Présidence
La commission poursuit l'examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2019 (n° 1255).
Elle examine d'abord les crédits de la mission Action extérieure de l'État (M. Vincent Ledoux et Mme Émilie Bonnivard, rapporteurs spéciaux).
La mission Action extérieure de l'État porte sur les moyens de notre réseau diplomatique au sens large, dont je rappelle le périmètre : avec 163 ambassades, notre réseau diplomatique est le troisième au monde ; la France s'implique fortement dans 83 organisations internationales et dispose d'un réseau consulaire dont l'offre de service public touche 2 millions de Français établis à l'étranger mais aussi 25 millions de touristes français de passage, et d'un réseau culturel vecteur d'influence qui se compose de 120 instituts français et plus de 300 alliances françaises conventionnées, ainsi que d'un réseau d'enseignement français de 500 établissements très majoritairement privés.
Le budget 2019 atteint 2,85 milliards d'euros de crédits de paiement pour ses trois programmes permanents. Sans tenir compte d'un programme temporaire lié à l'organisation de la présidence française du G7, ce budget connaît donc une baisse de 140 millions d'euros – soit 4,7 % – en une année. Évitons d'emblée tout malentendu : cette diminution n'affecte pas par elle-même les moyens dont dispose le ministère des affaires étrangères pour exercer ses missions. Le budget est en effet proche des montants consommés en 2017. Dans les ambassades, par exemple, les crédits de fonctionnement sont stables. Le réseau consulaire se modernise pour réussir le programme de « consulat numérique et traiter convenablement un nombre d'actes toujours croissant – 110 000 actes d'état civil ont ainsi été traités l'an passé. De même les crédits des instituts français et des alliances françaises augmentent alors qu'ils ont diminué de 11 % de 2012 à 2017. Enfin, 105 millions d'euros permettront de financer environ 25 000 bourses dans le réseau d'enseignement français.
La diminution des crédits est due principalement à des économies de constatation. C'est le cas de la baisse de 70 millions d'euros au titre des contributions obligatoires aux organisations internationales : le coût de certaines opérations de maintien de la paix décroît et nous pouvons anticiper des baisses d'appels de fonds de l'Organisation des Nations unies puisque la quote-part de la France diminue et parce que le taux de change devient plus favorable pour les contributions payées en devises. De même, 30 millions d'euros ne sont pas inscrits sur ce budget pour les investissements de sécurité dans le réseau mais les crédits seront bien disponibles en 2019 et 2020 sous la forme d'avances du compte d'affectation spéciale Gestion du patrimoine immobilier de l'État. Le ministère devra rembourser ces avances entre 2021 et 2025 par des cessions de biens immobiliers.
En outre, le Quai d'Orsay devra appliquer un schéma d'emploi en baisse de 1 %, soit 130 équivalents temps plein (ETP). L'an prochain, le ministère contribuera ainsi à 8 % de la baisse totale des emplois de l'État, alors qu'il ne représente que 0,7 % de l'ensemble de ces emplois.
L'enjeu du budget 2019 consiste à d'aller au-delà d'une approche mécanique de baisse des effectifs afin de mettre en oeuvre une réforme majeure et structurelle issue de la démarche « Action publique 2022 ». Dans ce cadre, le Quai d'Orsay pilotera enfin l'ensemble des réseaux de l'État à l'étranger – non seulement ses propres effectifs mais également ceux qui, dans les ambassades, sont issus d'autres ministères, comme les conseillers économiques, les conseillers sociaux, les attachés de sécurité intérieure... Ainsi, l'ambassadeur aura la responsabilité de constituer lui-même l'ensemble de son équipe en définissant les compétences nécessaires au regard du « plan d'action » du poste diplomatique qu'il aura établi. Comme j'ai pu vous l'indiquer lors du printemps de l'évaluation, c'est une garantie de cohérence des actions de la « Maison France », et donc de qualité de notre diplomatie. L'ambassadeur pourra désormais rationaliser la gestion des moyens du poste et mieux adapter les effectifs aux besoins.
Dès lors, la réforme prévoit que le Quai d'Orsay pilotera d'ici à 2022 une réduction de 10 % de la masse salariale de l'ensemble des réseaux de l'État à l'étranger, soit une économie de 110 millions d'euros de dépenses relevant du titre II en quatre ans, dont 78 millions d'euros au titre de la mission que nous examinons.
Contrairement aux réformes précédentes, il ne s'agira pas automatiquement de baisses d'ETP car il sera possible de diminuer la masse salariale en transformant des emplois d'expatriés en contrats de recrutement local tant que faire se peut – car il va de soi que l'on ne saurait transformer tous ces emplois. Dès 2019, le ministère récupérera directement l'ensemble des fonctions support qui étaient rattachées à d'autres programmes : chauffeurs, secrétaires, interprètes, agents d'entretien. Un rapport des inspections de 2013 avait recensé une quarantaine de catégories très dispersées. En conséquence, pour mutualiser ces fonctions support, 5,2 millions d'euros de crédits de fonctionnement et 10 millions d'euros de dépenses relevant du titre II sont transférés sur le budget, pour 383 emplois de catégories B et C. Ce sont des économies de gestion en perspective mais qui seront progressives, car il faut harmoniser les règles d'emploi et les rémunérations.
Les transferts budgétaires proprement dits ne concernent pas les postes de catégorie A, comme ceux du réseau international du Trésor. Cependant, d'ici à janvier 2019, le Quai d'Orsay conclura un contrat de gestion avec l'ensemble des ministères concernés afin de respecter les étapes successives de réduction des enveloppes de masse salariale définies pour chaque poste. C'est un effort considérable que produiront ainsi nos agents ; il faut en avoir conscience.
Cette réforme ne doit pas être une « réforme-rabot » de plus après les ponctions successives qui ont réduit les effectifs du Quai d'Orsay de 12 % entre 2007 et 2017. En effet si le ministère des affaires étrangères était durablement perçu comme condamné à l'attrition, nous prendrions le risque – je vous mets en garde sur ce point car les premières pannes de recrutement sont constatées – de détourner les talents du service diplomatique. Il est donc essentiel de réussir une réforme qui doit avoir du sens – elle en a – et dans laquelle la recherche d'économies doit être comprise comme un levier de réinvention et d'amélioration du service. Il convient en particulier de renforcer le pilotage de l'ensemble des directions et des opérateurs autour des grands défis internationaux que connaît notre pays, comme la relation à l'Afrique.
Je conclurai en prenant en exemple la réforme du réseau de l'enseignement français à l'étranger, qui montre que la contrainte budgétaire peut être un levier de renouveau.
En 2019, la subvention pour charges de service public de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) est stabilisée à 384 millions d'euros, comme en 2018, mais l'agence est confrontée, sur la durée, à l'effet de ciseau de la baisse des dotations et de la hausse du nombre d'élèves dans le réseau – ils étaient 350 000 en 2018, dont 125 000 Français. Ce réseau doit continuer à se développer car il est un vecteur majeur d'influence de la France et de diffusion du français. Le Président de la République lui a fixé des objectifs ambitieux en ce sens, mais la solution ne consiste pas forcément à accroître les dotations publiques et le nombre de postes d'enseignants titulaires – alors même que nous manquons d'enseignants en France. Il convient plutôt à mon sens de diversifier les formats du réseau, d'accroître la fluidité des parcours des professeurs titulaires et d'encourager le développement d'établissements privés partenaires, notamment dans le pays du Sud, en leur proposant une nouvelle offre de service de l'AEFE, par exemple pour former sur place des enseignants qualifiés pour le réseau français. Tels sont les grands défis qui se présentent à nous !
Comme l'année dernière, je regrette le manque de visibilité de la présentation budgétaire des crédits relatifs au tourisme. En effet, pour un secteur économique qui pèse 8 % du PIB national, l'éclatement de ces crédits dans de « petites » actions au sein des missions Action extérieure de l'État et Économie ne favorise pas une appréhension claire de la politique du Gouvernement en matière de tourisme.
Par ailleurs, comme nous le verrons, cette politique et les choix budgétaires qui en découlent sont déséquilibrés : la priorité très forte et positive qui est accordée à l'attractivité de la France pour les touristes étrangers fait oublier le volet relatif au tourisme intérieur, à la structuration de nos offres, à la modernisation et la compétitivité de notre parc d'hébergement, à la répartition des flux touristiques en faveur de l'aménagement du territoire. Mon regret est que la politique touristique ne soit pas davantage prise en compte dans la stratégie économique et de cohésion territoriale du Gouvernement, même si elle est bien intégrée au sein du ministère des affaires étrangères.
S'agissant des crédits de l'opérateur Atout France, qui est chargé, entre autres, de la promotion de la destination France, je salue la reconduction à l'identique dans le projet de loi de finances pour 2019 des crédits qui lui ont été alloués en 2018, soit 32,7 millions d'euros. Si Atout France fait un travail remarquable en matière de promotion, il nous faut en revanche connaître plus finement ses stratégies et ses efforts en faveur des grandes catégories de destination en France – Paris et les villes, le littoral, la montagne. Par ailleurs, j'attire votre attention sur l'importance de préserver les missions historiques de cet opérateur en matière d'ingénierie touristique locale.
Je constate que l'une des recommandations que j'ai formulées l'année dernière a été suivie : elle consistait en la pérennisation du reversement d'une part des recettes générées par les droits de visa à Atout France, à hauteur de 3 % des recettes de l'année n-1. Ces recettes devraient consolider durablement les ressources de l'agence, à hauteur de 4,5 millions d'euros en 2019 – même si nous n'en connaîtrons le montant définitif que l'an prochain. Je salue cette décision du Gouvernement mais, dans le même temps, je rappelle qu'il faut préserver les moyens nécessaires pour réaliser cette recette dans un contexte de réduction de 10 % des effectifs du ministère en poste à l'étranger. En Chine, par exemple, la délivrance d'un visa en 48 heures est un enjeu important dans le choix de la destination ; nous devrons conserver la capacité d'y délivrer des visas dans ces délais.
En revanche, je regrette vivement la suppression en 2019 des crédits qui étaient consacrés au tourisme dans la mission Économie, sans que personne ne le remarque ou ne s'en émeuve ! La ligne budgétaire correspondant à la direction générale des entreprises (DGE) a ainsi été purement et simplement supprimée. Elle soutient pourtant, pour des montants qui semblent bien peu élevés – on parle de 140 000 euros ! –, des associations qui oeuvrent pour faciliter le départ en vacances de familles modestes. La DGE développait également des marques de structuration de l'offre comme « Qualité tourisme », ou en matière d'accueil des personnes handicapées avec le label « Tourisme et handicap ». Elle a aussi participé à la création de « Datatourisme », une plateforme nationale de collecte, d'uniformisation et de diffusion en accès libre des données touristiques institutionnelles, essentielle pour les entreprises du tourisme. Pour ces activités, là encore, les budgets n'existent plus, alors que le travail a été mené à bien et qu'il suffit désormais de faire fonctionner les mécanismes ainsi créés.
Il en va de même pour l'action 20 du programme 134, qui permettait à Bpifrance de financer l'activité de garantie des prêts bancaires et bénéficiait surtout aux très petites entreprises, notamment à celles du secteur du tourisme qui peinent à lever du crédit bancaire, comme dans le domaine de l'hôtellerie familiale et indépendante. Dans ce cas, 39,8 millions d'euros ont été supprimés, alors qu'entre 2013 et 2016, grâce à cette activité, Bpifrance a contribué à mobiliser 24,2 milliards d'euros de financement soutenant près de 640 000 emplois.
Il s'agit par ces exemples de montrer qu'il y a, selon moi, un manque d'intérêt patent de l'État en matière d'aménagement et de structuration de l'offre touristique.
Bien que le comité interministériel du tourisme ait validé un certain nombre d'expérimentations en matière notamment d'hébergement – un domaine dans lequel nous devons progresser –, je souhaite vivement que les résultats soient plus que cosmétiques. En effet, nos stations de montagne et de littoral luttent comme elles le peuvent pour trouver les moyens de répondre à ce que l'on appelle couramment le phénomène des « lits froids et volets clos », ces lits qui ne sont occupés que deux ou trois semaines par an parce qu'ils se situent dans des résidences souvent vieillissantes et que leurs propriétaires ne souhaitent plus les louer. Or, c'est tout le modèle économique des communes touristiques concernées qui est en jeu.
Tous les acteurs de terrain savent que sans levier ou contrainte fiscale, il n'est pas possible de résoudre le problème des « lits froids », pourtant au coeur de la compétitivité de nos stations. J'ai donc déposé des amendements d'incitation fiscale pour que les propriétaires rénovent leur bien en contrepartie d'une mise en location pendant au moins huit semaines en haute saison, et pour repenser le modèle de résidence de tourisme afin que les nouveaux hébergements soient durablement marchands. J'ai bien compris que Bercy ne semblait pas favorable à de nouvelles dépenses fiscales et j'en suis tout à fait consciente, mais il s'agit là d'un enjeu d'intérêt général au coeur de toute une économie, sur lequel nous restons à ce jour et depuis longtemps sans aucune solution et alors que nous nous heurtons à de multiples contraintes – réduction des droits à construire, préservation du foncier. Le Gouvernement doit se saisir de cette question au-delà d'études supplémentaires et d'ingénierie – dont nous disposons déjà pour l'essentiel – et qu'il obtienne des résultats concrets ! Le Premier ministre avait annoncé en janvier dernier, en Savoie, la création d'une mission d'inspection interministérielle chargée d'examiner « des mesures incitatives fiscales soit positives soit plus pénalisantes » pour faciliter la remise en location de ces biens. J'aimerais vraiment que nous trouvions des solutions concernant l'aménagement du territoire et la structuration et la qualité de notre offre pour que la France reste attractive à long terme, ce que nous souhaitons tous.
Je précise que je rapporte ce budget depuis l'année dernière et que je suis également rapporteur permanent sur l'AEFE, ce qui m'a permis d'approfondir mon examen de ce programme. Mon intervention portera sur trois points : le pilotage, la révolution numérique et la gestion des ressources du ministère.
Le pilotage, tout d'abord. Nous hésitons encore sur les termes à employer pour définir la diplomatie d'influence ou diplomatie culturelle. À mon sens, la meilleure formule qui lui correspond le mieux est celle-ci : la présence active de la France, des Français et des francophiles à l'étranger. Comme l'a rappelé le rapporteur spécial, la diplomatie française repose non seulement sur des diplomates et des forces consulaires mais aussi sur trois réseaux : la diplomatie économique, le réseau éducatif et le réseau culturel. Ces réseaux ont la particularité de ne plus être des réseaux d'État. L'intervention de l'État, en effet, y est minime : la subvention à l'AEFE s'élève à 300 millions d'euros, et l'État consacre en tout 400 millions d'euros à un réseau de 500 lycées dont le budget total serait de l'ordre de 2,3 milliards d'euros – le reliquat de ce financement provenant de partenaires extérieurs. Quant à l'agence Atout France, elle se heurte à une difficulté considérable. Elle est parvenue à devenir une plateforme où l'État rencontre ses autres partenaires, et c'est pourquoi nous avons besoin d'opérateurs.
S'agissant de la révolution numérique, je vous renvoie à mon rapport car il y aurait trop à dire, mais j'estime que nous passons à côté de la révolution numérique dans le domaine de la diplomatie culturelle.
Troisièmement, je me suis plongé dans le titre II du programme 185 qui représente 74 millions d'euros sur un total de 644 millions – ce qui fait quelque peu rêver au regard de critères ordinaires de gestion. Comme M. Ledoux, j'estime qu'il y a là un enjeu pour les nouvelles générations : nous devons rétablir la fonction de pilotage de l'ambassadeur en rendant à ce métier son caractère généraliste. L'ambassadeur doit être capable d'accepter le partenariat – ce qui est peu habituel dans la diplomatie française – et de s'en faire un spécialiste. Sur les cinq cents lycées français, près de trois cents ne coûtent rien à la France, puisqu'ils sont privés, mais rapportent à l'État puisqu'ils cotisent au sein du réseau. Homologués par l'éducation nationale, ils sont inspectés comme les autres. Or, ce type de gestion n'est pas encore familier parmi les spécialistes du partenariat que devraient devenir nos ambassadeurs.
Il existe en revanche d'autres domaines de spécialisation où il est préférable de ne pas mettre les ambassadeurs en avant. La commission des affaires étrangères s'est par exemple saisie de la question des chercheurs qui consacrent une partie de leur temps à rechercher des financements alors même que la recherche de financements est un métier à part entière. Le principal succès de l'opérateur Expertise France tient au fait qu'il est parvenu à produire des effets de levier considérables : son budget s'élève à 200 millions d'euros pour 20 millions d'euros de ressources publiques seulement. Les instituts français seront désormais concernés par cet effet de levier. Nous avons là de grandes réformes à faire, qui sont déjà en cours.
Je déposerai en séance deux amendements. Le premier vise à améliorer la gestion des aides à la scolarité : les bourses existantes sont performantes mais ne sont pas toujours utilisées dans leur intégralité, et il serait possible d'en tirer parti pour aider à scolariser les enfants des agents locaux et fonctionnaires à l'étranger dans les lycées français. Le second amendement, plus technique, vise à exclure de la comptabilisation des ETP les agents en situation de disponibilité pour convenance personnelle, par exemple lorsqu'ils mettent fin à leur contrat avec l'éducation nationale parce qu'ils décident, au terme de leurs trois années d'exercice, de rester dans le pays où ils sont en poste, notamment lorsqu'ils s'y sont mariés, en signant un contrat local.
Je remercie les rapporteurs spéciaux et le rapporteur pour avis pour la qualité de leurs travaux très instructifs. Je note les ponctions budgétaires imposées au ministère des affaires étrangères, dont les crédits ont diminué de 12 % entre 2007 et 2017. À cela s'ajoute le fait que ce ministère consent à lui seul 8 % de l'effort de réduction budgétaire alors qu'il n'emploie que 0,5 % des effectifs de l'État. En proportion, c'est donc un effort conséquent. Nous ne pourrons pas nous glorifier éternellement de la qualité de notre réseau si nous l'amputons régulièrement de la sorte.
Le transfert des postes d'expatriés vers l'emploi local constitue certes une économie mais présente également un risque, en particulier dans les organisations consulaires où s'exercent des pressions – voire des actes de corruption – pour l'obtention de tel ou tel titre. La qualité et la régularité du service peuvent ainsi être mises en difficulté, comme cela a été constaté dans un certain nombre de consulats et d'ambassades.
Enfin, pour ce qui est du patrimoine immobilier, il me semble que nous avons atteint un maximum. La tendance se poursuivra-t-elle ? Nous avons déjà aliéné certaines de nos plus belles et grandes ambassades. Nous nous prévalons de paroles mais, au fond, nous assistons à un recul.
En effet, monsieur Le Fur, il faut être modérément optimiste mais il faut l'être tout de même ! Notre diplomatie est formidable. Elle a su faire la preuve de sa capacité d'adaptation depuis plus de quinze ans. Elle a bien compris les grands enjeux et a bien pris à son compte notre commande politique, c'est-à-dire le maintien de l'universalité de notre diplomatie, qui diffère selon le format des postes mais qui demeure un réseau très puissant – le troisième du monde.
Disons le troisième. Vous avez raison : il existe des motifs d'inquiétude, mais nous pouvons aussi être optimistes. La réforme, en effet, se poursuit, pas toujours au détriment des postes comptables mais en tirant parti de l'inventivité et de ressorts nouveaux. Elle ne pourra toutefois pas se poursuivre éternellement si nous voulons conserver le périmètre d'action actuel.
Il est vrai que l'on ne saurait transformer tous les postes d'expatriés en emplois locaux – certaines choses ne sont pas transformables ; d'autres le sont. S'agissant de l'AEFE, l'éducation nationale manifeste une réelle volonté, par la voix du ministre, de réduire en temps les contrats des nouveaux expatriés – qui seraient de deux fois trois ans, ai-je entendu dire – afin de favoriser une mobilité internationale qui n'existe pas aujourd'hui. La carte actuelle des expatriés est surtout européenne. Or, la commande politique de l'État consiste à orienter notre attention vers le continent Sud ; il faudra pour ce faire inciter les expatriés à se répartir de manière plus fluide dans le monde.
En ce qui concerne le patrimoine immobilier, M. Le Fur a raison : il n'y aura plus de grandes ventes. Ces dernières années, les ventes de montants très élevés concernaient un appartement de qualité à New York ainsi que des locaux d'ambassade à Kuala Lumpur, et nous n'avons plus grand-chose à vendre ! Nous allons rapatrier au ministère des affaires étrangères près de 220 appartements qui proviennent de l'armée et du Trésor. C'est un patrimoine en bon état car l'armée et le Trésor entretiennent les bâtiments, mais nous ne pourrons pas non plus tout vendre, car il faut bien loger les fonctionnaires. Nous devrons donc définir une stratégie concernant ce nouveau parc que nous réintégrons.
C'est une bonne chose, cependant. M. Petit a évoqué la notion de pilotage. Il est important, en effet, que l'ambassadeur soit le chef d'orchestre – ce qu'il est sur le plan juridique et technique. La mutualisation des fonctions support lui donne davantage de puissance et lui permet d'organiser lui-même ses propres ressources en fonction de la feuille de route confiée par l'État. Nous l'avons tous constaté au fil de nos visites d'ambassades : il est important de pouvoir compter sur un chef de projet clairement identifié. Certains disent que nous sommes à l'os et de fait, nous ne pouvons aller plus loin que là où nous sommes.
Mme Bonnivard a évoqué la suppression de la ligne budgétaire consacrée au tourisme dans la mission « Économie », en particulier les crédits alloués à DATAtourisme. Cette suppression est-elle avérée dès cette année et est-il certain que les fonds n'ont pas été transférés ?
S'agissant des crédits de la DGE, qui pilotait de manière assez cohérente la politique touristique sous l'angle économique, les moyens consacrés à DATAtourisme sont en effet supprimés. En revanche, il semble, sous réserve de confirmation, que DATAtourisme passe sous la tutelle du ministre chargé du numérique. Si tel est le cas, ce serait un moindre mal qui, cependant, noierait davantage la spécificité des outils touristiques que la DGE a mis au point, qu'elle maîtrise et qui commencent à monter en puissance, en lien avec les territoires, puisque cette direction possède désormais une expertise historique. On diluerait ainsi encore plus les outils dont dispose le Gouvernement pour piloter une politique touristique cohérente.
La commission en vient à l'examen des amendements
Article 39 et état B
La commission examine l'amendement II-CF224 de la rapporteure spéciale.
Cet amendement ne coûte rien. Il vise à aider le Gouvernement à donner davantage de visibilité à sa politique touristique pour qu'enfin, le mot « tourisme » apparaisse dans le budget. Le budget d'Atout France correspond à une action au sein du programme Diplomatie culturelle et d'influence, où il se trouve quelque peu noyé. Sans augmenter le montant total des crédits, l'objectif est de créer un programme Développement du tourisme qui contiendrait les autorisations d'engagement et les crédits de paiement de l'opérateur Atout France. Cela donnerait davantage de visibilité à nos concitoyens quant à la politique touristique et permettrait au Gouvernement de consacrer une ligne budgétaire à part entière au développement du tourisme.
Quoi qu'il en soit, vous posiez déjà la question dans les mêmes termes à l'époque et M. Jean-Baptiste Lemoyne vous avait répondu. Vous proposez de transférer 35 millions d'euros ; sur ce montant, 2,4 millions sont consacrés à l'Exposition universelle de Dubaï – qui seraient du même coup intégrés à la ligne relative au développement du tourisme. Ne serait-il pas plus opportun de distinguer ces 2,4 millions du reste en les maintenant dans les crédits consacrés à la diplomatie culturelle et d'influence ?
En outre, quitte à créer un nouveau programme, ne serait-il pas utile d'y englober non seulement DATAtourisme mais aussi tout ce qui a trait au tourisme, afin de prendre une mesure cohérente ? Votre proposition va dans le bon sens et favoriserait l'objectif à atteindre de 100 millions de touristes supplémentaires d'ici à 2020 mais mieux vaudrait une ligne budgétaire complète et, en attendant, suivre la proposition que vous a faite M. Lemoyne.
Je regrette que les avancées de bon sens aient du mal à être entendues. J'aurais souhaité qu'il soit possible de créer un programme distinct chevauchant plusieurs missions mais la loi organique relative aux lois de finances ne le permet pas. De ce fait, il est hélas impossible de créer un programme recouvrant les crédits de la DGE, par exemple. Je propose donc un premier pas permettant de créer un programme qui correspond à une priorité du Gouvernement, à savoir l'attractivité touristique de la France, puisque cette compétence relève du ministère des affaires étrangères, et de donner ainsi davantage de visibilité sur le tourisme au Gouvernement.
Des avancées ont-elles été réalisées de ce point de vue avec le ministère depuis la réponse que vous a faite l'an dernier M. Lemoyne, qui suggérait notamment d'utiliser le « jaune » budgétaire ?
Le « jaune » est un document d'information budgétaire. En l'occurrence, cet amendement porte sur l'architecture budgétaire. Je n'ai pas connaissance d'avancées significatives concernant le « jaune » mais, encore une fois, il me semble essentiel de mieux identifier le développement touristique dans l'architecture budgétaire.
La commission rejette l'amendement.
Quel est l'avis des rapporteurs spéciaux sur les crédits de la mission Action extérieure de l'État ?
Les propos du rapporteur spécial reflètent la volonté de réforme qu'a le Gouvernement et la nécessité de réfléchir par zone géographique : il faut par exemple répondre aux besoins en Chine. Les crédits tels qu'ils sont proposés répondent à cette problématique. D'autre part, les crédits des alliances françaises sont maintenus. J'ai entendu vos propos, monsieur le rapporteur spécial, sur le fait que la diminution des crédits a d'abord suscité une certaine émotion avant de lancer une dynamique qui permet de se repenser, alors même que le Président de la République défend la Francophonie haut et fort. Le groupe La République en Marche votera donc en faveur de ces crédits.
J'entends, madame Bonnivard, la nécessité de donner plus de lisibilité aux crédits du tourisme. Entre le « jaune » et la ligne budgétaire, sans doute n'avons-nous pas encore trouvé la solution la plus adaptée. Nous devons y travailler collectivement tant nous savons combien il est important que la France reste attractive et que nous disposions d'outils performants. Quoi qu'il en soit, je le répète, le groupe La République en Marche votera en faveur de ces crédits.
La commission adopte les crédits de la mission Action extérieure de l'État, non modifiés.
La commission en vient à l'examen des crédits de la mission Aide publique au développement, et de l'article 72, rattaché, ainsi que des crédits du compte spécial Prêts à des États étrangers (M. Marc Le Fur, rapporteur spécial).
Ce budget marque une rupture après des années de baisse de l'effort français en matière d'aide au développement durant la présidence de François Hollande, passé de 0,45 % du revenu national en 2012 à 0,38 % en 2016 en crédits de paiement. Il s'agit désormais de renouveler un outil essentiel à l'influence internationale de la France. Cette loi de finances est la première étape d'un effort conséquent demandé aux finances publiques. Pour atteindre l'objectif des 0,55 % fixé par le Président de la République en 2022, les crédits doivent encore augmenter de 6 milliards d'euros par rapport à 2016.
La mission Aide publique au développement est concernée au premier chef. Elle est composée de deux programmes : le programme 110 Aide économique et financière au développement, piloté par la direction générale du Trésor, et le programme 209 Solidarité à l'égard des pays en développement, piloté par la direction générale de la mondialisation du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
Avant d'aborder l'évolution des crédits, notons que la structure budgétaire de l'aide publique au développement française est complexe : les crédits sont répartis entre vingt-quatre programmes budgétaires, dans treize missions, gérées par quatorze ministères et une agence. S'y ajoutent des crédits extrabudgétaires. L'objectif de 0,55 % inclut l'ensemble de ces moyens. La mission Aide publique au développement ne représente qu'un quart de l'aide publique française – la moitié en incluant les prêts de l'Agence française de développement (AFD).
Le constat de complexité est partagé par notre collègue Berville, auteur d'un rapport demandé par le Gouvernement sur la rénovation de l'aide publique au développement, et par nos collègues Kokouendo et Poletti, membres de la commission des affaires étrangères.
Dans ce contexte, le projet de loi de finances pour 2019 traduit les nouveaux objectifs du Gouvernement : il prévoit une hausse des autorisations d'engagement de 1,83 milliard d'euros, soit une progression de 68,40 % par rapport à 2018 – sans équivalent dans le budget de l'État. L'essentiel de cette progression porte sur le programme 209 du ministère des affaires étrangères.
Les crédits de paiement progressent moins vite, d'environ 15 % pour l'ensemble de la mission, soit une hausse de 397 millions d'euros. Certains dénoncent donc une hausse en trompe-l'oeil des crédits de l'aide publique au développement, notamment ce milliard supplémentaire annoncé par le Gouvernement. Je ne m'associe pas à ces critiques : les projets en matière d'aide au développement demandent du temps, ce qui explique le décalage entre les montants d'engagement et de paiement.
Les priorités sont clairement définies. En premier lieu, la France doit aider davantage les pays qu'elle juge prioritaires – les cinq pays du Sahel et les dix-neuf pays les plus pauvres. Jusqu'à présent, ces priorités étaient assez peu respectées. Nous publierons en annexe du rapport le classement des pays les plus aidés. Parmi les dix pays les plus aidés, seuls deux pays font actuellement partie des « prioritaires » : le Cameroun et l'Éthiopie. On aide beaucoup plus la Chine, la Turquie ou l'Égypte, qui ne sont pourtant pas considérés comme prioritaires...
En seconde lieu, l'aide bilatérale doit être privilégiée. Je souscris à ce choix. L'aide bilatérale progressera plus vite que le total des crédits de la mission : 2,13 milliards d'euros, contre 1,83 milliard en autorisations d'engagement. Ce rééquilibrage est à saluer car il nous permettra de nous rapprocher de la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques, où l'aide bilatérale représente 74 %, alors qu'elle n'était que de 58 % en France en 2017.
Au total, les orientations données par le Gouvernement à l'aide publique au développement, reprenant les réflexions de nos collègues, ont pris le bon chemin. Plusieurs sujets m'inquiètent néanmoins. Certes, l'effort financier est conséquent, réorienté vers les pays prioritaires et la part du don est renforcée. Mais cet effort important demandé à la Nation doit s'accompagner de trois sortes de contreparties.
Tout d'abord, la maîtrise des flux migratoires : on ne peut pas aider des pays qui, en retour, sont réticents à accueillir leurs propres ressortissants quand nous les renvoyons chez eux. C'est un sujet sérieux, notamment avec certains pays de la bande sahélienne. Il va sans doute falloir être plus clair à leur égard.
Il n'est également pas tolérable que l'aide française, qui va très sensiblement augmenter, finance des entreprises étrangères dont certaines n'ont pas nos exigences en matière de responsabilité sociale et de transparence. Ce serait paradoxal. Nous demanderons à l'AFD d'y être particulièrement attentive.
En dernier lieu, une meilleure évaluation des projets va devenir indispensable. La montée en puissance des demandes d'aides, du fait de la hausse des crédits, ne doit pas conduire à les accepter tous.
Pour conclure, l'engagement du Président de la République se traduit très concrètement en termes d'autorisations d'engagement, même si ce n'est pas encore – et logiquement – le cas en termes de crédits de paiement. Les priorités sont réaffirmées et le soutien aux organisations non gouvernementales renforcé dans les pays concernés. Je suis donc favorable à l'adoption de ces crédits.
Je vous remercie pour ces explications, qui soulignent la belle progression réalisée depuis l'année dernière.
Je salue la qualité du rapport de notre collègue Marc Le Fur, qui connaît bien ce sujet sur lequel il travaille depuis de très nombreuses années. Ce rendez-vous est important pour la France et pour nous : allons-nous enfin être à la hauteur des engagements pris depuis des décennies, alors que les objectifs n'ont jusqu'à maintenant jamais été atteints ? J'espère qu'au terme de cette mandature, nous, parlementaires, pourrons nous enorgueillir d'avoir contribué à tenir la promesse de notre exécutif. Nous ne devons pas lâcher la bride.
Je suis d'accord avec vous, monsieur Le Fur, nous avons enfin compris que le vieux logiciel de l'aide publique au développement était périmé et qu'il fallait revisiter nos procédures. Nous ne parlons pas ce soir de boîtes de petits pois, mais de populations qui ont besoin de nous, dans le cadre d'un contrat gagnant-gagnant. Nous ne sommes pas là pour leur faire la charité, mais pour les soutenir, alors qu'elles sont souvent dans une situation paradoxale : ainsi, en Afrique, la croissance est là mais elle n'est pas suffisamment inclusive pour profiter véritablement aux populations.
De même, nos priorités géographiques sont bienvenues. C'est une amélioration.
Vous avez évoqué l'évaluation. Il faut bien sûr évaluer, tout en privilégiant les dons, qui l'étaient insuffisamment jusqu'à présent. La reconnaissance de l'importance du bilatéralisme est essentielle : ce dialogue de peuple à peuple nous permet d'évoquer les sujets qui fâchent. Pour autant, je suis gêné quand vous évoquez la conditionnalité de l'aide publique au développement. Tout n'est pas conditionnable... La fierté et la dignité de certains peuples passent aussi par la reconnaissance de leur autonomie politique. Nous pouvons discuter en bonne intelligence de la gestion des flux migratoires. J'en parle d'autant plus ouvertement que j'ai accompagné le Président de la République au Nigeria. Son discours a été particulièrement clair, totalement décomplexé, puisqu'il a même abordé la question démographique face aux populations locales. Il est jeune, a compris ce qui se passe ; il n'est plus dans le passé mais se projette dans l'avenir.
Certains estiment que nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs, que nous usons d'artifices comptables. Mais nous devons y arriver ! Nous devons montrer notre volonté d'accompagner cette conduite du changement, notamment avec l'AFD, notre principal opérateur. Les bons messages doivent être transmis aux bonnes personnes. Je souhaite une réussite pleine et entière de ce pan de notre politique étrangère, qui n'épuise certes pas nos relations, notamment avec le continent africain, mais constitue une part extrêmement importante de notre action internationale.
Je vous remercie pour cette présentation. Au-delà des moyens, le Président de la République l'a rappelé lors de son discours à la Conférence des ambassadeurs et des ambassadrices à la fin de l'été, ce sont les méthodes de travail que nous souhaitons renouveler : nouvelle gouvernance grâce au Conseil national pour le développement et la solidarité internationale, rapport d'Hervé Berville proposant de nouveaux modes de fonctionnement, rôle crucial des ambassades avec le renforcement des aides qu'elles pourront verser localement.
Ma question portera sur l'idée de projet de loi d'orientation et de programmation, à laquelle le Président de la République a apporté son soutien. Un tel projet de loi permettrait entériner la nouvelle trajectoire d'aide de notre politique de coopération internationale. Cela nous aiderait-il et à quelle échéance faudrait-il l'examiner ?
Monsieur le rapporteur spécial, je vous remercie pour la qualité de votre rapport et des informations fournies.
Nous avons déjà parlé de l'aide publique de développement lors des débats sur la première partie du projet de loi de finances il y a quelques jours. La taxe sur les transactions financières s'est à nouveau invitée dans le débat. Depuis 2012, l'harmonisation de cette taxe à l'échelle européenne est évoquée, mais les avis sont partagés. Cette semaine, nous avons encore abordé le sujet avec une délégation de la commission des finances du Bundestag. Savez-vous si ce dossier avance au niveau européen ?
Vous avez évoqué la maîtrise des flux migratoires. C'est un sujet important : il ne s'agit pas forcément de conditionner les actions engagées, mais d'en améliorer la transparence et la lisibilité. Ne pourrait-on pas légèrement conditionner notre soutien, afin de faire passer un message à certains pays et d'obtenir leur soutien sur ce point ? J'avais déjà soulevé cette question l'an passé. Je la pose à nouveau cette année.
Monsieur le rapporteur spécial, je me joins au concert de louanges sur la qualité de votre travail.
Deux sujets me semblent intéressants : le ciblage de l'aide publique au développement, fondamental si l'on veut obtenir un effet de masse ; le rôle majeur de l'AFD, souligné par tous.
Sait-on évaluer et comparer l'efficacité de l'aide bilatérale et celle de l'aide multilatérale, notamment européenne ? Au Nigeria, au Niger ou ailleurs, on le voit bien : les canaux européens sont très intéressants et d'une grande efficacité pour inciter les pays à évoluer, y compris politiquement, en contrepartie d'un appui à leurs projets de développement.
Monsieur le rapporteur spécial, je vous remercie pour cet exposé très intéressant.
Les contreparties, ou la conditionnalité que vous avez évoquée, ne me gênent pas. Nous devons être vigilants sur le respect des principes et des valeurs de la démocratie, sur le respect de l'État de droit, une justice indépendante, un libéralisme politique, la liberté de la presse. N'est-ce pas ce que l'on appelle la bonne gouvernance ?
L'Europe mène également une politique de soutien à l'égard des pays en développement : comment articuler et harmoniser les actions française et européenne ? N'y a-t-il pas un risque de recoupement ? Comment également articuler ces aides et la francophonie ? La population africaine va doubler en 2050. Le développement du continent est donc un enjeu important si l'on raisonne en termes de flux migratoires. Nous devons aider les pays africains à se développer et à prospérer, dans la stabilité politique et la sécurité. C'est leur intérêt, mais également le nôtre.
Mes collègues, qui ont une grande expérience personnelle de ce sujet, m'ont posé beaucoup de questions !
C'est une évidence, nous avons changé d'époque : avec 1 milliard d'euros en autorisations d'engagement, nous nous donnons les moyens d'atteindre l'objectif de 0,55 % en 2022. Y arrivera-t-on ? C'est tout l'enjeu, mais nous ne pouvons pour le moment faire de procès d'intention à quiconque.
Il faut effectivement transcrire ces données budgétaires en objectifs que le Parlement devra voter au cours de la mandature. Au vu des moyens investis, le Parlement ne peut se cantonner à une discussion budgétaire de quelques minutes ou de quelques heures. C'était d'ailleurs une des propositions du rapport Berville.
Concernant la taxe sur les transactions financières, c'est le pire moment pour en parler car les grandes capitales européennes « se disputent » l'héritage du Brexit. Nous ne pourrons donc pas progresser sur le sujet. Quand le Brexit aura eu lieu, que chacun aura pris sa part des activités de Londres – Düsseldorf, Paris, Bruxelles ou d'autres villes – et que la situation sera stabilisée, nous pourrons en débattre. L'Allemagne s'y oppose pour le moment et n'évoluera probablement pas avant trois à cinq ans.
Concernant l'immigration, le Président de la République en parle on ne peut plus clairement ! En effet, vous ne pouvez pas demander aux Français un effort considérable – 6 milliards d'euros en plus – sans traduction en termes de politique migratoire ! Quelles que soient nos sensibilités politiques, nous savons tous que c'est l'obsession de nombre de nos compatriotes. Nous devons donc être cohérents.
Monsieur Labaronne, certes, on parle actuellement moins des autres conditions que vous avez évoquées, mais cela ne me trouble pas, car je crains que la gauche n'en ait beaucoup parlé par le passé pour se désengager de l'Afrique. Cela redevient notre priorité. Or on ne peut avoir le même degré d'exigence à l'égard de certains États, qui n'existent que sur la moitié de leur territoire, que d'autres, moins fragiles. Dans le cas du Mali, l'État central contrôle entre un gros tiers et une petite moitié du territoire. On doit conserver ces exigences, mais à la condition de les relativiser dans le temps et dans l'espace.
La priorité réaffirmée vers l'Afrique va de pair avec la francophonie, mais nous ne devons pas non plus oublier certains pays d'expression anglaise de la zone, notamment ceux qui sont des puissances en devenir et une chance pour l'Afrique, comme l'Éthiopie.
Pour conclure, je regrette que nous ne disposions pas à ce stade de documents essentiels, en particulier de politique transversale. Nous sommes des militants de la loi organique relative aux lois de finances mais encore faut-il que nous disposions des informations qu'exige cette loi ! Or ce n'est pas le cas à ce stade.
Je vous remercie pour ces explications.
Nous pouvons effectivement débattre de la conditionnalité des aides. En tout cas, nous devons être intraitables sur la corruption, dont le niveau dans certains États rend complètement inefficace notre action et entretient un système néfaste.
Je le redis, cette conditionnalité me gêne, mais nous pourrons en débattre, tout comme de « l'obsession » des Français sur l'immigration. Passez-moi l'expression, mais remettons l'église au milieu du village ! Les Africains ne sont en train d'envahir ni la France, ni l'Europe, contrairement à ce que certains nous font croire en jouant aux apprentis sorciers. C'est extrêmement dangereux.
Les Africains migrent essentiellement sur le continent africain : 70 % des migrations africaines sont réalisées à l'intérieur même du continent. Cela ne nous exonère pas d'une forme de responsabilité vis-à-vis de ceux qui veulent passer coûte que coûte. Souvent, d'ailleurs, ce ne sont pas les plus pauvres ; ils s'inscrivent dans une stratégie familiale, sont souvent diplômés et ont un peu d'argent pour tenter d'arriver en Europe.
L'aide au développement doit impérativement être déconnectée de la problématique des flux migratoires, au risque d'amalgames douteux. Au contraire, il est de notre devoir de rétablir la vérité des faits auprès de nos concitoyens : rassurez-vous, tous les chiffres tendent à démontrer que notre population ne connaîtra aucun changement majeur lié à la démographie africaine au cours des trente prochaines années.
Je félicite le rapporteur spécial pour son travail remarquable et remercie mon collègue Vincent Ledoux pour ses commentaires éclairés.
Vous avez évoqué le Brexit : aura-t-il des conséquences sur les aides et le fonds de développement européens ? Au-delà de l'aide au développement, nos autres politiques nationale et européenne ont-elles un impact sur le développement économique de ces pays ?
Vous parlez de conditionnalité des aides. Cela me surprend car les pays concernés font surtout appel à de l'expertise institutionnelle – et non au soutien financier de l'AFD. Ils souhaitent renforcer leurs institutions et encadrer leurs marchés ou mieux contrôler leurs frontières grâce à la biométrie. Dans les pays concernés, quelle est la part de l'aide technique par rapport à l'aide purement financière ?
L'aide technique est souvent basique. Ainsi, dans les pays francophones, certains instituteurs ne maîtrisent pas la langue française...
Vous m'interrogez sur l'articulation des aides européenne et française. J'ai pu le constater dans certains pays africains, la coordination est efficace et il n'y a ni concurrence ni opposition. S'agissant d'autres fonds, je ne serai pas aussi affirmatif – on a souvent affaire à de grosses machines. Je m'y pencherai au fur et à mesure de mes rapports.
Avec le Brexit, les Anglais vont réduire leur aide au développement. Actuellement, nous sommes derrière les Anglais, les Turcs et à peu près tout le monde en termes d'aides directes, même en comptabilisant nos propres zones de souveraineté ! L'effort n'est donc pas illégitime. Mais, monsieur Ledoux, on ne peut pas demander un effort aussi considérable à nos compatriotes – le plus gros effort de ce budget – et laisser certains pays refuser d'accueillir leurs ressortissants lorsqu'on les expulse. C'est le cas des Maliens, alors que les Nigériens ont progressé en la matière. C'est donc la preuve qu'on peut progresser !
Article 39 et état B
La commission, suivant l'avis favorable du rapporteur spécial, adopte les crédits de la mission Aide publique au développement, non modifiés.
Article 72 : Souscription à l'augmentation de capital de la Banque mondiale
La commission adopte l'article.
Article 41 et état D
Suivant l'avis favorable du rapporteur spécial, la commission adopte les crédits du compte spécial Prêts à des États étrangers, non modifiés.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 21 heures
Présents. – Mme Émilie Bonnivard, Mme Émilie Cariou, M. Michel Castellani, Mme Dominique David, M. Benjamin Dirx, Mme Stella Dupont, M. Olivier Gaillard, Mme Perrine Goulet, M. Romain Grau, M. Alexandre Holroyd, M. Daniel Labaronne, M. Michel Lauzzana, M. Vincent Ledoux, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, Mme Marie-Ange Magne, Mme Cendra Motin, Mme Bénédicte Peyrol, M. Xavier Roseren
Excusés. – M. Joël Giraud, Mme Valérie Rabault, M. Olivier Serva, M. Benoit Simian, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth
Assistait également à la réunion. – M. Frédéric Petit
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