La commission a procédé, en application de l'article 13 de la Constitution, à l'audition de M. Bernard Doroszczuk, dont la nomination est proposée par M. le Président de la République à la fonction de président de l'Autorité de sûreté nucléaire, puis a voté sur cette nomination.
Mes chers collègues, la commission des affaires économiques doit rendre un avis préalable à une nomination envisagée par le Président de la République. Par courrier en date du 26 septembre 2018, le Premier ministre a, en effet, informé le Président de l'Assemblée nationale qu'il est envisagé de nommer M. Bernard Doroszczuk aux fonctions de président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Je précise que le mandat de six ans de l'actuel président, M. Pierre-Franck Chevet, s'achèvera au début du mois de novembre et que, en application de l'article L. 592-2 du code de l'environnement, ce mandat n'est pas renouvelable.
L'audition que nous organisons aujourd'hui répond à une exigence prévue à l'article 13 de la Constitution, prévoyant que pour certains emplois ou fonctions le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.
Je vous en rappelle les règles principales.
L'audition est publique.
Le scrutin est secret et doit avoir lieu hors de la présence de la personne auditionnée ; il ne peut donner lieu à délégation de vote ; il sera effectué par appel public ; des bulletins vous seront distribués à cet effet.
Le dépouillement du scrutin sera effectué par deux scrutateurs : les deux plus jeunes députés présents appartenant, respectivement, aux groupes La République en Marche et Les Républicains.
La commission des affaires économiques du Sénat a déjà entendu M. Bernard Doroszcsuk ce matin. Le dépouillement sera donc réalisé dans les deux assemblées à l'issue de notre réunion de ce soir.
Il m'appartiendra de communiquer le résultat du vote à la présidence de l'Assemblée nationale, puis de vous en informer ultérieurement.
Je vous rappelle enfin qu'un questionnaire supervisé par l'un de nos commissaires, M. Anthony Cellier, a été transmis à M. Bernard Doroszczuk. Les réponses de ce dernier vous ont été envoyées lundi dernier. Vous avez ainsi pu disposer d'informations détaillées pour préparer cette réunion.
Monsieur Doroszczuk, je vous laisse immédiatement la parole pour une intervention liminaire.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission, dans le cadre de mon éventuelle nomination aux fonctions de président de l'Autorité de sûreté nucléaire. C'est un très grand honneur pour moi d'avoir été proposé à cette fonction par le Président de la République. L'Autorité de sûreté nucléaire est une autorité indépendante, reconnue pour sa rigueur et son professionnalisme. Elle fait face actuellement à des enjeux de contrôle de la sûreté et de la radioprotection qui sont d'une ampleur inégalée. Je mesure entièrement l'engagement qui devra être celui du président de l'Autorité de sûreté nucléaire dans ce contexte, et je me sens prêt à assumer cette fonction si vous m'accordez votre confiance.
Mon intervention liminaire sera composée de trois parties. Tout d'abord, je rappellerai succinctement mon parcours professionnel ; ensuite, j'indiquerai quels sont, selon moi, les enjeux auxquels l'Autorité de sûreté nucléaire doit faire face ; et, enfin, je vous dirai quelles seront mes priorités, si j'étais nommé président de l'Autorité de sûreté nucléaire.
Tout d'abord, mon parcours professionnel a été exclusivement consacré au contrôle des activités et des installations soumises à des risques, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, où j'ai occupé, à plusieurs reprises, des postes à responsabilité dans le domaine de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.
Je suis ingénieur généraliste de formation, mais je suis également diplômé de l'École supérieure de métallurgie et de soudage, un sujet d'actualité, et ingénieur au Corps des mines depuis 1999.
J'ai démarré ma carrière dans un service déconcentré en administration centrale, où j'étais en charge du contrôle des équipements sous pression, des équipements sous pression nucléaires et des équipements de transport de matières dangereuses. J'ai ensuite rejoint, pendant plus de huit ans, la société Bureau Veritas, où j'ai exercé plusieurs fonctions de direction liées au développement des activités de cette entreprise, tant en France que dans le monde : le contrôle et la certification, le contrôle en application des directives et des règlements européens sur les produits à risque, et la certification des systèmes de management de la qualité et de l'environnement.
En 1997, j'ai rejoint l'Autorité de sûreté nucléaire, pour prendre en charge la coordination du second réexamen de sûreté des réacteurs de 900 mégawatts.
J'ai ensuite rejoint l'administration centrale pour m'occuper, durant trois ans, de la gestion des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), avant d'être nommé à la tête de la DRIRE de la région Centre, en 2003, puis de la DRIRE de la région Île-de-France, en 2008. Dans ces deux régions, j'ai également occupé la fonction de délégué territorial de l'Autorité de sûreté nucléaire pour le contrôle des centrales de Belleville, Dampierre, Saint-Laurent, Chinon, en région Centre, et pour le contrôle des centres du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) de Saclay et de Fontenay-aux-Roses, en région Île-de-France.
J'ai aussi été en charge des sites et des sols pollués par la radioactivité, en Île-de-France, et du contrôle de la radioprotection dans le secteur médical, également en Île-de-France où sont présents plus de 20 % des centres de radiothérapie. Ma prise de fonctions a eu lieu après les accidents de Toulouse et d'Épinal.
En 2010, il m'a été proposé de prendre en charge la fusion de plusieurs services en Île-de-France – la DRIRE, la direction régionale de l'environnement (DIREN), le service de contrôle de la police des eaux du service de navigation de la Seine, et le service de police des installations classées de la préfecture de Paris – pour constituer une nouvelle direction, la direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie (DRIEE). Parallèlement, j'ai assuré les fonctions de délégué territorial de l'Autorité de sûreté nucléaire, et de délégué de bassin Seine Normandie, pour la totalité des problématiques de gestion des eaux de qualité et de prélèvements des eaux. Depuis 2013, je suis directeur général du Comité français d'accréditation (COFRAC).
L'ASN est, selon moi, confrontée à trois enjeux principaux.
D'abord, assurer une mission première de contrôle de la sûreté et de la radioprotection, dans un contexte sans précédent – je reviendrai tout à l'heure sur ces éléments de contexte. Ensuite, répondre à la demande croissante des citoyens de vouloir comprendre et de participer aux décisions. Enfin, renforcer l'efficience de son action de contrôle.
Premier enjeu : assurer la mission première de contrôle de l'Autorité de sûreté nucléaire, en matière de sûreté et de radioprotection. Le nombre et la complexité des questions de sûreté auxquelles l'ASN est aujourd'hui confrontée est sans précédent, et s'inscrit dans un contexte de décisions et d'orientations à caractère politique extrêmement prégnantes et qui ont des conséquences en termes de contrôle de la sûreté : la poursuite de l'exploitation des réacteurs nucléaires de 900 mégawatts d'EDF ; les nombreuses demandes d'instruction pour des nouveaux projets qui sont en difficulté ou en retard ; la mise en place des orientations relatives au traitement et à la gestion des déchets dans le cadre du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), qui sera soumis à un débat public au début de l'année prochaine.
Tout cela génère une charge de travail considérable, à la fois pour l'ASN et pour l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui nécessite de mobiliser toutes les équipes ; je m'y attacherai, si je suis nommé président de l'Autorité de sûreté nucléaire.
Deuxième enjeu : répondre à la demande de participation des citoyens. En effet, la demande des citoyens de participation et de compréhension des sujets relatifs à la sûreté nucléaire et à la radioprotection ne fait que croître. Il faut absolument y répondre. Pour cela, de nombreux outils existent.
Au niveau national, le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sûreté nucléaire a une action extrêmement positive. Il a d'ailleurs récemment ouvert une consultation publique sur le quatrième réexamen de sûreté, pour pouvoir associer la totalité des parties concernées à la compréhension du processus.
Au niveau local, il s'agit, bien sûr, des commissions locales d'information. Elles jouent un rôle très important de proximité, et les élus et les collectivités y sont particulièrement impliqués.
Au niveau des débats, de nombreux outils existent également : le débat public, les enquêtes publiques préalables aux décisions, mais également les consultations publiques que l'Autorité de sûreté nucléaire organise sur ses projets et qui permettent au public de s'exprimer avant la prise de décision.
Ces outils doivent être utilisés, et, si besoin, renforcés. Par ailleurs, il est indispensable de travailler sur la pédagogie. Les sujets de sûreté nucléaire sont complexes, difficiles à appréhender pour l'ensemble des publics ; l'Autorité de sûreté nucléaire doit être en capacité de les expliquer aux citoyens. Tout comme elle doit être capable d'expliquer le pourquoi des décisions – ce qui a été retenu et ce qui n'a pas été retenu dans les interventions des uns et des autres.
Troisième enjeu : renforcer l'efficience de l'ASN. Pour cela, deux sujets ont leur importance. Il convient, d'une part, de focaliser les opérations de contrôle sur les sujets à fort enjeu, et d'avoir une approche graduée du contrôle, c'est-à-dire d'être capable d'individualiser le contrôle en fonction des enjeux de sûreté et de radioprotection, et du comportement des responsables ou des exploitants. Il convient également d'accentuer l'intensité du contrôle quand cela est nécessaire, mais aussi de savoir la relâcher, le faire savoir et dire pourquoi.
D'autre part, il convient de s'emparer de la question de la gestion des ressources internes à l'Autorité de sûreté nucléaire, dans un contexte de réforme de l'État, mais également de potentiel désengouement pour les activités de contrôle de la sûreté, y compris à l'ASN. Il convient de travailler sur la formation continue des personnes pour enrichir leur expérience et ainsi capitaliser sur celle-ci en organisant des parcours plus longs au sein de l'Autorité de sûreté nucléaire, en vue de maintenir cette efficience.
Enfin, quelles seraient mes priorités, si j'étais nommé président de l'ASN ?
Ma première priorité sera de mobiliser l'ensemble des équipes de l'ASN et l'appui technique de l'IRSN pour faire face aux enjeux que je viens d'indiquer. J'inscrirai mon action dans la continuité de mes prédécesseurs, qui ont fait de l'Autorité de sûreté nucléaire une autorité reconnue pour son efficacité, sa rigueur et son indépendance.
À court terme, deux sujets devront mobiliser l'Autorité de sûreté nucléaire. Tout d'abord, les instructions et les décisions à fort enjeu concernant le réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville et la poursuite du fonctionnement des réacteurs nucléaires au-delà de quarante ans. Ces dossiers ne sont pas aboutis et posent un certain nombre de questions.
Le deuxième enjeu, à court terme, sera celui du renforcement de la chaîne de contrôle de la conformité, qui a été affectée par un certain nombre d'écarts, ces dernières années ; écarts qui ont pu mettre un doute sur la qualité et l'efficacité de cette chaîne de contrôle, dont l'exploitant est le premier responsable, même si la totalité des acteurs sont concernés.
En ce qui concerne l'EPR, un travail important reste encore à réaliser pour démontrer l'aptitude au service des équipements sous pression, ainsi que pour démontrer la performance des systèmes de sûreté, avant leur mise en service.
Par ailleurs, le traitement des écarts détectés dans les soudures du circuit secondaire principal, qui doit faire l'objet de justification de la part d'EDF avant de pouvoir être accepté en l'état, est un sujet sur lequel je me pencherai avec un soin particulier, compte tenu de mes connaissances.
S'agissant du réexamen de sûreté, la phase générique est bien avancée, mais il reste encore quelques efforts d'instruction à réaliser sur un certain nombre de sujets, peu nombreux, mais d'une complexité redoutable, et qui correspondent à des enjeux extrêmement forts. Par exemple, lorsqu'il s'agit de rapprocher les réacteurs en exploitation du réacteur EPR dans sa conception, la récupération du corium en cas d'accident par fusion du coeur, de telle manière que ce corium ne transperce pas la dalle en béton du bâtiment réacteur et n'affecte la nappe phréatique. Il n'est pas toujours possible de mettre en place des dispositifs équivalents à celui de l'EPR, compte tenu du dimensionnement et de l'accessibilité de ces réacteurs très anciens. Il convient donc de trouver des solutions alternatives, un point qui reste encore à l'étude et qui doit faire l'objet d'une attention particulière.
Un avis générique devrait pouvoir être rendu d'ici à fin 2020, sur l'ensemble du réexamen de sûreté. S'engageront ensuite le réexamen de sûreté et la visite décennale pour chacun des réacteurs. S'agissant des réacteurs qui ont plus de trente-cinq ans de durée de vie, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) prévoit que ce réexamen soit finalisé, sur la base des propositions faites et d'un rapport produit par l'exploitant, par une autorisation délivrée par l'Autorité de sûreté nucléaire après enquête publique. La première visite décennale va être enclenchée en 2019 sur le réacteur Tricastin 1.
Le rendu de l'avis générique en 2020 n'est pas bloquant pour le démarrage des visites décennales et des réexamens de sûreté, qui se feront réacteur par réacteur. L'autorisation qui sera rendue par l'ASN, à l'issue du réexamen de chacun des réacteurs, pourra comporter des prescriptions qui seront à mettre en oeuvre – notamment des modifications dans le temps.
Deuxième sujet à court terme : la conformité. L'exploitant est le premier responsable de la conformité. Au regard des écarts qui ont été détectés ces dernières années, c'est un véritable sujet en matière de confiance dans la chaîne de contrôle, sur lequel, bien évidemment, les exploitants et l'ASN se sont déjà penchés, et qu'il faut encore renforcer.
Troisièmement, outre l'examen de conformité des réacteurs, qui sera réalisé sur ceux de 900 mégawatts uniquement, dans le cadre du réexamen de sûreté et du plan de contrôle ou de réduction des risques de fraude, une attention particulière devra être portée à la détection, à la déclaration et au traitement de tous les écarts, et ce pour l'ensemble du parc. La confiance dans la chaîne de contrôle est indispensable.
En ce qui concerne les sujets à moyen et long termes, j'en ai identifié cinq. Le premier concerne la capacité technique et financière des exploitants, dans un contexte inédit de repli du parc nucléaire, de travaux importants et lourds à réaliser, à la fois sur les réacteurs d'EDF et sur les installations du cycle nucléaire. Et ce, dans le cadre de réexamens de sûreté qui mobiliseront des ressources financières et des moyens techniques. Par ailleurs, le démantèlement nécessitera des capacités financières importantes, nécessaires pour les installations du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), dépendantes du budget de l'État. Il s'agit d'un point de vigilance. L'ASN est compétente pour vérifier la présence de ces capacités techniques et financières.
Le deuxième point concerne le stockage des déchets, dans le cadre des orientations du prochain Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs. Avec deux sujets se situant un peu à l'extrémité du spectre. D'une part, le Centre industriel de stockage géologique (CIGÉO), le projet de centre de stockage en couches géologiques profondes des déchets de moyenne et haute activité à vie longue. Un sujet sur lequel nous aurons l'occasion de revenir. Et, d'autre part, le sujet des déchets très faiblement radioactifs ou non radioactifs, mais présents dans les installations qui doivent être démantelées et pour lesquels une vraie stratégie doit être mise en place. Tant en termes de valorisation éventuelle d'une partie de ces produits – ceux qui ne sont pas contaminés –, que de stockage – un stockage décentralisé pour éviter de les transporter sur l'ensemble du territoire.
Troisièmement, les travaux de démantèlement – un sujet à long terme. Le démantèlement des installations à eau sous pression a fait l'objet d'une démonstration de la part d'EDF sur sa centrale de Chooz. En revanche, de nombreuses problématiques techniques se posent pour le démantèlement des anciens réacteurs à l'uranium naturel graphite gaz (UNGG), pour lesquels des efforts sont à réaliser en termes techniques – des méthodes nouvelles sont peut-être à développer. Bien entendu, le financement doit être prévu afin que le démantèlement s'amorce le plus rapidement possible.
Le quatrième sujet concerne la maîtrise de la radioprotection dans le milieu médical, où l'on déplore encore trop d'incidents en radiothérapie. Voilà plus de dix ans que l'Autorité de sûreté nucléaire est impliquée, les techniques de radiothérapie étant de plus en plus sophistiquées, avec des concentrations de faisceaux qui sont extrêmement fortes et qui, lorsqu'elles sont mal ciblées, peuvent bien évidemment causer des dégâts considérables.
Un travail doit donc être mené sur la technologie, la formation, l'appropriation des nouvelles technologies par les radiophysiciens et surtout par les radiothérapeutes. Enfin, des risques induits par la radiologie interventionnelle exposent à la fois le patient et le praticien à des faibles doses, mais pendant de longues durées.
Par ailleurs, cette question pourrait être affectée par les évolutions du système de santé. Je pense notamment à la télémédecine, qui pourrait conduire à des actes de radiologie à distance, voire de scanner à distance, et pour lesquels le contrôle pourrait être moins approfondi.
Enfin, le cinquième sujet concerne l'efficience interne de l'ASN et son implication internationale, l'ASN étant une référence au niveau international, puisqu'elle joue un rôle de leader en Europe. L'ASN a une véritable responsabilité en termes d'évolution des règles de sûreté, dans le cadre d'une harmonisation européenne – et ce, dans un contexte difficile. Officiellement, un certain nombre de pays de l'Europe de l'Ouest, tels que l'Allemagne, l'Italie ou la Belgique, se désengagent du nucléaire – ils seront donc moins actifs au niveau international. Les pays de l'Est, quant à eux, n'ont pas toujours la taille critique suffisante ; ils n'ont parfois qu'un seul réacteur et une technologie différente de la nôtre. Il existe donc un vrai problème de leadership au niveau européen. C'est la raison pour laquelle, tout comme les présidents successifs de l'Autorité de sûreté nucléaire, si je suis nommé à cette fonction, je m'investirai sur cette question.
Je vous remercie, Monsieur Doroszczuk.
Je voudrais signaler la présence d'une invitée d'honneur, Mme Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Je donne maintenant la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent vous interroger.
Je voudrais tout d'abord saluer le travail de notre gendarme du nucléaire, l'ASN, vigilant et exigeant. L'ASN est reconnue au niveau international et ne fait pas débat sur sa capacité de vigilance à l'égard de notre parc nucléaire.
Lors de la commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, dont j'étais vice-président, des collègues de l'opposition, qui ne sont malheureusement pas présents aujourd'hui, ont souligné la différence qui existe entre la sécurité et la sûreté, et le risque de confusion à les traiter dans une même commission.
Nous ne sommes pas dénués d'intelligence, nous avons bien compris qu'il existait une différence entre la sûreté et la sécurité, mais, lors d'un incident, ces deux notions sont parfois intimement liées. De cette commission d'enquête sont d'ailleurs ressorties plusieurs réflexions sur le lien entre sûreté et sécurité.
Monsieur Doroszczuk, pensez-vous que l'ASN devrait bénéficier de prérogatives en matière de sécurité des installations nucléaires ? Comment envisagez-vous les relations avec les autorités actuellement responsables de la sécurité ?
Toujours lors de cette commission d'enquête, nous nous sommes souvent heurtés au secret défense, à l'impossibilité d'aller au-delà de nos prérogatives de parlementaires, ce qui a été pour moi, je dois le dire, une véritable frustration, de sorte que j'ai attiré l'attention du Premier ministre, du ministre de la transition écologique et solidaire et du Président de l'Assemblée nationale sur cet état de fait, et je leur ai demandé si certains parlementaires pouvaient être habilités secret défense.
Votre futur prédécesseur – sans doute –, M. Pierre-Franck Chevet, affirmait, lors de son audition, je cite : « Une instance ad hoc du Parlement, composée de parlementaires habilités, serait vraiment la bienvenue et permettrait d'aller plus loin dans les discussions et de challenger les autorités sur les dispositions mises en place. » Quel est votre avis sur cette question ?
Enfin, quel est votre avis sur la question du seuil de libération – qui n'est pas d'actualité en France ?
Je vous remercie, Monsieur Doroszczuk, pour votre intervention. J'évoquerai moi aussi la commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires.
Dans son rapport, la commission a formulé 33 préconisations. J'aimerais connaître votre position sur trois d'entre elles et, éventuellement, sur les moyens que vous souhaiteriez déployer pour être en mesure de les mettre en oeuvre.
La première vise à doter l'ASN de compétences et d'un pouvoir d'injonction et de sanction en matière de sécurité passive, à l'instar de la plupart de ses homologues étrangers.
La deuxième invite l'ASN à faire usage des pouvoirs que lui a donnés le législateur et à prononcer des sanctions pécuniaires et des astreintes financières lorsque ses décisions ne sont pas respectées par les exploitants. Cette recommandation préconise également la publication, sur le site internet de l'ASN et dans son rapport annuel, du calendrier de suivi des prescriptions et du montant des amendes et astreintes financières prononcées et recouvrées.
Enfin, la troisième préconisation est également un enjeu de transparence, puisqu'elle propose de rendre publique la liste des anomalies génériques découvertes sur certains réacteurs.
Dans un domaine aussi technique que le nucléaire et aussi lourd d'investissements et de conséquences, il nous paraît essentiel que la Représentation nationale puisse connaître votre positionnement sur ces recommandations.
J'évoquerai enfin le rôle de l'ASN dans les projets nucléaires développés à l'étranger par des entreprises françaises. Comment l'ASN se positionne-t-elle sur ces dossiers ? N'a-t-elle pas, selon vous, un rôle croissant de conseil et de contrôle à jouer à l'égard de ces entreprises ?
J'aborderai quant à moi la question de la sécurité, car il n'est point de sûreté sans sécurité.
Monsieur Doroszczuk, ne pensez-vous pas que l'ASN devrait être dotée, en cas de problème, d'une chaîne de commandement semblable à celle qui est actuellement organisée, pour une sécurité maximale ? N'oublions pas que la France a subi des attentats il y a quelques années.
Je ferai le parallèle avec la crise de la salmonelle, survenue dans une entreprise alimentaire de Mayenne, et qui a révélé que, pour retirer du marché des produits laitiers contaminés, trois ministères étaient concernés, ceux chargés de l'agriculture, de l'économie et de la consommation.
S'agissant du nucléaire, les ministères chargés de la transition énergétique et de l'intérieur sont tous deux concernés. Avez-vous des recommandations à formuler sur cette question – la question de la sécurité du parc nucléaire français étant prégnante ?
Ma seconde question a trait à l'énergie. Le Salon de l'automobile, qui a ouvert ses portes le 4 octobre, met en avant les nouvelles technologies qui feront l'automobile de demain ; les énergies fossiles ne seront plus les seules utilisées.
Avez-vous des propositions à formuler pour faciliter la transition énergétique, mais aussi pour pouvoir répondre à l'attente du consommateur français, en termes de besoins – besoins qui vont, j'en suis certain, sérieusement augmenter dans les années à venir ?
Je vous remercie, Monsieur le président, de me recevoir au sein de votre commission.
Monsieur Doroszczuk, je vous souhaite la bienvenue. Si vous êtes choisi pour occuper la fonction de président de l'ASN, nous aurons à travailler ensemble, les travaux de notre commission d'enquête ayant soulevé de nombreuses questions.
Ma première question concerne les fraudes, qui ont été massivement détectées. Pour lutter contre celles-ci, M. Pierre-Franck Chevet a élaboré un plan anti-fraude ; quelles mesures comptez-vous prendre sur cette question ?
La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, adoptée en 2015, prévoit diverses sanctions pour sanctionner les écarts réalisés par rapport aux prescriptions de l'ASN. Très peu utilisées depuis leur adoption, comptez-vous les utiliser davantage que votre prédécesseur ?
Concernant la prolongation des réacteurs de 900 mégawatts au-delà de quarante ans, M. Chevet a une vision assez dure des exigences de sûreté ; vous inscrivez-vous dans cette vision ? Pensez-vous qu'un réacteur qui serait prolongé au-delà de quarante ans devrait être aussi sûr qu'un réacteur de troisième génération ?
Par ailleurs, vous avez indiqué, dans vos propos liminaires, que l'ASN était compétente pour vérifier les capacités techniques et financières des opérateurs, nécessaires pour réaliser un certain nombre d'opérations. Nous sommes là face à des enjeux énormes. Cette pression ne va-t-elle pas vous gêner pour effectuer votre devoir, qui est d'assurer le contrôle et la sûreté et de la radioprotection ? Ne risque-t-on pas de baisser les exigences en fonction de la situation économique des opérateurs ?
Lors des auditions de la commission d'enquête, plusieurs experts ont indiqué que l'analyse du parc nucléaire dans son ensemble semblait souffrir d'écueils. L'un de ces écueils est la question des non-conformités. Des écarts peuvent en effet survenir en cours d'exploitation, notamment quand une pièce se dégrade. Or, il n'existerait pas de traçage complet de l'état réel et de l'état théorique des équipements. L'état de conformité des installations est vérifié par sondages. Si ceux-ci révèlent souvent des non-conformités, nous pouvons supposer que d'autres ne sont pas détectées. Comptez-vous modifier cette approche afin d'avoir une connaissance plus fine des non-conformités du parc ?
Par ailleurs, les anomalies génériques ne sont comptabilisées qu'une seule fois, alors qu'elles peuvent concerner plusieurs installations. La commission d'enquête a trouvé que le détail des anomalies génériques rendu public n'était pas satisfaisant. Souhaitez-vous modifier cette approche ?
Plusieurs de vos questions concernent la sûreté et la sécurité ; je vais donc y répondre de façon globale.
Aujourd'hui, l'Autorité de sûreté nucléaire française n'est pas compétente en matière de sécurité dans les installations nucléaires de base. En revanche, elle exerce déjà une mission en matière de sécurité, s'agissant des sources radioactives. Une mission qui lui a été confiée par la loi TECV de 2015.
Nous comprenons d'ailleurs bien l'intérêt d'une approche complète de la sécurité des sources : appréhender les risques de radioprotection – des sources étant utilisées dans le milieu médical et l'industrie, notamment pour réaliser des contrôles de soudure. Par ailleurs, une source peut-être volée pour un usage malveillant.
Pour ce qui concerne les installations nucléaires de base – cela est très bien expliqué dans le rapport de Mme Pompili –, la situation française est un peu paradoxale. D'abord, l'IRSN exerce des missions, à la fois de sécurité – pour le compte du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) – et de sûreté – pour le compte de l'ASN. Il existe donc bien, en France, un organisme qui assure ces deux missions, sans que soit posée la question du secret défense.
Par ailleurs, la quasi-totalité des autorités étrangères de sûreté nucléaire sont chargées de ces deux missions ; y compris dans les pays où les préoccupations du secret défense sont extrêmement importantes. Il s'agit d'autorités indépendantes. C'est le cas en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
L'argument qui consiste à dire que telle mission est secrète et doit être traitée par des gens « à part » n'est pas nécessairement impossible à dépasser puisqu'il l'a été dans de nombreux pays, mais aussi en France pour l'IRSN. Par conséquent, tout comme M. Pierre-Franck Chevet, je suis favorable à ce que les missions de l'ASN, en France, soient élargies aux missions de sécurité.
En revanche, la définition des menaces et des interventions doivent rester du ressort du ministère de l'intérieur. Mais, une fois que ces menaces sont définies, elles doivent être prises en compte dans les organisations internes et être gérées de manière intégrée avec la sécurité et la sûreté. Par exemple, s'agissant des piscines et de l'épaisseur des murs, on peut tout à fait imaginer le scénario suivant : tirer un projectile pour déterminer si le mur est suffisamment épais et résistant.
En termes de cohérence, il me semble donc que les missions de sûreté et de sécurité nucléaires, pour les installations nucléaires de base, pourraient être confiées, à terme, à l'ASN, après, bien entendu, une réflexion approfondie. Une réflexion à laquelle l'ASN doit être associée et qui doit être menée le plus rapidement possible, si une telle décision devait être prise. Il conviendrait de bien définir le rôle des acteurs, et peut-être même de tenir compte de l'expérience étrangère.
Si l'ASN échange des informations avec le haut fonctionnaire de défense et de sécurité, dans un cadre bien défini par une convention, ils n'exercent aucune opération conjointe, chacun ayant une mission distincte.
Pour ce qui concerne le secret défense, la mise en place d'une commission ad hoc au niveau parlementaire me semble tout à fait appropriée.
Le sujet du démantèlement et du seuil de libération figure au coeur du prochain débat relatif au Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Il conviendrait de s'interroger sur le coût-bénéfice d'un seuil, pour des déchets qui peuvent être très faiblement radioactifs et pour lesquels d'autres inconvénients existent – le transport, la capacité de stockage…
S'agissant du pouvoir de sanction, la loi TECV a élargi la palette d'injonctions de l'ASN en introduisant une possibilité d'amende administrative et d'astreinte financière.
La mise en place de ce dispositif est liée à la mise en application d'une ordonnance de 2016, pour laquelle aucun texte réglementaire n'a encore été publié. Cependant, l'Autorité de sûreté nucléaire a prévu la constitution d'un comité de sanctions, de manière à séparer la décision de sanction du pouvoir d'instruction et de contrôle ; un comité qui n'a donc pas pu être mis en place jusqu'à présent.
En ce qui concerne l'usage des sanctions financières ou des amendes, dès lors qu'elles figurent dans la batterie des instruments, il conviendra de les utiliser – à bon escient, bien évidemment. L'approche qui est celle de l'ASN aujourd'hui consiste, d'abord, à établir un dialogue approfondi avec l'exploitant et à mettre en place les actions nécessaires, puis, éventuellement, à passer à un degré supérieur d'injonction et, enfin, à prononcer une sanction. Il conviendra d'établir une approche proportionnée. Il sera de l'intérêt de tous d'entamer un dialogue constructif sur la manière dont l'ASN pourra mobiliser ce nouveau pouvoir de sanction.
Concernant la possibilité de rendre publique la liste des anomalies génériques, j'y suis, a priori, favorable, mais je me réserve le droit d'étudier ce point en profondeur – je n'ai pas encore eu le temps de l'examiner.
Par rapport aux projets étrangers, l'ASN a, non pas un rôle de conseil, mais un rôle de contrôle des installations en France. En outre, elle dispose d'un pouvoir d'influence dans les réunions et les instances internationales. En effet, le poids de l'ASN dans ces instances est extrêmement fort, et son engagement dans des travaux européens, important. Que ce soit sur les questions des déchets ou de la sûreté nucléaire, la réglementation européenne a été très largement inspirée, ces dix dernières années, par la réglementation française.
Une définition d'un haut standard de sûreté dans les règles européennes constituera une référence pour les opérateurs français à l'international.
Le développement de la mobilité va effectivement évoluer. Ce sujet n'est cependant pas du ressort de l'ASN. La politique énergétique à travers la programmation pluriannuelle de l'énergie, les choix énergétiques, les orientations, sont du ressort du Gouvernement. Je me garderai bien d'intervenir sur ce sujet.
Vous avez également évoqué le plan anti-fraude présenté par l'ASN. Il s'agit d'un sujet vraiment difficile, les fraudeurs ayant, bien entendu, une volonté délibérée de cacher leurs fraudes. Il n'existe pas de mesure unique ; on ne peut pas, après une seule action de contrôle, prétendre maîtriser le risque de fraude.
Néanmoins, le nombre de fraudes détectées est extrêmement faible. Par ailleurs, la volonté de frauder n'est ni purement française, ni purement réservée au nucléaire. Elle existe dans d'autres industries, en France et à l'étranger.
Pour lutter efficacement contre la fraude, une palette d'interventions, composée de deux axes forts, est selon moi nécessaire. D'une part, la prévention. Il convient de s'interroger sur les raisons des fraudes. Elles peuvent être liées à une culture d'entreprise, à une pression du client sur le fournisseur ou à une appréciation individuelle du fraudeur qui préfère frauder que de signaler un écart – sa carrière en dépend peut-être.
D'autre part, il convient d'instaurer le doute dans l'esprit du fraudeur. Le fraudeur doit en effet savoir qu'il risque d'être découvert. Pour cela, des contrôles inopinés sont indispensables : contrôles par sondages, contrôles aléatoires, contrôles dans l'entreprise par des tierces parties, par un réseau d'alerte…
Ces deux axes figurent dans le plan anti-fraude de l'ASN. Si je suis nommé président, non seulement j'appliquerai ce plan, mais je ferai en sorte d'en tirer un bilan rapidement.
Bien évidemment, le risque de fraude est, aussi et avant tout, de la responsabilité de l'exploitant et des fournisseurs. Ils se doivent de renforcer, au titre de la culture d'entreprise, leur dispositif interne et d'éviter, par exemple, qu'un contrôle interne soit réalisé par un service qui peut, lui-même, être à l'origine d'une fraude. Il convient de séparer la fonction de contrôle de la fonction de production.
Les capacités techniques et financières des exploitants sont un sujet sur lequel l'ASN avait attiré l'attention, dans son rapport de 2016 et dans le cadre de la recapitalisation et de l'organisation des acteurs – EDF et Areva, devenu Orano. En effet, certains investissements dans la sûreté avaient été soit retardés, soit réduits, ce qui pose un réel problème.
Il est envisageable que l'ASN, par rapport aux demandes formulées et aux engagements pris par les exploitants, puisse vérifier que les plannings annoncés sont respectés et s'interroger sur les raisons du retard. Si les raisons sont financières, cela peut être tout à fait détecté.
Les capacités techniques sont également importantes, dans un contexte de repli du parc nucléaire. Certains se sont fait l'écho d'un risque de désengouement des jeunes ingénieurs, mais aussi d'un risque de perte d'expérience, puisque pendant de nombreuses années aucune opération de construction n'a eu lieu. Le sujet de la capacité technique des exploitants est donc un point de vigilance pour lequel l'ASN dispose de moyens d'investigation, à travers ses inspections.
Enfin, le niveau de sûreté des réacteurs de 900 mégawatts est consubstantiel au processus de réexamen. Les installations classées pour la protection de l'environnement, les installations classées les plus polluantes, dites installations IED – soumises à la directive européenne du même nom, relative aux émissions industrielles – sont régulièrement soumises à une augmentation d'exigences en vue de se rapprocher le plus possible des meilleures technologies disponibles en termes de réduction des impacts sur l'environnement. Et quand ce n'est pas faisable, des dispositions équivalentes et acceptables doivent être trouvées. Nous ne pouvons disposer d'une règle absolue ; un certain nombre de réalités industrielles et technologiques doivent être prises en compte, même si le but est bien de se rapprocher le plus possible du dernier standard.
Quelque 400 000 personnes sont exposées pour des raisons professionnelles au rayonnement ionisant dû à la réactivité. Ces travailleurs se trouvent dans des installations nucléaires, dans des laboratoires de recherche, mais ils sont encore plus nombreux à exercer des activités médicales et vétérinaires. Ces derniers utilisent des appareils pour établir des diagnostics ou prodiguer des traitements.
En 2017, deux praticiens d'un hôpital parisien ont été surexposés aux rayons en pratiquant des actes de neuroradiologie. Il est vrai que ce type d'incident demeure très rare, mais leur exposition a été classée niveau 2 sur l'échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, qui va de 0 à 7.
Quels sont les axes d'amélioration à envisager pour renforcer la radioprotection des patients et des professionnels ?
M. François de Rugy vient d'annoncer qu'il repoussait la fermeture de la centrale de Fessenheim à 2022 ; en tout cas, cette fermeture n'est plus liée à l'ouverture de la centrale de Flamanville. Comment l'ASN interprète-t-elle cette annonce ? Quelles conséquences cette prolongation peut-elle avoir sur la sécurité ?
Par ailleurs, question plus générale, pensez-vous qu'une centrale peut fonctionner pendant soixante-dix ou quatre-vingts ans ? L'âge de la centrale représente-t-il un risque particulier insurmontable ?
Monsieur Doroszczuk, je vous poserai trois questions, fort de l'expertise de Mme Marie-Noëlle Battistel.
Alors que l'ASN joue un rôle majeur dans l'information du public, elle a publié, à plusieurs reprises, des informations relatives à des incidents, avec un retard important. En 2018, par exemple, elle a publié des avis d'incidents relatifs aux centrales de Chooz et de Civaux, pour des faits remontant à 2015 et 2016. Quelles mesures comptez-vous prendre pour mieux informer le public et ainsi lutter contre le sentiment de dissimulation ?
L'ASN est chargé du projet CIGÉO, qui vise à stocker les déchets radioactifs en couches géologiques profondes ; je suis un élu d'un territoire voisin. Dans son avis du 11 janvier 2018, l'ASN estime que le projet CIGÉO a atteint dans son ensemble une maturité technique satisfaisante au sein du dossier d'options de sûreté ; dossier dont elle estime qu'il est suffisamment documenté et étayé et constitue une avancée significative par rapport aux précédents dossiers ayant fait l'objet d'avis de l'ASN.
Toutefois, certains sujets du dossier d'options de sûreté nécessitent des compléments quant à la demande de l'autorisation de création que l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) prévoit de déposer en 2019. Les principaux compléments demandés porteraient sur la justification de l'architecture de stockage, le dimensionnement de l'installation pour résister aux aléas naturels, la surveillance de l'installation et la gestion des situations post-accidentelles.
Des réponses satisfaisantes ont-elles été apportées à ces questions et lesquelles ?
Enfin, en matière de transparence, les associations en faveur de la sortie du nucléaire soulignent régulièrement leurs difficultés à accéder aux documents techniques produits par les exploitants nucléaires.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour amener les exploitants à plus de transparence ?
Ma question concerne le budget de l'ASN. Un budget qui dépend du programme « Prévention des risques » du projet de loi de finances (PLF).
Le PLF 2019 sera prochainement discuté au Parlement. Il prévoit une diminution des ressources du programme « Prévention des risques », aussi bien en crédits de paiement, pour 0,4 %, qu'en autorisations d'engagement, pour 1 %.
Quels impacts cette diminution va-t-elle avoir sur le fonctionnement de l'ASN ? Faut-il craindre une diminution des moyens de l'ASN ?
Au mois de septembre dernier, un reportage diffusé dans l'émission Envoyé spécial, sur France 2, remettait en doute le rapport d'EDF : « Et si le barrage électrique de Vouglans cédait ? », un scénario catastrophe qu'EDF à l'obligation légale de prévoir.
La construction de béton, large de 430 mètres et haute de 130 mètres, contient 600 millions de mètres cubes d'eau. Si elle cédait, cinq petits barrages situés en aval censés réguler le cours de l'Ain seraient littéralement balayés. Leurs 70 millions de mètres cubes d'eau s'ajouteraient alors à la vague géante. Le pire serait encore à venir, six heures après la rupture de ce barrage, à 90 kilomètres de Vouglans : la centrale nucléaire du Bugey serait alors inondée.
Pouvez-vous nous indiquer les préconisations que vous adopteriez pour parer à cette catastrophe ?
J'ajouterai une question.
Vous avez évoqué le démantèlement des centrales nucléaires. EDF a créé un fonds qui devrait permettre de financer le démantèlement des centrales.
Avez-vous autorité pour juger, à la fois de la pertinence du montant et de la pérennité financière de ce fonds ? Ce fonds pourrait-il, s'il était utilisé pour démanteler les centrales, obérer la pérennité de l'entreprise ou sa capacité à assurer la sûreté des centrales ?
Monsieur Cazenove, vous avez raison, l'exposition aux rayonnements ionisants est beaucoup plus importante dans le secteur médical et chez les patients que dans les installations nucléaires ; 96 % des travailleurs du nucléaire sont exposés à moins de 1 millisievert, à savoir la dose maximale d'exposition du public. En revanche, il y a un gros effort à réaliser dans le secteur médical, en termes de radioprotection.
J'ai évoqué le risque lié au développement des techniques nouvelles, mais aussi de l'usage du scanner. Un usage qui va se multiplier, la population étant vieillissante ; de plus en plus d'examens seront prescrits dans les années à venir.
Pour progresser sur ce sujet, compte tenu des incidents que vous avez rappelés, il nous faut travailler davantage avec les praticiens, le milieu médical, les sociétés savantes et les fournisseurs d'équipements ; ces risques doivent être réduits au strict minimum et des mesures de prévention doivent être mises en place.
Je crois beaucoup à l'évaluation par les pairs – que j'ai pu expérimenter au COFRAC. Tous les laboratoires de biologie médicale en France ont une obligation d'accréditation. Or l'évaluation des bonnes pratiques d'un laboratoire de biologie médicale est réalisée par les pairs. Je suis persuadé que, outre le contrôle de l'ASN, l'intervention d'un pair pour mieux maîtriser, conseiller, mieux voir les insuffisances, est un plus.
Il s'agit là d'un axe de réflexion qui pourrait être mis en oeuvre, même s'il est nécessaire de continuer de travailler avec la totalité des acteurs du monde médical sur cette question.
S'agissant de la centrale de Fessenheim, j'entends ce que vous dites, ainsi que l'annonce qui a été faite, et qui n'est pas de la responsabilité de l'ASN ; il s'agit d'un choix politique et industriel.
Si cette annonce est vérifiée, elle va entraîner des investigations de la part de l'ASN. Le scénario qui prévalait jusqu'à présent était celui d'une fermeture de la centrale en 2019, liée à la mise en service de l'EPR. Pour cette raison, un certain nombre d'opérations de contrôle n'ont pas été programmées. En effet, la centrale de Fessenheim n'a pas fait l'objet d'une visite décennale – comme Triscatin 1 – ni d'un réexamen de sûreté. De la même manière, un certain nombre d'équipements post-Fukushima n'ont pas été mis en place.
De sorte que, si cette annonce est confirmée, l'ASN devra définir, avec l'exploitant, les mesures qui doivent être mises en place pour cette éventuelle prolongation.
La centrale de Fessenheim n'a jamais posé de problème de sûreté. Mais si sa prolongation est confirmée, elle se mettrait en écart par rapport aux exigences réglementaires.
En ce qui concerne la durée de vie des centrales, la législation française ne prévoit pas de limite au fonctionnement d'une centrale. Certes, il n'est pas infini, et à un moment donné, il n'est pas raisonnable de poursuivre l'activité. En revanche, régulièrement, des réexamens de sûreté sont réalisés, et c'est à ce moment-là qu'il convient de déterminer s'il est préférable de la démanteler ou de poursuivre l'activité, en fonction du coût de la mise à niveau du réacteur au dernier standard.
La mission de l'ASN est de faire en sorte que tous les réacteurs en service soient le plus proche possible du dernier standard de sûreté, qu'ils soient en bon état et en conformité. La décision d'arrêt n'est pas liée à une date, mais à la possible conformité ou non au dernier standard.
S'agissant des informations que l'ASN a l'obligation de publier, et qui l'auraient été avec retard, je n'ai pas d'exemple en tête. Mais il convient de savoir que l'information que doit publier l'ASN est le résultat d'une chaîne d'acteurs. La détection doit d'abord être faite par l'exploitant qui doit ensuite la déclarer – une déclaration qui peut être tardive. Nous avons de nombreux exemples concernant des défauts sur les soudures des circuits Vapeur vive principale (VVP).
C'est la raison pour laquelle, je l'ai indiqué, il convient de renforcer la capacité à déclarer en toute transparence les écarts présents sur les installations. Un point qui a été mis en exergue dans le rapport d'activité de l'ASN en 2017.
En ce qui concerne CIGÉO, vous avez rappelé, Monsieur Potier, l'avis de l'ASN sur la maturité technique du projet, même si des compléments sont à apporter. Ces compléments doivent être apportés en 2019 ; je n'ai aucune information sur ceux-ci.
Vous n'avez pas évoqué le cas des déchets bitumés. Une question qui doit être posée, même si elle n'a pas fait l'objet de demande de complément. Les déchets bitumés ne sont pas des déchets issus de combustibles usés, mais des déchets très anciens – goudron, asphalte, brais… Les fûts de déchets bitumés sont bien maîtrisés, pour les plus récents, en termes de contenu, mais les plus anciens le sont moins.
Il s'agit là d'un vrai sujet d'investigation afin de déterminer, par expertise, la possibilité de mettre en place un pré-traitement visant à réduire les risques liés à la présence de déchets contenant du bitume dans ces installations en profondeur. Un sujet compliqué, car traiter ces déchets a un impact sur l'environnement.
Indépendamment des commentaires de l'ASN sur le projet CIGÉO, un débat aura lieu dans le cadre du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs ; mais ce projet appelle aussi un débat de société. Or l'une des missions de l'ASN est d'éclairer les débats de société par ses propres avis. Le choix du stockage en couches géologiques profondes sera une question importante dans ce débat, au regard des risques et de la durée pendant laquelle ces déchets, à moyenne et haute activité à vie longue, seront présents. Vie longue veut dire plusieurs centaines de milliers d'années. Or à cette échelle de temps, personne ne peut garantir le bon état d'une installation en subsurface. C'est la raison pour laquelle le stockage en couches géologiques profondes est celui qui s'approche le plus des conditions de sûreté.
L'ASN s'est exprimée, jusqu'à présent, pour éclairer le débat, mais il ne lui appartient pas de faire un choix ; ce choix sera fait par les autorités.
S'agissant de la transparence, l'accès aux dossiers des exploitants peut poser des problèmes en termes de sécurité. Plus l'exploitant, à la demande de tiers, fournit de documents, plus il dévoile d'informations susceptibles d'être exploitées ; il s'agit vraiment d'un sujet compliqué. Certes, les exploitants ne doivent pas abuser de cet argument pour ne fournir aucun document, mais cette question de l'accès aux dossiers pose un réel problème de sécurité.
Madame Brunet, vous m'apprenez la diminution des ressources du programme 181 « Prévention des risques », qui peut en effet être un vrai sujet si celle-ci affectait le budget de l'Autorité de sûreté nucléaire. Ce serait en tout cas, pour moi, une très mauvaise nouvelle.
Le budget de fonctionnement de l'Autorité de sûreté nucléaire est de 60 millions d'euros. Une réduction de ce budget serait, pour moi, incompréhensible, étant donné la situation. Si elle était avérée, je me tournerai vers Mme Pompili qui, dans son rapport, a soutenu la demande de l'ASN – et je l'en remercie – de renforcement de ses effectifs ; une demande de quinze renforts sur un plan triennal 2018-2020, dont deux ont été octroyés cette année. L'une des raisons pour lesquelles un renforcement des effectifs est nécessaire est liée à la volonté de l'ASN de lutter contre la fraude.
Je suis parfaitement conscient des contraintes budgétaires. Et le budget de l'ASN, ces dernières années, a été plutôt préservé. Je tiens donc à remercier, non seulement le Gouvernement, mais également les parlementaires qui ont une responsabilité dans le vote du budget. Le PLF va bientôt être discuté, j'espère que le budget de l'ASN sera défendu.
Le scénario catastrophe, que serait la rupture du barrage de Vouglans qui pourrait entraîner de conséquences dramatiques avec l'inondation de la centrale de Bugey, est un vrai sujet.
Je ne connais pas le détail de l'ampleur de la vague qui pourrait se former, mais nous sommes là très proches des interrogations soulevées par Fukushima, à savoir les conséquences d'une éventuelle inondation. Un événement qui n'a pas été nécessairement bien évalué au moment du dimensionnement des installations mais qui, grâce à ce retour d'expérience, a été pris en compte.
Les mesures qui sont envisagées en termes de dispositif de secours, d'accès à une source froide – il est essentiel de refroidir en cas d'accident – et à de l'électricité – pour faire tourner les pompes –, sont explicitement prévues dans les dispositions post-Fukushima. Ces dispositions pourraient permettre de gérer un accident. En tout cas, la ré-élévation du niveau de sûreté concernant ce type d'inondation ou de séisme, extrêmement improbables et surévalués par rapport au dimensionnement d'origine, a été prise en compte par les mesures post-Fukushima.
Enfin, concernant le démantèlement des centrales, il y a bien une obligation de provisions à faire, comme pour les déchets. L'Autorité de sûreté nucléaire n'est pas compétente en matière de contrôle de ces provisions, ce rôle revient à la direction générale de l'énergie et du climat et à la direction générale du trésor.
En revanche, pour reprendre l'un des points évoqués dans le rapport de Mme Pompili, l'ASN s'est déjà prononcée par le passé sur le fait qu'elle souhaitait que les provisions, pour d'éventuels démantèlements, se fassent réacteur par réacteur.
Monsieur Doroszczuk, je vous remercie et je vais vous demander de nous quitter, car nous allons maintenant procéder au vote.
Après le départ de M. Bernard Doroszczuk, il est procédé au vote sur la nomination par appel à la tribune et à bulletins secrets.
Les résultats du scrutin sont les suivants :
Nombre de votants
Bulletins blancs ou nuls
Suffrages exprimés
Pour
Contre
Abstention
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 10 octobre 2018 à 17 heures
Présents. – M. Damien Adam, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, Mme Barbara Bessot Ballot, Mme Anne Blanc, M. Philippe Bolo, Mme Anne-France Brunet, M. Sébastien Cazenove, M. Anthony Cellier, M. Rémi Delatte, M. Michel Delpon, M. Nicolas Démoulin, M. Fabien Di Filippo, M. Jean-Luc Lagleize, Mme Célia de Lavergne, Mme Marie Lebec, M. Roland Lescure, Mme Monique Limon, M. Didier Martin, M. Mickaël Nogal, M. Ludovic Pajot, Mme Anne-Laurence Petel, M. Dominique Potier, M. Benoit Potterie, M. Jean-Bernard Sempastous, M. Éric Straumann, Mme Sylvie Tolmont
Excusés. – M. Grégory Besson-Moreau, M. Dino Cinieri, M. Julien Dive, M. José Evrard, M. Antoine Herth, M. Philippe Huppé, Mme Annaïg Le Meur, Mme Bénédicte Taurine, M. Nicolas Turquois
Assistait également à la réunion. – Mme Barbara Pompili