COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES
Vendredi 12 juin 2020
La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.
(Présidence de Mme Ramlati Ali, rapporteure)
La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition de M. Olivier Brahic, sous-directeur de la veille et de la sécurité sanitaire au sein de la direction générale de la santé (DGS) et M. Alexis Pernin, chef du bureau des risques infectieux émergents et des vigilances au sein de la DGS.
Mes chers collègues, nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête.
Nous allons entendre les représentants de la direction générale de la santé : M. Olivier Brahic, sous-directeur de la veille et de la sécurité sanitaire et M. Alexis Pernin, chef du bureau des risques infectieux émergents et des vigilances. Messieurs, soyez les bienvenus.
Le directeur général de la santé et ses services sont actuellement sur la brèche pour lutter contre l'épidémie due à la Covid-19. Cependant, il faut dès à présent réfléchir aux autres risques épidémiques en cours.
Messieurs, je précise que vous devez nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Par ailleurs, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose à toute personne auditionnée par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C'est pourquoi je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
MM. Olivier Brahic et Alexis Pernin prêtent successivement serment.
Je vous prie d'excuser l'absence du directeur général de la santé, le professeur Salomon, qui est effectivement sur la brèche dans le cadre de la gestion de crise liée à la Covid-19.
La politique publique liée à la prévention et à la lutte contre les maladies vectorielles à moustiques est portée par la sous-direction de la veille et de la sécurité sanitaire (VSS). Au regard des risques et des menaces sanitaires, les arboviroses font partie de nos priorités. C'est un sujet de santé publique majeur par ses impacts sanitaires mais aussi sociétaux et économiques. À ce titre, les territoires ultramarins aux Antilles, en Guyane et dans l'océan Indien, à Mayotte ou à La Réunion, ont payé un lourd tribut dans le cadre des épidémies de chikungunya, de dengue, de Zika… L'effort doit donc porter sur la prévention dans tous les territoires, qu'ils soient ultramarins ou métropolitains.
Quand je dis que le sujet des arboviroses fait partie de nos priorités, ce n'est pas une formule de style. La menace à la fois prégnante et croissante. Dans le contexte des changements climatiques, des enjeux environnementaux et de la globalisation des échanges, ce risque des maladies vectorielles à moustiques prend chaque jour de l'ampleur en France et on ne peut pas exclure un risque d'endémisation dans certains de nos territoires, lié à la colonisation du vecteur moustique Aedes albopictus. Pour donner un ordre de grandeur, en 2010, nous avions six départements colonisés en métropole ; à ce jour, nous en comptons plus de soixante.
Notre enjeu est donc bien de préparer l'ensemble des territoires et surtout leur résilience face à ce nouveau risque. À ce titre, la prévention des maladies vectorielles à moustiques a été clairement intégrée dans le plan Priorité prévention du gouvernement. Outre ces enjeux nationaux, nous avons aussi des enjeux internationaux dans le cadre du Règlement sanitaire international de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
En juillet 2019, la direction générale de la santé a publié un arrêté qui classe l'ensemble des départements de France comme à risque de développement d'arboviroses. Trois d'entre eux figurent également dans cet arrêté, comme concernés par le risque palustre : la Guyane, Mayotte et la Corse. Cela prouve non seulement l'intérêt que porte la direction générale de la santé à ce risque mais aussi ses enjeux.
Ces dernières années, nous nous sommes rendu compte – suite aux retours d'expérience des récentes épidémies d'arboviroses – que le cadre réglementaire était mal adapté à l'expansion de ces maladies. Il se construit un peu par strates et de manière assez empirique, en relation d'une part avec les niveaux de colonisation des territoires, et de l'autre avec l'apparition de nouveaux risques comme le virus West Nile ou le Zika. Aujourd'hui, l'agence Santé publique France a identifié une centaine d'arboviroses susceptibles d'être pathogènes pour l'homme. L'un de nos enjeux est de ne plus avoir de réflexion cloisonnée par strates, mais bel et bien un programme intégré de prévention de ces arboviroses et surtout un dispositif simple et lisible pour l'ensemble des acteurs : les populations, les professionnels de santé et les différents acteurs institutionnels.
Jusqu'à présent, l'organisation de la lutte contre les moustiques était de la compétence des collectivités, via la loi du 16 décembre 1964. Ensuite, la loi du 13 août 2004 a confié la lutte anti-vectorielle aux conseils départementaux. Il s'agissait en quelque sorte d'un pilotage bicéphale, avec l'État qui fixait la stratégie de la lutte anti-vectorielle et les collectivités qui mettaient en œuvre cette stratégie. D'où la nécessité, l'an passé, de réformer cette gouvernance. C'était indispensable au regard de la colonisation du territoire. Pour simplifier cette gouvernance, un décret est paru le 29 mars 2019, qui a abouti au transfert – depuis le 1er janvier 2020 – aux agences régionales de santé (ARS) à la fois des missions de surveillance entomologiques des espèces vectrices, et à la fois des missions d'intervention autour des cas d'arboviroses comme le Zika, le chikungunya ou la dengue. Par voie de conséquence, les conseils départementaux ont été recentrés sur leur compétence historique, c'est-à-dire la démoustication de confort. En parallèle, ce décret appuie sur la nécessité de mettre à disposition des maires une « boîte à outils » – dans le cadre de leurs compétences générales d'hygiène et de salubrité – pour limiter la prolifération des moustiques. C'est l'un des enjeux principaux dans les années à venir : mobiliser les maires et les collectivités locales pour pouvoir prévenir ces maladies et intervenir dès le départ, à la racine du problème.
Dernier point de ce décret, l'intervention du préfet est renforcée dans le cadre du plan d'organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec). C'est effectivement lui, dans ces périodes de crises, qui dispose du pouvoir des mesures intersectorielles des différents acteurs du département. Elles sont indispensables : l'ARS ne peut pas tout gérer elle-même en phase épidémique. Pour synthétiser, l'idée est de mobiliser les collectivités territoriales pour limiter la prolifération des moustiques et de recentrer l'État autour d'une intervention rapide sur les cas, pour limiter et prévenir les épidémies.
Quand on parle de lutte anti-vectorielle, on a souvent en tête la lutte chimique, avec biocides. Mais la lutte anti-vectorielle ne peut se dérouler que dans le cadre d'une approche intégrée, par le biais à la fois de mesures biologiques – cela peut être l'utilisation d'organismes vivants de types prédateurs ou agents pathogènes pour éliminer les moustiques – de mesures physiques – la lutte mécanique est fondamentale notamment pour éliminer les gîtes larvaires – et à la fois de mesures chimiques, par l'utilisation des biocides pour lesquels une attention particulière doit collectivement être portée en raison de leur empreinte environnementale. Le dernier point de cette lutte intégrée est la mobilisation sociale, la communication, l'intervention et la mobilisation de la population pour prévenir les risques, notamment l'apparition des gîtes larvaires.
Pour être efficaces et réactifs dans la gestion des maladies vectorielles, la direction générale de la santé doit disposer d'un dispositif de décèlement et de diagnostic lui-même très efficace et très réactif. C'est la raison pour laquelle, la DGS et les ARS doivent mobiliser et sensibiliser les professionnels de santé à la déclaration de ces maladies, dès lors qu'il s'agit de cas probables ou de cas confirmés et avérés, et faciliter leur signalement par ces professionnels de santé auprès des ARS. Le diagnostic biologique est une l'une des clés de voute de la réponse à tout risque épidémique, et la direction générale de la santé a coordonné un ensemble de dispositifs qui ont permis l'inscription à la nomenclature du diagnostic par réaction de polymérisation en chaîne – Polymerase Chain Reaction (PCR) – des différentes arboviroses. Et, toujours avec le même objectif de simplifier le diagnostic biologique et d'avoir un dispositif qui soit le plus réactif possible, on a promu l'utilisation des tests rapides d'orientation diagnostique – les fameux TROD – auprès des professionnels de santé. C'est un point essentiel.
Enfin, j'ai évoqué le fait que les territoires ultramarins avaient été très touchés ces dernières années par les risques liés aux arboviroses. Un certain nombre d'enseignements peuvent être tirés de ces expériences. J'ai fait le tour de l'ensemble de ces territoires ces deux dernières années : que ce soit en termes de mobilisation de la population, de mobilisation sociale, ou en termes d'actions de lutte anti-vectorielle qui ont été et sont menées dans ces territoires, il y a un certain nombre d'expérimentations dont on pourra tirer profit pour la métropole.
Si je devais faire une synthèse des enjeux qui nous font face dans les prochains mois et les prochaines années, il s'agit de continuer à développer notre démarche d'anticipation par rapport à ces risques émergents et de renforcer le rôle des collectivités territoriales dans la prévention et la mobilisation sociale. Mais d'autres défis nous attendent : la prise en compte de la résistance aux biocides ; l'organisation de l'offre de soins pour adapter les systèmes sanitaires à la prise en charge de ces maladies et de ces épidémies ; l'organisation du diagnostic biologique, notamment par le déploiement encore plus massif des TROD. Dernier axe de notre réflexion : la santé ne peut agir seule. C'est vraiment d'une mobilisation interministérielle dont nous avons besoin, comme celle qu'on a pu créer dans le cadre de l'épidémie de dengue à La Réunion, ces dernières années.
Merci pour cet exposé très complet. Ma première question porte sur la répartition des compétences entre la direction générale de la santé, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), Santé publique France et les ARS. Pouvez-vous nous l'expliquer, aussi bien en matière de prévention des maladies vectorielles qu'en cas de développement d'un foyer épidémique ?
Comme toute administration centrale, la direction générale de la santé est responsable de la réglementation applicable, en l'occurrence en matière de lutte anti-vectorielle. En dehors de ces enjeux réglementaires, nous devons assurer – notamment au regard de la réforme de la gouvernance entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2020 –, une animation du réseau des ARS et de leurs différents responsables au niveau national, afin de tirer les leçons des expériences des différentes alertes qu'elles rencontrent. Nous avons également une mission de coordination nationale de la politique de prévention de ces maladies en nous appuyant sur l'expertise de Santé publique France et de l'Anses. Je dirais qu'il s'agit là de la partie « froide ».
La partie chaude est la réponse aux épidémies. Dans ce cadre, la direction générale de la santé et ma sous-direction disposent du Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (CORRUSS), en charge – dès lors qu'il y a une alerte sur le territoire, en métropole ou outre-mer – d'assurer la coordination de la réponse et de venir en appui aux territoires impactés. La DGS a donc un rôle de pilotage stratégique et de réponse à chaud aux épidémies rencontrées.
En complément, Santé publique France est notre agence en charge de la surveillance épidémiologique, et en l'occurrence des arboviroses. Elle mène cette mission au niveau national. En régions, Santé publique France dispose de cellules placées auprès des ARS, et ces cellules d'intervention en région (CIRE) viennent en appui dès lors qu'il y a besoin d'investiguer sur des cas ou des clusters de cas sur leur territoire. Santé publique France a donc à la fois un rôle national de surveillance des arboviroses, et un rôle territorial d'appui aux investigations auprès des ARS. Cela constitue son rôle classique en termes épidémiques, mais Santé publique France a une autre mission, une autre compétence : elle gère la réserve sanitaire, ce vivier de professionnels de santé – actifs ou retraités – que le ministre mobilise en cas d'épidémie, en cas de saturation de l'offre de soins locale et d'un besoin d'appui. Elle a été mobilisée très souvent auprès des territoires ultramarins : elle est intervenue dans l'ensemble des départements et régions d'outre-mer lors des différentes épidémies que nous avons connues. Cette organisation est liée au retour d'expérience après l'épidémie de dengue de 2005 à La Réunion : il avait alors été assez compliqué de mobiliser et projeter ces professionnels de santé.
L'Anses a des compétences en matière de produits biocides utilisés dans le cadre de la lutte chimique. Et depuis 2018 – à la demande notamment des ministères des Solidarités et de la Santé, et de l'Agriculture et de l'Alimentation –, l'Agence a créé un groupe de travail permanent pour coordonner l'expertise concernant la lutte contre les vecteurs de pathologies humaines. Il y a donc trois dimensions à sa mission : la réalisation des expertises collectives dans le domaine des vecteurs et de la lutte anti-vectorielle ; la réponse aux besoins d'appuis scientifiques et techniques ponctuels des différents ministères – elle avait ainsi été saisie en 2018 dans le cadre de l'épidémie de dengue à La Réunion pour formuler un certain nombre de recommandations ; et, plus globalement, ce groupe de travail est en charge de proposer des recommandations, en termes d'orientation de la recherche.
Il s'agit des acteurs nationaux. Au niveau territorial, les principaux acteurs sont les agences régionales de santé (ARS), dont le rôle s'est trouvé profondément renforcé depuis le 1er janvier 2020. Elles ont désormais une compétence totalement intégrée ce qui n'était pas le cas auparavant, notamment, dans le cadre de la réponse à des alertes ou à des épidémies, en termes de pilotage de crise. Le pilotage bicéphale, entre les ARS et les conseils départementaux, était assez compliqué et entraînait des difficultés. Aujourd'hui, les ARS ont un rôle intégré en termes de surveillance entomologique – l'objectif est de surveiller l'implantation sur leur territoire des espèces de moustiques – et d'intervention autour des cas. Dès lors que les professionnels de santé – que ce soit les médecins ou les laboratoires – signalent un cas à l'ARS, elle est chargée de conduire les investigations et les mesures de gestion adéquates.
Quelles sont les lignes budgétaires gérées par la DGS en matière de lutte anti-vectorielle, et avec quels montants de crédits consommés ces dernières années ?
La DGS concourt au financement de différentes mesures en matière de lutte anti-vectorielle par le biais du programme 204 – prévention, sécurité sanitaire et offre de soins – de la mission santé. Tout d'abord en matière de gestion et de surveillance entomologique, on peut citer une convention nationale et annuelle avec les Ententes interdépartementales de démoustication (EID) Méditerranée et Rhône-Alpes, et avec le syndicat de lutte contre les moustiques du Bas-Rhin. Cela représentait un montant de 400 000 euros par an. Cette convention était relative à la surveillance de l'implantation des moustiques vecteurs de maladies ; à la surveillance et la progression de l'aire d'implantation d' Aedes Albopictus ; et à l'étude et au contrôle des moustiques autochtones vecteurs du virus du Nil occidental. Cependant, comme M. Olivier Brahic l'a indiqué, les ARS sont désormais chargées de cette surveillance, et la question de cette convention va se poser donc dès cette année. Si elle venait à être renouvelée, il faudrait définir les missions qui pourraient être réalisées par les EID, qui restent des acteurs très importants de la lutte anti-vectorielle.
La DGS, au travers du programme 204, participe également au soutien à certaines actions de recherche. On peut citer notamment un appui financier à la technique de l'insecte stérile qui a été portée par l'Institut de recherche pour le développement (IRD) de La Réunion et que la DGS a financé à hauteur de 850 000 euros depuis 2008, ou à la technique de l'auto-dissémination par les moustiques eux-mêmes d'inhibiteurs de développement des larves, menée par l'EID Méditerranée et qui a été soutenue à hauteur de 120 000 euros.
Outre ces actions et ces soutiens à des projets de recherche, la DGS apporte son appui à des projets innovants. On peut citer notamment Arbocarto, outil de cartographie prédictive des densités de populations d' Aedes albopictus. Notre appui financier a permis de développer l'outil qui est désormais mis à disposition des ARS dans le cadre de leurs nouvelles missions de surveillance. Il permet d'adapter les mesures de lutte anti-vectorielle, de surveillance et d'intervention. Il a été considéré d'un grand intérêt puisqu'il a été labélisé par l'Observatoire Spatial du Climat – Space Climate Observatory (SCO) – au mois de mars dernier. Dans le cadre du One Planet Summit organisé par la France, en décembre 2017, le Centre national d'études spatiales (CNES) avait alors proposé la création d'un Space Climate Observatory qui fédère les initiatives mondiales afin de mesurer et de visualiser les effets du changement climatique et d'offrir aux décideurs des outils d'analyse et d'action. Ce label démontre l'intérêt d'Arbocarto.
Voilà donc très rapidement les actions qui sont menées par la DGS à travers le programme 204. Mais il convient de noter en parallèle que dans le cadre du plan objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) 2018-2022, la prévention des maladies vectorielles a été inscrite comme l'une des actions phare en matière de prévention, ce qui permet de doter le fonds d'intervention régional des ARS de 5,5 millions pour financer les nouvelles mesures de lutte anti-vectorielle qui dépendent désormais de ces agences. Une recentralisation des missions au niveau étatique entraînerait forcément une recentralisation des coûts.
L'arrêté du 23 juillet 2019 fixant la liste des départements où est constatée l'existence des conditions entraînant le développement ou un risque de développement des maladies humaines transmises par l'intermédiaire de moustiques et constituant une menace pour la santé de la population, couvre les 101 départements français. Quelle conséquence la DGS a-t-elle tirée de cette situation ?
La décision de classer de facto les 101 départements comme à risques a été prise par la direction générale de la santé au regard de la progression rapide et inexorable de la colonisation d' Aedes albopictus sur l'ensemble du territoire. L'objectif, in fine pour la DGS, était un système véritablement homogène – sous l'angle de la surveillance, mais aussi de la lutte contre ces maladies vectorielles – dans l'ensemble des régions. L'autre objectif aussi, par anticipation, était de mobiliser des régions – notamment le nord-ouest de la métropole – qui sont pour l'heure moins touchées, mais qui le seront un jour ou l'autre.
Comment la surveillance entomologique est-elle effectuée aux points d'entrée sur le territoire ? Le dispositif est-il suffisant ? Je pense aux aéroports, notamment.
La surveillance aux points d'entrée sur le territoire vise à limiter le risque d'importation des maladies vectorielles ou de leurs vecteurs. Cette obligation relève d'ailleurs du Règlement sanitaire international (RSI). L'ensemble des États parties à cet accord international doivent prendre ces mesures dans les ports et les aéroports ouverts au trafic international. Depuis le 1er janvier 2020, dans les départements concernés, cette surveillance fait l'objet d'un arrêté préfectoral qui en fixe les modalités et ce sont les ARS qui sont en charge de ces dispositifs de surveillance. Elle a deux objectifs : au niveau international, elle vise à limiter la présence de moustiques vecteurs pour éviter leur exportation. Au niveau national, il s'agit d'identifier et d'éviter l'introduction de nouvelles espèces vectrices sur le territoire national par le biais des aéronefs. À ce titre, les ARS participent également à la sensibilisation des gestionnaires de points d'entrée – ports ou aéroports – pour rappeler leurs obligations aux compagnies aériennes, notamment celle de désinsectisation d'un aéronef en provenance d'un pays où certaines maladies vectorielles circulent activement.
Votre dispositif de surveillance entomologique comprend un outil de collecte de signalement des moustiques par des particuliers. Est-il déployé partout en France ? Comment est-il utilisé ? Quelle est son efficacité ?
En effet, le site signalement-moustique.fr est un outil de signalement citoyen de la présence de moustiques vecteurs. Il est fonctionnel depuis 2014. Nous avons souhaité le promouvoir dans le cadre de la réforme que nous avons menée et qui a maintenant son existence sanctuarisée dans l'arrêté du 23 juillet 2019 relatif aux mesures de lutte anti-vectorielle. Il répond à différents objectifs, notamment pendant la période de surveillance entomologique puisqu'il permet de suive la distribution des vecteurs, leur dynamique saisonnière et, surtout, de détecter les nouvelles implantations d' Aedes albopictus ou d'autres espèces vectrices de maladies humaines. C'est une pièce maîtresse du dispositif de surveillance, mais son efficacité repose néanmoins sur le fait que les citoyens signalent et c'est pourquoi sa promotion doit être assurée. C'est l'une des demandes que nous avons faites auprès des ARS.
Lorsqu'un signalement est enregistré sur cette plateforme, l'ARS ou l'opérateur qui intervient pour son compte après avoir été habilité, intervient dans le secteur concerné et identifie si l'espèce signalée est vectrice, il apporte une réponse, toute l'année, au particulier. Les interventions sont différentes selon le statut de la commune ou du département, puisqu'on distingue les communes et les départements colonisés de celles et ceux qui ne le sont pas. En ce qui concerne les critères, une commune est considérée comme colonisée lorsque des œufs sont observés lors de trois relevés successifs de pièges pondoirs sur le territoire communal ; lorsque la prospection entomologique permet l'observation de larves et/ou d'adultes dans un rayon supérieur à 150 mètres autour d'un signalement ou d'un piège positif ; enfin, lorsque la distance entre deux pièges positifs ou deux signalements positifs de particuliers est supérieure à 500 mètres. Ce ne sont pas des critères cumulatifs : la réalisation d'un seul de ces critères permet de considérer une commune comme colonisée. À l'heure actuelle, on en compte environ 3 000.
Les départements sont considérés comme colonisés ou non en fonction du nombre de communes colonisées sur leur territoire. Ils sont considérés comme faiblement colonisés si moins de 40 % des communes qui les composent sont colonisées et comme colonisés si plus de 40 % de ses communes le sont.
En cas de signalement, si l'espèce n'est pas vectrice, le déclarant en est informé. En cas de signalement positif dans une commune déjà considérée comme colonisée, une réponse automatique sera envoyée au déclarant depuis le site en précisant les bons gestes à tenir. Et dans le troisième cas – un signalement positif sur une commune non considérée comme colonisée - l'ARS ou son opérateur interviendront pour notamment organiser une surveillance renforcée de la commune, afin d'éviter éventuellement une propagation du moustique.
En termes de bilan chiffré, depuis la mise en ligne du site de signalement en 2014, environ 44 000 déclarations ont été comptabilisées. Cela prouve que c'est un outil qui fonctionne et dont les citoyens commencent à se saisir : depuis le 1er janvier 2020, nous en sommes déjà à plus de 1 000 signalements de particuliers. L'outil n'est déployé qu'en métropole : cela s'explique par le fait qu'en 2014, la colonisation des territoires ultramarins était déjà considérée comme acquise, alors que ce site s'inscrit davantage dans une logique de détection.
Le virus West Nile fait-il partie des maladies à déclaration obligatoire ? Et en règle générale, cette déclaration obligatoire de certaines maladies est-elle efficace ?
Une intervention rapide autour des cas nécessite qu'on dispose, au niveau national, d'un système qui permette en amont un signalement réactif et efficace ; c'est la clé de voûte de notre dispositif de réponse. Dans le cas de fortes activités de ces moustiques, les signalements doivent avoir un caractère particulier. En métropole, notre période de vigilance se situe entre mai et fin novembre. Notre procédure se base sur le signalement des maladies à déclaration obligatoire défini par l'article L. 3113-4 du code de la santé publique, qui dispose que les professionnels de santé doivent déclarer à l'ARS les cas probables ou confirmés, notamment dans le cas des arboviroses. On utilise donc ce signalement à l'ARS dans le cadre de la détection des cas, de l'intervention et de la mise en place de mesures de gestion. Ces signalements permettent aussi à Santé publique France de disposer de données sanitaires pour organiser sa surveillance épidémiologique.
Le dispositif est-il efficace ? Globalement, oui. En fait, je crois qu'il faut distinguer deux types de territoires : les territoires ultramarins et le territoire métropolitain. Pour les premiers, la déclaration est une habitude bien ancrée, bien entrée dans les mœurs et il n'y a aucun problème. Pour la métropole, on demande chaque année aux ARS de sensibiliser leurs professionnels de santé à veiller non seulement à la déclaration, mais également, plus en amont, à la détection de ce type de patients. Pour un certain nombre d'arboviroses, les signes cliniques sont assez peu spécifiques, et il faut sensibiliser les professionnels à mettre en relation par exemple des symptômes et un voyage retour en provenance d'une destination où il y a une circulation virale. Dans les régions du Sud de la France, notamment en Occitanie et en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), l'ensemble des personnels de santé, de ville comme à l'hôpital, sont clairement sensibilisés et le lien est très fluide avec les ARS. Pour les autres régions, il y a un besoin de sensibiliser à nouveau chaque année. Mais on se rend compte aussi qu'un certain nombre de cas nous sont signalés dans des régions qui, à l'heure actuelle, ne sont pas concernées par ce risque épidémique. Et si ces cas remontent aux ARS, on peut en déduire que le dispositif est efficace.
Cela ne nous empêche pas de souhaiter le simplifier. Un portail de signalement – je crois que c'est unique en Europe – a été créé pour tous les professionnels de santé. L'idée étant que dès qu'un problème sanitaire, au sens très large du terme, doit être déclaré aux autorités, le professionnel n'ait pas à se poser la question de savoir si c'est telle ou telle agence, tel ou tel numéro de téléphone, tel ou tel mail qu'il doit contacter et qu'il dispose d'un portail accessible et unique où déclarer ce type d'événement.
L'inscription du virus West Nile comme maladie à déclaration obligatoire est en cours. Les dispositions réglementaires prévoient qu'il faut d'abord saisir le Haut Conseil de la santé publique. Nous l'avions saisi sur l'opportunité ou non d'inscrire le West Nile parmi les maladies à déclaration obligatoire, et nous avons reçu la réponse à notre saisine pendant notre période de gestion de la pandémie de Covid-19. C'est donc en cours d'instruction, mais cette maladie sera bien à déclaration obligatoire pour les professionnels de santé.
L'efficacité des déclarations ne serait-elle pas meilleure s'il revenait aussi aux laboratoires de biologie de donner le signal ?
Quand j'évoque les professionnels de santé, il s'agit à la fois des médecins et des laboratoires. Ces derniers font partie des acteurs qui doivent être sensibilisés, effectivement. Nous avons un dispositif à double entrée avec une partie clinique via le médecin, et une partie biologique via les laboratoires.
Quels sont les leviers d'action de la direction générale de la santé en cas d'épidémie de maladie vectorielle ? Quelle a été son action pendant les grandes crises épidémiques ayant touché la France, telles que les épidémies de dengue en cours à Mayotte et aux Antilles, l'épidémie de chikungunya qui a frappé La Réunion en 2005, ou l'émergence du virus Zika en Polynésie française en 2014 ? A-t-on tiré des conséquences de ces épidémies ? Quelles leçons tirées de l'épidémie de Covid-19 vous paraissent utiles pour la lutte contre les arboviroses ?
Le premier angle d'action est donc le signalement auprès des agences régionales de santé, premier maillon territorial pour réceptionner les signalements, investiguer et mettre en place des mesures de gestion et de lutte anti-vectorielle. L'ensemble des ARS disposent d'une entité, d'une cellule, en charge des alertes sanitaires. Ces plateformes sont en lien avec le CORRUSS au niveau national. Les ARS ont obligation de signaler à la DGS notamment les cas autochtones d'arboviroses. Car il y a évidemment une forte suspicion, dès lors qu'on trouve un cas autochtone, qu'il y ait une multiplication de cas. Le premier enjeu est donc de faire remonter ces cas au niveau national via le CORRUSS. Nous nous mettons alors en lien avec Santé publique France sur les aspects de surveillance et de veille épidémiologique. Nous sommes en capacité également de saisir l'Anses pour des questions d'expertise, notamment d'appuis scientifiques et techniques ; nous l'avons fait par exemple pour l'épidémie de dengue à La Réunion… Parmi les autres acteurs nationaux, pour la sécurisation des éléments et produits du corps humain, on saisit le Haut Conseil de la santé publique qui nous fournit un certain nombre de recommandations en termes d'éviction des donneurs de sang ou de dépistage. Ce sont ces recommandations que nous transmettons ensuite à l'EFS (Établissement français du sang), à l'Agence de la biomédecine et au service de santé des armées, qui a également un rôle dans la transfusion sanguine.
Très concrètement, l'épidémie de dengue à La Réunion, par exemple, a débuté en 2017. Environ 20 000 cas signalés ont été confirmés, et 50 000 cas présentant des signes cliniques évocateurs ont été identifiés. Dans ce type d'épidémies majeures, on renforce au niveau national, notre dispositif de réponse. Le CORRUSS se positionne au niveau 2 (CORRUSS renforcé), on active le centre de crise sanitaire, on assure un suivi renforcé au niveau national et un soutien à l'ARS. Cela se traduit par des conférences téléphoniques a minima hebdomadaires, ce qui permet de caractériser la situation et de pouvoir identifier les besoins d'aide, en termes d'expertise – la DGS va saisir les ARS et coordonner l'expertise – ou de ressources complémentaires. Elles peuvent être de plusieurs ressorts, comme l'appui de la réserve sanitaire à l'ARS et à ses services de lutte anti-vectorielle.
J'ouvre une parenthèse, pour éclairer mes propos : on a demandé à Santé publique France de pouvoir disposer d'un pool d'agents comme des ingénieurs capables de venir en appui aux ARS dans leur mission de lutte anti-vectorielle, dans le cadre de l'épidémie de dengue en cours aux Antilles et en Guyane. Et on avait mobilisé en fin d'année dernière Santé publique France pour qu'ils identifient une soixantaine d'agents susceptibles d'être projetés dans ces territoires pour venir en appui des ARS.
C'est l'aspect en quelque sorte institutionnel. Mais il y a bien évidemment un appui au système de santé, notamment aux établissements fortement touchés. Nous avons également le devoir de mobiliser nos partenaires interministériels : pour l'épidémie de dengue à La Réunion, on a contacté le ministère de l'intérieur pour qu'il mobilise des agents de la sécurité civile intervenant sur place, et le ministère des armées pour que le régiment du service militaire adapté (RSMA) puisse venir en appui dans ces territoires. Après la première vague de l'épidémie, je m'étais rendu sur place et j'avais rencontré différents acteurs pour un premier retour d'expérience et surtout anticiper et planifier le dispositif de réponse pour la suite. C'est la raison pour laquelle on a pu très rapidement enclencher les ressources nécessaires.
Pour l'épidémie de Zika, les autorités locales nous avaient demandé un appui, notamment pour le service de réanimation de l'hôpital. Ayant eu connaissance de cette première alerte en Polynésie française, on avait anticipé et mobilisé l'ensemble de territoires ultramarins – Guadeloupe, Martinique, Guyane, Mayotte, La Réunion – pour les préparer à l'arrivée du virus. Au final, les territoires de l'océan Indien ont été épargnés, mais ce dispositif de préparation et d'anticipation a permis aux trois autres départements de répondre au mieux.
J'avais demandé à M. Alexis Pernin et à ses agents d'anticiper l'épidémie de dengue qui est désormais en cours aux Antilles et en Guyane : en se mobilisant sur le diagnostic biologique, notamment par le déploiement des TROD – au regard de l'expérience positive que nous avions eue dans ce domaine à La Réunion – mais aussi grâce à un dispositif réactif rapide de diagnostic avec les laboratoires ; en se mobilisant pour organiser une montée en capacité du système de soins, notamment hospitalier, avec toujours en tête la prise en charge des cas graves nécessitant une réanimation. Heureusement, il y a pour l'heure très peu de cas graves dans cette épidémie. Nous avons anticipé aussi avec eux le sujet de la lutte anti-vectorielle et les moyens dont ils auraient besoin en phase de pic épidémique.
De ce retour d'expérience global de ces différentes épidémies, on a traduit les enseignements en plans d'action : la nécessité de stabiliser la gouvernance de la lutte anti-vectorielle et d'harmoniser les pratiques entre les territoires ; la volonté d'anticipation en ayant toujours pour objectif que le système de santé puisse monter en puissance de manière très réactive ; la mise à disposition d'une filière de diagnostic biologique avec un maillage territorial pouvant répondre aux besoins ; le fait que les tests puissent être remboursés ; et la mise à disposition des tests rapides.
Notre dispositif de planification pour les risques sanitaires, l'organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (Orsan), permet aux trois secteurs de l'offre de soins – ambulatoire, hospitalier et médico-social – de répondre à tout risque ou toute menace sanitaire. Ce dispositif identifie différents types de réponse, tels qu'Orsan AMAVI qui organise l'accueil massif de victimes non contaminées, par exemple en cas d'attentats, ou, pour ce qui nous concerne Orsan REB – risque épidémiologique et biologique – pour que le système de santé puisse répondre à l'émergence des arboviroses ou d'autres risques tels que la Covid-19.
Nous avons également tiré comme leçon de ces expériences notre capacité à améliorer notre appui national notamment en projetant de plus en plus d'agents de notre sous-direction dans les ARS. Non pas pour se substituer à leurs agents, mais pour les renforcer et les aider, et également pour améliorer le lien entre le local et le national.
Autre enseignement, tiré celui-là des territoires ultra-marins : il faut que nous disposions d'un plan Orsec arboviroses dans l'ensemble des départements, sous l'égide des préfets de département. Tous les territoires ultramarins sont très au fait de ce dispositif qui fonctionne extrêmement bien. En métropole, on n'en est qu'au début et c'est pourquoi les agents du bureau des risques infectieux émergents et des vigilances sont en train de rédiger un dispositif Orsec pour l'ensemble des départements à des fins de mobilisation intersectorielle. Car, encore une fois, l'ARS ne peut pas agir seule.
En ce qui concerne le parallèle avec la Covid-19, nous disposons pour ce virus d'un outil informatique, le système d'informations de dépistage (SI-DEP), plateforme sécurisée où sont systématiquement enregistrés les résultats des laboratoires de tests Covid-19, qui permet de faire remonter tous les signalements de cas positifs aux autorités et à Santé publique France dans le cadre de la surveillance sanitaire. Il faudrait, dans le cadre des arboviroses, qu'on s'appuie sur cet outil qui permet d'être informé très rapidement et d'apporter une réponse très réactive : comme dans un incendie, il est préférable d'éteindre le feu tout de suite.
Dans le cas du Covid-19, un indice positif permet d'isoler les cas contacts. Dans le cas des arboviroses, nous ne sommes pas dans le cadre de l'identification des cas contacts mais dans celui où les investigations sanitaires et entomologiques permettent d'étouffer très rapidement la survenue des clusters. L'autre parallèle concerne le sujet de la capacité hospitalière et la réanimation : on a vu pour la Covid-19, notre système de santé a su mettre en place une montée en puissance très rapide et a su doubler nos capacités de réanimation. Une situation similaire a été rencontrée avec les arboviroses aux Antilles, où on a observé l'augmentation très rapide de la capacité de réanimation. Il y a donc bien des parallèles.
J'aimerais aborder le sujet de la prévention des arboviroses : qui est compétent en ce domaine ? Quels sont les moyens employés dans l'hexagone ? Jugez-vous suffisante la préparation face à ce risque sanitaire ?
Comme l'a souligné M. Olivier Brahic, la réponse aux épidémies nécessite un engagement intersectoriel et interministériel, et nous pensons qu'il en est de même pour la prévention. Sans entrer dans les détails, la direction générale de la santé assure le pilotage national de la lutte contre les maladies transmises par les insectes à travers notamment : la réglementation et le code de santé publique ; l'expertise avec les agences sanitaires ; le soutien à la recherche ; et le soutien aux ARS, évidemment. Et la DGS a un rôle – le CORRUSS étant le point focal national en matière d'alerte sanitaire – d'alerte de nos partenaires européens et internationaux en cas émergence de cas autochtones, notamment sur le territoire français.
La prévention passe également dans la sphère santé par les ARS bien sûr, notamment au regard de leurs nouvelles compétences en surveillance entomologique, ainsi que par les préfets, qui interviennent en lien avec les ARS, notamment au travers du programme de surveillance régionale des arboviroses, et qui ont également une compétence Orsec, donc de mobilisation de tous les acteurs.
Ce sont donc là, sans parler des agences sanitaires, les trois acteurs principaux de la sphère étatique. Mais les collectivités territoriales ont aussi un rôle majeur à jouer. Ainsi, dans le cadre de la loi du 16 décembre 1964, les conseils départementaux ont une compétence historique en matière de démoustication de confort. En intervenant contre les moustiques, ils limitent également la densité des moustiques vecteurs. Autre acteur prépondérant : le maire dont les compétences en matière de lutte contre les moustiques vecteurs prévues par le code de la santé publique sont sanctuarisées dans le cadre du décret de 29 mars 2019, au travers de sa police générale en matière d'hygiène et de salubrité publique. Le code de la santé publique décrit maintenant précisément une boîte à outils avec différentes compétences pour le maire.
Enfin, un acteur ne doit pas être oublié, on l'a évoqué à propos du signalement de la présence de moustiques, c'est le citoyen pris individuellement ou dans le cadre du tissu associatif. En adoptant de bonnes mesures en amont, notamment par la lutte mécanique et la suppression des gîtes larvaires, le citoyen intervient dans la diminution de la densité des vecteurs. C'est pourquoi nous sommes tout à fait favorables à une communication forte et à une éducation sanitaire de la population notamment sur les gestes de prévention permettant d'éviter le développement des gîtes larvaires.
La mobilisation des collectivités territoriales sur les questions d'hygiène et de salubrité publique est en effet un enjeu très important. J'étais revenu à La Réunion après la deuxième vague pour faire un bilan avec l'ARS et la préfecture et on se rendait bien compte qu'en termes de dispositif de réponse, on avait mobilisé tous les moyens nécessaires, en matériel humain comme en expertise, mais que l'étape supplémentaire pour diminuer le risque épidémique était la limitation et même l'élimination des gîtes larvaires. Cet enjeu de fond ne peut être traité que par des mesures d'hygiène et de salubrité publique.
Vous me demandez si notre préparation est suffisante : à très court terme, il faut effectivement que les 101 départements et les 101 préfectures disposent d'un plan Orsec arboviroses pour répondre aux risques épidémiques, Nous sommes en train de répondre à cette nécessité. L'autre sujet de fond, dans le cadre de la lutte anti-vectorielle chimique, est celui de la résistance aux produits biocides. Il est indispensable qu'on puisse identifier d'autres solutions, ce que fait l'Anses fait dans le cadre de son groupe de travail. Le problème ne se pose pas en métropole, mais, aux Antilles, il y a bien un problème de résistance aux biocides.
Vous avez souligné le rôle de la population dans la prévention. Mais comment mobiliser cette population ? J'aimerais également savoir si les moyens alloués à la prévention et à la préparation d'une épidémie vous semblent suffisants.
La mobilisation sociale et la communication en direction de la population sont effectivement un sujet très important, notamment pour adopter les bons gestes qui permettent de limiter la présence du moustique vecteur, d'autant que la sphère de vie d'un moustique Aedes albopictus est extrêmement réduite, environ 150 mètres. En réalité ce sont souvent les moustiques qu'on a « élevés chez soi » qui nous apportent des problèmes… Pour identifier les meilleurs moyens de communication, il est intéressant de s'appuyer sur les recommandations et les recherches en sciences humaines et sociales. Je parle de métropole, car dans les territoires ultramarins, la population est déjà bien informée sur les risques liés aux maladies vectorielles. En métropole, lorsqu'on parle de chikungunya, dengue ou Zika, on pense à des maladies tropicales et les gens ne savent pas forcément que ce sont des maladies transmises par les moustiques. Des études montrent ainsi qu'il vaut mieux passer par la communication autour du moustique et de ses nuisances plutôt qu'autour de ces maladies. Nous nous sommes tous fait piquer par un moustique et nous savons tous que c'est désagréable : nous sommes dès lors plus sensibilisés. L'idée est de renforcer cette communication grâce aux outils utilisés par le ministère, en lien avec Santé publique France, notamment dans les aéroports, au départ vers des zones où les moustiques vecteurs sont présents. Il me semble toutefois que cette communication devrait être plus proche du citoyen.
Évidemment, le maire dispose de moyens de prévention. J'ai participé, en novembre dernier à Montpellier, à une Journée nationale de mutualisation des outils et dispositifs de sensibilisation au moustique tigre organisée par l'association GRAINE Occitanie avec le soutien de l'ARS d'Occitanie et de l'EID Méditerranée, qui a permis de démontrer que les associations ont un rôle majeur à jouer, notamment en matière de prévention, et s'en saisissent. Je pense à des actions un peu « coup de poing » qui nous ont été présentées, d'associations qui allaient dans les magasins de bricolage expliquer aux clients la nécessité de mettre du sable dans les soucoupes des pots de fleurs pour éviter d'en faire un gîte larvaire. On peut également tirer beaucoup de leçons des territoires ultramarins qui ont lancé, en particulier via les ARS, des campagnes de communication assez importantes, telles la campagne Kass'Moustik à La Réunion ou l'opération Toussaint en Martinique, qui ont permis de communiquer auprès de la population et, surtout, de promouvoir l'éducation sanitaire.
En ce qui concerne les moyens alloués, les ARS déploient un certain nombre de programmes de sensibilisation et de mobilisation qui bénéficient de financements spécifiques, et nous n'avons pas reçu d'alerte particulière quant à des programmes qui n'auraient pas pu être menés faute de moyens.
L'organisation de la lutte anti-vectorielle en France dépend d'un partage de compétences entre les ARS, les conseils départementaux, les communes ainsi que la DGS au niveau national. Cette répartition est-elle suffisamment bien définie et préconisez-vous de la modifier ? La politique de lutte anti-vectorielle menée vous semble-t-elle la plus adaptée ou la plus efficace ?
La répartition des compétences, telle qu'elle préexistait à l'entrée en vigueur du décret du 29 mars 2019 en janvier 2020, était à l'origine de complexités en termes d'organisation de la gestion des crises, mais également au niveau juridique puisque plusieurs réglementations cohabitaient et étaient enchevêtrées, entre la loi du 16 décembre 1964, la modification apportée par la loi du 13 août 2004, et un certain nombre de dispositions réglementaires du code de la santé publique. Il y avait certes une répartition des compétences mais elle n'était pas appliquée de façon homogène, notamment selon que les départements étaient ou non colonisés par Aedes albopictus. Dans la plupart des cas, l'État était dans un rôle de prescription et les conseils départementaux dans un rôle de mise en œuvre et ce système souffrait de limites importantes.
Aussi, nous avons essayé de clarifier cette répartition des compétences à travers notre réforme réglementaire. Pour autant, une clarification au niveau législatif pourrait être intéressante. C'est d'ailleurs le sens d'une des mesures de la proposition de loi sénatoriale sur la sécurité sanitaire, qui indique que l'intervention autour des cas, dans le cadre de la lutte anti-vectorielle, est bien de compétence étatique.
Depuis la réforme, on distingue les compétences qui relèvent des ARS, qui sont fixées dans la partie réglementaire du code de la santé publique et qui concernent à la fois la sensibilisation de la population, la surveillance entomologique des moustiques vecteurs dans le territoire régional, et évidemment, l'intervention en urgence autour des cas humains de maladies vectorielles – quand on parle d'intervention, on pense souvent à la lutte chimique qui consiste à tuer des moustiques adultes à l'aide de produits biocides, mais ce n'est pas seulement cela.
Aux termes de l'arrêté du 23 juillet 2019, l'intervention autour des cas comprend l'enquête de prospection, qui peut être entomologique mais également épidémiologique à travers différentes mesures de porte-à-porte, etc. ; et la mise en œuvre de lutte adaptée, qui passe par la sensibilisation des populations et du maire, qui peut user de ses pouvoirs de police en matière de salubrité publique et de gestion des déchets – la question des déchets qui produisent de nombreux gîtes larvaires est également importante, notamment dans certains territoires. Cette lutte adaptée passe également par le traitement adulticide – la lutte chimique – contre les vecteurs, avant laquelle les populations sont informées. Telles sont les compétences centrales des ARS.
Sans entrer dans le détail de la répartition des compétences, les maires ont un rôle de sensibilisation ; les conseils départementaux celui de mener les campagnes de démoustication dans le cadre de la lutte de confort contre les moustiques nuisant ; et les préfectures, en cas de dépassement de capacité de prise en charge par l'ARS, celui de déclencher le dispositif Orsec pour renforcer les actions de lutte contre les moustiques.
Lors d'une table ronde, la délégation aux collectivités territoriales du Sénat a présenté un bilan très critique de la coordination entre les collectivités territoriales et les ARS. Ces critiques vous semblent-elles pertinentes, notamment dans les territoires ultramarins ?
Je n'ai pas eu connaissance des conclusions de cette table ronde. À la DGS, nous n'avons pas de remontées particulières des ARS quant à des difficultés avec les collectivités territoriales. Cela étant, dans le cadre d'une lutte intégrée globale contre les vecteurs, il est primordial que les services déconcentrés de l'État et les collectivités agissent en cohérence. On le voit au travers des missions respectives de chacun : les compétences se complètent et cela nécessite une bonne articulation. En Martinique, le service de démoustication est un service mixte, composé d'agents de l'ARS et de la collectivité territoriale de Martinique (CTM), ce qui démontre tout de même une forme d'organisation et de cohérence.
Nous avons récemment reçu les représentants des ARS qui, s'agissant de la CTM, ont évoqué quelques difficultés qui pouvaient être gérées mais qui nous ont aussi dit qu'en Guyane, il n'y avait plus de communication entre l'ARS et la collectivité territoriale, le cloisonnement étant tel que plusieurs de nos questions n'ont pas obtenu de réponses de l'ARS.
Il est vrai qu'en Guyane, l'organisation est particulière puisque, historiquement, c'est la collectivité territoriale qui dispose d'un service de lutte anti-vectorielle extrêmement important. En matière de gouvernance, l'agence régionale de santé participe aux coûts de fonctionnement de ce service à travers une convention historique. Le décret du 29 mars 2019 prévoit d'ailleurs une entrée en vigueur différée au 1er janvier 2023 pour la Martinique et la Guyane, notamment afin de tenir compte des spécificités d'organisation et de pilotage de la lutte anti-vectorielle, et de faire en sorte que la gouvernance qui va être instaurée soit coordonnée. Le dialogue est donc extrêmement important.
Dans le cadre de cette entrée en vigueur différée, la ministre des solidarités et de la santé et la ministre des Outre-mer avaient saisi l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l'Inspection générale de l'administration (IGA). Leur rapport tire les enseignements de l'organisation actuelle et identifie les prérequis d'une bonne application de la réforme en Guyane et en Martinique.
De mémoire, nous l'avons reçu à la fin de l'année dernière. L'objectif était qu'il soit diffusé aux deux ARS et aux deux préfectures. Pour être totalement transparent, cela se passait début janvier, juste avant que nous entrions dans l'épisode Covid-19, et j'ignore si ce rapport a été diffusé aux intéressés.
Pouvez-vous nous préciser la genèse du décret du 29 mars 2019 ? Qui est à l'initiative de ces évolutions ?
La répartition des compétences et la réglementation applicable avant le 1er janvier 2020 souffraient d'une certaine complexité. En 2006 et 2016, des rapports d'inspection de l'IGAS et de l'IGA avaient d'ailleurs indiqué la nécessité de réformer le dispositif, qui laissait finalement les départements dans une situation de prestataires de l'État. Cette répartition était également remise en cause par certains conseils départementaux. Dans le cadre de la colonisation croissante du territoire, notamment métropolitain, par Aedes albopictus, il convenait d'homogénéiser les moyens de lutte et l'organisation au niveau territorial. Telles sont les principales motivations de ce décret dont l'apport principal consiste en une recentralisation des missions de surveillance entomologique et d'intervention autour des cas. Il a été rédigé par la direction générale de la santé, en lien avec tous les partenaires interministériels qui ont été amenés à le cosigner.
Quel regard portez-vous sur la nouvelle répartition des compétences proposée par le texte adopté en première lecture au Sénat en janvier dernier ? Il prévoit notamment la possibilité pour le préfet, après avis du Haut Conseil de la santé publique, d'autoriser dans le département l'expérimentation de nouvelles techniques de lutte contre les vecteurs. Comment concevez-vous l'exercice de cette prérogative ? Quelles techniques vous semblent mûres ?
La lutte chimique contre les moustiques, qui repose sur l'utilisation de produits biocides, ne dispose à ce stade pas d'alternative viable et a un impact sur l'environnement qu'il faut prendre en compte. C'est dans ce contexte qu'il faut appréhender le pouvoir d'expérimentation de nouvelles méthodes de lutte, qui nous semble d'autant plus pertinent que nous souhaitons appuyer l'effort sur l'expertise et la recherche. Quelles méthodes pourraient bénéficier d'une expérimentation ? On peut imaginer la technique de l'insecte stérile (TIS) à La Réunion ou les bactéries Wolbachia qui empêchent de transmettre les arbovirus. Ce texte permet d'encadrer ces nouvelles méthodes, de mener des expérimentations, et nous y sommes tout à fait favorables. Les modalités concrètes de ces expérimentations, qui ne sont pas encore définies, doivent faire l'objet d'une réflexion avec le ministère de l'intérieur puisque j'imagine qu'elles seront encadrées par le préfet.
Le Sénat a apporté plusieurs modifications à la rédaction initiale de la proposition de loi relative à la sécurité sanitaire, à propos notamment de l'obligation pour les maires de dresser un état des lieux des propriétés susceptibles d'abriter des insectes vecteurs et du pouvoir de confier les mesures de lutte anti-vectorielle aux agents de la commune ou mandatés par elle. Qu'en pensez-vous ?
Je l'ai dit, le maire a un rôle prépondérant à jouer, notamment dans les mesures qui ressortent de la nouvelle écriture du code de la santé publique. Son implication est essentielle, en tant qu'acteur de proximité pour la population. Les maires se saisissaient déjà de leurs compétences réglementaires de salubrité publique, grâce au code de la santé publique et au code général des collectivités territoriales. Nous y sommes plutôt favorables à ce qu'on les dote, au niveau législatif, de compétences encore plus poussées en matière de lutte anti-vectorielle, si cela permet de préciser son importance et de rappeler que sa réussite passe par un combat intersectoriel et global.
Certains, notamment les EID, ont jugé que la recentralisation des compétences autour des ARS conduisait au dépérissement de la compétence des départements et à abandonner aux acteurs privés la compétence acquise dans les vecteurs et les résistances. Qu'en pensez-vous ?
Les EID sont des acteurs historiques, qui ont développé de nombreuses compétences et dont le travail, extrêmement important, a été remarqué. L'idée, évidemment, n'est pas de vider les EID de leur substance dans la lutte anti-vectorielle. C'est notamment pourquoi l'une des dispositions du décret du 29 mars 2019 prévoit que l'ARS peut exercer en régie les nouvelles missions ou les confier à un opérateur préalablement habilité, qu'il soit public ou privé. Dans le cadre de cette réglementation, les EID sont donc tout à fait invitées à répondre aux appels à candidature d'habilitation, et ensuite à candidater aux appels d'offre lancés par les ARS, pour financer ces missions quand l'ARS choisit de recourir à un opérateur ce qui est le cas dans l'ensemble du territoire métropolitain. Ainsi, l'EID Méditerranée a été nommée opérateur pour la région PACA et continuera à intervenir dans la lutte anti-vectorielle et autour des cas humains de maladies transmissibles par les vecteurs moustiques. L'EID Rhône-Alpes a remporté l'appel d'offres dans sa région, me semble-t-il. Cela prouve que les EID restent des acteurs importants. Pour autant, il est vrai que face à la colonisation du territoire, l'idée était que d'autres acteurs puissent monter en compétence pour répondre aux besoins de départements où les EID n'étaient pas forcément présentes.
La santé publique est-elle suffisamment prise en compte dans les normes d'urbanisme et de construction ? Faut-il imaginer de nouvelles normes de construction et d'entretien afin d'éviter la création des gîtes larvaires ? Seriez-vous favorable à leur inclusion dans les plans locaux d'urbanisme communaux et intercommunaux ?
Les enjeux de santé publique sont de plus en plus pris en compte, notamment ceux liés au bruit. S'agissant de nos enjeux d'arboviroses et de maladies vectorielles à transmission par moustiques, il est vrai que l'urbanisme gagnerait à promouvoir des constructions limitant en amont les eaux stagnantes constituant des gîtes larvaires pour le moustique Aedes. Les systèmes de récupération des eaux de pluie étant particulièrement productifs en moustiques, il faut y réfléchir collectivement.
Le maire peut s'appuyer sur le règlement sanitaire départemental, dont de nombreuses dispositions présentent un intérêt majeur dans la lutte contre le moustique en visant certains lieux spécifiques, comme les ouvrages de récupération ou d'écoulement des eaux pluviales, etc. De plus, le maire peut prescrire – dans les conditions prévues à l'article L. 2113-13 du code général des collectivités territoriales – aux propriétaires des terrains bâtis ou non bâtis des mesures nécessaires à la lutte contre l'insalubrité qui favorise le développement de ces insectes. Enfin, dans une logique d'adaptation de l'urbanisme et des aménagements urbains à la présence de ce type de moustiques, il est possible de proscrire certains ouvrages notamment par le biais du PLU. Cela relève d'une décision communale voire intercommunale. Mais plus qu'une réglementation ou une obligation, nous préférons nous inscrire dans une logique de sensibilisation et dans une communication globale.
Dans le domaine de la recherche et l'expertise contre les vecteurs et les arboviroses, la direction générale de la santé a-t-elle bien demandé en 2016 la fin des activités du Centre national d'expertise sur les vecteurs (CNEV) ? Pourquoi ?
En 2011, à titre expérimental, les ministres de l'Agriculture et de la Santé ont demandé la création d'une structure d'expertise sur les vecteurs, en concertation avec l'Anses. Il s'agissait d'une expérimentation et une convention a été signée pour cinq ans, entre l'Anses et l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Ce CNEV était doté d'agents embauchés en contrat à durée déterminée (CDD), qui disposaient d'un laboratoire central – l'IRD –, et de trois laboratoires associés – le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l'EID Méditerranée et l'École des hautes études en santé publique (EHESP).
Les agents de cette structure expérimentale, très mobilisés, ont produit des documents de très grande qualité.
Avant d'envisager la suite à donner à cette structure, la direction générale de la santé et la direction générale de l'alimentation ont saisi les inspections générales pour faire un bilan du dispositif. À côté des qualités que je viens de citer, ceux-ci ont identifié un certain nombre de fragilités : une absence d'identité juridique, une absence de ressources humaines pérennes, puisque ces agents étaient en CDD, et un mode de financement reposant sur une subvention annuelle des deux ministères auprès de l'Anses, avec une mécanique budgétaire un peu complexe.
Les inspections générales ont également jugé perfectible l'organisation de l'expertise au regard du risque de confusion entre experts évaluateurs et opérateurs de la mise en œuvre de la lutte anti-vectorielle, et des difficultés liées au respect des canons de l'expertise, notamment en termes d'évaluation des risques.
Fort de ces constats et au vu de l'amplification des risques de maladies vectorielles et de la nécessité de disposer d'un dispositif pérenne, nous souhaitions nous appuyer sur trois éléments : consolider la structuration de l'expertise, promouvoir la référence, inscrire ces ressources humaines dans une structure porteuse. De surcroît, les zones d'activité conjointes entre le CNEV et l'Anses étaient alors assez peu claires.
L'Anses avait la capacité en termes scientifiques et techniques, possédait cette expérience d'évaluation des risques. On en est donc arrivé très rapidement à l'idée de tout centraliser auprès de l'Anses, ce qui est le cas depuis maintenant deux ans, avec un groupe de travail qui répond clairement à nos besoins au regard de ses rendus de saisines.
L'Anses met-elle suffisamment de moyens pour développer l'expertise sur les vecteurs et sur les arboviroses ?
L'Anses dispose de moyens supérieurs à ce qu'ils étaient avec le CNEV. Elle dispose de deux agents permanents dans le cadre de ce groupe de travail, a créé un comité d'experts spécialisés, a institué un partenariat avec des organismes de recherche, notamment le Vectopole Sud, a repris le dispositif de signalement moustiques. Elle dispose donc de tous les outils pour répondre à nos besoins et, à ce stade, de tous les moyens nécessaires.
Je vous demande également de nous faire parvenir le rapport des inspections sur le CNEV ; je vous en remercie par avance.
Que pensez-vous de l'action du centre national de référence (CNR) sur les arbovirus ?
Le CNR arbovirus a un rôle absolument central en termes de surveillance des virus ; je peux témoigner de sa très forte mobilisation, en métropole et dans les outre-mer, puisque j'ai été le responsable du CORRUSS et j'ai donc eu à gérer un certain nombre d'alertes liées à des arboviroses.
Pour nous, il représente un appui en termes de diagnostic primaire. Dès lors qu'une technique de diagnostic biologique n'est pas encore déployée, c'est lui qui organise son déploiement auprès des laboratoires, notamment hospitaliers, ce qui nous apporte une première capacité de réponse. C'est également lui qui est en charge de l'animation du réseau de laboratoires de biologie médicale et qui caractérise les différentes souches virales circulantes.
Enfin, il participe à un certain nombre de réseaux européens et internationaux de surveillance virale. Pour la DGS, c'est vraiment un acteur clé.
Comment évaluez-vous l'organisation actuelle de la recherche française sur les arboviroses ?
En l'absence de vaccins et au regard de l'augmentation de la résistance des moustiques, la recherche constitue à la fois une nécessité et une priorité. À ce titre, on peut saluer le rôle de l'Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) (Alliance) et de l'Institut thématique multi-organismes « immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie » (ITMO I3M) ainsi que la constitution du réseau Arbo-France, réseau français d'étude des arboviroses dont l'objectif est de faciliter la préparation et la réponse aux épidémies d'arboviroses en métropole et dans les territoires ultramarins. À titre d'exemple, il travaille au développement de vaccins, qui permettra de renforcer la prévention des arboviroses.
L'appui de la DGS aux différentes initiatives de recherche a été consolidé via le groupe de travail permanent de l'Anses. Elle appuie évidemment le groupe Arbo-France et a cofinancé un certain nombre d'initiatives de recherche liées à des méthodes alternatives que ce soit la technique de l'insecte stérile – dont les premiers lâchers ont eu lieu récemment à La Réunion – à hauteur de 850 000 euros, la technique de l'auto-dissémination de l'EID Méditerranée a bénéficié de 120 000 euros. Et nous avons apporté un appui réglementaire à la recherche sur la bactérie Wolbachia.
Je ne puis vous répondre immédiatement. C'est plutôt le ministère de la recherche, mais je préfère vérifier.
Pensez-vous qu'il faille envisager la création d'une agence dédiée à la lutte contre les vecteurs et/ou les arbovirus ? Quelles missions devraient lui être confiées : la recherche, l'expertise, le conseil, la contribution à la surveillance épidémiologique, l'alerte, la lutte anti-vectorielle, la réponse aux épidémies ?
La création de cette énième agence ne nous apparaitrait pas opportune, puisque les problématiques que vous avez évoquées sont déjà traitées par des agences nationales : Santé publique France, pour des enjeux de veille et de surveillance épidémiologique et aussi de modélisation ; l'Anses, qui maintenant regroupe l'ensemble de l'expertise sur les sujets de stratégie et de lutte anti-vectorielle ; le Haut Conseil de santé publique, au sein duquel un groupe de travail a été créé sur la sécurité des produits issus du corps humain ; et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), sur la veille sur des produits de santé innovants. Ajouter une couche à ce jeu d'agences me paraît très compliqué – c'est un peu la problématique que nous avons rencontrée avec le CNEV. Nous ne préconiserions pas la création d'une nouvelle agence.
En revanche, pour nous, DGS, animer et coordonner toutes les agences nationales que je viens de citer pour établir une stratégie claire de prévention et de réponse est un véritable enjeu. C'est la raison pour laquelle, tout début janvier, nous les avions réunies pour définir notre feuille de route pour trois ans.
Je me permets d'insister un peu : outre-mer, l'impression qui prévaut est que le CNEV avait vraiment été utile, si bien que le chikungunya a pu être calmé alors qu'il avait fait des ravages. En revanche, face la dengue, tous les territoires ultramarins ne s'en sortent pas, tout au moins aux Antilles et dans l'océan Indien. Votre position est néanmoins de maintenir la gestion de la lutte au sein des agences nationales ?
La problématique que vous évoquez à propos des Antilles est celle de la résistance aux biocides, sur laquelle portent les travaux en développement à l'Anses. Dans la mesure où on a identifié toutes les problématiques et tous les axes de travail et où ils sont bien pris en compte par les différentes agences, et je ne pense pas qu'ajouter une couche supplémentaire répondrait à la situation aux Antilles.
La lutte contre les vecteurs et les arboviroses fait-elle l'objet de signalement à l'Organisation mondiale de la santé ou au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies – European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC) ?
Les cas autochtones d'arboviroses sont signalés à l'ECDC au niveau européen. Et, dès lors que l'on identifie une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI), on se doit de la signaler à l'OMS. Le dispositif international fonctionne très bien.
La DGS travaille-t-elle en concertation avec les ministères ou agences de santé publique des autres pays d'Europe ? Le cas échéant par quel moyen, à quelle fin ? Faut-il organiser des actions de lutte aux niveaux européen et international ?
Nos échanges se font au niveau de la Commission européenne. Plusieurs ARS ont en outre des programmes d'échanges transfrontaliers, notamment avec l'Allemagne et la Suisse. Ces échanges européens et internationaux recouvrent des enjeux de sensibilisation et de meilleure coordination de la lutte anti-vectorielle auprès des instances européennes. Je pense notamment à la réglementation des biocides, qui est de compétence européenne : partager une analyse bénéfice/risque avec l'ensemble de nos partenaires est important.
La réunion s'achève à onze heures trente-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles
Réunion du vendredi 12 juin 2020 à 9 h 35
Présent. – Mme Ramlati Ali
Excusés. – Mme Ericka Bareigts, M. Alain David, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean‑Hugues Ratenon