La séance est ouverte à seize heures cinquante.
L'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) rassemble la quasi-totalité des entreprises traditionnellement appelées « fournisseurs alternatifs » sur les marchés de l'électricité et du gaz.
Cette représentation conduite par Mme Naima Idir, directrice des affaires réglementaires et institutionnelles d'ENI Gas and Power France, comprend M. Emmanuel Soulias, président d'Enercoop, M. Vincent Maillard, directeur général de Plüm Énergie et M. Fabien Choné, directeur général délégué de Direct Énergie, que nous connaissons bien car il a souvent été auditionné par le Parlement. Il est d'ailleurs un précurseur concernant l'ouverture du marché électrique français puisqu'il a cofondé, il y a plus de quinze ans, Direct Énergie, un acteur désormais racheté par le groupe Total. Vous êtes donc une partie du total !
L'ouverture du marché de l'énergie est une donnée désormais établie en France, puisque dans les dix ans qui ont suivi 2007, les fournisseurs alternatifs avaient conquis près de 25 % des parts de marché des particuliers et 40 % des parts du marché des professionnels.
Le marché du gaz suit une même tendance. Vous nous en préciserez les parts de marché. Il est également intéressant de noter que EDF, producteur et fournisseur historique d'électricité, fournit désormais du gaz à plus de 1,5 million de clients résidentiels. Pour sa part, Engie, héritier de GDF-Suez, joue désormais un rôle non négligeable sur le marché de l'électricité.
Les dérégulations du marché de l'électricité et du gaz restent cependant foncièrement distinctes : le marché du gaz, par exemple, n'est pas régi par un dispositif comparable à celui de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (ARENH), créé par la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME), sur laquelle nous avons travaillé ce matin.
Ce sytème de l'ARENH confère un droit de tirage à prix garantis aux fournisseurs alternatifs sur une partie de la production d'EDF – droit de tirage certes plafonné dans ses volumes mais qui autorise aux fournisseurs alternatifs une latitude favorable dès lors que les prix, qualifiés de « spots », dépassent les 43 euros du mégawattheure (MWh).
Je ne doute pas que vous nous ferez part de vos arguments concernant votre revendication de relever ou peut-être d'abaisser – surprenez-nous ! – le plafond de l'ARENH.
L'ANODE est également en pointe dans la critique du dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE), du moins tel que mis en place, au titre de sa quatrième période, à la suite d'une décision du ministre de l'époque, Mme Ségolène Royal.
La commission d'enquête a pu comprendre que les CEE pèsent désormais de façon sensible – cela reste encore à quantifier – sur les factures d'énergie des ménages.
Quelles sont vos observations sur ce dispositif depuis son élargissement ? D'autres fournisseurs d'énergie, comme l'Union française des industries pétrolières (UFIP), nous ont parlé des difficultés qu'ils rencontrent pour gérer ces certificats d'économie d'énergie. Vous en profiterez peut-être pour nous expliquer comment vous gérez ce dispositif, si vous faites appel à des prestataires spécialisés et si vous craignez un marché spéculatif des CEE.
Enfin, il semble utile à la commission d'enquête de savoir comment certains fournisseurs peuvent proposer des offres d'énergies « vertes » ou encore « 100 % renouvelables ». C'est le cas de la société Enercoop, ici représentée, et qui se conçoit comme « un acteur militant, de statut coopératif », ou encore de Plüm Énergie, également représentée.
La question que nous nous posons donc est celle-ci : quelles garanties et quels contrôles permettent de vérifier la réalité et la permanence de ces fournitures d'énergie « verte » puisque, notamment en matière d'électricité, les sources d'énergie sont mélangées ?
Madame, messieurs, nous allons d'abord vous entendre sous la forme d'un exposé liminaire de quinze minutes. Il vous est loisible de vous répartir ce temps de la manière que vous désirez – un peu comme sur le marché de l'électricité ou du gaz ! Ensuite, nous passerons aux questions. En sa qualité de rapporteure, Mme Meynier-Millefert tirera la première ; nous céderons ensuite la parole aux autres membres de la commission. Enfin, privilège du président, je terminerai.
S'agissant d'une commission d'enquête, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment.
Mme Naima Idir, M. Emmanuel Soulias, M. Vincent Maillard, M. Fabien Choné prêtent successivement serment.
Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, nous vous remercions de votre invitation.
Je commencerai mon propos en vous présentant notre association, notre contribution sur le marché de l'énergie et notre action au titre de la transition énergétique ainsi que les propositions que nous formulons, notamment au profit de la préservation du pouvoir d'achat des Français qui est l'un des sujets qui animent votre commission.
L'association ANODE regroupe les fournisseurs alternatifs de gaz et d'électricité, plus précisément onze fournisseurs de gaz et d'électricité issus d'horizons très divers puisque, parmi nos membres, nous comptons aussi bien des filiales de grands groupes d'origine énergétique comme Total, via Direct Énergie, ou ENI, mais également des filiales d'autres groupes français qui interviennent dans d'autres secteurs comme GreenYellow, filiale du groupe Casino. Citons également Gaz Européen qui est une filiale de Butagaz. Nous comptons également des pure players, tels que Enercoop, Plüm, ekWateur, Énergie d'Ici.
Nous présentons la particularité d'offrir une grande diversité d'offres et de business models. Des fournisseurs, très ancrés dans les territoires, sont des promoteurs des énergies renouvelables (EnR) ; d'autres fournisseurs s'appuient davantage sur l'innovation en termes d'offres et de services énergétiques ; d'autres encore sont positionnés sur l'ensemble de ces thématiques. L'ANODE représente entre 80 % et 90 % de l'ensemble des consommateurs qui ont fait le choix de quitter le fournisseur historique et donc de se fournir sur le marché concurrentiel.
Concernant les apports des fournisseurs dits « alternatifs » à la concurrence et au marché de l'énergie, nous sommes l'un des seuls acteurs, pour ne pas dire le seul aujourd'hui, à faire de l'information et de la pédagogie auprès des consommateurs français. Nous faisons de la pédagogie, tout d'abord, sur la consommation en leur expliquant leur consommation, leur facture ; nous leur expliquons la possibilité qui leur est offerte depuis plus de dix ans aujourd'hui de changer de fournisseur, de changer d'offre et de trouver « chaussure à leur pied » sur le marché.
Nous sommes également – et c'est un aspect qui nous différencie le plus – l'acteur qui met en avant le facteur « innovation ». Nous développons de nouvelles offres : des offres « vertes », des offres pluriannuelles, des offres indexées, des offres à prix fixe. Nous travaillons sur des offres incitatives à la consommation qui permettent aussi bien le suivi que les effacements de la consommation.
Nous travaillons sur les services énergétiques, que ce soit l'efficacité énergétique ou l'autoconsommation. Nous considérons que nous sommes l'un des principaux vecteurs aujourd'hui de la modération des factures des Français. Vous avez eu l'occasion d'échanger avec la Commission de régulation de l'énergie (CRE). La facture d'énergie TTC a fortement augmenté ces dernières années et l'un des principaux vecteurs qui a permis de réduire et de freiner cette hausse réside dans la compétition que nous offrons sur la part liée aux fournitures.
Enfin, nous avons incité par nos offres et par notre communication les fournisseurs historiques à évoluer pour proposer des offres innovantes. Des exemples très concrets au cours de ces derniers mois en attestent. Par exemple, EDF a lancé une nouvelle marque que vous avez dû voir à la télévision, l'offre Sowee, pour tout ce qui relève de la domotique. Nous avons également lancé, pour la première fois, une offre « verte électrique » et une offre plus compétitive que les tarifs réglementés, une offre qui se situe au tarif réglementé de vente (TRV) moins 5 %. Cela a été le cas pour Engie comme pour les entreprises locales de distribution.
L'association ANODE et les entreprises alternatives contribuent fortement, en tout cas oeuvrent dans le sens de la transition énergétique, ce à plusieurs titres.
Tout d'abord en proposant une grande diversité d'offres innovantes au meilleur prix, mais également en investissant dans les énergies renouvelables et en étant le promoteur des offres vertes. Nous pourrons détailler ce point important. On constate que de plus en plus de clients y sont sensibles et y souscrivent. Cette appétence pour les offres « vertes » permet de préparer la fin des subventions aux énergies renouvelables dans quelques années. Pour ce faire, nous préparons le consommateur à payer pour bénéficier de cette offre « verte ».
Nous jouons un rôle quant à l'efficacité énergétique avec notamment le dispositif des certificats énergétiques et nous contribuons, c'est le souci des pouvoirs publics, au pouvoir d'achat des Français. À ce titre, je détaillerai nos trois principales propositions.
La première vise à garantir l'accès des consommateurs d'électricité à la production nucléaire historique compétitive. C'était l'un des principaux objectifs de la loi NOME de 2010 qui a instauré le dispositif ARENH. Malheureusement, en 2019, la demande d'ARENH a été supérieure au plafond de 100 térawattheures (TWh) et le volume disponible a été dépassé.
Je souhaiterais tordre le cou à une idée reçue selon laquelle l'ARENH ne bénéficie qu'aux fournisseurs alternatifs. Elle bénéficie bien aux consommateurs, aux clients des fournisseurs alternatifs. Sans un tel dispositif, on assisterait à une discrimination entre les consommateurs restés chez EDF au tarif réglementé et pouvant bénéficier de l'ARENH, et ceux qui se tournent vers le marché pour accéder à des offres « vertes », à des offres innovantes, et pour changer de fournisseur, lequel ne pourrait plus bénéficier de l'ARENH. Or, une telle discrimination n'était pas l'objectif de la loi NOME.
Nous considérons que le plafonnement de l'ARENH ne permet plus au consommateur final d'atteindre l'objectif d'accès et de bénéfices de la compétitivité du nucléaire historique. Cela conduit, de fait, à la hausse des prix de l'électricité pour les consommateurs, qu'ils soient en offre de marché ou au tarif réglementé. Pour redonner du pouvoir d'achat aux Français, une mesure très simple pourrait consister à intégrer, dans la prochaine loi sur l'énergie, un déplafonnement ou tout au moins une élévation du plafond de l'ARENH.
Une deuxième mesure importante concerne le dispositif des CEE, mis en place pour accompagner et inciter à l'efficacité énergétique auprès des consommateurs. Les fournisseurs d'énergie portent cette obligation de réaliser les mesures et l'accompagnement pour mettre en oeuvre les actions d'efficacité énergique.
Aujourd'hui, le dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE) traverse une phase de surchauffe. En 2016, les CEE étaient à 2 euros par MWh cumac. Selon les derniers chiffres ont été publiés par l'administration, ils sont à plus de 9 euros. Parallèlement, leur volume entre la troisième et la quatrième période a doublé. Malgré ce niveau très élevé des prix, l'ensemble des acteurs du dispositif, l'ensemble des obligés, n'atteignent que 45 % de l'obligation, plaçant l'ensemble du système en situation risquée. En effet, si à la fin de la quatrième période, fin 2020, nous n'avons pas atteint l'obligation de 1 600 TWh cumac, nous serons soumis à des pénalités de quinze euros par mégawattheure cumac. Ce coût se retrouvera sur la facture du consommateur.
Nous avons été plusieurs, aussi bien représentants des obligés que représentants des consommateurs, à avoir écrit à plusieurs reprises au ministre pour l'alerter. Dernièrement, nous lui avons demandé un allongement d'une année de la quatrième période, sans augmentation de l'obligation, afin de réduire la pression sur le dispositif et se donner légalement le temps d'un bilan pour mettre en parallèle son coût qui, selon les derniers chiffres, soit 9 euros le KWh, s'élève à plus de 4 milliards d'euros par an au regard des bénéfices pour l'ensemble de la collectivité.
Le troisième levier est fiscal. L'énergie est un secteur fortement fiscalisé. D'ailleurs, la fiscalité est l'un des principaux, voire le seul facteur de hausse du montant des factures des Français au cours des dernières années.
Quelques exemples : pour l'électricité, le poids de la fiscalité dans la facture est supérieur à un tiers. Cette proportion était historiquement un tiers « fourniture », un tiers « tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) » et un tiers « fiscalité ». Désormais, la fiscalité se rapproche progressivement des 40 %. En 2010, la contribution au service public de l'électricité (CSPE) se situait à 4,50 euros le MWh pour atteindre 22,50 euros en 2016.
Pouvez-vous nous donner une idée de la facture, pour l'électricité et pour le gaz, afin d'avoir une vue de l'évolution depuis 2010 ? Que veut dire la fin du monopole en termes d'évolution de la facture ?
Ce sont des éléments que nous vous transmettrons. Nous pouvons déjà vous dire que les tarifs hors taxes (HT) de l'électricité ont été quasiment stables ces dix dernières années pour la partie « fourniture » ; le TURPE a augmenté, mais dans une moindre proportion que les taxes qui, elles, ont fortement augmenté. La contribution au service public de l'électricité CSPE, ces dix dernières années, a suivi une hausse de plus de 70 %.
Le gaz a suivi à peu près la même évolution, puisque la taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN) était à 1,19 euro du mégawattheure en 2013 pour atteindre 8,45 euros du mégawattheure en 2018. Le taux a donc été multiplié par sept. La TIGCN est l'équivalent de la TICPE pour les carburants.
Il faut savoir que l'on souffre d'une accumulation de ces taxes. D'une part, cette taxe sur la consommation finale d'électricité ou de gaz vient s'ajouter à d'autres taxes prélevées en amont. La production d'électricité, par exemple, est elle-même soumise à l'impôt forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER). L'acheminement lui-même est assujetti à cet impôt. D'autre part, en aval, il convient d'ajouter la TVA.
Nous considérons que le levier qui consiste à jouer sur les taxes spécifiques à l'énergie est à disposition des pouvoirs publics pour limiter la hausse de l'énergie, voire pour abaisser le montant des factures et le prix pour le consommateur final. Par exemple, on peut imaginer de diminuer le niveau de la CSPE. Une telle baisse n'aurait pas d'impact sur la transition énergétique, puisque la CSPE ne sert plus au financement direct des énergies renouvelables : elle vient alimenter le budget de l'État.
Un autre levier pourrait être utilisé, celui de la TVA. Deux taux différents de TVA s'appliquent : le taux de 5,5 %, qui s'applique à l'abonnement, que ce soit pour le gaz ou l'électricité ; le taux de 20 %, qui s'applique à la part énergie et à la part consommation, là aussi pour le gaz et pour l'électricité. Pour la part « énergie, on pourrait envisager de ramener le taux de 20 % à 10 %. C'est le cas d'autres sources d'énergie, comme le bois de chauffage qui n'est taxé qu'à 10 %. Une telle baisse aurait un impact sur le budget de l'État, mais pas sur le financement de la transition énergétique. Nous avons procédé à une simulation fondée uniquement sur l'électricité. Ramener le taux de TVA à 10 % sur la part énergie permettrait de réduire le prix de l'électricité de 15 euros par MWh et coûterait environ 1,8 milliard d'euros au budget de l'État.
Il s'agit là d'une illustration chiffrée sur l'électricité.
Oui, tout à fait, mais ce calcul portait uniquement sur la partie électricité.
Voilà pour ce qui est de notre propos introductif. Nous sommes à votre écoute pour répondre à vos questions.
Merci pour cet exposé très clair.
Vous attribuez aux fournisseurs alternatifs plusieurs effets positifs pour le consommateur qui se traduisent par une transparence sur les mécanismes de l'énergie et des offres plus innovantes.
Mais derrière l'innovation, existe-t-il des gains réels pour les consommateurs ? Parfois, l'innovation peut se réduire à un joli habillage et ne pas se traduire par un vrai progrès. Je voudrais que vous développiez les gains réels pour les usagers.
Vous indiquiez que la facture d'énergie TTC a augmenté et que cette augmentation a été limitée par votre intervention sur la part fourniture. Pouvez-vous développer ce point ?
S'agissant des CEE, avez-vous des obligations ?
Les onze adhérents de l'association constituent-ils l'ensemble du secteur ?
Enfin, parmi les fournisseurs alternatifs, combien sont à la fois dans la distribution et la production ou purement dans la distribution, dans l'achat-vente de l'énergie ?
Sur l'apport à l'information des producteurs alternatifs, un des premiers travaux que nous avons dû mener auprès des consommateurs a été de leur expliquer les chaînes gazières et électriques et les rôles et responsabilités de chacun des maillons. C'était très compliqué, nous nous heurtions à une grande confusion dans la tête du consommateur sur le « Qui-fait-quoi ? », et notamment sur la différence entre le distributeur et le fournisseur. De nombreux consommateurs pensent que changer de fournisseur implique de changer son raccordement, son installation domestique, son installation électrique et son compteur.
La situation s'est améliorée avec le temps, mais il faut garder à l'esprit le point d'où l'on part. Les activités en monopole sont réalisées par des acteurs en monopole, en particulier la partie raccordement au réseau. Quel que soit le fournisseur, le client bénéficie du même service, de la même qualité de service, il n'y a aucun changement lié au changement de fournisseur.
Ensuite, nous avons effectué un travail considérable sur le thème de la consommation, sur la facture, dont la partie « contributions et taxes ». Les Français ont une très mauvaise connaissance de leur consommation. La majorité d'entre eux ignorent leur consommation annuelle et ne savent pas optimiser leur consommation. Certains d'ailleurs ne se posent pas la question de savoir si certains moments de la journée sont plus propices à la consommation, ce qui leur permettrait de réduire leur facture d'énergie.
S'ajoutent des mauvaises compréhensions de la facture, concernant notamment la part sur laquelle il est possible de jouer, l'utilisation des taxes payées, l'utilité du TURPE, nous faisons de la pédagogie, mais il est dommage que ce soit au fournisseur de le faire. Elle aurait dû être réalisée par les pouvoirs publics. Aujourd'hui, dix ans après l'ouverture du marché à la concurrence, nous sommes toujours confrontés aux mêmes questions. La crainte de changer de fournisseur demeure, alors même que les règles mises en place apportent toute sécurité au particulier, qui peut changer de fournisseur sans aucun engagement pour la suite s'il n'est pas satisfait. Il en va de même pour les tarifs réglementés, puisque la réglementation donne la possibilité au consommateur de renoncer et de revenir au tarif réglementé, sans aucune contrainte. Les conditions ont été mises en place pour permettre aux Français d'expérimenter la concurrence sans aucun risque ni contrainte, mais, dans la pratique, le passage à l'acte a été très lent, même si l'on constate une amélioration qui va de pair avec le travail de pédagogie mené.
Prenons un exemple, qui a trait à la partie innovation. La France a investi des sommes importantes pour que les distributeurs déploient des compteurs communicants autorisant la remontée d'informations précieuses sur la consommation des Français ; ces données permettent aux consommateurs de mieux maîtriser leur propre consommation. Aujourd'hui, les fournisseurs alternatifs jouent un rôle moteur dans l'utilisation et l'exploitation des données issues de ces compteurs pour faire des offres permettant d'exploiter au mieux ces nouveaux outils.
Je compléterai le panel des nouvelles offres, car beaucoup de nouveaux services sont, en effet, proposés aujourd'hui. Nos offres on line, entièrement digitales, présentent l'avantage d'être faciles d'utilisation pour les consommateurs et moins chères. Sont apparues récemment des offres week-end, des offres aux heures « super creuses » pendant la nuit, des offres spécifiques pour développer le véhicule électrique, mais aussi des offres de services pour aider les consommateurs à mieux utiliser leur chauffage électrique et leur permettre des réductions de consommation de l'ordre de 10 %. Ces résultats ont été démontrés dans le cadre de projets avec l'ADEME. Du point de vue de l'innovation, les producteurs alternatifs, malgré les difficultés économiques qu'ils ont rencontrées sur ce marché avec le « Kilo Vert », ont réussi à développer un grand nombre d'innovations que les opérateurs historiques commencent d'ailleurs à dupliquer.
Je reviens d'un mot sur la question du prix, car l'innovation et la diminution du prix sont ce que l'on attend en premier de la concurrence. On entend dire très régulièrement que la concurrence n'a pas fonctionné, puisque les factures ont augmenté. Il convient de rappeler les chiffres. Depuis 2010, la facture a augmenté d'environ 30 %. La CSPE est responsable de près des deux tiers de cette augmentation… Des hausses sont liées au TURPE, d'autres aux obligations ajoutées au fournisseur depuis la mise en place des CEE. Vous constaterez – et la CRE pourra vous livrer des chiffres très précis – que la part « fourniture », celle qui relève de la responsabilité des fournisseurs, a baissé en euros constants depuis 2010. Oui, la concurrence a fait baisser l'ensemble des prix, et pas uniquement les nôtres : également ceux proposés par des opérateurs alternatifs dans le cadre d'un tarif réglementé depuis l'ouverture du marché.
Au-delà du prix, l'enjeu réside dans la diminution de la facture et de la consommation des usagers, tant il est vrai que si nous abaissons les prix et qu'ils consomment davantage, nous aurons perdu ce qui aura été gagné au départ. L'innovation passe par là.
Nous nous sommes battus pour des offres innovantes qui poussent les clients à réduire leur consommation et qui récompensent cette baisse de consommation. Encore une fois, au-delà de la question des taxes, se pose la question de l'accès aux données.
Quel est l'historique de la consommation d'un client qui prend un abonnement chez Plüm Énergie ? Comment puis-je conseiller un client si je ne dispose que de sa consommation sur six mois alors qu'il faudrait disposer de données portant sur plusieurs années ? Nous nous battons depuis des années contre Enedis pour récupérer ces données, qui permettent de conseiller au mieux le client.
Des mesures simples pour améliorer la situation sont à prendre. Elles ne portent pas sur des taxes ou sur la création d'un nouveau système, mais sur l'accès aux données – bien sûr, avec le consentement du client. L'innovation va de pair avec un système qui la permet et qui la favorise.
Pour autant, le système concurrentiel présente des résultats. Nous donnons des récompenses à nos clients, ils sont satisfaits et réduisent leur facture.
Je formulerai un commentaire sur la notion de pure player. Nous sommes effectivement un pure player, et ce depuis le début. Il y a une échelle : on ne commence pas par construire des centrales, on commence par réussir son corps de projet qui, pour ce qui nous concerne, passe par l'économie d'énergie et le mieux-consommer.
Peut-être, un jour, adopterons-nous un modèle où nous serons producteurs ou associés à un producteur, mais il est important qu'un fournisseur qui incite son client à réduire sa consommation ne soit pas lui-même intéressé à produire. Si mon client consomme moins, j'achète moins d'énergie. Je ne perds en rien. Si je suis producteur, je deviens productiviste, en contradiction avec l'idée d'accompagner les clients dans la réduction de leur consommation.
Cela devient difficile avec les CEE. Vous incitez les usagers à ne pas consommer une énergie que vous vendez.
J'aimerais être éligible à faire valoir mon système en termes de CEE. C'est un sujet que nous aborderons. Peut-être cela permettra-t-il de résoudre certaines questions. À ce jour, le système en place fonctionne, mais n'est pas éligible au système des CEE.
J'insisterai sur un dernier point. Au-delà de la question du marché, une des spécificités françaises réside dans le besoin en pointe. Nombre de débats portent sur les mérites comparés des renouvelables et de l'European Pressurized Reactor (EPR). Ni l'une ni l'autre des deux solutions ne résolvent le problème, qui consiste à fournir la France en période de pointe. On ne construit pas des centrales nucléaires pour fonctionner mille heures par an, mais entre 6 000 et 8 000 heures. Quant aux renouvelables, elles ne participent pas toujours à l'approvisionnement en période de pointe. Mais n'exagérons pas : elles sont parfois présentes.
Réduire la consommation en pointe consiste à inciter les clients à baisser leur consommation. On ne réinvente pas la roue ! Les offres EJP ont été créées par EDF dans les années 1980, Tempo en 2000. Cette formule a été totalement abandonnée par le service public. Pourquoi ? Je pose la question, mais je n'y répondrai pas à ce stade. Je veux simplement affirmer ce que nous voulons faire en soulignant que des barrières s'y opposent. Bien des mesures sont à entreprendre pour inciter et permettre aux clients d'innover, y compris sur les offres qui incitent les clients à réduire leur consommation au moment où le système énergétique est le plus tendu et où les risques de coupure et de black-out sont les plus importants.
Tempo n'est pas supprimé, il existe encore pour les clients résidentiels.
Je reformule : vous avez posé une question en ajoutant que vous n'y répondriez pas. Je vous propose de vous poser la question afin que vous y répondiez !
L'offre « effacement des jours de pointe » (EJP) a été créée dans les années 1980, au moment où se posaient des problèmes de développement du chauffage électrique et une alimentation nucléaire qui couvrait les besoins de base. Il fallait répondre aux besoins en pointe. On a inventé un système intelligent, l'EJP, qui était une formule très novatrice.
De nombreux débats ont porté sur les avantages et les inconvénients du chauffage électrique. Personnellement, je suis un grand adversaire du chauffage électrique, qui crée des situations de pointe et de nombreux problèmes.
EDF était très favorable au chauffage électrique et l'est encore. Pour répondre à la question du chauffage électrique, il a créé Tempo, fondé sur un principe de saisonnalité, les clients payant plus en hiver qu'en été. Cette formule présentait l'avantage de refléter les coûts. Le biais, c'est que Tempo n'était pas obligatoire et n'a pas été imposé à tout le monde, avec une conséquence : EDF ne l'a pas développé. Consultez le site d'EDF et trouvez l'offre Tempo, appelez un centre-clients et voyez s'il le propose. Il faut leur poser la question. Je n'ai pas la réponse, j'ai une interprétation. Je constate simplement que la formule n'est pas favorisée.
EDF n'y a pas intérêt. Il veut toujours développer le chauffage électrique, mais il ne veut pas résoudre les périodes de pointe par la demande, il veut la traiter par l'offre. Il veut un système de capacité qui rapporte une rémunération, et non un système qui réduirait ses revenus.
Je commencerai par une question qui fâche en évoquant un article, paru le 28 septembre dernier, suite au classement par l'organisation Greenpeace des meilleurs fournisseurs d'électricité « verte ». D'une certaine façon, la réponse est dans la question, dans le sens où le classement repose sur la production d'électricité « verte ».
Selon cet article, les offres restent illisibles, même s'il existe, comme vous l'avez rappelé en préambule, une véritable attente et une volonté des consommateurs d'accéder à une énergie verte. Toujours selon cet article, Enercoop est « vraiment vert ». En bas du classement, en très mauvaise position, on trouve Direct Énergie et, à la traîne, Plüm Énergie. Pouvez-vous nous expliquer ce classement ?
Le classement se fonde sur une méthodologie déjà éprouvée dans d'autres pays, notamment la Belgique. Il retient quatre critères : quelle électricité produisent les fournisseurs pour ceux qui sont producteurs ? Quelle est leur politique d'achat d'électricité ? Quel usage font-ils des garanties d'origine ? Quels investissements et désinvestissements ont-ils effectué et quels investissements prévoient-ils ? Peut-être l'explication de ce classement tient-elle à la nature des critères.
Pouvez-nous nous éclairer sur les garanties d'origine ? L'article explique : « Les fournisseurs se contentent généralement d'acheter un certificat dit de garantie d'origine qui atteste qu'une quantité équivalente d'électricité renouvelable à celle qui a été vendue au client a bien été injectée dans le réseau d'électricité en France ou ailleurs en Europe. Cela signifie qu'un fournisseur d'offre verte peut se contenter d'acheter de l'électricité produite dans une centrale à charbon ou nucléaire du moment qu'il achète aussi un certificat Vert, critique l'ONG ». J'aimerais que vous nous éclairiez sur cet article qui est quelque peu à charge.
Monsieur Maillard, vous avez la parole. Je la donnerai ensuite à M. Choné. Quant à vous, monsieur Soulias, on vous a tressé des lauriers. Donc rester silencieux ne peut pas aggraver votre cas !
Je félicite Enercoop !
Je ne sais si vous avez lu le commentaire plutôt élogieux de Greenpeace : il considère que Plüm Énergie valorise les économies d'énergie – un élément qu'il n'a malheureusement pu intégrer dans son classement. Éventuellement, vous pourriez poser la question directement à ses représentants. Nous avons beaucoup échangé avec eux à ce sujet.
Nous avons choisi comme priorité l'économie d'énergie et l'accompagnement du consommateur. Nous n'avions pas indiqué notre priorité au moment de notre lancement. Or, ce classement porte sur Plüm Énergie au moment de son lancement. Nous comptions alors moins de mille clients – c'était vraiment le début. J'espère qu'un jour nous rejoindrons Enercoop. Et Enercoop reconnaîtra que nous pouvons faire encore mieux que ce qu'il fait aujourd'hui. Il reste encore beaucoup à faire – effectivement !
Nous contestons la méthode, notamment parce que le rachat de Direct Énergie par le groupe Total a massivement plombé sa note. Nous trouvons cela vraiment dommage parce que le groupe Direct Énergie, avant le rachat par Total – c'est encore vrai depuis le rachat – investit massivement dans les énergies renouvelables. Nous investissons plus de 200 millions d'euros dans les énergies nouvelles tous les ans, et ce depuis un moment déjà, et nous prévoyons de continuer au cours des trois ans qui viennent. Il est donc un peu dommage d'attribuer une note aussi mauvaise à un opérateur qui est aussi allant dans le domaine des énergies renouvelables.
Je trouve également dommage que, l'entreprise Direct Énergie étant devenue une filiale de Total, on considère que Direct Énergie est forcément très mauvais parce que l'on juge son action en fonction de celle du reste du groupe dans le secteur de l'énergie.
Au moment où Total décide de changer radicalement sa stratégie pour devenir un acteur responsable majeur, décarbonant significativement son activité, on continue de lui taper dessus. On considère que son activité historique ne plaide pas en sa faveur et que, de toute façon, quoi que fasse Total, il sera le dernier de la classe. C'est dommage, car c'est un très mauvais signal envoyé à ce groupe et une très mauvaise information adressée aux consommateurs qui pourraient choisir les offres « vertes » du groupe, qui fait beaucoup d'efforts pour progresser dans le sens de la transition énergétique.
J'en viens à la question des garanties d'origine, une vraie question que vous posez en de très bons termes. Le système électrique est ainsi fait que vous ne savez jamais ce que vous achetez, sauf s'il existe une ligne directe entre le producteur et le consommateur. Cela existe parfois, mais ce n'est pas une généralité en Europe. Vous achetez toujours un pot commun d'électricité que l'on appelle « grise ».
La seule manière d'aider la traçabilité de la production d'énergie renouvelable passe par la création du système des garanties d'origine. Cela ne signifie pas que le système soit parfait. En théorie, un marché qui fonctionne correctement permet un prix d'équilibre entre les garanties d'origine disponibles et les consommateurs qui sont prêts à payer un peu plus pour avoir de l'électricité réputée verte. Voilà pour la théorie. Dans les faits, cela ne marche pas très bien, parce que ces garanties d'origine émanent de l'Union européenne, alors que les réglementations, notamment en matière d'énergie verte, se décident au niveau national. Mais les énergies vertes ne sont pas seules à poser question. Pour atteindre un équilibre entre l'offre et la demande, les marchés doivent être ouverts. Il faudrait que le marché soit correctement organisé pour que le fournisseur puisse se développer loyalement et sainement, ce qui n'est pas du tout le cas en France, notamment avec la persistance des tarifs réglementés qui posent de multiples problèmes. Vous en avez débattu ce matin, peut-être y reviendra-t-on cet après-midi.
Pour l'ensemble de ces raisons, on peut critiquer le dispositif. En théorie, il peut fonctionner. Mais au lieu de critiquer le dispositif, on devrait plutôt essayer de résoudre les problématiques qui empêchent ce dispositif d'être totalement satisfaisant.
ENI Gas and Power France n'a pas été concerné par ce classement puisqu'il venait de se lancer dans la fourniture d'électricité lorsque le classement a été réalisé. Je voudrais toutefois apporter un complément qui va dans le sens du propos de M. Choné sur les garanties d'origine.
Je le dis avec conviction, critiquer les garanties d'origine est un mauvais procès qu'on leur fait, car ces garanties d'origine sont destinées à tracer la production de renouvelables. La valorisation des garanties d'origine permet aussi de réduire le coût des dispositifs de soutien. La France, après de nombreuses années, a décidé de valoriser sur le marché les garanties d'origine liées à la production des renouvelables françaises. Cette valorisation permet enfin de proposer au consommateur, de façon un peu plus massive, des offres vertes françaises, et de générer des recettes qui viendront en déduction du coût du soutien apporté aux renouvelables par la collectivité.
Il est important de maintenir un dispositif européen, puisque nous sommes dans un système énergétique et électrique européen. L'électricité ne fait pas l'objet de barrières à l'entrée ou à la sortie aux frontières. Une politique européenne est menée en faveur du développement des renouvelables. Il est important de s'assurer que nous pourrons tracer leur production de la même façon partout en Europe.
Nous considérons que le développement massif des renouvelables nécessite un dispositif de traçage comme le sont les garanties d'origine. Encore une fois, c'est un mauvais procès qui leur est fait.
Pour faire son classement, Greenpeace s'est focalisé sur un prisme unique, celui du développement des EnR, alors qu'en réalité le système concurrentiel permet d'améliorer plusieurs volets à la fois : efficacité énergétique, développement des renouvelables, baisse des coûts grâce à des offres innovantes. Est-ce bien cela ?
Oui.
Merci à toutes et à tous pour ces exposés et pour les informations livrées. Nous reconnaissons la dynamique impulsée par les fournisseurs alternatifs s'agissant des offres tarifaires, mais également de toutes les innovations, telles que l'effacement – entre autres. Je crois que nous nous accordons sur ce constat, et nous vous en remercions.
Ce matin, un débat assez long a porté sur la question de l'ARENH et particulièrement sur la construction de ce modèle, qui repose à l'origine sur trois objectifs, dont le dernier consistait à remonter la chaîne de valeur. Nous avons d'ailleurs dû nous y reprendre à plusieurs reprises, nos interventions n'étaient pas forcément comprises de prime abord.
Nous constatons que ce dispositif a échoué, puisque la remontée de la chaîne de valeur, donc la transformation ou l'investissement des fournisseurs alternatifs dans les renouvelables, n'a pas été au rendez-vous. Il s'agit d'un constat, non d'un jugement. Nous nous interrogeons aujourd'hui sur les raisons de cet état de fait.
Monsieur Maillard, vous nous avez sans doute livré une partie de la réponse en disant que telle n'était pas votre vocation première et que vous préfériez être seulement fournisseur plutôt que producteur et fournisseur. Si tel est le cas, le troisième pied de ce triptyque n'était pas l'objectif à mettre en place. Vous préférez rester fournisseur alternatif et ne pas investir sur le marché des renouvelables. Mais peut-être n'avez-vous tous simplement pas eu le temps de le faire et votre objectif sera-t-il celui-là demain. La réponse n'est pas la même pour chacun d'entre vous, les objectifs non plus. Aussi, vos réponses nous éclaireront sur l'avenir de l'ARENH.
J'ai bien entendu que vous demandiez l'augmentation de son plafond. À un moment donné, il n'a pas pu être répondu suffisamment à vos demandes. Considérez-vous aujourd'hui que ce modèle triptyque soit un bon modèle, ou faut-il le modifier et, si oui, dans quel sens ?
Je m'inscris en faux contre l'idée d'un échec de l'ARENH. Ceux qui l'affirment ont d'autres visées que celle d'analyser loyalement l'ARENH.
Trois objectifs lui étaient assignés : premièrement, la compétitivité rendue aux consommateurs. Il s'agissait d'une inquiétude au moment de la loi NOME : l'électricité nucléaire qui serait vendue aux fournisseurs serait-elle bien rendue aux consommateurs ? Tout le monde reconnaît que cela a bien fonctionné. Deuxièmement, cela allait-il permettre de développer la concurrence ? Insuffisamment, à notre goût, mais cela a permis de relancer le développement commercial de Direct Énergie. Juste avant la création de l'ARENH, la situation économique était telle que nous avions arrêté notre développement commercial. L'ARENH a permis de relancer l'activité de fourniture au détail en aval. Force est de constater que, depuis sa mise en oeuvre, le nombre de concurrents a augmenté. Ce point ne fait donc aucun doute.
Le dernier objectif était l'incitation à la production. Le fait d'être producteur peut être intéressant, peut être un droit, mais ne doit pas être une obligation. Il ne faut pas oublier que la production et la fourniture sont deux activités totalement dissociées. Je tiens à préciser une chose : la production peut soulever nombre de sujets un peu techniques et complexes de mise en oeuvre de la concurrence : autour de la spécificité du nucléaire, autour des renouvelables, qui sont des filières subventionnées, autour des concessions hydroélectriques ou encore autour de la question de la sécurité de l'approvisionnement, qui est un bien public. Tout cela fait que la concurrence dans la production est certes un peu compliquée, mais que, dans la fourniture, ce devrait être très simple et immédiatement bénéfique au consommateur, à la fois en termes de prix – même si la part fourniture dans le tarif n'est pas prépondérante –, mais également en termes d'innovation.
Dire que l'ARENH n'a pas incité les opérateurs à investir dans la production, en tout cas pour ce qui nous concerne, est radicalement faux. Grâce à l'ARENH, nous avons pu relancer notre développement commercial et lancer une stratégie d'intégration vers l'amont qui nous a permis d'atteindre plus de 800 MW de production d'énergies renouvelables. Nous investissons 200 millions d'euros dans des énergies renouvelables par an actuellement. Nous avons pu également nous lancer dans la production d'électricité à partir de gaz avec des cycles combiné gaz. Nous disposons aujourd'hui de trois cycles combinés gaz, un quatrième est en projet à Landivisiau, qui représente un investissement de 450 millions d'euros.
Ne serait-ce qu'en termes d'investissement pour les trois prochaines années, le groupe investira plus d'un milliard d'euros dans les éléments liés à la transition énergétique : le renouvelable et les cycles combinés gaz qui, grâce à leur flexibilité, garantissent la sécurité de l'approvisionnement. Tout cela est rendu possible par l'ARENH. Dès lors, affirmer que l'ARENH n'a pas fonctionné est un peu étonnant.
Qu'est-ce qui, éventuellement, n'aurait pas fonctionné dans les investissements qu'on attendait suite à la création de l'ARENH ?
S'agissant des concessions hydroélectriques, ce n'est pas à vous que je dirai, madame Battistel, pourquoi nous n'avons pas le droit d'investir dedans. J'ajoute « malheureusement » dans la mesure où nous avions des projets intéressants pour augmenter le productible des concessions en faveur de la collectivité. Je vous rappelle qu'il est prévu de rendre à la collectivité le bénéfice des concessions électriques, ce qu'on appelle la rente hydroélectrique, via une redevance, de la même manière que l'on rend l'avantage de l'ARENH au dispositif ARENH.
Il y a le nucléaire mais le nucléaire est un monopole en France. Nous ne pouvons pas investir dans le nucléaire et quand bien même le pourrions-nous, je ne suis pas certain que ce serait aisé !
Dire aujourd'hui que l'ARENH n'a pas rempli ses trois objectifs, de notre point de vue, est totalement faux. On ne peut pas entendre cela !
Mon propos n'était pas accusateur, monsieur Choné. Restons calmes. Et d'ailleurs nous ne parlions pas uniquement de Direct Énergie. Ce matin, nous dressions un constat global. Peut-être est-il erroné mais il est celui-ci : les objectifs en matière d'investissement dans la production des nouvelles énergies n'ont pas été à la hauteur des attentes de départ.
Nous voulons également étudier les éventuels freins qui n'ont pas permis d'atteindre cet objectif. Tout le monde n'est pas forcément logé à la même enseigne que Direct Énergie, qui, pour sa part, a investi dans le domaine des énergies renouvelables. Vous avez évoqué l'hydroélectricité, le nucléaire, qui est un sujet à part, mais il y a aussi les énergies renouvelables, diverses et variées. À ce titre, vous pouvez intervenir par le biais d'appels à projets ouverts à tous mais auxquels ne peuvent répondre l'ensemble des fournisseurs – je ne parle pas de Direct Énergie. Peut-être existe-t-il des freins autres ou alors il était erroné d'attendre un tel investissement de votre part au lancement du dispositif. Telle est la question que nous nous sommes posée. En partant du constat, nous nous sommes demandé si la construction de ce modèle était à l'origine d'objectifs intéressants et importants, mais peut-être n'était-ce pas les bons. Peut-être aurait-il fallu les considérer différemment. Tels sont le sujet et l'enjeu.
Investir dans la production est un acte très capitalistique et pour asseoir un investissement dans la production, il faut également avoir une activité déjà ancienne. Ce matin, M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence, évoquait le secteur des télécoms. Avant que les opérateurs alternatifs soient les premiers investisseurs dans les nouvelles technologies de communication – je pense à la fibre –, l'accès à la boucle locale leur a été donné mais il leur a fallu un peu de temps pour développer leur activité. Je me trompe peut-être, mais, à mon avis, au moment de la mise en oeuvre de l'ARENH, les opérateurs qui en ont profité étaient, pour l'essentiel, Direct Énergie et Engie, qui, tous les deux, ont développé des investissements très importants en moyens de production, renouvelables ou hors renouvelables, dans le cadre de la transition énergétique. Je pense notamment aux combinés gaz puisque Engie a également investi dans ce domaine. Personnellement, j'espère que les nouveaux entrants auront les moyens de développer eux-mêmes des moyens de production, notamment renouvelables, Même ceux qui ne développent pas des moyens de production en propre, lient, en général, des partenariats avec des producteurs qui leur permettent de se développer et d'investir, mais peut-être que mes voisins pourront en parler mieux que moi.
Dans notre modèle, nous sommes trop confortables pour dire que si le client consomme moins, cela ne nous impacte pas, puisque nous achèterons moins sur le marché. Nous avons un alignement des intérêts du client et de nous-mêmes à les accompagner dans la réduction de leur consommation, et plus généralement dans le « mieux-consommer ». Cela ne signifie pas que nous ne déciderons pas, à un moment donné, de produire, ou plus exactement de rechercher un partenaire producteur pour travailler avec lui dans la durée. Mais cela revient à la façon d'organiser l'aide au développement des énergies renouvelables.
Aujourd'hui, toutes les énergies renouvelables se développent grâce à un régime d'aide, que ce soit sous la forme d'un complément de rémunération, d'une obligation d'achat ou d'appels d'offres. Seules les productions très anciennes peuvent sortir de ce système. Mais pour développer de nouvelles installations, par définition, on doit faire du nouveau.
Si, en tant que fournisseur seul, nous voulions nous associer à un producteur, il conviendrait que celui-ci sorte du système de subventions. Sans quoi, il n'aurait pas besoin de nous ; sans subventions, nul besoin de travailler avec un fournisseur pour récupérer une subvention et développer un projet éolien ou photovoltaïque.
Si un producteur veut s'allier avec un fournisseur, d'autres questions se posent, parce que c'est la double peine. Il ne récupérera la subvention du système de complément de rémunération et devra payer, via le fournisseur, la CSPE. C'est un problème qu'il conviendra de soulever à un moment ou à un autre. Peut-être ce modèle devrait-il être pensé dans la durée. Comment accompagner des fournisseurs qui souhaitent s'allier à un producteur, dans un modèle plus intégré ? Encore une fois, nous ne chercherons pas des intégrations à cent pour cent. Nous restons dans l'idée que nos intérêts doivent être alignés sur ceux des clients et ne pas trop verser « du côté productiviste de la force », si je puis dire.
J'espère que vous constatez la richesse que forme la diversité des profils des stratégies des entreprises qui sont rassemblées au sein de l'ANODE. Le fait que plusieurs acteurs portent des stratégies différentes est très éclairant et permet d'aller au fond des questions que vous vous posez et que nos concitoyens se posent.
Madame Battistel, vous nous avez interrogés sur notre capacité à nous porter sur la phase de la production, en amont. C'est un souhait d'Enercoop, cela fait partie de son projet. Nous sommes un peu atypiques dans le sens où nous n'avons pas de lien direct avec l'ARENH, puisque nous n'avons pas passé de contrat. La conséquence, c'est que nos tarifs sont un tout petit peu plus élevés, mais les clients qui viennent chez nous le font en connaissance de cause. C'est une vertu de la diversité des offres et de la transparence du cycle de vie de production, de la distribution et de la fourniture d'électricité. Chacun choisit son fournisseur en conséquence et en libre choix en fonction du sens qu'il veut donner à son acte de consommation. Il est important de le rappeler.
Le modèle que nous avons choisi incite les citoyens à investir dans les moyens de production : les citoyens en tant que tels, les citoyens regroupés en coopérative, en association, les citoyens constitués en société d'économie mixte, au travers de collectivités.
Nous sommes convaincus que la transition énergétique se décide sur les territoires, et elle ne se fera que si les citoyens agissent en pleine conscience sur le financement, sur la gouvernance et sur le cycle de vie de l'énergie de manière globale. Nous nous appuyons en contrat direct avec 240 producteurs qui ne nous appartiennent pas mais qui signent des contrats à moyen et long terme avec nous. La durée moyenne des contrats est de quatre ans. Nous essayons de fonctionner le plus possible avec eux dans une démarche de commerce équitable, c'est-à-dire de ne pas rémunérer uniquement au prix du marché, mais de donner une plus-value à une dimension citoyenne, à une dimension locale, à une dimension de rénovation des installations. Voilà pour le premier élément.
Second élément, avec d'autres acteurs, nous avons contribué à la création d'une structure qui s'appelle « Énergie partagée » et qui incite les citoyens à investir directement dans les moyens de production et à participer à la gouvernance de ces moyens de production. Le fait est important à deux titres : d'abord, en termes d'acceptabilité sociale des énergies renouvelables. Nous pourrons faire un focus sur l'éolien. Mais de manière générale sur cette question de la transition, l'acceptabilité sociale dans les territoires passe par l'implication financière et la gouvernance des citoyens dans les projets qui sont développés : qui vient s'installer ici ? Quel est le modèle économique ? Quel est le profit généré, à qui profite-t-il ? Ce sont des questions qui se posent et qui peuvent être des freins à l'essor et au développement des énergies renouvelables.
La troisième question est celle de la fiscalité autour de la dimension participative et d'investissement citoyen dans les énergies renouvelables. Nous considérons que l'État, au travers notamment de dispositions fiscales ad hoc, pourrait inciter à un investissement dans des actifs durables, un investissement bon pour la planète, bon pour la créance et la création d'emplois dans les territoires. L'État pourrait fiscalement soutenir ces investissements, longs et moyens, des citoyens.
En quoi investir dans les renouvelables est-il bon pour la planète ? Le président de la CRE nous a expliqué que cela n'avait strictement aucun rapport avec le CO2.
La planète ne se limite pas à la question du CO2. On trouve les enjeux environnementaux d'un côté, les enjeux du changement climatique ou des dérèglements climatiques de l'autre. Il ne faut pas réduire cela uniquement au CO2. L'approche décarbonée est large. D'autres impacts touchent à l'amont, pendant la phase de production et d'exploitation et pendant la phase de recyclage.
Les énergies renouvelables, je suis un peu surpris de votre question, monsieur le président, s'appuient sur une source qui a priori est inépuisable, peu chère, qui est le vent, le soleil, l'eau, et sur les processus de dégradation et de méthanisation. La source en elle-même est inépuisable et non polluante. Une fois dit cela, il faut convenir du fait que tout est polluant. Pour exploiter ces sources et faire marcher des turbines, il faut développer des équipements divers et variés qui peuvent s'appuyer sur des ressources, qui sont, de manière générale, moins polluantes à l'usage, en amont et en aval, que certaines technologies, telles que le fioul, le gaz, le charbon et, dans une certaine mesure, le nucléaire.
Un dernier complément sur le sujet des investissements. Nous sommes venus à quatre, l'objectif étant de partager la diversité de ce que l'on entend par « fournisseur alternatif ».
ENI, dans son ADN, est un acteur qui se rapproche de Total. ENI a largement contribué à la sécurité d'approvisionnement et à la diversification du sourcing pour le gaz. Il est arrivé il y a plus de dix ans sur la partie fourniture d'énergie par la fourniture de gaz.
La société s'est lancée sur le marché de l'électricité à la mi-2017. Son arrivée sur le marché électricité est donc récente. À l'instar de Total, les objectifs du groupe sont très volontaristes en termes de production d'énergie renouvelable. Nous sommes en discussions avec le groupe pour nous assurer qu'il choisira de consacrer une partie de ce son budget à des projets en France. Nous pensons qu'il est important d'avoir une réglementation en France et de donner des signaux pour attirer les investissements des acteurs européens. Pour cela, le marché français de l'énergie doit être suffisamment attractif, il ne doit pas être fermé. Ses règles ne doivent pas conduire à des distorsions de concurrence entre acteurs pour permettre à l'ensemble des investisseurs, notamment européens, d'investir sur le marché français.
Je voudrais tout d'abord m'excuser car ce que je vais faire est très impoli. Je vais poser ma question, et je devrai ensuite vous quitter parce que j'ai un impératif de déplacement, mais c'est le miracle de la vidéo : tout est enregistré, j'aurai donc plaisir à entendre vos réponses.
Ma première question porte sur la question du marché. L'objectif de l'ARENH doit vous permettre d'accéder au marché concurrentiel.
Vous dites que vous réinvestissez 3 milliards d'euros dans la transition énergétique. Cela ne signifie-t-il pas que le dispositif arrive à maturité puisqu'il vous permet de reverser trois milliards à la transition énergétique ? Mon propos n'a pas valeur de jugement, je m'interroge.
J'en viens à ma seconde question, qui reprend votre très intéressant propos, monsieur Soulias. Moi aussi, je crois beaucoup à la participation citoyenne et à la définition du bon périmètre des politiques nationales énergétiques. Je crois à la territorialisation des politiques énergétiques.
Aujourd'hui, en voulant être dans un cadre national un peu trop contraint,ne bride-t-on pas ce type d'initiatives qui sont très pertinentes du point de vue local, notamment sur certains territoires qui présentent des spécificités et qui sont plus en cohérence avec les renouvelables que d'autres ?
Pour répondre à votre première question sur les investissements, je précise qu'il s'agit d'un milliard d'euros par an sur les trois prochaines années et non de 3 milliards par an.
Les énergies électriques ne sont pas toutes substituables les unes aux autres. Le nucléaire, les énergies renouvelables, la production d'électricité – avec des cycles à partir de gaz et des cycles combinés gaz –, les centrales hydroélectriques ont toutes une fonction spécifique dans le mix électrique. Certaines sont dispatchables, les autres intermittentes. Certaines fonctionnent en base, d'autres en pointe, toutes ont un rôle à jouer. Aujourd'hui, nous investissons dans des moyens de production qui sont complémentaires au nucléaire mais qui ne remplacent pas le nucléaire, en tout cas pas significativement dans le mix énergétique d'aujourd'hui.
Le constat qui porte sur la nécessité d'un accès régulé à l'énergie nucléaire historique de 2010 est encore valable aujourd'hui. Tout le monde le dit. L'approvisionnement est proportionné à la part du nucléaire dans le mix. Il est aujourd'hui un peu en dessous de 70 % ; en 2035, il avoisinera les 50 %, mais nous aurons encore besoin d'ARENH, et il sera à 50 % en 2035 parce que le nucléaire ne peut être remplacé par l'ensemble de ces autres technologies, notamment d'un point de vue économique, tout cela étant lié à l'économie de la filière.
Monsieur Thiébaut, je profite encore de votre présence pour répondre à votre seconde question. Oui, les territoires c'est important parce que l'on ne produit pas et que l'on ne consomme pas l'énergie de la même manière selon que l'on habite les Hauts-de-France ou la Nouvelle-Aquitaine.
Le débat public sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui a été organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP), a montré que les Français sont très attachés à la dimension locale et aux circuits courts. Ils veulent être informés sur l'énergie, comme sur leur alimentation ou d'autres biens de consommation courants. Ils veulent savoir comment elle a été produite, par qui, où, en privilégiant le lien local. C'est la raison pour laquelle Enercoop s'est organisée en coopératives locales. Nous disposons d'un réseau de coopératives avec cette volonté, à terme, d'organiser des circuits courts entre les producteurs et les consommateurs. Nous voulons apporter un plus. C'est le cas de certains membres de l'ANODE qui ont choisi la dimension locale en créant un lien le plus direct possible entre des producteurs et des consommateurs. Nous y croyons fortement. Il faudrait que les politiques publiques incitent à cette spécification ou à cette liberté par territoire.
Les collectivités également sont très demandeuses. Nous travaillons beaucoup avec des sociétés d'économie mixte ou des collectivités qui sont très demandeuses de traçabilité ou d'histoires à raconter autour de la production et de la fourniture d'électricité.
La transition énergétique sera un succès si on laisse s'exprimer les différentes approches dans sa dimension européenne, nationale et locale.
Pour aller dans le sens que j'ai exposé sur les garanties d'origine, je pense qu'on y arrivera, notamment sur la partie renouvelable, si nous parvenons à concilier, d'une part, une approche locale, directe avec un certain nombre de Français qui sont volontaires et qui sont prêts à payer une énergie un peu plus chère parce qu'ils sont animés de convictions ; d'autre part, une approche plus large, qui permet de développer des renouvelables en maintenant les moyens de traçabilité et en donnant la possibilité aux Français de participer à cette démarche un peu plus globale.
Je reviens à la territorialisation de la production. Dans ce contexte, auquel je ne suis pas défavorable, bien au contraire, comment envisagez-vous l'articulation entre la production centralisée et la production décentralisée ? On peut dire que le système centralisé est l'assurantiel de la production décentralisée, mais on pourrait tout aussi bien dire, à l'inverse, que le système décentralisé peut être, par moments, l'assurantiel de la production centralisée. Comment anticiper cette articulation ?
Vous avez raison de noter que le système électrique est massivement en train de se décentraliser. C'est vrai du point de vue de la production. Nous ne pourrons atteindre nos objectifs en matière de transition énergétique que si nous développons la production renouvelable, y compris de manière très décentralisée, et quand je dis « décentralisée » c'est au sein même de l'installation électrique des consommateurs – je parle d'autoconsommation. Il faudra articuler l'ensemble des moyens de production, dont certains seront très centralisés, d'autres très décentralisés, certains très dispatchtables, d'autres intermittents. À cet égard, le rôle des gestionnaires de réseaux est crucial. Ils devront continuer à assurer l'équilibre dans un contexte un peu plus compliqué, mais avec des outils plus sophistiqués qu'autrefois, tels que les outils liés à la digitalisation et au comptage.
Les gestionnaires de réseaux pourront s'appuyer sur les alliés que seront les opérateurs nouveaux entrants qui proposeront des innovations répondant aux enjeux. Je pense notamment à toutes les innovations qui seront proposées aux consommateurs pour adapter leur consommation à la production. Historiquement, la production s'adaptait à la consommation ; demain, avec le développement des énergies renouvelables de plus en plus intermittentes et grâce aux nouvelles technologies, grâce au déploiement du compteur Linky, il sera possible de proposer aux clients des services qui adapteront leur consommation à la production, ce que certains opérateurs ont déjà commencé de faire. Pour que cela fonctionne, la concurrence doit être efficace. Si les opérateurs à même de proposer ces services sont asphyxiés sur leur activité de base qu'est la fourniture, ils n'auront pas les moyens d'investir dans ces services ni dans la production.
Je suis en accord avec le propos de Fabien Choné.
Le rôle des gestionnaires de réseau est fondamental. Il faut progresser sur la capacité à faire vivre des expérimentations locales, des boucles locales ou des expérimentations d'autoconsommation individuelle ou collective. Veiller aux enjeux de solidarité, notamment entre les consommateurs, est un rôle qui revient aux gestionnaires de réseaux et à l'État. Je pense notamment à tous les publics qui sont en situation de précarité énergétique. Ils n'auront pas forcément la capacité d'expérimenter des innovations, de s'intéresser à l'autoconsommation ou à des équipements particuliers. Il faut pouvoir faire vivre cette complémentarité entre le centralisé et le décentralisé qui répond à des besoins d'équilibre du réseau en période de pointe ou à d'autres moments. L'État doit rester vigilant afin que le consommateur ne soit pas lésé et que les plus précaires d'entre eux ne soient pas exclus de ce système, ce qui pose la question de la contribution de cette mission de service public et de la gestion des réseaux.
En effet, le trait d'union entre la production centralisée et décentralisée passe par les réseaux. Je formulerai un dernier point d'alerte sur la place de ces réseaux, en rappelant la nécessité de ne pas tomber dans certains extrêmes en créant des poches de production décentralisée qui ne seraient pas raccordées au réseau et qui ne payeraient pas à ce titre leur part du réseau. Le réseau étant le trait d'union, la sécurité d'approvisionnement des consommateurs, en termes de consommation ou de production décentralisée, passera par le réseau. Il est, par conséquent, important de s'assurer que le coût du réseau est payé de façon équitable par l'ensemble des consommateurs.
J'insisterai sur un point soulevé par M. Choné. Le modèle traditionnel de l'utilisation d'électricité fonctionnait ainsi : on allumait son sèche-cheveux et, quelque part, une centrale produisait davantage. Il en ira différemment demain : il faudra pousser les usagers à consommer lorsque l'éolienne fonctionnera ou lorsqu'il y aura du soleil. Bien sûr, on ne leur demandera pas d'allumer leur sèche-cheveux quand il y aura du soleil, mais de brancher leur recharge de véhicule, certains équipements comme le chauffe-eau, et cela au bon moment.
Cette inversion du système actuel qui incite les clients à consommer au moment de la production et les centrales à ne pas produire quand les clients consomment est la clé. À ce jour, nous ne savons pas comment cela fonctionnera. Nous ne savons pas encore quelles seront les meilleures pratiques. À cet égard, la recherche joue son rôle. Aussi est-il important qu'un nombre suffisant d'acteurs innovent pour faire émerger les solutions les plus pertinentes.
Reprenons les chiffres. Monsieur Choné, vous avez indiqué que le montant de la facture a bondi de 30 %, dont deux tiers des CSPE.
Je ne ferai pas de commentaires !
Sur le site quelle énergie.fr, j'ai trouvé d'autres chiffres. « Augmentation de la facture d'électricité entre 2008 et 2018 : plus 44 %. Augmentation de la facture de gaz : plus 28 % pour le tarif B1, plus 45 % pour le tarif B0. » Comment expliquez-vous l'écart ? Ce matin, notre collègue Laure de La Raudière évoquait une progression de 35 %. Vous avancez plus 30 %. Il serait utile de clarifier les chiffres et de savoir de combien la facture a augmenté.
Je n'ai pas les chiffres en poche. Je vous promets de refaire les calculs. Si je me suis trompé, j'enverrai l'information à tout le monde. Mais il s'agissait des chiffres que j'ai retenus de la CRE. Mais peu importe, peut-être est-ce 40 % et non 30 %. Je me suis référé à la période 2010-2018 et non à la période 2008-2018, mais l'augmentation n'a pas été de 14 % en deux ans. La différence tient peut-être au fait de retenir les particuliers et non les particuliers ajoutés de tous les autres clients. Je ne sais pas. Mais une chose est certaine, la part fourniture liée à notre activité a baissé en euros constants. Dire que la concurrence a fait augmenter les prix est soit faux, soit mensonger.
Vous bénéficiez de l'ARENH pour l'électricité. Il n'existe pas de mécanisme comparable pour le gaz. Pourquoi faudrait-il le conserver pour l'électricité si l'on s'en passe pour le gaz ? Quelles sont les contingences pratiques qui ont poussé à organiser différemment ces deux marchés ?
Si l'opérateur historique disposait d'un gisement de gaz en France particulièrement compétitif et totalement inconcurrençable par des approvisionnements à l'extérieur, il serait nécessaire, à l'instar du nucléaire, de mettre en place un « sourcing », un accès à ce gisement de gaz afin de permettre la concurrence en aval de la production.
Il existe deux activités : la production et la fourniture de gaz. La production de gaz en France n'existe plus ou quasiment plus – et l'on n'en veut plus. Ce sujet ne se pose donc pas pour le gaz. S'agissant de l'électricité, non seulement le nucléaire est très compétitif mais nous voulons le faire perdurer, voire allonger la durée de vie des centrales. Cette spécificité doit être traitée pour permettre la concurrence en aval qui, encore une fois, est bénéfique au consommateur. Je suis même étonné que l'on continue à en discuter aussi longtemps après l'ouverture du marché !
Il existe une explication pratique. Le gaz voyage des milliers de kilomètres, l'électricité quelques centaines de kilomètres. La production du nucléaire se situe en France, et non à 10 000 kilomètres avec des obligations d'achat à même distance.
Par ailleurs, l'énergie nucléaire est très compétitive au vu des conditions des marchés actuels. Les tarifs sont fixés sur cette base et l'on a toujours considéré que le nucléaire était un bien national dont tout le monde doit bénéficier. Je suis toujours étonné quand j'entends le président d'EDF déclarer : « C'est nous qui avons le nucléaire. » Le nucléaire appartient à tout le monde. Certains de mes clients habitent à la pointe de Givet, où est implantée la centrale de Chooz. Pourquoi dirait-on à une personne qu'elle ne peut s'abonner à Plüm Énergie ? Elle a la centrale nucléaire à côté de chez elle ; en cas de problème, elle prendrait des pastilles d'iode. Et elle serait obligée de s'abonner chez EDF pour bénéficier de la compétitivité de l'offre ? Ce n'est pas évident.
C'est exactement la même chose pour les concessions hydroélectriques.
NégaWatt propose 100 % d'énergies renouvelables. Quel est votre avis ? Cela correspond à l'attrition du grand gisement de gaz. Imaginons que la France ait un grand gisement de gaz et que l'on décidait en 2040-2050 que plus aucun pipeline ne partirait de ce gisement. Quel est votre avis sur ces stratégies qui visent la disparition du moteur nucléaire dans le dispositif ?
L'accès régulé à l'énergie nucléaire historique est absolument indispensable, en proportion de la part du nucléaire dans le mix. Aujourd'hui, la part est de 110 ; en 2035, elle sera a priori de 50 %. Le jour où elle sera à zéro, l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique ne sera plus utile. En revanche, si on atteignait 100 % d'énergie renouvelable sans aucun moyen de production flexible – nous disposerions cependant de concessions hydroélectriques qui, je l'espère, seraient partagées entre tous les consommateurs et tous les fournisseurs –, il faudrait développer de nombreuses solutions et services pour piloter la consommation des Français.
Soit d'autres moyens de production existeront qui pallieront l'intermittence des EnR, soit on aura réussi à développer les technologies de stockage.
Non, nous vous livrons les conditions pour que ce scénario puisse se produire, sans remettre en cause la sécurité d'approvisionnement des consommateurs. Je ne me permettrais pas de porter de jugement de valeur.
Vous êtes un acteur du marché. Si vous étiez sur le marché du gaz et que vous aviez un accès aux grands gisements de gaz, vous pourriez émettre un avis justifié si le Gouvernement décidait de fermer le gisement de gaz à l'horizon de 2050. Il ne s'agit pas d'un jugement de valeur ; fondamentalement, cela vous obligerait à revoir votre modèle économique.
Je veux bien illustrer la diversité qui vit parmi nous ; je le souligne à nouveau, c'est notre richesse.
NégaWatt fait partie des fondateurs de Enercoop. Pour répondre à votre question, nous sommes totalement en phase avec le scénario de NégaWatt. J'ajoute que ce n'est pas le seul ; le scénario de l'ADEME aboutit à peu près aux mêmes conclusions à l'horizon 2050. La réponse à cette question ne concerne pas uniquement le sujet du nucléaire. Se pose de manière plus générale le problème de l'efficacité énergétique et de la sobriété, donc de la prise en compte du lien entre résidentiel et transport et de notre capacité à investir dans des solutions de stockage innovantes susceptibles de répondre à la question de l'intermittence. Celle-ci n'est pas uniquement attachée aux renouvelables, elle peut l'être aussi au nucléaire, notamment en période de forte chaleur.
Le scénario de NégaWatt comme celui de l'ADEME revêtent un sens dans une vision globale qui envisage un mix énergétique large, des usages plus larges et qui prend en compte la transversalité entre les différentes sources de consommation d'énergie.
Je reviens d'un mot sur cette manne nucléaire qui aurait un coût moindre et que l'on pourrait donc se partager. Le coût de cette manne nucléaire doit être considéré dans son ensemble. On parle beaucoup des consommateurs et de leur pouvoir d'achat. J'entends aussi parler des contribuables citoyens qui, en payant leurs impôts, contribuent significativement à l'entretien des équipements nucléaires, qu'il s'agisse du grand carénage, du démantèlement, de la mise en sécurité ou de l'enfouissement des déchets. Je pense qu'il faut réévaluer le coût global du nucléaire, que l'on considère comme un coût aujourd'hui faible, à l'aune de l'ensemble de ces éléments.
Selon les travaux parlementaires, ce sont 40 milliards et 25 milliards d'euros. Le montant pour le renouvelables est évalué à 100 milliards d'euros. Le coût pour le consommateur n'est pas tout à fait le même.
Autre question : le tarif B0 du gaz a augmenté de 45 % ; le tarif B1 du gaz de 28 %. Je rappelle que le tarif B0 correspond à la cuisson et à l'eau chaude et le B1 au chauffage individuel.
Le tarif B0 du gaz a augmenté dans la même proportion que le tarif électrique ; en revanche, l'augmentation du tarif B1 est moins forte. Vous avez expliqué que des taxes nourrissaient l'augmentation. Entre 2008 et 2018, qu'est-ce qui justifie cette évolution divergente ?
Il conviendrait d'adresser cette question au régulateur si vous souhaitez obtenir une réponse très détaillée, mais je peux vous dire ce que nous en pensons.
Des évolutions « structures » ont été appliquées par le régulateur, souvent à la demande du fournisseur historique car le tarif B0 ne couvrait pas ses coûts. Lorsque la CRE fait le calcul des coûts de l'opérateur historique, elle constate une évolution en niveau. Elle peut alors décider de répartir les hausses tarifaires différemment en fonction des tarifs, l'objectif étant que chaque tarif couvre ses coûts. Un effet de rattrapage a été mis en oeuvre par la CRE ces dernières années pour que le tarif B0 qui, historiquement ne couvrait pas les coûts, progressivement les couvre davantage.
L'an dernier, en 2019, certains d'entre vous, à l'exception d'Enercoop, ont été amenés à se fournir sur le marché au-delà des 100 TWh. Vous avez donc été amenés à vous fournir sur le marché de gros. Quelles ont été les pertes que vos entreprises ont subies en raison de ce dépassement du seuil de l'ARENH ? Chacune des entreprises présentes peut-elle nous donner une évaluation du coût que cela a représenté ?
Je réponds très simplement : cela dépendra du choix du gouvernement en matière d'évolution des tarifs réglementés. Si le Gouvernement assume la législation actuelle et intègre dans le tarif réglementé les conséquences de la mise en oeuvre de l'ARENH, la réponse sera : zéro. Nous y reviendrons si vous le souhaitez. Effectivement, ce matin, les choses, en tout cas, de mon point de vue, n'étaient pas suffisamment claires.
Nous avons compris ce matin que dans l'augmentation annoncée de 5,9 %, 2,2 % représentaient l'effet de rationnement de l'ARENH. Des propos de la CRE, je retiens que l'augmentation du tarif prend en compte l'effet de rationnement. Selon vous, si c'est pris en compte, pour vous, cela devient neutre.
Absolument, pour toutes nos offres qui sont indexées. Ce n'est pas forcément le cas pour les fournisseurs qui n'ont pas d'offres indexées au tarif réglementé. Mais pour nous, c'est le cas.
Effectivement, ENI propose des offres fixes pluriannuelles. Nous garantissons un prix de l'électricité fixe pendant la durée des contrats. Cette offre a été développée pour les clients. Un certain nombre de consommateurs français, au-delà de la compétitivité d'un prix, souhaitait avoir une visibilité dans le temps. Nous proposons donc des offres à prix fixe sur des durées d'un an, deux ans, trois ans.
Mécaniquement, le fait de vous servir sur le marché de gros représente-t-il pour vous des pertes ?
Je suis dans l'incapacité de vous livrer des chiffres, tout dépend de l'anticipation de nos équipes en charge du sourcing vis-à-vis de ce plafond de l'ARENH. Lorsque l'on est présent sur ce marché, toute la difficulté tient à ce plafond. Nous sentions bien que nous nous en rapprochions.
Ce plafond réduit la capacité de développement de l'activité de nos entreprises. Soit on prend en compte la perspective d'un plafonnement et, dans ce cas-là, à un moment donné, on est moins compétitif, car nos prix sont comparés aux tarifs de vente réglementée qui n'intègrent pas un écrêtement ARENH. Soit on ne le prend pas en compte, et là c'est un risque que nous prenons sur nos marges, puisque le prix d'approvisionnement proposé dans notre offre ne sera pas en adéquation avec le coût de notre sourcing. En effet, au moment où nous allons demander de l'ARENH, nous allons être écrêtés et nous devrons prendre davantage d'électricité sur le marché.
En cas d'écrêtement, nous subissons un impact en amont et en aval, puisque nous sommes confrontés aujourd'hui à la même difficulté vis-à-vis de nos clients, auxquels nous proposons des offres, par exemple, à deux ans. Mais l'impact immédiat nous conduit à prévoir le volume d'ARENH que nous pourrons obtenir par nos demandes ARENH et donc l'écrêtement potentiel susceptible d'en résulter pour essayer de minimiser le risque pour l'entreprise puisque nous assumons ce risque que nous ne transférons pas à nos clients.
Nos offres n'ont pas augmenté depuis la création de Enercoop il y a dix ans de cela, nous n'avons pas eu recours à l'ARENH. Enercoop absorbe jusqu'à présent le risque des fluctuations de marché. Même si nous fonctionnons avant en contrat direct avec les producteurs sur des durées moyennes et longues, chaque renouvellement de contrat est impacté par les évolutions du marché. En 2018, le marché a augmenté significativement, on est passé de 35 euros le MWh de base à près de 65 euros, et puis il est un peu redescendu. Cela a eu un impact sur le renouvellement de nos contrats. Cette année, nous ferons évoluer nos tarifs en raison de l'augmentation de notre coût d'approvisionnement ; de l'augmentation du coût des capacités que nous répercutons auprès de nos clients ; enfin, dans la mesure où nous dépassons cette année le seuil des 400 gigawattheures (GWh), nous sommes obligés de faire porter le coût des CEE à nos clients.
Monsieur Soulias, vous représentez un peu le modèle pure player, vous êtes vraiment un modèle concurrentiel, c'est-à-dire que vous ne profitez pas des avantages offerts par l'ARENH et vous répercutez au consommateur l'intégralité des coûts réels « de la transition verte » au sens large de l'expression, avec tous ses outils. Êtes-vous viables ?
Oui, nous sommes viables. Il existe plusieurs éléments de réponse à cette question. Il y a un effet d'échelle. Nous comptons 75 000 clients, ce qui est très peu. Nous n'avons pas encore atteint l'effet de seuil de 150 000 clients, au-delà duquel notre modèle économique atteindra sa pleine puissance. Nous sommes en train d'y parvenir.
Nous devons également intégrer le fait que nos clients viennent en toute confiance, en toute transparence s'agissant de la redistribution de l'argent que nous payons à des producteurs d'un système un peu particulier. Si d'aventure le coût d'approvisionnement devait augmenter, les clients en paieraient les conséquences.
Le coût augmente en fonction des effets de marché ; en revanche, tendanciellement, le coût de production du photovoltaïque et de l'éolien, pour ne citer que ces deux technologies, diminue très rapidement. Selon notre projection, partagée par nos clients et nos sociétaires, ce coût baissera de manière significative dans la durée et le prix baissera également.
L'État perçoit une partie du coût sous forme de taxes qui sont prélevées pour subventionner les énergies dont vous nous dites qu'elles arrivent à maturité. En abaissant les taxes et donc en aidant moins les énergies vertes, on pourrait penser que le coût d'approvisionnement baissera. Avec l'arrivée à maturité de ces énergies, le dispositif fonctionnerait « naturellement », avec peut-être un tarif moins distordu du fait de moindres taxes. S'agissant du mode de production, cela mettrait fin à des dispositifs d'aide.
D'autres acteurs, à l'instar de M. Choné, marquent la nécessité de conserver l'ARENH, mais quand je vois Enercoop, je me dis que si certains acteurs arrivent avec un modèle qui leur est particulier mais en adéquation avec les valeurs que porte le verdissement, pourquoi conserver ce dispositif ? Bien sûr, il y a ceux qui survivent et il y a ceux qui ne survivent pas, mais fondamentalement, c'est le jeu du marché.
S'agissant des taxes, nous n'en sommes que les collecteurs ; elles ne viennent pas s'ajouter au chiffre d'affaires. Notre modèle économique ne se base que sur 30 % de la facture. Sur 100 euros que payent nos clients, nous redistribuons, via le TURPE ou les taxes, environ 70 euros. Nous n'avons la maîtrise que de 30 euros.
Si notre coût de production ou d'approvisionnement augmente en toute transparence, nous le ferons savoir à nos clients et l'impacterons sur une partie minime de la facture.
J'entends bien la réflexion qui sous-tend votre question, monsieur le président. Je me pose une question que je partage avec vous. Elle s'adresse à la collectivité des citoyens français : pourquoi s'empêcherait-on aujourd'hui de subventionner d'une manière ou d'une autre l'émergence des énergies renouvelables, alors que nous l'avons fait de manière significative il y a quelques dizaines d'années en faveur du programme électronucléaire français, avec des ambitions et des enjeux justes, à savoir l'autonomie énergétique et les multiples sujets qui en découlent et qui restent d'actualité ? Nous disposons aujourd'hui de technologies qui sont matures, qui deviennent économiquement rentables, voire très rentables, qui sont des aubaines en termes d'investissement, de créations d'emplois – on le voit dans le monde entier. Dès lors, pourquoi l'État s'interdirait-il d'investir dans ces nouvelles technologies créatrices d'emplois, bonnes pour la planète et pour la territorialisation ?
Vous dites « investir ». Créeriez-vous un opérateur public « vert » qui investirait dans ces technologies ou souhaiteriez-vous que l'on continue de subventionner tel qu'on le fait par appels d'offres ?
Investir est un terme général, qui peut revêtir plusieurs sens. Je n'ai pas la réponse à votre question. Faut-il un opérateur ? Oui, il y a l'outil fiscal ; oui, il y a les aides ; oui, il y a l'investissement, direct ou indirect, de l'État dans des technologies, en faveur d'acteurs ou de champions nationaux.
L'État est en situation de devoir comparer et peut-être d'arbitrer différents types de coût ou différents types d'investissement entre les énergies renouvelables – je vais vite, c'est probablement très caricatural – et le maintien d'une technologie nucléaire coûteuse et qui ne présente plus aujourd'hui les mêmes avantages, notamment économiques et financiers, par rapport aux renouvelables qu'il y a encore quelques années.
Votre question relève, en l'occurrence, d'un choix politique.
Monsieur Choné, peut-être pourrez-vous nous sortir de l'ambiguïté : soit le nucléaire est rentable, soit il est moins rentable. Si c'est la vache à lait, l'ARENH doit être maintenue ; si ce n'est pas le cas, il faut arrêter les subventions.
S'agissant des subventions en faveur des énergies renouvelables, depuis la loi de finances de 2016, la CSPE ne finance plus les énergies renouvelables, c'est-à-dire que les taxes que nous collectons au titre de la facture de l'électricité sont versées directement dans le budget de l'État.
Oui, mais le produit de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel ne finance pas directement les énergies renouvelables. En tout cas, la proposition que nous avions présentée sur l'électricité de baisser la CSPE ne visait pas à baisser l'aide aux énergies ouvrables.
Vous avez interrogé sur le modèle de soutien aux énergies renouvelables. La richesse de l'ANODE est d'avoir plusieurs modèles d'offres « vertes ». Le modèle d'Enercoop est un modèle de soutien fort aux offres « vertes », mais il demande plus d'efforts aux consommateurs et son périmètre est un peu moins large. Enercoop vise 150 000 clients, mais d'autres modèles de soutien aux énergies existent, un peu moins forts mais qui permettront à plus de consommateurs de participer. Je ne crois pas que l'on puisse mettre en concurrence les deux modèles ou choisir l'un ou l'autre entre un soutien fort à 150 000 clients ou un soutien, peut-être un peu moins accentué, en tout cas différent, à 1,5 million de clients, notamment parce que les consommateurs n'ont pas tous des moyens élevés pour soutenir l'énergie. Pour autant, nous pensons nécessaire que la majorité des Français, quelle que soit leur capacité à soutenir les énergies renouvelables, puissent y participer. Il est important de maintenir cette diversité de modèles. C'est pourquoi nous la soutenons.
Je n'ai pas très bien compris le sens de votre dernière question.
Le principe de l'ARENH repose sur l'idée que le nucléaire peut tracter le marché. On le maintient parce qu'on pense que l'on peut produire de l'énergie nucléaire à bas coût. Dans le même sens, on nous explique que les énergies renouvelables sont matures et que le coût du nucléaire, en réalité, n'est pas aussi bas et qu'il peut tendanciellement augmenter : la rentabilité du nucléaire serait plutôt derrière nous que devant nous. Mais on ne peut pas défendre simultanément l'idée que le nucléaire est rentable et qu'il faut maintenir un tarif historique pour financer le marché, et l'idée que le nucléaire sera de moins en moins rentable et qu'il faut investir dans les énergies « vertes ». Soit le nucléaire a un avenir, et dans ce cas il faut conserver l'ARENH et tracter le marché. Soit on considère que le nucléaire est fragile, et dans ce cas il faut peut-être arrêter de fonctionner avec l'ARENH.
Je crois qu'il faut distinguer le nucléaire ancien et le nucléaire nouveau. La vraie question est là.
On n'est pas obligé de faire du nucléaire nouveau. On peut faire un grand carénage et prolonger la vie des centrales de soixante ans.
De mon point de vue, même si le grand carénage suppose des financements élevés et soulève des questions, il est rentable sur la durée pour la collectivité.
La question de la compétitivité des énergies renouvelables se pose, selon moi, davantage en rapport au nucléaire nouveau qu'au nucléaire ancien. Des déclarations du Président de la République, je comprends qu'il est envisagé, au titre de la programmation pluriannuelle de l'énergie, de relancer le nucléaire nouveau en fonction des conditions économiques du moment. La question se posera, je crois, à la fin des années 2020, mais le grand carénage est confirmé. L'ARENH et son évolution, en tout cas dans le cadre de la régulation nucléaire après 2025, ont été cités par le Président de la République.
Je vais vous poser une question que vous pourrez peut-être poser à d'autres intervenants. Le propos de M. Soulias était intéressant. Même si l'on produit du renouvelable, on est très sensible à la situation des prix du marché de gros, qui sont passés de 35 à 65 euros le MWh pour descendre à 50 euros. C'est la question que vous pourriez poser à des spécialistes du sujet. En France, les coûts de production globaux ont-ils évolué de la même manière sur les différentes scènes ? Avec un mix énergétique qui comporte 400 TWh de nucléaire, pourquoi les coûts de production sont-ils passés de 35 à 65 euros le MWh ? Que s'est-il passé ? Pourquoi, globalement, les marchés ne reflètent-ils pas la situation des coûts ? C'est là un vrai problème : si on ne sait pas prévoir les conditions de marché, si les prix de marché explosent à 70 ou 80 eurosle MWh, M. Soulias aura beaucoup de mal à atteindre 150 000 clients !
Merci pour cette excellente question qui restera, en quelque sorte, le point de suspension de cette audition, et merci à tous pour la diversité et la précision de vos réponses.
La séance est levée à seize heures trente-six.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 4 avril 2019 à 14 h 55
Présents. - M. Julien Aubert, Mme Sophie Auconie, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Xavier Batut, M. Vincent Descoeur, Mme Jennifer De Temmerman, M. Fabien Gouttefarde, Mme Laure de La Raudière, Mme Véronique Louwagie, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Hervé Pellois, M. Didier Quentin, M. Vincent Thiébaut
Excusés. - M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie