaucoup des maisons de santé. Je pense qu'elles sont efficaces. Mais on n'a jamais évalué leur efficacité, en comparant les secteurs où il y en a aux secteurs où il n'y en a pas. Est-ce que cela fait ou fera partie de vos travaux ? J'aimerais également que vous nous parliez du système de prise en charge ASALEE, et du rapport entre médecins et infirmiers.

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Pour le moment, on n'a malheureusement encore rien fait sur la télémédecine – dont font partie la télésurveillance, la téléconsultation et la télé-expertise. Sur la téléconsultation et la télé-expertise, des négociations sont en cours. Sur la télésurveillance, nous avons commencé à travailler : le ministère nous a en effet confié la mission d'évaluer les expérimentations de télésurveillance. Mais ces travaux ayant démarré il y a à peine quelques semaines, il est beaucoup trop tôt pour vous répondre.

Ensuite, nous essayons de tirer des enseignements des comparaisons internationales, auxquelles nous nous livrons le plus souvent possible. Par exemple, à la demande du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM), nous étudions l'organisation des soins de second recours, dans le cadre d'une étude internationale qui est menée dans différents pays d'Europe et aux États-Unis. C'est donc une approche que nous essayons vraiment de développer. Mais nous ne l'avons pas encore fait pour la télémédecine.

J'en viens à l'évaluation de l'efficacité des maisons de santé. Oui, il y a déjà des publications anciennes de l'IRDES, et nous sommes en train de les actualiser. Il s'agit de travaux où l'on essaie de construire des groupes témoins, et d'identifier des zones qui n'ont pas de maisons de santé, mais qui ressemblent en tous points à celles dans lesquelles il y en a. On s'intéresse à la localisation, dont j'ai parlé tout à l'heure, mais aussi à la qualité de la prise en charge, à la productivité des professionnels de santé qui travaillent au sein de ces structures, et à l'effet qu'elles peuvent avoir sur la consommation de soins.

Quelles leçons en tirer ? Nous avons l'impression qu'il y a une meilleure qualité de prise en charge, et une bonne qualité de suivi des patients dans les maisons de santé. Celles-ci permettent de dégager du temps médecin, ce qui est plutôt favorable pour la productivité des médecins qui y travaillent. En même temps, les médecins peuvent y trouver un mode d'exercice qui soit compatible avec d'autres exigences, notamment la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Dans les maisons de santé, ils ont sans doute une activité plus intensive, mais ne travaillent pas forcément cinq jours par semaine – plutôt quatre.

Sur la consommation des soins, les travaux sont en cours de consolidation et ne sont pas encore publiés. Nous avons l'impression que la consommation de médicaments y est un peu moindre, et les consultations de spécialistes moins fréquentes. Mais la comparaison entre « maisons de santé » et « hors maisons de santé » ne dépasse pas l'épaisseur du trait. On ne peut donc pas imaginer que les maisons de santé constituent le Graal absolu, et qu'elles vont permettre de faire des économies importantes. Mais il nous semble qu'elles ont des effets positifs. Ce sont les résultats qui avaient été publiés dans le passé, et ce sont les impressions qu'on peut tirer des travaux en cours.

Nous cherchons à mesurer un indicateur qui serait potentiellement source d'économie, et qui se résume à cette question : est-il ainsi possible de réduire les hospitalisations ? C'est un résultat que l'on n'a pas encore démontré. Il est difficile d'apprécier certains effets qui s'étalent dans le temps – par exemple, les effets de la prise en charge des maladies chroniques ou des actions visant à diminuer les risques cardio-vasculaires

Enfin, on attend, dans les prochains mois, plusieurs publications sur l'évaluation d'ASALEE – les travaux d'évaluation se terminent. Une étude qualitative vient d'être publiée, qui permet de décrire la manière dont les infirmières travaillent avec les médecins, dans un cadre de délégation des tâches, pour le suivi de certaines pathologies chroniques : diabète, risques cardiovasculaires, bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), troubles cognitifs. Pour nous, il est clair que cela permet d'améliorer la qualité de la prise en charge des patients, en développant des activités que les médecins n'avaient pas le temps de faire. Je pense, par exemple, à l'éducation thérapeutique : les infirmières prennent beaucoup de temps avec les patients. Elles peuvent les recevoir quarante-cinq minutes, alors que les médecins les recevront au maximum quinze minutes.

Maintenant, est-ce que cette délégation des tâches entre médecins et infirmières se fait dans un cadre de substitution du temps de travail entre médecins et infirmières ? Est-ce que cela permet vraiment de dégager du temps médecin ? Ne doit-on pas plutôt parler d'une forme de complémentarité entre eux, l'infirmière faisant ce que le médecin n'aurait pas fait par manque de temps ? Cela signifie que la délégation de tâches permet d'améliorer la qualité de la prise en charge, mais que ce n'est sans doute pas la solution idéale pour améliorer la démographie médicale.

Cette notion de complémentarité est vraiment établie : clairement, dans le suivi des patients chroniques, les infirmières font ce que les médecins n'ont pas le temps de faire. C'est un effet important.

Qu'en est-il de l'éventuelle substitution de temps de travail ? Est-ce que cela dégage du temps médecin ? Les travaux sont encore en cours. Certains témoignages qualitatifs montrent que c'est possible. Mais est-ce que c'est généralisé ? On n'est pas encore capable de conclure en ce sens.

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Je prolongerai la question de Patrick Hetzel. Nous avons du recul sur le phénomène de désertification médicale, qui devient chronique dans ce pays. Si vous aviez deux ou trois mesures d'urgence à nous proposer, quelles seraient-elles ?

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Vous n'allez pas aimer ma réponse : je vais me réfugier derrière ma qualité de chercheur pour vous dire que je ne vois pas quelles mesures d'urgence je pourrais vous proposer. Je vous ai parlé de certains leviers, comme la formation. Mais la démographie médicale s'apprécie sur des temps extrêmement longs. La gestion de la démographie médicale par le numerus clausus…

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Que dites-vous, justement, du numerus clausus ? Faut-il le faire sauter ? Faut-il l'augmenter de 40 % ? Faut-il régionaliser la formation, ou ne pas y toucher ?

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

La question de la gestion du numerus clausus rejoint celle de la coordination au niveau européen. Certains médecins s'installent en France sans passer par le numerus clausus…

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Pas seulement. Certes, des Français vont se former à l'étranger pour contourner le numerus clausus. Mais il y a aussi des médecins étrangers qui ont obtenu un diplôme, des équivalences, et qui exercent en France.

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Combien y en a-t-il par an ? Avez-vous vu leur nombre augmenter ces dix dernières années ? A-t-on des chiffres là-dessus ?

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Oui, la DREES diffuse des chiffres, et c'est colossal : plus de 20 % des nouvelles installations sont le fait de médecins ayant un diplôme étranger. D'après les projections démographiques de médecins faites par la DREES, le flux de médecins à diplôme étranger aura un poids décisif sur les résultats que l'on peut attendre en matière de démographie médicale. Si l'on maintient les flux au niveau actuel…

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Selon vous, implicitement, on augmente le numerus clausus. Ce n'est pas compliqué : sur les 7 250 médecins formés chaque année, 9 % s'installent dans le privé, soit environ 700. Sur ces 700, 600 sortent de Roumanie ou en sortiront dans deux ans pour les générations pleines. On table donc sur un chiffre voisin de 100 installations.

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Tous ces chiffres ont été publiés par la DREES. Je ne les ai pas sous les yeux, mais je crois qu'ils sont beaucoup plus importants que ce que vous dites. Il faudra vérifier.

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Vous êtes d'accord avec moi sur le fait que 9 % des médecins formés s'installent dans la sphère privée ? Ce sont les derniers chiffres. Donc, comme il y a un peu moins de 7 500 nouveaux médecins, cela fait 700. Sur les 700 qui s'installent dans la sphère privée, si vous avez 20 % de médecins formés à l'étranger, cela fait 140.

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Je ne veux pas dire de bêtises, mais je pense que c'est davantage. Il faudra vérifier sur les publications de la DREES.

À propos du numerus clausus, mon sentiment personnel est que ce n'est plus un bon outil de régulation et qu'il faut donc réfléchir à une autre forme de régulation. À l'IRDES, en partenariat avec l'Ordre des médecins, nous allons travailler sur l'installation des médecins à diplôme étranger. Nous voulons comprendre dans quelles zones ils s'installent. Est-ce qu'ils s'installent dans des zones sous-denses et surtout, est-ce qu'ils y restent ? Est-ce qu'ils s'installent de manière durable dans des territoires défavorisés, ou est-ce qu'ils vont de zone en zone pour courir le cachet ? Ce sont des questions importantes.

Jusqu'à présent, il n'y a pas vraiment eu de travaux là-dessus. On sait que le flux de médecins à diplôme étranger permet de compenser, en tout cas au niveau global, la carence de médecins – si ce n'est que le problème que l'on rencontre en France n'est pas lié au nombre de médecins, mais à leur répartition.

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Vous dites qu'il n'y a pas de problème de nombre de médecins ? Et pourtant, le nombre d'heures disponibles est inférieur à celui d'il y a vingt ans.

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Quand on regarde les comparaisons internationales, la France…

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On parle de la situation de la France ! En vingt ans, la population s'est accrue de 10 millions d'habitants, et la quantité de soins a sensiblement augmenté. Cela a forcément des conséquences sur le temps disponible. C'est un fait. D'ailleurs, le Conseil de l'ordre et vos prédécesseurs l'ont reconnu. Sinon, pourquoi aller chercher 600 médecins en Roumanie chaque année ?

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Plutôt que d'augmenter le nombre de médecins, on pourrait se concentrer sur l'organisation de l'offre, pour qu'ils puissent vraiment se concentrer sur le temps médical, le temps sur lequel ils ont le plus de valeur ajoutée.

Il y a quelques années, dans le cadre des enquêtes que mène régulièrement la DREES auprès des médecins généralistes, des questions ont été posées sur l'organisation de leur cabinet. Je ne me souviens plus des chiffres, mais il y avait une proportion non négligeable de médecins qui faisaient des tâches invraisemblables – secrétariat, entretien, ménage dans leur cabinet !

Quand un médecin déclare travailler 60 heures, 40 heures seulement sont dévolues au temps médical, ce qui est dommage. L'organisation des soins peut permettre de maximiser le temps de travail médical.

Mais à côté de l'organisation des soins, il y a naturellement la localisation. Tout le monde le sait, le problème est surtout lié à la répartition de l'offre. Mais il y a sans doute un lien entre l'organisation des soins et la localisation. Il est exact que l'exercice collectif correspond aux aspirations des professionnels. C'est peut-être un levier pour les inciter à aller dans des territoires où ils refuseraient d'aller exercer seuls.

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Je vous rejoins sur la question de l'organisation des soins.

Je voudrais savoir si, aujourd'hui, on dispose d'études un tant soit peu fines pour regarder ce qui se passe. J'ai une circonscription rurale où il y a des déserts médicaux – même si, comme le rappelait Philippe Vigier, les déserts médicaux ne sont pas l'apanage de la ruralité. J'ai constaté que l'on arrivait à faire venir des jeunes médecins à partir du moment où, en amont, les facultés de médecine faisaient en sorte de faire découvrir les cabinets ruraux aux médecins en cours de formation.

Je sais bien qu'en économie de la santé, on a plutôt tendance à avoir une vision macroéconomique des choses. Mais ne commence-t-on pas à essayer de voir ce qui se passe au niveau microéconomique, afin de faire évoluer certaines pratiques ? Dans le secteur de la santé, il y a beaucoup de sujets à traiter – déserts médicaux, mais aussi manque de médecins dans certaines spécialités qui sont maintenant en souffrance, etc. Comment faire évoluer l'offre de soins par rapport aux besoins de santé de nos populations ? Et comment s'assurer de la relève dans les endroits touchés par la désertification médicale ?

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Denis Raynaud, directeur de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Effectivement, il est très important d'avoir une connaissance microéconomique de ce qui se passe au niveau local. C'est ce que nous essayons de faire dans nos travaux de recherche.

L'IRDES est un institut de recherche pluridisciplinaire ; on ne travaille pas qu'avec des économistes et des statisticiens, mais aussi avec des sociologues et des démographes. D'ailleurs, la publication que l'on vient de faire sur ASALEE est un travail de sociologues qui s'appuient sur des observations de terrain : ils ont interviewé pendant deux à trois ans une vingtaine de médecins, une trentaine d'infirmières, des patients, et de nombreux acteurs de cette organisation de soins, pour en décrire le fonctionnement. C'est très utile lorsque l'on travaille ensuite sur des données administratives – le SNDS, les données de consommation de soins. Sans cette connaissance vraiment locale, on risque de mal interpréter les résultats.

Un troisième niveau d'analyse permet de compléter les observations locales, de type sociologique, anthropologique, qui ne sont que qualitatives. Certes, interviewer vingt médecins, trente infirmières, c'est déjà énorme, et on ne peut pas tous les interroger. Mais on va au-delà, en menant des enquêtes auprès des structures, notamment auprès des maisons de santé, qui nous expliquent comment elles organisent concrètement le travail.

Les enquêtes menées autour des structures sont parfois un moyen de pallier certaines carences dans les données statistiques disponibles. Par exemple, aujourd'hui, les données administratives de l'assurance maladie ne nous permettent pas de faire cette observation microéconomique que vous souhaiteriez voir se développer. Elles ne nous permettent pas de savoir, notamment, si un médecin exerce dans une maison de santé. On doit le reconstruire à partir de la géolocalisation, en faisant des hypothèses.

Il y a sans doute du travail à faire pour améliorer la qualité des données, si l'on veut améliorer la qualité des travaux d'évaluation. Aujourd'hui, pour comparer l'exercice dans les maisons de santé à nos cas témoins qui sont hors maisons de santé, on a besoin de savoir si nos cas témoins exercent en individuel ou en regroupé.

En passant par les maisons de santé, il est possible de reconstituer les informations qui ne sont pas disponibles dans les données administratives. Mais il est impossible de faire des enquêtes sur nos cas témoins : ils ne sont pas concernés, ils ne vont pas répondre. Voilà pourquoi, après les avoir localisés, on fait des hypothèses : s'ils exercent à la même adresse, on dit qu'ils travaillent ensemble. Mais, en fait, on n'en sait rien. En zone rurale, ce n'est pas trop grave. Mais en zone urbaine, cinq médecins peuvent exercer dans un immeuble de dix étages sans qu'on soit capable de dire si ces cinq médecins travaillent ensemble, ou s'ils se croisent juste dans l'ascenseur. Ce sont les limites de l'analyse.

On pourrait sans doute encore mieux structurer les données pour améliorer notre qualité d'observation et d'analyse microéconomique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Raynaud, nous vous remercions.

L'audition se termine à neuf heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 25 avril 2018 à 8 h 30

Présents. - M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Alexandre Freschi, Mme Mireille Robert, M. Philippe Vigier.

Excusés. - Mme Gisèle Biémouret, Mme Jacqueline Dubois, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Jean-Michel Jacques, M. Bernard Perrut, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-Louis Touraine