La séance est ouverte à dix-sept heures.
Chers collègues, la dernière réunion de notre mission d'information a pour objet la présentation du rapport. Avant de passer la parole à Damien Adam, je rappelle que nous avons accompli un travail conséquent : plus de cinquante heures d'auditions, pendant lesquelles nous avons entendu une centaine de personnalités. Tous les points de vue ont ainsi trouvé à s'exprimer. Conformément à l'objectif de départ, ces travaux ont contribué, non seulement à proposer un retour d'expérience sur les événements du 26 septembre 2019, mais aussi à offrir à nos concitoyens une information sérieuse sur le sujet. J'ajoute que, comme le rapporteur et moi-même le souhaitions, une consultation citoyenne a été organisée sur le site de l'Assemblée nationale. Nous avons reçu près de 4 000 contributions, dont les résultats bruts seront mis en ligne.
Je donne maintenant la parole à Damien Adam pour la présentation de son rapport et de ses propositions. Nous aurons ensuite un échange. Enfin, nous voterons sur la publication du rapport.
Avant toute chose, je remercie chaleureusement tous nos collègues qui ont participé aux travaux de notre mission d'information, soit en étant physiquement présents à nos réunions – M. le président l'a rappelé : nous avons eu plus de cinquante heures d'auditions –, soit en déposant des contributions écrites, sans oublier les discussions informelles que nous avons eues entre les auditions. J'aimerais également souligner la qualité des échanges qui ont eu lieu dans le cadre de cette mission d'information – cela a été relevé à de nombreuses reprises. Le travail parlementaire a lieu également dans ce type d'instances, sur des sujets qui, certes, ne font pas l'objet de débats philosophiques ou idéologiques, mais témoignent de l'importance de l'Assemblée nationale quand il s'agit d'oeuvrer dans le sens de l'intérêt général. Ma présentation sera brève, de manière à ce que nous ayons ensuite des échanges – à la suite de quoi nous passerons au vote.
Le rapport comporte trois parties. La première analyse les circonstances de l'incendie ; la deuxième est consacrée aux conséquences qu'il faut en tirer et aux propositions qu'il est d'ores et déjà possible de faire ; la troisième aborde les sujets qui restent en suspens.
La première partie commence par une présentation des deux entités concernées. Il s'agit, d'une part, de Lubrizol, une entreprise très surveillée. Comme vous le savez, elle avait fait l'objet de trente-neuf contrôles depuis 2013. Et il s'agit, d'autre part, de Normandie Logistique, une entreprise de stockage et, comme son nom l'indique, spécialisée dans la logistique.
Nous revenons ensuite sur l'incendie en tant que tel, dont l'ampleur a été exceptionnelle. Il a été éteint en un temps quasiment record, selon le colonel Jean-Yves Lagalle, directeur du Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Seine-Maritime. Nous avons examiné, en outre, le choix de l'alerte, avec l'usage critiqué des sirènes en décalage par rapport à l'incendie, et les impacts immédiats pour la population : 2 000 déclarations de sinistre, sans oublier les nombreux établissements scolaires et exploitations agricoles impactés. Je fais aussi le point sur les interrogations qui sont du ressort de l'enquête judiciaire – laquelle est toujours en cours – et ne relevaient donc pas de notre mission d'information.
La deuxième partie du rapport est consacrée aux propositions, réparties selon quatre axes.
Le premier axe traite de la culture du risque – question essentielle, comme nous l'avons constaté à de nombreuses reprises au cours des auditions, et qui fait l'objet de larges débats. Un constat est partagé : la France a pris du retard en la matière. Il faut donc faire des propositions très fortes afin d'installer durablement la culture du risque dans notre pays. D'où l'idée de réaliser chaque année un exercice de grande ampleur afin de simuler des risques industriels ou naturels en impliquant la population. Cela permettrait à la fois d'inculquer les comportements à observer et d'informer les personnes concernées de l'existence de ce type de risques dans le territoire – car, comme vous le savez, les habitants de la Métropole de Rouen ont redécouvert qu'ils vivaient dans une zone industrielle au moment de l'incendie du 26 septembre.
Je propose également que la question du risque industriel soit abordée dans le cadre du Service national universel (SNU), destiné aux jeunes âgés de 16 ans – le dispositif va progressivement monter en charge et, en 2024, il concernera l'ensemble d'une classe d'âge. Il serait en effet utile que le SNU, qui sensibilisera aussi bien au risque terroriste qu'aux gestes de premier secours et, plus largement, au civisme, comporte un volet consacré au risque industriel. Ainsi, les jeunes générations seraient en mesure, en cas d'incident, d'accompagner le reste de la population sur tout le territoire et de contribuer à une meilleure maîtrise collective de la culture du risque.
Par ailleurs, le site internet georisques.gouv.fr, qui cartographie les différents risques industriels existant dans les territoires, doit être amélioré. Si vous avez récemment acheté ou vendu un bien immobilier, vous avez certainement paraphé des documents présentant l'état des risques et pollutions dans les environs. Ces informations sont également relayées par le site que j'évoquais. Or celui-ci est très difficile à utiliser pour les non-initiés : son interface doit être améliorée.
Le deuxième axe consiste à mieux lutter contre les risques industriels. Si le risque zéro n'existe pas en la matière, l'action des pouvoirs publics peut être améliorée afin de tendre vers cet objectif. Cela passe notamment par la mise en place d'un Bureau enquête accidents (BEA) spécialement compétent en matière de risques industriels – proposition qui a beaucoup animé nos échanges. Chaque incident, qu'il soit majeur ou mineur, donnerait lieu à un retour d'expérience, comme cela a été le cas de manière assez naturelle après les événements ayant touché AZF et postérieurement Lubrizol, au travers d'une enquête administrative indépendante, à l'image de ce qui existe dans le secteur des transports.
Une police des sites industriels, concernant plus précisément ceux relevant de la catégorie des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), pourrait également être créée au sein des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) afin de s'assurer, d'une part, qu'ils respectent bien la réglementation et, d'autre part, qu'ils relèvent bien dans la bonne catégorie. Comme vous le savez, les sites SEVESO font l'objet de contrôles systématiques de la part des DREAL : tous les ans pour ceux qui sont classés dans la catégorie SEVESO « seuil haut », tous les trois ans pour ceux dits SEVESO « seuil bas ». Les autres sites classés ICPE sont quant à eux répartis en différentes catégories : il y a les sites soumis à autorisation, à enregistrement et à déclaration. Si les installations classées dans les deux premières catégories font l'objet, tous les sept ans, de contrôles de la part des DREAL, il n'y a pas d'obligation de contrôle dans un délai donné pour ceux qui appartiennent à la dernière catégorie, alors qu'elle regroupe près de 400 000 sites. J'ajoute, pour votre parfaite information, qu'il existe, pour les ICPE soumises à déclaration, une sous-catégorie : celle des installations soumises à déclaration avec contrôle périodique (DC), ce qui correspond à une situation intermédiaire entre le régime de la déclaration et celui de l'enregistrement. Elles sont soumises à des contrôles menés tous les cinq ans par des organismes privés agréés – celles qui sont certifiées conformes à la norme ISO 14001 ne sont contrôlées que tous les dix ans.
L'entreprise Normandie Logistique considérait qu'elle était soumise au régime de déclaration, et ne faisait donc pas l'objet de contrôles de la DREAL, alors que cet organisme a estimé, au terme d'un contrôle faisant suite à l'incendie, que l'entreprise relevait du régime de l'enregistrement. La force de police que je propose de créer permettra de procéder chaque année au contrôle d'un certain nombre d'installations soumises au régime de la déclaration, afin de vérifier qu'elles respectent la réglementation, de la même manière que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) contrôle les restaurants. Cela permettra également de s'assurer que chaque installation figure bien dans la bonne catégorie. Or, à l'heure actuelle, comme vous le savez, ce sont les exploitants eux-mêmes qui indiquent aux DREAL à quel niveau de la classification ils se situent.
Il faut également, pour mieux lutter contre le risque industriel, imposer aux exploitants des sites classés SEVESO de mettre à la disposition des inspecteurs des DREAL tous les documents émis par les assureurs. Comme la presse locale puis les médias nationaux s'en sont fait l'écho, l'assureur de Lubrizol avait bien réalisé un document relatif au risque incendie d'un bâtiment de stockage, mais l'exploitant n'avait aucune obligation de le communiquer à la DREAL.
Enfin, il faut, s'agissant des sites SEVESO, approfondir la notion de plateforme industrielle, afin de mieux prévenir les risques technologiques dans un ensemble industriel regroupé – cela concerne notamment les sites en interaction immédiate, dont la relation est matérialisée par des liens contractuels et des activités communes, par exemple les usines dont l'activité dégage une chaleur importante, récupérée in situ par un réseau de chaleur urbain. On pourrait étendre cette logique aux relations existant entre Normandie Logistique et Lubrizol, qui sont de nature contractuelle, la première assurant le stockage, à proximité immédiate des installations, de produits chimiques finis après fabrication par la seconde.
Le troisième axe de mes propositions concerne l'amélioration de l'information et de la communication à destination de la population lors de la survenance d'un accident créant une situation à risque. La France doit d'ailleurs transposer d'ici à 2022 la directive européenne établissant le code des communications électroniques européen.
Comme vous le savez, trois technologies différentes sont d'ores et déjà disponibles. La première consiste à envoyer des SMS géolocalisés. Les opérateurs identifient le lieu de vie de leurs clients à partir des données contractuelles, ce qui présente l'inconvénient de ne pas donner d'informations sur leur localisation réelle à un instant « t ». La deuxième passe par le téléchargement d'une application mobile permettant de recevoir des messages. La troisième technologie, qui est la plus onéreuse mais aussi la plus complète, porte le nom de Cell broadcast. Elle permet d'envoyer un message personnalisé dans une zone géographique donnée grâce aux antennes du réseau mobile.
C'est cette technologie que je recommande à l'État d'adopter, car elle me paraît la plus complète et la plus pertinente. En effet, on ne peut se contenter d'envoyer des messages aux personnes qui vivent dans un territoire et à celles qui ont accepté de recevoir des informations : il faut être en mesure de toucher également celles qui ne font que passer par là, ou encore qui y travaillent sans y vivre.
Je propose en outre d'analyser en direct le contenu des réseaux sociaux lors des situations de danger : il faut connaître les questions que les citoyens se posent et y répondre le plus rapidement possible, mais aussi identifier et déconstruire les fake news.
Enfin, je propose de créer une cellule de communication de crise au sein de l'État, pouvant être déployée en cas d'accident technologique afin d'accompagner le préfet. Cela permettrait de traduire la parole technique en un langage accessible à la population, ce qui rassurerait celle-ci, tout en lui donnant l'information la plus précise possible.
Le quatrième axe vise à relancer l'attractivité de Rouen, notamment en proposant un plan en faveur de la Seine-Maritime, à l'image de qui a déjà été fait pour d'autres départements tels que la Seine-Saint-Denis. Une campagne de communication d'envergure internationale pourrait également être organisée. À cet égard, le groupe Lubrizol s'était fortement engagé juste après l'incendie mais, depuis lors, nous n'en avons plus entendu parler ! La parole donnée doit être respectée et se traduire dans les faits : il faut donc maintenir la pression.
Je propose, enfin, de confirmer la vocation industrielle de la Métropole de Rouen en y développant un projet industriel du XXIe siècle.
J'en viens à la troisième partie de mon rapport, qui traite des sujets restant en suspens, sur lesquels la mission ne peut pleinement conclure. C'est le cas, évidemment, du suivi épidémiologique, qui comporte différentes étapes et plusieurs niveaux qui permettront de déterminer si les sols ont été pollués et si la population devra subir des conséquences à long terme. Il est beaucoup trop tôt pour émettre des conclusions à ce sujet, d'autant plus que, comme vous le savez, nous ne disposons pas de toutes les informations. En effet, le groupe Lubrizol devait faire réaliser des analyses dont la publication était prévue le 15 janvier. Or, en raison du très grand nombre d'échantillons et de tests et du fait que les laboratoires privés en charge de les mener à bien sont surchargés – Mme la ministre de la santé et des solidarités nous l'avait dit : ils sont littéralement « sous l'eau » –, il a fallu les décaler, et la date à laquelle tous ces résultats seront communiqués n'est pas encore connue.
L'indemnisation est une autre question extrêmement importante sur laquelle nous ne pouvons pas conclure de manière définitive. Lubrizol, accompagné par les pouvoirs publics, a mis en place deux fonds d'indemnisation, l'un destiné à compenser les pertes agricoles, l'autre pour les commerçants et les collectivités. Mon rapport évoque cet aspect et comporte quelques recommandations, mais il est évident qu'il doit continuer à faire l'objet d'un suivi par les parties prenantes, notamment la préfecture de la région Normandie.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je vous remercie de votre travail, que je salue, et de vos propositions, que je trouve très intéressantes. Comme la plupart de nos collègues, je suppose, je viens de prendre connaissance à l'instant du rapport.
Au-delà des propositions, dont nous aurons l'occasion de discuter, je voudrais dire que je regrette que la ministre de la transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne, ait tenu une conférence de presse hier, c'est-à-dire juste avant la présentation officielle de notre rapport. Sur la forme, je trouve que ce n'est pas bien, compte tenu du travail fourni tant par le président et le rapporteur que par les administrateurs. Quelle incorrection !
Je pense que je ne suis pas le seul à avoir ce sentiment. L'exécutif est une chose, le législatif en est une autre. La moindre des choses aurait été que l'on respecte le travail de notre mission d'information.
Je voudrais à mon tour saluer le travail accompli par l'ensemble des membres de la mission, à commencer bien sûr par le président et le rapporteur. Pour avoir assisté à bon nombre d'auditions, je peux témoigner de la fidélité du rapport : on y retrouve aussi bien les questions qui ont été posées que les réponses des personnes auditionnées.
Ce rapport très intéressant présente un certain nombre de propositions. Je remercie le rapporteur d'avoir retenu certaines de mes suggestions. Je salue également l'avant-propos du président : à titre personnel, je trouve intéressante sa proposition de créer une Autorité de sûreté des sites SEVESO. J'espère que nous aurons l'occasion d'y revenir.
Je voudrais apporter quelques précisions en ce qui concerne les risques sanitaires – qui ont, très légitimement, fait naître de vives inquiétudes – et leur évaluation. Le comité pour la transparence et le dialogue, dont je fais partie, a commencé ses travaux. Trois réunions ont d'ores et déjà eu lieu. La première question qu'il a à traiter est celle de l'enquête en population. Nous préparons, pour ce faire, une pré-enquête. Nous avons décidé, lundi soir, qu'elle serait réalisée à Buchy, à Préaux, à Petit-Quevilly et dans le quartier Saint-Gervais de Rouen. Une fois que cette première étape aura été franchie et que certaines questions d'organisation auront été réglées, l'enquête sera élargie. Par ailleurs, dans le cadre de l'étude des données de santé fondée sur les indicateurs existants, nous avons déjà recensé l'ensemble des données épidémiologiques. Il nous reste à déterminer quels indicateurs feront l'objet d'un suivi en fonction des pathologies recherchées. Un sous-groupe composé de médecins s'est attelé à cette tâche. Peut-être serait-il intéressant de mentionner ces éléments dans le rapport : le fait de savoir que le processus avance à un rythme sérieux – car le comité se réunit toutes les quatre semaines – rassurerait la population.
Pour ma part, j'ai eu l'occasion de prendre connaissance du rapport, mais rapidement : je vous prie par avance de m'excuser si certaines de mes observations y sont déjà traitées. Je me joins à mes collègues pour saluer la qualité des auditions. Je remercie le président et le rapporteur d'avoir accepté nos propositions en la matière : nous avons pu interroger les gens que nous souhaitions.
J'ai eu la même réaction que M. Cordier en entendant que la ministre proposait un plan d'action avant même que les conclusions de nos travaux et de ceux de la commission d'enquête du Sénat soient publiées. Par respect pour le Parlement, il était urgent d'attendre.
En ce qui concerne les propositions faites par M. le rapporteur, je dois dire qu'elles me laissent en partie sur ma faim ! Pour aller vite, je me retrouve plus dans l'avant-propos de notre président. Quand je dis que les propositions me laissent sur ma faim, je veux parler de celles qui manquent plutôt que de celles qui figurent dans le rapport, avec lesquelles je pourrais être en accord. L'idée d'approfondir la notion de plateforme industrielle, par exemple, me semble intéressante, tout comme celle visant à imposer à l'exploitant de mettre à la disposition les documents établis par son assureur, ou celle consistant à renforcer le contrôle exercé par les DREAL.
Je serai un peu plus nuancé, voire interrogatif, s'agissant des propositions nos 12 et 13. « Confirmer la vocation industrielle de la Métropole de Rouen », écrivez-vous. En soi, cela ne me pose pas de problème : je suis favorable à ce qu'il y ait une industrie en France. Cela doit-il passer par l'implantation d'une usine de batteries ? On pourrait plutôt espérer – c'est mon cas, je l'avoue – que la Métropole soit en pointe dans le domaine de la transition écologique.
Quant à la proposition no 12, consacrée au plan d'attractivité pour la Seine-Maritime, elle consiste notamment à « organiser un événement de renommée internationale à Rouen ». Pour bien connaître les bateaux, j'ai l'impression que L'Armada, pour ne citer qu'elle, est déjà un événement de portée internationale.
Ce ne sont là que des détails ; je n'ai pas l'intention de m'y arrêter. En revanche, nous avons un désaccord sur un point important. Vous écrivez : « votre rapporteur tient d'emblée à repousser l'argument polémique relatif à une prétendue insuffisance chronique du nombre des agents de l'inspection des installations classées en fonction dans les territoires ». On retrouve la même idée dans le plan d'action de Mme Élisabeth Borne. Celui-ci reprend d'ailleurs l'une des propositions figurant dans l'avant-propos du président, à savoir la création d'une Autorité de sûreté des sites SEVESO. Cette piste me semble intéressante, de même que d'autres ; le problème est qu'il n'y a rien à propos des effectifs. Autrement dit, on ne parle que de réorganisations. Or je ne suis pas du tout d'accord avec la conclusion du rapporteur, que je viens de lire : les services de prévision des risques du ministère de la transition écologique et solidaire, de même que ceux de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) et des autres opérateurs compétents ont subi une véritable hémorragie, qui n'est d'ailleurs pas du seul fait de ce gouvernement, je tiens à le préciser. Dans ces conditions, il sera difficile de faire plus avec moins, comme le propose, pour l'essentiel, le rapport ! À cela s'ajoutent le vieillissement de l'appareil industriel français et l'aggravation du dérèglement climatique qui auront des incidences sur les risques industriels.
Je rappelle, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire, les chiffres donnés par la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) elle-même – je le précise, car il ne s'agit pas de polémiquer : il faudrait 200 inspecteurs supplémentaires pour faire ne serait-ce que le minimum requis. Par ailleurs, en quinze ans, le nombre d'inspections a été divisé par deux. Cela n'affecte peut-être pas les sites SEVESO eux-mêmes, mais il y a des carences s'agissant des entreprises situées à proximité : cela ressort clairement des auditions. Je suis donc en désaccord avec le fait que cela ne soit pas consigné dans le rapport.
Un autre élément important me semble manquer dans le rapport, même s'il en est question dans l'avant-propos du président : la formation complète des salariés des entreprises sous-traitantes. Une étude réalisée par la Chambre de commerce et d'industrie Rouen soulignait d'ailleurs bien le problème. Mais peut-être ai-je lu un peu vite et, en tout état de cause, cela ne devrait pas constituer un point de désaccord entre nous.
Enfin, l'avant-propos du président souligne l'urgence « de réaliser un état des lieux général du matériel d'intervention ». J'ignore si cela inclut les moyens maritimes…
… Mais ces derniers sont tout à fait essentiels. Rappelez-vous que Le Havre a failli perdre sa capacité d'intervention maritime ; fort heureusement, il n'en a rien été.
J'ai été très heureux de participer à cette mission d'information consacrée à un événement très malheureux. Je m'associe à mes collègues qui sont intervenus précedemment– ils étaient unanimes au moins sur ce point – pour dire que nous avons pu mener nos auditions comme elles devaient l'être. J'ai trouvé, monsieur le président, que vous aviez remarquablement présidé, et que, monsieur le rapporteur, vous aviez remarquablement rapporté. (Sourires.) Le fait même d'organiser une mission d'information est un acte fort ! Même si la procédure peut paraître plus légère que celle d'une commission d'enquête parlementaire. Cela montre à quel point l'événement qui nous a rassemblés a été grave et lourd de conséquences. Il a stupéfié la population et profondément meurtri une région.
Parmi les éléments positifs que je trouve dans les conclusions du rapport, il y a le fait qu'on ait retenu, au moins en partie, la proposition de notre collègue Pierre Cordier, consistant à installer un groupe de travail permanent, à l'image de ce qui existe pour les centrales nucléaires. C'est un peu le sens de la proposition no 10 : « Créer une cellule de communication de crise au sein de l'État pouvant être déployée en cas d'accident technologique pour assister les services de l'État en région et le préfet dans la communication de crise ». De fait, la question de la communication est très importante, et il m'a semblé que nous étions très démunis sur ce plan. Dans le même ordre d'idées, je souscris à la proposition no 3 : « Réaliser une fois par an un exercice de grande ampleur de risque naturel ou technologique sous forme de “journée à la japonaise” dans un département ». Certes, on ne peut pas tout prévoir, et nous savons tous qu'il existe, au coeur des villes, des installations un peu plus vétustes qu'elles ne devraient l'être, mais il faut se préparer. À cet égard, je suis très favorable à ce que cette dimension soit intégrée dans le Service national universel, tout comme j'approuve le SNU en lui-même – à supposer que celui-ci soit vraiment universel ! Je vous promets d'ailleurs que, si je suis le prochain Président de la République, je le mettrai en place, même si cela coûte 32 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien…
Par ailleurs, il est très important, comme le propose le rapporteur, de relancer l'attractivité de Rouen. Cela permettra à une population très meurtrie, et qui continue d'avoir peur – car on ne connaît pas encore toutes les conséquences de l'événement – de reprendre confiance. Une grande ville comme Rouen mérite des initiatives positives après avoir connu une telle épreuve.
Enfin, je partage l'avis de mon collègue Éric Coquerel : à force de déshabiller les services de l'État à tous les niveaux – sauf, hélas, en ce qui concerne les très hauts fonctionnaires –, il n'y a plus d'effectifs suffisants pour accomplir le travail de chaque jour consistant à se préparer, à surveiller, à rassurer, à pousser les entreprises à faire mieux. Il doit s'agir d'une démarche positive : on n'a pas besoin de contrôleurs qui empêchent tout ; il faut des facilitateurs, comme j'en ai connu à mes débuts dans la vie publique, il y a fort longtemps déjà.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je voudrais commencer par vous remercier tous les deux pour le travail effectué. Quelle ne fut pas ma stupéfaction de découvrir dans la presse locale, hier matin, trois quarts de page consacrés aux propositions faites par la ministre de la transition écologique et solidaire, et seulement un petit encart concernant les vôtres ! C'était pour le moins maladroit.
Toutes vos propositions sont intéressantes, mais j'en retiendrai deux qui me semblent majeures. En France, nous l'avons tous constaté, la culture du risque n'existe absolument pas : il faut la développer, cela dès la plus tendre enfance. À mes yeux, c'est un enjeu essentiel. En tant que citoyens, nous devons savoir quoi faire en cas d'incident, même si nous espérons tous, évidemment, qu'il ne s'en produise jamais. Par ailleurs, je souscris à l'idée, développée par M. Bouillon, d'une Autorité de sûreté des sites SEVESO. Il va falloir avancer sur ce point.
Peut-être n'ai-je pas très bien lu le rapport, mais il y manque, me semble-t-il, un élément important. À la suite d'un échange avec un colonel des pompiers, il m'était apparu qu'il faudrait instaurer des schémas départementaux permettant de mutualiser les moyens de secours privés et publics. On voit bien, par exemple, qu'au début de l'incendie, un problème est intervenu : les remorqueurs n'avaient pas les bons tuyaux. Si un schéma comme celui que j'évoquais avait existé, les secours auraient peut-être été plus réactifs. Là où de tels plans existent, il faudrait renforcer les moyens, particulièrement à proximité des sites SEVESO.
Merci, chers collègues, pour ce document remarquable qui fera figure de référence. Je le déclare tout net : l'intervention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire n'était absolument pas opportune, car elle a affaibli médiatiquement nos propres propositions. Quels médias vont les relayer, surtout si elles sont différentes de celles de Mme la ministre ? Ce n'est pas ainsi que la démocratie fonctionne. Courir derrière les médias pour faire des annonces plus vite que les autres, cela ne renforce pas notre société ; pire encore, cela n'aide pas, in fine, à prendre des décisions permettant de veiller à la sécurité des Français – ce qui est bien le sens de notre mission.
Comme Éric Coquerel, je me retrouve bien plus dans l'avant-propos du président que dans les propositions du rapporteur. Le premier, en effet, en appelle à un État prenant ses responsabilités. De fait, l'État doit mettre les moyens, transformer le système – en un mot, être à la hauteur. Les propositions du rapporteur, quant à elles, laissent entendre que chacun, dans son individualité, qu'il s'agisse d'une personne physique ou d'une personne morale, a sa responsabilité. Or, je le répète, c'est d'abord à l'État de prendre ses responsabilités. C'est ainsi que nous le concevons en France – en tout cas, c'est bien le modèle de société dans lequel je m'inscris, celui que je souhaite voir perdurer en France. Certes, nous pouvons nous demander comment faire en sorte que les citoyens réagissent mieux en cas d'accident, mais c'est vraiment au niveau de l'État que des manques sont constatés : comme vous le rappelez, monsieur le président, les besoins matériels sont notables, notamment pour contrôler tous les sites visés. C'est d'autant plus vrai avec les effets du dérèglement climatique. Si l'on en croit des projections publiées lundi, les catastrophes naturelles – qu'il s'agisse par exemple d'incendies ou d'inondations – seront non plus centennales mais annuelles. Dans ces conditions, l'État devra contrôler davantage certains sites qui existent déjà mais ne sont pas, pour l'instant, sous la menace de dangers extérieurs.
En conclusion, et au risque d'être un peu trop acide, je dirai que, plutôt que d'allumer une ampoule halogène attirant les médias – je veux parler d'un BEA « Risques industriels » –, notre rôle devrait être de travailler à la prévention. Je reprends à mon compte une phrase de M. le président dans son avant-propos : « La première réponse est avant tout préventive ». J'ajouterai : même si, médiatiquement, cela ne rapporte rien !
Je voudrais faire une observation qui me semble importante : les différentes propositions qui sont sur la table – les miennes et celles du rapporteur, mais aussi celles d'autres collègues qui ont eu l'occasion de s'exprimer – sont complémentaires. Elles ne sont pas antagonistes. En soi, c'est d'ailleurs intéressant, car on a déjà vu, à l'issue de commissions d'enquête ou de missions d'information, des désaccords frontaux sur les propositions.
Je voudrais répondre à M. Cordier et, par la même occasion, à Mme Firmin Le Bodo, à M. François-Michel Lambert et à M. Coquerel à propos de la prise de parole de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire. Effectivement, on peut regretter qu'elle ait eu lieu la même semaine que la présentation de notre rapport. Cela dit, il ne revient pas au législateur d'imposer quoi que ce soit à l'exécutif – l'inverse est tout aussi vrai, d'ailleurs. D'après ce que j'ai compris, la mission interne diligentée par l'État est arrivée à son terme, ce qui a permis à Mme la ministre de faire des annonces. N'hésitez pas à faire savoir aux membres du gouvernement avec lesquels vous pourriez avoir des contacts privilégiés qu'il est dommage que ces annonces soient tombées la même semaine que la restitution de notre rapport. La chose est dite !
Monsieur Coquerel, l'usine de batteries n'est qu'un exemple que je cite dans le rapport, mais on peut, bien sûr, envisager d'autres idées. L'objectif était d'évoquer une industrie du XXIe siècle, participant à la transition écologique.
À cet égard, je pense néanmoins qu'une usine de batteries pourrait être intéressante : fabriquer des batteries en France plutôt qu'en Pologne ou, pire encore, en Chine réduirait considérablement l'impact environnemental.
Quant à l'idée d'un événement de renommée internationale, je la reprends car le Président de la République l'avait lancée lors de sa venue à Rouen. Il est important de veiller à ce que le sujet ne tombe pas dans les abîmes du système médiatique : voilà pourquoi j'ai voulu en « remettre une couche ». Il s'agit de faire en sorte que l'engagement pris par le Président de la République vis-à-vis des Rouennais – et, plus largement, des Français – soit concrétisé.
En ce qui concerne les effectifs, j'aborde la question dans mon rapport, tout en indiquant que les moyens dont disposait la mission d'information ne lui permettaient pas d'établir exactement le nombre d'équivalents temps pleins (ETP) supplémentaires qu'il faudrait pour mettre en oeuvre la mesure que je préconise. Au demeurant, il ressort des auditions que nous avons menées, notamment de celle du directeur général de la prévention des risques (DGPR) – autrement dit, et pour aller vite, le responsable des DREAL –, que l'ensemble des obligations, en termes de contrôle des sites industriels, sont respectées. Les sites qui sont classés SEVESO « seuil haut », par exemple, doivent être contrôlés au minimum une fois par an. Cette obligation est plus que respectée : comme cela a été rappelé, le site de Lubrizol avait été contrôlé trente-huit fois avant l'incendie. Toutefois, il est vrai que, ces dernières années, de nombreuses réorganisations ont eu lieu et que des contraintes administratives se sont trouvées renforcées, ce qui a conduit à une diminution du nombre total de contrôles réalisés – sans pour autant que cela mette en cause le respect de leurs obligations par les DREAL. Je rappelle, enfin, que Mme la ministre a annoncé une augmentation de 50 % du nombre de contrôles d'ici à 2022, ce qui implique certainement, du moins je l'imagine, des moyens supplémentaires, qu'il lui appartiendra de détailler, notamment au moment du projet de lois de finances (PLF), en fin d'année.
Pour ma part, je le répète, j'ai compris que le nombre de contrôles allait augmenter de 50 %, ce qui passerait notamment – mais pas exclusivement – par des allégements administratifs. Quoi qu'il en soit, nous aurons d'autres occasions d'avoir ce débat, en particulier au moment du PLF.
En ce qui concerne la création d'une Autorité de sûreté des sites SEVESO, sur le modèle existant de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), c'est effectivement une mesure que je n'ai pas reprise à mon compte. J'en détaille les raisons dans mon rapport, plus précisément à la page 83, que je vous invite à lire. Ma conviction, forgée au fur et à mesure des auditions, est que l'ASN a une utilité parce que le nombre de sites nucléaires est limité – il y a, me semble-t-il, cinquante-huit tranches –, alors qu'il existe plus de 1 300 sites SEVESO ! De plus, dans le domaine du nucléaire, l'État est juge et partie : il participe à la gestion quotidienne des sites nucléaires notamment à travers son actionnariat chez EDF, tout en étant aussi chargé des contrôles. Cette situation n'est pas de nature à garantir une parfaite indépendance des contrôles. En ce qui concerne les sites SEVESO, je suis plutôt partisan de renforcer les DREAL, car il s'agit d'un outil qui a montré son efficacité. Comme je le rappelle dans mon rapport, à ce stade, l'incendie du 26 septembre n'a occasionné ni morts, ni blessés. Or il me semble que ce résultat peut être mis au crédit de la DREAL, qui, du fait des contrôles menés au cours des années précédentes, a certainement permis de limiter les risques de suraccident. Par exemple, on nous a expliqué que des cuves de GPL avaient été enlevées pour éviter qu'un incendie ne prenne une ampleur majeure en cas d'explosion à proximité.
Les DREAL me paraissent donc efficaces et, selon moi, il convient de les renforcer ; d'où ma proposition visant à ce que les documents émis par les assureurs leur soient transmis. Je propose également d'augmenter les contrôles. J'explique aussi dans le rapport – même si cela ne donne pas lieu à une proposition en bonne et due forme – qu'il faut continuer à réfléchir aux moyens de lutter contre les incendies dans les sites industriels.
Monsieur Coquerel, vous avez également parlé de la sous-traitance. J'aborde la question dans mon rapport, même si elle ne donne pas lieu à une proposition car, dès le départ, mon objectif n'était pas de produire un document contenant une centaine de propositions : plus on en fait, moins chacune d'entre elles a de poids politique. Il n'en reste pas moins que les personnes qui, dans les ministères, seront chargées de lire ces pages en feront usage. J'écris qu'il convient de s'assurer que la formation des sous-traitants est en conformité avec ce que prévoit la loi.
En ce qui concerne, enfin, l'implantation des moyens du Plan de lutte contre la pollution maritime (POLMAR), il s'agit de l'un des éléments que je reprends dans mon rapport. Au demeurant, lors d'une audition filmée, M. le ministre de l'intérieur a bien précisé qu'il n'y avait aucun projet de transférer les moyens POLMAR en Bretagne, ce que craignaient certains collègues.
Madame Firmin Le Bodo, je pense vous avoir déjà répondu, en ce qui concerne aussi bien la maladresse de l'exécutif que les moyens de secours.
Monsieur Lambert, vous avez parlé du rôle de l'État dans un certain nombre de domaines. Je souscris entièrement à vos propos, et n'ai d'ailleurs pas l'impression d'avoir dit autre chose. Toutefois, quand on examine précisément la réglementation applicable aux sites industriels, on s'aperçoit qu'elle est très exigeante en France – c'est même la plus exigeante du monde. Selon moi, la question n'est donc pas vraiment de savoir si la réglementation est suffisante : il s'agit plutôt de savoir si elle est bien appliquée. C'est précisément là que se situait le problème dans le cas de Normandie Logistique, car l'entreprise a indiqué qu'elle était soumise au régime de la déclaration, alors qu'elle relevait du régime de l'enregistrement. D'où mon idée d'une police des sites industriels.
Contrôler les sites industriels est clairement le rôle de l'État, j'en suis pleinement d'accord. Je propose aussi, dans mon rapport, que les DREAL assurent davantage de transparence en publiant le pourcentage de sites visités chaque année. Ainsi, nous aurons une vision claire de ce qui se passe. En effet, à l'heure actuelle, quand on demande des informations de cette nature, elles n'ont pas d'obligation de nous les transmettre. Cela me permet de vous répondre également à propos de la prévention. Effectivement, il ne faut pas attendre qu'un incident se produise pour dire aux entreprises qu'elles doivent faire en sorte de résoudre les problèmes le plus rapidement possible. Il faut agir en amont, de façon à éviter que les sites industriels ne se retrouvent dans des situations à risque. C'est précisément l'objectif du BEA « Risques industriels » que je propose de créer. Certes, il interviendrait après chaque accident, mais cela pourrait permettre à l'ensemble du secteur industriel d'apprendre des erreurs des uns et des autres, en entraînant ainsi une amélioration collective. Comme je le disais dans mon propos introductif, il y a eu un retour d'expérience à la suite de l'accident d'AZF, parce que c'était un événement majeur, ayant entraîné un nombre de morts considérable, ce qui avait profondément choqué l'opinion : on n'avait pas eu d'autre choix que de faire quelque chose. C'est ainsi que les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) ont été créés, entre autres dispositions législatives. La même chose s'est produite avec l'incendie de Lubrizol, qui a lui aussi fait la une des médias. Mais il me paraît tout aussi important d'analyser des événements dont l'ampleur est moindre et dont ni le grand public ni les parlementaires n'ont connaissance. Ce serait la mission d'une autorité indépendante qui se rendrait sur place et mènerait des enquêtes.
Je le répète, cela permettrait à l'ensemble du secteur industriel d'apprendre.
Puisque vous avez évoqué ma proposition de créer une Autorité de sûreté des sites SEVESO, monsieur le rapporteur, je me permets de dire que l'argument du nombre de sites à contrôler peut être écarté très facilement. En effet, il existe déjà des inspecteurs, qui contrôlent les 1 362 sites SEVESO, et ma proposition consiste tout simplement à les regrouper dans la même autorité. Il ne s'agirait pas de créer une nouvelle catégorie d'inspecteurs. D'ailleurs, j'observe que les ingénieurs de la DREAL, qui sont ingénieurs des mines, ont souvent l'occasion, au cours de leur carrière, de travailler également pour l'ASN : il existe des passerelles. Il n'est pas rare de voir des inspecteurs qui commencent à la DREAL et qui travaillent ensuite à l'ASN puis retournent la DREAL.
Loin de moi l'idée de mettre en cause le professionnalisme des inspecteurs, dont chacun a considéré, au cours de la mission, qu'il était très grand. Nous avons la chance d'avoir des ingénieurs de ce niveau dans une administration d'État. Cela dit, le fait de les regrouper dans une autorité indépendante constituerait, me semble-t-il – mais c'est une idée qui peut se discuter –, un moyen à la fois de rendre publics des avis et recommandations, ce qui permettrait de recréer la confiance, alors que celle-ci s'est érodée, d'identifier clairement une sorte de « gendarme », reconnu aussi bien par les exploitants que par les ONG. On voit bien, à travers l'expérience de l'ASN, que les informations partagées avec le public permettent de raconter ce qui se passe dans les entreprises, ce qui est essentiel. Il faut, coûte que coûte, rétablir la confiance. Cela contribue aussi, d'ailleurs, à créer la culture du risque dont il a été question dans nos échanges.
J'ajoute un point qui me paraît important : la question n'est pas vraiment de savoir si ces inspecteurs sont indépendants vis-à-vis de l'État, car ils sont fonctionnaires de l'État, comme ceux de l'ASN d'ailleurs. Il s'agit plutôt de remédier à la difficulté, que nous avons observée, qui tient au fait que le préfet a une double mission – et, je le précise, je ne parle pas intuitu personae. Il est à la fois celui qui participe au développement économique et celui qui assure la protection des populations. La création d'une autorité exerçant un travail de contrôle et d'inspection, puis mettant ce travail à la disposition du préfet, lequel resterait décisionnaire en ce qui concerne les autorisations, me semblerait tout simplement de nature à offrir un peu plus de transparence et d'indépendance.
En revanche, je le dis très clairement, il n'y a pas d'opposition entre cette Autorité de sûreté des sites SEVESO et le Bureau d'enquête (BEA) que le rapporteur propose de créer : il y a là deux objets différents, qui pourraient être complémentaires et contribuer, l'un comme l'autre, à créer plus de confiance dans le secteur de l'industrie. Nous sommes à un moment où se fait sentir le besoin de contrôle, mais aussi d'autocontrôle à l'intérieur de l'État. D'ailleurs, c'est aussi comme cela que fonctionne parfois l'industrie. Il ne s'agit pas de remettre en cause le travail effectué à l'heure actuelle, mais d'offrir des garanties supplémentaires aux personnes qui sont extérieures à l'industrie, comme du reste au fonctionnement de l'État et des préfectures : cela leur permettrait d'avoir une meilleure compréhension de ce qui se passe. La question du tiers de confiance est revenue dans un grand nombre des témoignages que nous avons reçus. Je suis le premier à regretter qu'il n'y ait plus suffisamment de personnes qui considèrent que l'État est ce tiers de confiance ; c'est la raison pour laquelle je continue à penser qu'il faut confier à des fonctionnaires des missions de cette nature, tout en organisant les choses de telle manière qu'il y ait, malgré tout, des systèmes de contrôle comme d'autocontrôle. C'est le point de vue que j'ai souhaité défendre dans mon avant-propos.
Je vous propose maintenant de procéder formellement au vote. Celui-ci concerne la publication du rapport et non le contenu de celui-ci – je rappelle cette nuance, même si elle nous est familière à tous, car nous avons eu l'occasion de participer à bien d'autres commissions d'enquête et missions d'information. Je ne cherche pas à influencer votre vote, bien sûr, mais il me semble que la publication serait une bonne chose, y compris au regard de ce que vous avez dit les uns et les autres. En effet, vous avez salué notre travail – non seulement celui du rapporteur, mais aussi celui que nous avons mené collectivement pour fournir une information sérieuse sur le sujet, ce qui a bien été le cas. Ce travail méritait d'être fait. Notre démarche a été sérieuse. Elle débouche sur des conclusions différentes, il existe des nuances entre nous, ce qui est tout à fait normal. Nous sommes dans un débat démocratique. Il appartient désormais à chacun d'entre nous de défendre ses propositions.
La mission d'information autorise, à l'unanimité, la publication du rapport.
Chers collègues, je vous remercie de votre vote, ainsi que de votre présence et de votre participation à nos travaux. Je remercie aussi les fonctionnaires et tous ceux qui nous ont accompagnés pendant plusieurs mois dans notre démarche.
Je précise que les groupes ont jusqu'à demain à dix-sept heures pour déposer une contribution.
L'audition s'achève à dix-huit heures.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à Rouen
Réunion du mercredi 12 février 2020 à 17 heures
Présents. - M. Damien Adam, M. Christophe Bouillon, M. Éric Coquerel, M. Pierre Cordier, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Jean-Luc Fugit, Mme Perrine Goulet, M. François Jolivet, Mme Stéphanie Kerbarh, M. François-Michel Lambert, M. Jean Lassalle, M. Bruno Millienne, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Sira Sylla, Mme Annie Vidal
Excusé. - M. Xavier Batut