Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 29 septembre 2020 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission des affaires économiques a auditionné, conjointement avec la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire et la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, M. Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie.

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de la commission des finances, Éric Woerth président, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Nous recevons aujourd'hui, à la demande de députés de presque tous les bancs, M. Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie. Après avoir auditionné mercredi dernier, dans un premier temps MM. Philippe Varin et Bertrand Camus, respectivement président et directeur général de Suez, puis M. Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia, et M. Thierry Déau, président de Meridiam, il nous semblait important d'interroger dans les mêmes conditions le groupe Engie, qui a annoncé vouloir céder ses parts dans Suez.

Monsieur Clamadieu, Engie détient aujourd'hui un peu plus de 30 % des parts de Suez. Il a été annoncé que Veolia entendait racheter, dans un premier temps, votre participation à ce capital à hauteur d'un peu de moins de 30 %, puis lancer, dans un second temps, une offre publique d'achat (OPA) afin de prendre le contrôle de Suez. Nous souhaiterions connaître les raisons qui vous font vendre vos parts dans cette société, en relation avec la stratégie globale de votre groupe, et votre point de vue sur les récents développements d'un dossier qui, reconnaissons-le, est assez compliqué. Le Parlement n'avait pas vraiment de raison de s'en mêler, mais les parties en présence ont‑elles‑mêmes saisi les parlementaires, et certains de nos collègues ont des positions très tranchées, dans un sens ou dans l'autre. Le Parlement n'a évidemment pas à prendre position en tant qu'institution, et nos commissions non plus – le président Roland Lescure et moi-même sommes d'accord sur ce point. Un groupe de travail poursuivra la démarche que nous avons engagée en procédant à quelques auditions complémentaires, notamment celle des représentants de l'Agence des participations de l'État.

Comme j'ai promis au président Clamadieu que cette audition ne durerait pas plus d'une heure, seuls les représentants des groupes pourront s'exprimer ; vous m'en voyez désolé, mais c'était la condition pour qu'elle ait lieu dans des délais compatibles avec l'actualité.

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de la commission des affaires économiques, Roland Lescure président

Le président Éric Woerth vient de le dire : nous avons décidé de créer un groupe de travail chargé d'auditionner rapidement l'ensemble des acteurs concernés par ce dossier. Ce groupe comprend MM. Bruno Bonnell, Gilles Carrez, Jean-Paul Mattei et Jérôme Nury, et Mmes Bénédicte Peyrol et Valérie Rabault.

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Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie

Messieurs les présidents, mesdames et messieurs les députés, je vais essayer de vous expliquer pourquoi nous avons pris la décision, il y a maintenant deux mois, de recentrer nos activités sur deux métiers essentiels, ce qui nous a conduits à indiquer que, notre participation chez Suez n'étant plus que financière, nous étions prêts à écouter ceux qui souhaiteraient nous faire des propositions, et je ferai bien sûr quelques commentaires sur les événements qui ont suivi.

Je commencerai par me présenter. Je suis depuis deux ans président du conseil d'administration d'Engie, après avoir fait carrière dans la chimie pendant une quinzaine d'années. J'ai été successivement dirigeant de deux sociétés de chimie, Rhodia et Solvay. Je note d'ailleurs que Solvay ayant lancé en 2011 une offre publique d'achat sur Rhodia, je me suis trouvé alors dans la situation de M. Bertrand Camus aujourd'hui – quoique la dynamique fût assez différente : après un dialogue constructif, les deux sociétés se sont rapprochées et j'ai pris la tête de l'ensemble, ce qui m'a valu de vivre quelques années en Belgique, pays dans lequel Solvay a son siège.

Engie est l'un des grands acteurs français de l'énergie – je devrais plutôt dire un acteur mondial, mais le groupe a son siège en France et des racines françaises très fortes. Nous employons 80 000 personnes en France, nous y avons investi plus de 3 milliards d'euros et sommes le gestionnaire de l'essentiel des infrastructures gazières françaises, incluant tant le réseau de transport que celui de distribution, qui amène le gaz jusqu'à chacun des points de consommation. Nous sommes, en outre, un grand producteur d'électricité, même si cette activité concerne essentiellement le Benelux et l'Amérique latine ; nous avons bien quelques centrales en France, mais il y a dans ce pays, vous le savez, un acteur dominant. Nous comptons aussi, et cela se sait moins, parmi les grands acteurs du développement d'énergies renouvelables dans le monde, le premier en France : énergie solaire, énergie éolienne, avec une priorité donnée à l'éolien en mer, et pas forcément à proximité des côtes, ce qui pose un certain nombre de problèmes – mais nous pensons que cette forme d'énergie est promise à un grand avenir.

Engie résulte de la fusion en 2008 de deux entreprises aux histoires très longues et très différentes : Suez, qui tire ses origines du canal de Suez mais a beaucoup évolué par la suite jusqu'à devenir un acteur important de l'électricité, et Gaz de France. Au moment de la fusion, les pouvoirs publics ont décidé, pour assurer l'équilibre de l'opération, de mettre sur le marché les activités de services à l'environnement, qui constituent le groupe Suez aujourd'hui, le nouvel ensemble Suez-Gaz de France, devenu Engie, gardant le contrôle de ces activités à travers un pacte d'actionnaires regroupant un peu moins de 40 % du capital. Il a été mis un terme à ce pacte d'actionnaires en 2013 ; depuis lors, Engie détient une participation financière dans Suez, à savoir 32 % du capital, non consolidée. Nous sommes représentés au conseil d'administration de Suez, mais très faiblement : auparavant trois, désormais deux administrateurs. Nous n'avons, en définitive, que très peu de relations opérationnelles avec Suez : selon les dernières évaluations, les projets dans lesquels nous intervenons en commun représentent un peu moins de 20 millions d'euros de chiffre d'affaires, ce qui, à l'échelle de groupes réalisant 10 à 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires, est une tête d'épingle. Il arrive même que nous nous retrouvions en concurrence.

Depuis la fin du pacte d'actionnaires, la question de l'avenir de cette participation est régulièrement posée. On est passé successivement par des phases où l'on pensait qu'il fallait la céder et par des moments de doute, où l'on s'interrogeait sur la possibilité de reprendre le contrôle de Suez. Quand je suis arrivé à la présidence du conseil d'administration, ma première réaction fut de considérer qu'une participation de 30 % dans une société industrielle avec laquelle on a peu de synergies opérationnelles, c'était soit trop, soit pas assez, et qu'il convenait de sortir le plus rapidement possible de cette ambiguïté.

Suez était alors en train de renouveler sa gouvernance – MM. Gérard Mestrallet et Jean-Louis Chaussade étaient encore, respectivement, président et directeur général. Pour faciliter la mise en place de la nouvelle gouvernance, nous avons annoncé en décembre 2018 que notre participation de 30 % nous satisfaisait et que nous n'avions pas l'intention, à court terme, de la modifier. Néanmoins, Engie a poursuivi sa réflexion stratégique, ce qui nous a amenés en juillet dernier à nous fixer des orientations très claires et à choisir deux métiers dans lesquels nous souhaitons nous développer. Ces deux métiers, ce sont les énergies renouvelables et les infrastructures, ce qui n'est pas une surprise, puisqu'il s'agit de secteurs dans lesquels le groupe est un acteur mondial reconnu. S'agissant des énergies renouvelables, nous avons affiché notre ambition d'accroître – pardon d'entrer dans les détails techniques – de 3 à 4 gigawatts nos nouvelles installations connectées, soit une augmentation d'un tiers, et d'inclure dans notre bilan un nombre beaucoup plus important de ces projets dès lors qu'ils ont été développés. Quant aux infrastructures, notre ambition porte essentiellement sur ce qu'on appelle les infrastructures urbaines, en France et hors de France : réseaux de chaleur, réseaux de froid, réseaux d'éclairage et demain, je l'espère, réseaux de points de charge pour véhicules électriques. La volonté d'investir plus fortement dans ces métiers nous a conduits à examiner les différentes possibilités de dégager de nouvelles ressources financières qui s'offraient à nous. Nous avons annoncé, d'une part, une simplification de nos positions dans les activités de service, d'autre part, la cession de certaines participations, dont celle que nous détenons dans Suez. Voilà pourquoi, à la question « Qu'allez-vous faire de votre participation dans Suez ? », j'ai répondu, le 30 juillet dernier : « Tout est ouvert. » C'est apparemment ce qui a tout déclenché.

Permettez-moi un petit retour en arrière. Lorsque M. Bertrand Camus a été nommé directeur général de Suez, en mai 2019, je l'ai reçu et lui ai dit : « Bertrand, un industriel détient un tiers du capital de ton groupe, ce n'est pas une situation stable, un jour ou l'autre il va se passer quelque chose, il faut que tu t'y prépares ». De même, en janvier dernier, lorsque M. Philippe Varin – que je connais bien – a été pressenti comme futur président du conseil d'administration de Suez, je lui ai dit : « Philippe, la situation actionnariale de Suez va évoluer, il faut que tu t'y prépares » ; j'ai même ajouté que j'étais content qu'un industriel ayant son expérience prenne la présidence du conseil d'administration, parce que nous aurions besoin d'un interlocuteur solide et qui tienne les manettes si un tel scénario se présentait. Lorsque, dans le courant du mois de juillet, j'ai perçu que la nouvelle orientation stratégique d'Engie allait être confirmée, je le lui ai redit. Quand il m'a demandé si c'était urgent, je lui ai répondu – il me le reproche aujourd'hui – qu'Engie n'était pas pressé, parce que nous avions un bilan solide et plein de choses à faire. Ce que je ne savais pas, c'est que Veolia viendrait le 30 août avec une offre qui, du point de vue d'Engie, a le mérite d'être extrêmement simple, puisque Veolia propose de nous racheter un peu moins de 30 % du capital de Suez dans le cadre d'une transaction immédiate qui ne serait soumise à aucune contrainte au titre du droit de la concurrence, soit une opération absolument sans risque, puis de lancer une offre publique d'achat, qui lui permettrait de prendre le contrôle de Suez et de l'intégrer.

Je précise que les orientations stratégiques que nous avons présentées à la fin du mois de juillet ont été approuvées à l'unanimité par le conseil d'administration d'Engie, représentants de l'État et des salariés inclus. Il existe donc un fort consensus sur la décision – qui, de fait, est très logique – de nous recentrer sur les métiers dans lesquels nous disposons de savoir-faire reconnus et de céder des participations héritées de l'histoire mais qui, du point de vue industriel, n'ont aujourd'hui plus beaucoup de sens.

Nous avons examiné l'offre de Veolia sous trois angles. Premièrement, le prix, c'est-à-dire la valeur patrimoniale de l'entreprise ; c'est pour nous un point important et, je le souligne, cela doit l'être pour vous aussi, dans la mesure où l'État détient presqu'un quart du capital d'Engie. Deuxièmement, la qualité du projet industriel ; il ne s'agit pas de dire qu'il doit être meilleur comparativement à d'autres, mais il faut qu'il montre une certaine cohérence et qu'il nous paraisse solide. Troisièmement, ce que nous avons appelé le respect des parties prenantes et qui touche tant aux conséquences sociales de l'opération qu'à la capacité d'intégrer le management et de soumettre un projet inclusif. À l'issue de nos discussions avec Veolia, nous sommes aujourd'hui convaincus que le projet industriel est solide, que Veolia apportera des garanties en matière d'emploi susceptibles de nous satisfaire au regard des responsabilités qui sont les nôtres et que, s'agissant de la gouvernance de l'ensemble, des ouvertures seront faites en vue de constituer une équipe de direction mixte. En revanche, nous n'avons pas reçu de nouvelle offre concernant le prix, même si M. Antoine Frérot a promis de nous en faire une avant la réunion de notre conseil d'administration demain.

Sitôt après avoir reçu l'offre de Veolia, j'ai dit à M. Philippe Varin – et je l'ai répété publiquement – qu'il fallait une autre offre, que non seulement nous serions prêts à l'examiner, mais que nous pourrions aider à la construire, parce que, quand on veut vendre quelque chose, il vaut mieux avoir deux acheteurs potentiels qu'un seul. Et je dois dire que j'ai été très déçu de ne voir s'élaborer aucune autre offre au cours des quatre dernières semaines. Les dirigeants de Suez ont été très actifs sur le front médiatique, et peut-être aussi à l'Assemblée nationale, mais ils ne sont pas venus nous faire d'autre proposition – ni même discuter avec nous, alors que nous avions dit et répété que nous étions prêts à aider les fonds d'investissement potentiellement intéressés à émettre une offre. Rien de concret n'a été fait. Lors de notre dernier échange avec lui, jeudi dernier, M. Philippe Varin a confirmé qu'il n'avait rien à proposer – entre autres raisons parce qu'il juge que l'environnement actuel ne lui permet pas de construire une offre sereinement. En revanche, il a sorti de son chapeau, ou plutôt de celui de ses avocats, une « pilule empoisonnée », ce qui nous a, je dois dire, beaucoup surpris car on enfreint là les règles de l'OPA en pays civilisé : mettre des actifs dont on dit qu'ils sont absolument stratégiques pour le pays sous clé au sein d'une fondation de droit néerlandais opaque dirigée par on ne sait qui – il est question d'un avocat néerlandais, d'un ancien salarié… – ne nous paraît pas conforme à une relation normale entre une entreprise et ses actionnaires. En agissant ainsi, Suez s'est coupé de sa base d'actionnaires – d'Engie bien sûr, mais aussi des autres. Nous recevons d'ailleurs de leur part un abondant courrier nous appelant à remettre de l'ordre dans tout cela. Les dirigeants d'une entreprise ne peuvent pas s'opposer durablement à leurs actionnaires.

Voilà où nous en sommes. Nous nous trouvons à la croisée des chemins, puisque l'offre de Veolia expire demain. J'attends de sa part une nouvelle offre. Concernant les aspects sociaux et industriels ainsi que les questions de gouvernance, des améliorations ont été apportées. Reste la question du prix ; j'attends de voir ce que M. Antoine Frérot nous proposera. Quoi qu'il en soit, il faudra que le conseil d'administration d'Engie arrête, demain, sa position à l'égard de l'offre de Veolia.

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Merci, monsieur Clamadieu, pour la franchise de vos propos.

Il est vrai que la création de cette fondation par Suez nous a tous choqués, d'autant plus que nous avions reçu ses dirigeants le matin même du jour où sa création a été annoncée. Ce n'était certes pas le lieu pour faire une annonce, mais nous étions en droit d'attendre qu'ils nous fassent part de leurs projections à court terme. J'ai d'ailleurs indiqué au président Philippe Varin que, quand on est devant la Représentation nationale, on dit les choses, directement ou indirectement, mais on les dit.

Suez affirme que Veolia a pris tout le monde de court. Le temps est un facteur très important dans cette opération. Considérez-vous que les différents acteurs, à commencer par l'État, ont bénéficié, à chacune de ses étapes, d'une information suffisante ?

Le président-directeur général de Veolia nous a confié qu'il considérait que Suez vendait depuis quelque temps ses actifs de manière un peu précipitée ; il a même évoqué un dépeçage. Le fait que Suez se déleste d'un certain nombre d'actifs – probablement dans le cadre de son plan de restructuration – est-il pour vous un sujet de préoccupation ?

S'agissant enfin de l'échéance du 30 septembre : que peut-il se passer ensuite, du point de vue du vendeur ?

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De même que je l'avais indiqué aux dirigeants de Suez et Veolia, je vous informe, monsieur Clamadieu, que notre souci, dans ce dossier, est le maintien d'emplois, d'actifs, de savoir-faire et de technologies sur le territoire national, ainsi que, bien entendu, de services de qualité aux collectivités territoriales – le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation ne manquera pas de vous le faire savoir.

Quel fut le degré de surprise des actionnaires d'Engie face à la réaction de Suez ? Vous nous avez dit ce qu'il en avait été pour ce qui vous concerne, notamment du fait des relations personnelles que vous entretenez avec les dirigeants de Suez, mais quelle fut la réaction des autres actionnaires ?

S'agissant du calendrier, je dois admettre que je ne comprends pas très bien. Vous dites que vous n'étiez pas pressé ; M. Frérot nous a assuré que, pour lui, il y avait urgence. Vous estimez que son offre peut convenir, mais – je le dis sans aucun parti pris – ne pourrait-on pas se donner un peu de temps pour en étudier d'autres ?

Enfin, pourriez-vous nous dire quelle fut la position du représentant de l'État lors du conseil d'administration du 17 septembre et si l'État a exprimé une préoccupation concernant la cession de la participation d'Engie dans Suez ?

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Cette opération suscite beaucoup d'inquiétude parmi les collectivités territoriales, car la mise en concurrence leur paraît nécessaire pour garantir le prix, la qualité et la continuité du service qui leur est rendu.

Suez vend aujourd'hui un certain nombre de prestations aux collectivités territoriales, avec des synergies entre ses activités. L'opération consistant à isoler l'activité « eau » et à la vendre séparément vous semble-t-elle viable ?

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Toujours à propos du calendrier : vous êtes à la recherche d'un nouveau directeur général. Habituellement, on commence par compléter l'équipe de management, puis on procède à une revue stratégique, on fait adopter une stratégie par le conseil d'administration et, dans un dernier temps seulement, on passe en revue les actifs et l'on en vend éventuellement certains. J'ai bien compris que le calendrier de l'opération n'était pas le vôtre et que c'est Veolia qui l'a imposé, mais j'aimerais comprendre comment vous l'intégrez dans la mise en place de votre stratégie.

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Si l'on peut fort bien comprendre la volonté d'Engie de se recentrer sur ses métiers originels, on peut aussi s'interroger sur l'urgence de cette opération. Nous traversons une crise sanitaire de grande ampleur, un plan de relance de 100 milliards d'euros a été lancé par le Gouvernement. Est-ce vraiment le moment de déstabiliser un groupe comme Suez, avec les conséquences que cela peut avoir sur la qualité du service et la mobilisation des salariés dans une période aussi importante ? Je rappelle que les salariés en question, qui nous alimentent en eau et traitent nos déchets, furent les héros de notre quotidien, il n'y a pas si longtemps. Or voilà qu'ils apprennent qu'ils vont être vendus – pire, démantelés, puisque l'activité eau sera cédée à un fonds d'investissement. Suez a une responsabilité sociale et industrielle. Avez-vous mesuré toutes les conséquences d'une telle décision ? Le calendrier retenu semble indiquer que ce n'est pas le cas.

Vous avez exprimé votre insatisfaction sur l'offre de Veolia. En dehors du prix, quelles améliorations attendez-vous, notamment aux plans industriel et social ? En écoutant M. Frérot la semaine dernière, j'avais l'impression d'entendre Jeff Immelt, l'ancien PDG de General Electric, s'écriant, les bras tendus vers les salariés : « On va bien s'amuser ensemble ! » – sauf qu'on connaît la fin de l'histoire : Jeff Immelt n'est pas resté PDG de General Electric. Dans des opérations comme celle-ci, on a besoin de garanties, y compris sur la durée !

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Je voudrais moi aussi vous interroger sur le calendrier. Vous paraissez surpris par la rapidité de l'offre de Veolia. Moi, c'est votre surprise qui me surprend ! Depuis la constitution de Suez Environnement, il y a dix ans, son histoire est intimement mêlée à celle de Veolia. Quand le groupe qui allait devenir Engie a été constitué, en 2008, c'est à la demande des pouvoirs publics qu'il a pris une participation dans Suez Environnement, et ce afin de conserver un équilibre. Il y eut par la suite des tentatives de rapprochement entre Suez Environnement et Veolia. Ce qui se passe était totalement prévisible. J'ai du mal à imaginer que, lorsque vous avez officialisé, à l'issue du conseil d'administration du 30 juillet, la mise sur le marché de votre participation dans Suez – ce qui était, vous le reconnaissez vous-même, dans les tuyaux depuis un bout de temps –, vous n'ayez pas prévu que Veolia allait réagir.

Quant à l'État, lors de ce même conseil d'administration, son représentant a bien dû donner son accord. Et s'il n'a pas en tant que tel de siège au conseil d'administration de Veolia, en revanche, la Caisse des dépôts et consignations en a un et son représentant, qui agit, j'imagine, en liaison avec l'État, a approuvé l'offre de Veolia. Tout cela était écrit ! Vous semblez surpris par le calendrier, mais de l'extérieur, on a l'impression qu'au moins du côté de l'État actionnaire, d'Engie et de Veolia, cela faisait des mois que ce rapprochement était envisagé.

Enfin, je souhaiterais, tout comme le président Woerth, vous interroger sur les récentes cessions d'actifs par Suez. La vente en août d'Osis à Veolia, qui peut apparaître comme une préfiguration de ce qui est en train de se passer, était prévue depuis longtemps, mais elle a été suivie par d'autres ventes. Qu'en pensez-vous ?

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Vous avez évoqué le montage juridique un peu osé censé sécuriser l'activité eau de Suez en France et qui limite votre capacité à céder vos titres. Avez‑vous l'intention de l'attaquer ?

Les délais sont incroyablement courts pour le monde des affaires : l'offre de Veolia expire demain. Vu l'enjeu, il n'est pas sérieux d'être soumis à de telles contraintes.

Incluez-vous dans la valorisation de vos titres les engagements que pourrait prendre Veolia concernant le maintien des emplois, selon une sorte de garantie de passif inversée ? En effet, la composante humaine est essentielle dans ce dossier.

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La fin du pacte d'actionnaires datant de 2013, Engie a eu tout le temps de revoir sa stratégie ; je suis donc étonnée d'une précipitation qui semble vous agréer.

Si, compte tenu de ce dont nous débattons et de cette précipitation, le représentant de l'État au sein de votre conseil d'administration changeait d'avis pour s'opposer à la vente des parts d'Engie dans Suez, reverriez-vous votre position et attendriez-vous, pour vendre, l'émergence d'un projet industriel adapté ?

Le prix est un critère essentiel, nul ne le niera, mais selon quels autres critères sélectionnerez-vous l'acheteur de votre participation ?

Vous n'avez plus de directeur général depuis huit mois. Pourquoi est-il si urgent de vendre votre participation dans Suez, mais si peu urgent de nommer celui ou celle qui doit fixer la stratégie du groupe ou, du moins, sa mise en œuvre opérationnelle ?

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Une clause de sauvegarde de l'emploi – c'est essentiel, nous en sommes tous d'accord – comme de la qualité des services jouera-t-elle lors de la cession ?

Cette affaire est aussi une histoire de gros sous. Vous avez estimé le 4 septembre que la valorisation était insuffisante et demandé une revalorisation d'un milliard d'euros. Le président-directeur général de Veolia a déclaré pour sa part avant-hier qu'il envisageait de vous faire une proposition avant demain et évalué la revalorisation à 20 % environ, ce qui représente 580 à 600 millions d'euros supplémentaires : c'est un gros écart par rapport à ce que vous demandez. De quelle manière avez-vous fait vos calculs ?

Pour contrecarrer l'offre de Veolia, Suez propose le versement d'un dividende supplémentaire et promet à ses actionnaires d'améliorer nettement sa rentabilité au cours des années à venir. En tant qu'actionnaire, que pensez-vous de cette stratégie ? Pourrait-elle vous inciter à conserver vos titres ?

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Avez-vous eu, avant de décider en conseil d'administration de céder votre participation dans Suez, des contacts avec les pouvoirs publics, en particulier avec la Présidence de la République, le Premier ministre et son entourage, voire le ministre chargé des participations de l'État ?

Engie s'est-il entouré de cabinets de conseil dans cette affaire ? Si oui, pouvez-vous nous dire lesquels ?

Pourquoi Engie, une fois prise la décision de céder sa participation, n'a-t-il pas élaboré un cahier des charges fixant les critères de cession et un délai raisonnable de réponse ? Ne trouvez-vous pas étonnant que ce soit l'éventuel acheteur de votre participation dans Suez qui fixe le délai, aussi court de surcroît ?

En conseil d'administration, le représentant de l'État a-t-il explicité les raisons de son vote favorable à la cession ?

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Nous avons entendu la semaine dernière les représentants de Veolia et ceux de Suez ; chacun a compris le caractère hostile de l'opération, qui voit deux schémas rivaux s'affronter.

L'État est votre actionnaire de référence ; il est aussi garant des conséquences de la cession pour les consommateurs et les collectivités territoriales ; l'enjeu est non seulement l'emploi, mais aussi le prix des services pour les citoyens. Or l'État actionnaire, par la voix de Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, a clairement souhaité disposer d'un délai raisonnable avant la décision. Aujourd'hui, seul Engie peut donner du temps au temps. Comptez-vous négliger cette claire prise de position de votre actionnaire de référence ?

La date du 30 septembre a été dictée par Veolia, mais, n'ayant entendu de la part d'Engie aucun argument justifiant une telle hâte, nous devons en conclure qu'il n'y a pas urgence pour votre groupe du point de vue industriel. Pourtant, Engie semble pressé. Un élément nous aurait-il échappé ? Pourquoi ne pas attendre et prendre le temps de négocier une nouvelle offre, d'autant que la gouvernance d'Engie n'est pas tout à fait stabilisée ?

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Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie

Engie est entièrement opérationnel, et son conseil d'administration est légitime pour décider de sa stratégie. Je rappelle – car ce n'est pas toujours bien compris – que, dans la gouvernance actuelle des grands groupes, c'est le conseil d'administration qui définit la stratégie, et l'équipe exécutive, conduite par le directeur général, qui la met en œuvre.

S'agissant du calendrier, nous avons donc fait un choix très clair et délibéré : aller au bout de la réflexion stratégique que le conseil d'administration a entamée il y a un peu plus d'un an, puis choisir le directeur général qui l'appliquera. La raison en est simple : le profil du directeur général dépendra de la stratégie. En résumé, celle-ci consiste en un recentrage sur les métiers industriels du groupe, ce qui nous oriente vers un dirigeant ayant une expérience industrielle.

Je vous rassure : si le dossier Suez-Veolia n'était pas venu perturber notre calendrier de travail, nous avions l'intention de choisir ce dirigeant avant la fin septembre. Mais, je le répète, le groupe est opérationnel, il est doté d'une direction générale par intérim, et il aura très bientôt un directeur général qui mettra en œuvre les orientations stratégiques du conseil. Il n'y a aucun doute à ce sujet.

Ai-je été surpris de recevoir l'offre de Veolia le 30 août ? Oui, dans la mesure où nous n'en avions pas anticipé la forme, c'est-à-dire une proposition de rachat de 29,9 % de notre participation dans Suez plutôt que de celle-ci dans son entier ou de l'ensemble du capital. Ce type d'offre permet une transaction très rapide, et c'est évidemment sur ce paramètre que souhaite jouer M. Antoine Frérot, tandis que je m'attendais à une discussion plus longue et complexe, éventuel préalable au lancement d'une offre publique d'achat.

Sommes-nous pressés ? Non. Mais ce qui crée une pression, c'est le fait que l'offre expire le 30 septembre, car si elle expire, nous n'en avons pas d'autre. Me suggérez-vous de faire le pari qu'il y en aura peut-être une autre demain ? C'est une décision très difficile à prendre pour le conseil d'administration. Nous lâcherions la proie pour l'ombre ! C'est comme si votre voisin vous proposait de vous racheter une partie de votre terrain en vous faisant une offre intéressante – je fais l'hypothèse que celle de Veolia l'est, même si je ne connais pas encore le prix –, mais à saisir avant une date donnée. Si l'offre de Veolia vient à expiration demain, le cours de l'action Suez va retomber à son niveau antérieur de 12 euros et la valeur de notre participation perdra un milliard d'euros. Est-ce un risque que nous devons prendre ? Je ne pose pas la question à la Représentation nationale : ce sera au conseil d'administration d'Engie d'y répondre. En tout cas, c'est cela, et cela seulement, qui nous met la pression. Si nous avions une seconde offre, la situation serait entièrement différente – voilà pourquoi j'insiste depuis le début de l'affaire pour que nous en ayons une autre –, mais nous n'en avons qu'une seule, elle vient à échéance un jour donné et nous avons l'obligation d'y répondre ; je ne vous dis pas quelle sera notre réponse, parce que celle-ci dépendra d'un paramètre dont je ne dispose pas : la seconde version, finalisée, de cette offre.

Les administrateurs du groupe détiennent une responsabilité fiduciaire : nous devons défendre la valeur de l'action. C'est vraiment lâcher la proie pour l'ombre que d'abandonner une offre ferme, très rapide d'exécution puisqu'elle ne présente aucun risque réglementaire, en échange de la promesse qu'un jour, peut-être… La dernière information dont M. Philippe Varin m'ait fait part est qu'il souhaitait disposer de trois mois pour préparer une nouvelle offre, sans être capable de nous dire à quel niveau celle-ci se situerait – j'ai été surpris de vous entendre dire que M. Bertrand Camus avait évoqué un chiffre, car il n'en a mentionné aucun devant moi.

Les efforts de M. Bruno Le Maire et de ses collaborateurs pour créer une dynamique de dialogue sont très méritoires et impressionnants. Je dis depuis le premier jour à M. Philippe Varin et à M. Bertrand Camus qu'ils doivent dialoguer avec Veolia : on ne peut pas, dans une situation comme celle-là, refuser de parler avec celui qui émet l'offre, ne serait-ce que pour en comprendre les composantes et savoir comment l'améliorer. Imaginons que, demain, Veolia, convaincu par ces efforts du Gouvernement, nous donne une semaine ou quinze jours de plus : de notre côté, nous ne voulons nullement conclure l'affaire dans la précipitation. Mais, si nous restons dans le cas de figure où l'offre est appelée à expirer à une date donnée, je le répète, ce serait une très lourde responsabilité pour les administrateurs d'Engie, quels qu'ils soient, de ne pas la considérer. Cette pression n'est pas de notre fait, elle vient de l'acquéreur, qui peut, demain, la modifier, mais dit aujourd'hui avec force qu'il a besoin de savoir.

En ce qui concerne les critères, nous les avons indiqués depuis le début, ils sont au nombre de trois. D'abord, le prix. Nous avons une idée de la juste valeur de Suez, que je ne partagerai pas avec vous. Nous n'avons jamais dit qu'il manquait un milliard d'euros. Nous avons simplement dit que 15,50 euros n'était pas le bon chiffre, sans jamais donner d'indications sur ce que pourrait être ce dernier. Il y a eu des spéculations de journalistes, mais nous, nous n'en avons rien dit. Il faut laisser la discussion se faire.

Ensuite, la solidité du projet industriel. De ce point de vue, ce n'est pas à moi de vous dire si le projet de Veolia est le meilleur, mais je peux vous dire, d'après mon expérience d'industriel, qu'il est cohérent. Il comporte deux volets : en France et hors de France. Hors de France, 1+1 = 2 : on rapproche les forces des deux groupes pour former un groupe mondial plus solide. Pour des raisons de concurrence, ce n'est pas possible en France ; s'opère donc ici un changement d'actionnaires pour les activités de l'ex-Lyonnaise des Eaux, sans remise en cause de sa structure ni de sa capacité à accomplir ses missions. La structure financière choisie par Meridiam se caractérise par un faible endettement par rapport aux interventions habituelles de fonds ; M. Thierry Déau s'est engagé à ce que la société reste investment grade – pardon d'entrer dans ces aspects techniques –, ce qui est rarissime dans une opération d'acquisition menée par un fonds d'investissement. Cela garantit les capacités de développement de l'activité de la Lyonnaise des Eaux, qui restera dirigée par les mêmes équipes et s'appuiera sur les mêmes personnes opérationnelles sur le terrain, seul l'actionnaire étant différent. Je le répète, il ne m'appartient pas de vous dire si ce projet est meilleur qu'un autre qui résulterait de l'initiative de Suez et que je ne connais pas ; simplement, sa cohérence me paraît satisfaisante.

Enfin, les aspects sociaux. Nous en avons fait une analyse très détaillée, bien au-delà de ce qui se pratique d'habitude – si, chaque fois que l'on vend des actions d'une société, on devait en étudier les effets sociaux, notre vie deviendrait très compliquée ! Dans le cas d'espèce, et considérant les liens historiques qui nous unissent à Suez, nous avons voulu une analyse très précise, qui a été menée par nos équipes avec celles de Veolia. Des engagements très clairs ont été pris en matière d'emploi, qui seront certainement confirmés dans l'offre que nous devrions recevoir aujourd'hui. Ces engagements indiquent très précisément combien d'emplois Suez représente aujourd'hui en France, et où ils se retrouveraient soit chez Meridiam, pour l'activité eau, qui devrait être cédée à la demande des autorités de concurrence, soit chez Veolia. Veolia nous dit pouvoir garantir l'emploi jusqu'à la fin 2023, ce qui, dans un projet de cette nature, nous paraît satisfaisant. En ce qui concerne la gouvernance, Veolia se déclare prêt à intégrer un certain nombre de personnes de l'équipe dirigeante de Suez dans sa propre équipe de direction, à partager les responsabilités pays de manière égale, et nourrit certainement quelques idées, même si elles n'ont pas été exprimées à ce jour, sur la manière dont sa gouvernance pourrait accueillir une composante venant de Suez.

En ce qui concerne les cessions récentes effectuées par Suez par ailleurs, il convient de distinguer différents aspects. Les cessions annoncées ces dernières semaines étaient en préparation depuis longtemps ; elles peuvent convenir ou non à Veolia, mais elles faisaient partie du plan de développement élaboré par les équipes de Suez.

Ce qui me préoccupe un peu plus, ce sont les annonces faites par Suez pour l'avenir. Concernant les dividendes, je suis moins enthousiaste que vous, monsieur Naegelen. Quand j'entends les dirigeants de Suez affirmer qu'ils vont verser 3 milliards d'euros de dividendes au cours des deux prochaines années, je me dis que ce n'est pas raisonnable. Si je vends mes actions à Pierre, Paul ou Jacques, cela ne retire pas de la richesse à la société ; mais quand je paye un dividende, ce sont bien des moyens financiers, des ressources de l'entreprise qui lui sont soustraits. Engie a décidé de ne pas payer de dividendes cette année, bien que son modèle d'affaires soit bien plus résistant que celui de Suez du fait des métiers régulés qui constituent une partie importante de notre groupe. Nous aurions dû en verser en dividendes un peu moins de 2 milliards d'euros, mais l'année est difficile et nous devions conserver nos ressources, notamment pour investir dans les métiers que j'ai évoqués. Suez, lui, a légèrement réduit le montant des dividendes versés. Quand ses dirigeants disent en substance « Vous allez voir ce que vous allez voir, l'an prochain, ça va cracher » – si vous me permettez cette expression triviale –, ne suivent-ils pas une stratégie dans laquelle tout est permis pour réaliser son indépendance ?

Je m'inquiète également de la multiplication des cessions annoncées.

Quant au mécanisme de la fondation, je l'ai découvert avec une stupéfaction totale en lisant le communiqué de presse qui a suivi le conseil d'administration de Suez mercredi dernier. J'avais rendez-vous avec MM. Philippe Varin et Bertrand Camus jeudi matin pour préparer notre propre conseil de vendredi. Quand, mercredi soir, j'ai lu sur mon téléphone ce communiqué de presse mentionnant une fondation de droit néerlandais, j'ai cru rêver ! Je l'ai dit très clairement à mon ami Philippe Varin : avoir franchi cette limite est à mes yeux une grave erreur de jugement. Allons-nous tenter de la contourner ? Je n'en sais rien : cela dépend de la situation. Toutefois, je peux vous dire que si Engie est encore actionnaire de Suez lors de la prochaine assemblée générale, la voix de l'actionnaire s'exprimera avec force, et pas seulement celle d'Engie. La ligne rouge a été franchie, et il faut rapidement revenir du bon côté.

S'agit-il d'une offre hostile ? Il est clair que l'offre n'est pas sollicitée : Veolia n'est pas venu parce qu'on l'aurait appelé. Parmi les orientations stratégiques que nous avons annoncées fin juillet et qui se traduisent par de nombreux chantiers de complexité diverse, Suez n'était pas le premier sujet qu'Engie comptait traiter. Nous ne nous étions donc pas préparés à la cession, monsieur de Courson. Mais je ne crois pas que, si nous l'avions fait, nous aurions établi un cahier des charges et mis notre participation aux enchères. Deux approches se dégageaient nettement : soit la cession permettait de constituer le grand acteur français dont certains rêvent, soit elle confortait l'indépendance de Suez. Je le répète, c'est Veolia qui a choisi le calendrier, parce qu'il s'est manifesté vite et s'est probablement mieux préparé que d'autres, mais il est de notre responsabilité d'examiner son offre.

En ce qui concerne nos conseils, ils comptent en effet, sans mystère, des cabinets d'avocats classiques – BDGS et Claude Serra – et trois banques conseil : Lazard, Crédit suisse et BNP Paribas.

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Pouvez-vous répondre à la question qui concernait le positionnement de l'État, présent à la fois dans Veolia, par l'intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignations, et au sein du conseil d'administration d'Engie ?

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Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie

Au sein du conseil d'administration d'Engie, l'État a soutenu les orientations stratégiques du groupe – c'est décisif s'agissant de l'actionnaire non de contrôle, mais le plus important, qui ne détient en l'espèce pas moins de 22 % du capital et est associé à la préparation de ces orientations stratégiques. Le ministre a réaffirmé publiquement il y a une quinzaine de jours son soutien à ces orientations – un investissement accru dans les énergies renouvelables et les infrastructures ; elles ne font débat ni dans l'entreprise, ni au-dehors, non plus que la nécessité de les financer en se dégageant de participations désormais uniquement financières. Si l'exercice qui s'est engagé depuis pose, lui, plusieurs questions tout à fait légitimes, notre stratégie n'en soulève aucune. Sans trahir le secret des délibérations du conseil, la position que nous avons prise en jugeant l'offre insuffisante et à améliorer est, elle aussi, soutenue par l'État.

Le dialogue avec celui-ci est très intense et je salue à nouveau la détermination avec laquelle M. Bruno Le Maire cherche à le rétablir entre Suez et Veolia. Pour ma part, je n'y suis pas parvenu – mais ma position est bien plus modeste que celle du ministre de l'économie, des finances et de la relance… – en dépit de mes demandes orales et écrites réitérées à MM. Philippe Varin et Bertrand Camus, que j'ai enjoints de préparer une seconde offre, les assurant que nous les soutiendrions. L'opération va sans nul doute avoir des effets significatifs sur les équipes de Suez ; face à cette situation, on peut soit fermer la porte et jurer que l'on ne dialoguera jamais – jusqu'à ce que, malheureusement, arrive ce qui doit arriver –, soit discuter pour limiter lesdits effets. Depuis dix jours, je négocie avec Veolia les garanties sociales qui vont être données ; je ne suis pas sûr que ce soit mon rôle ; je suis certes actionnaire responsable, mais ne détenant qu'une participation financière, et j'aurais aimé que les équipes de Suez soient à mes côtés pour dire ce qu'elles souhaitaient, ce qui leur paraissait important. J'entendais ce matin encore M. Bertrand Camus, interrogé sur une station de radio, dire « Jamais ! ». Mais, à un moment donné, il faudra bien se rendre à l'évidence et discuter. Comme dirigeant d'un grand groupe français, je doute que la manière dont les deux groupes s'écharpent donne une bonne image de la place de Paris. J'ai appelé avec force au dialogue, mais, pour discuter, il faut être deux. À ce jour, le dialogue n'est pas établi.

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Merci de cette intervention très claire et éclairante.

Informations relatives à la commission

La commission des affaires économiques et la commission des finances ont créé un groupe de travail commun sur les conséquences d'un éventuel rapprochement de Veolia et Suez. Ce groupe de travail est composé de 6 membres. Pour la commission des affaires économiques, M. Bruno Bonnell (LaREM) et M. Jérôme Nury (LR) sont désignés.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 29 septembre 2020 à 9 heures

Présents. – Mme Barbara Bessot Ballot, M. Bruno Bonnell, M. David Corceiro, Mme Laure de La Raudière, M. Roland Lescure, M. Jean-Bernard Sempastous, M. Denis Sommer

Excusés. – Mme Anne Blanc, M. Sébastien Jumel, Mme Annaïg Le Meur, M. Serge Letchimy, M. Max Mathiasin