La réunion

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La réunion débute à dix heures

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Nous poursuivons nos auditions avec monsieur Hervé Magro, ambassadeur de France en Turquie.

Avant de débuter l'audition, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Monsieur Hervé Magro prête serment.

Je vous propose de commencer par dresser un panorama de la politique turque en matière de frontières.

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Hervé Magro, ambassadeur de France en Turquie

La Turquie est un pays incontournable sur les sujets de migrations. La Turquie compte le plus grand nombre de réfugiés venant de la zone syrienne : le pays enregistre un afflux de 3,5 millions de réfugiés. La population turque a connu une augmentation de 3 % dans un laps de temps très réduit. Nous reconnaissons la charge que supporte Ankara dans l'accueil des réfugiés et nous soutenons la participation de l'Union européenne à cet accueil.

Bien entendu, cette situation crée également un fait politique et génère des risques d'instrumentalisation. Ni la France ni l'Union européenne n'accepteront jamais les tentatives d'utiliser la carte de la migration pour exercer un chantage sur l'Union européenne.

Nous notons actuellement une reprise des flux sur les routes méditerranéennes. Les flux augmentent généralement au début de l'été. Une reprise est également à attendre du fait de la décrue de l'épidémie de Covid-19.

En ce qui concerne nos relations avec la Turquie, notre objectif reste de renforcer le dialogue et la coopération. La Turquie est à la fois un pays de destination et de transit.

La Turquie est tout d'abord un pays de destination. Les migrants qui arrivent en Turquie ne repartent pas nécessairement vers d'autres pays. Depuis 2014, la Turquie est le premier pays hôte au monde, totalisant 4 millions de réfugiés et demandeurs d'asile, soit 4,5 % de la population turque.

La Turquie a accueilli 3,5 millions de Syriens placés sous protection temporaire (un statut ad hoc créé en 2013 par les autorités), 12 000 Syriens titulaires de permis de séjour ordinaires et 100 000 Syriens naturalisés. Cette population est en croissance constante depuis 2011. Par ailleurs, elle est jeune et connaît une démographie dynamique. 684 000 élèves syriens sont scolarisés dans des écoles publiques turques, ce qui représente 64 % du total des Syriens en âge de scolarisation. Sur ce total, seuls 56 000 Syriens vivent dans des camps à proximité de la frontière syrienne. Il s'agit d'une situation très différente de beaucoup d'autres pays de la région.

À la population syrienne s'ajoutent 370 000 bénéficiaires de la protection internationale, alors qu'ils étaient 58 000 en 2011. Parmi ceux-ci, l'on dénombre 170 000 Afghans, 142 000 Irakiens, 39 000 Iraniens et 5 700 Somaliens.

Enfin, 1,1 million d'étrangers titulaires d'un permis de séjour étaient présents sur le sol turc en juin 2021.

Il faut ajouter à ces chiffres les étrangers en situation irrégulière. Nous retiendrons, pour les comptabiliser, le chiffre des interpellations : 122 000 interpellations ont eu lieu en 2020 ; il y en a eu 49 000 de janvier à mai 2021. La référence pré-Covid-19 indique 450 000 interpellations en 2019, dont 200 000 Afghans. À cet égard, les Afghans sont restés la première nationalité à être interpellés en 2020 (ils sont 50 000 sur un total de 122 000), devant les Pakistanais, les Syriens et les Irakiens. Le nombre total réel d'étrangers en situation irrégulière est difficile à connaître, mais il est estimé à au moins un million de personnes.

Bien sûr, les crises migratoires de ces dernières années ont également rappelé que la Turquie est un pays de départ ou de transit vers l'Union européenne. Depuis le début de l'année, les entrées irrégulières dans l'Union européenne en provenance de Turquie ont concerné environ 7 500 personnes, soit une diminution de 42 % par rapport à la même période en 2020. L'on note le développement inquiétant de la route directe vers l'Italie, plus coûteuse, plus dangereuse, mais qui permet de contourner la Grèce – plus de 1 500 personnes sont ainsi entrées directement en Italie par cette voie.

De fortes inquiétudes se font jour aujourd'hui au sujet de l'accroissement des flux vers la Turquie, et donc potentiellement vers l'Union européenne dans les mois qui viennent. Je me suis rendu à Gaziantep il y a quelques semaines et à Van la semaine dernière. Les autorités comme les associations œuvrant à l'aide aux migrants sur le terrain redoutent une forte reprise des mouvements de l'Afghanistan vers la Turquie à partir de l'automne, notamment en raison du retrait américain et international d'Afghanistan et d'une reprise du conflit. La détérioration de la situation économique et sociale des Afghans en Iran est un second facteur d'accélération des départs. Enfin, la situation économique en Turquie constitue également un facteur d'inquiétude. La Turquie a une capacité d'absorption des migrants sans doute sans comparaison par rapport à d'autres situations régionales mais la détérioration de la situation économique en Turquie génère une inquiétude quant à la volonté des migrants de rester en Turquie s'ils n'y trouvent plus de travail.

S'agissant des Syriens, près de 70 % des migrants déjà installés en Turquie disent souhaiter y rester. Beaucoup d'entre eux se sont installés, ont trouvé un travail et ont fondé une famille. Il n'existe à ce jour que peu d'incitation pour eux à rejoindre leur pays d'origine.

L'inquiétude porte sur la poche d'Idlib, contrôlée par les forces turques. 3 millions de personnes, opposantes au régime de Damas, s'y trouvent et ne veulent en aucune façon rentrer en Syrie. Si une opération des forces syriennes et russes sur cette poche d'Idlib avait lieu, elle déclencherait un déplacement massif de ces populations, dont une grande partie est déjà massée à la limite de la frontière turque. C'est pourquoi la communauté internationale et nous-mêmes sommes très préoccupés par la négociation actuellement en cours à New-York de la prolongation de la résolution sur le mécanisme d'acheminement de l'aide humanitaire vers la Syrie. Cette résolution est vitale pour maintenir l'équilibre précaire qui règne aujourd'hui dans la poche d'Idlib sur laquelle le régime de Damas et les Russes exercent des pressions militaires régulières. Aucune opération militaire n'a été lancée à ce jour, mais il est clair qu'une offensive du régime appuyé par les Russes aurait comme conséquence importante un nouvel afflux de réfugiés vers la Turquie, et éventuellement par voie de conséquence, vers l'Union européenne. Nous suivons donc cette situation de près. L'importance de la prolongation de cette résolution est vitale. Elle est actuellement examinée et doit être prolongée d'ici au 10 juillet.

Les autorités turques fournissent de grands efforts pour intégrer et scolariser ces migrants, évidemment avec un fort appui de l'Union européenne. À la suite de la déclaration entre l'Union européenne et la Turquie du 18 mars 2016 a été mise en place la facilité en faveur des réfugiés en Turquie. Si les autorités turques dénoncent régulièrement les lenteurs de la mise en œuvre de l'aide européenne, plus de 4 milliards d'euros ont en réalité déjà été décaissés sur les 6 milliards d'euros de la facilité. Le ralentissement des projets est dû à la pandémie et à la nature du mécanisme qui demande un certain nombre de contrôles, puisque les fonds ne sont pas attribués directement à l'État turc mais passent par des opérateurs internationaux. Nous avons mis en place une nouvelle aide de plus de 500 millions d'euros pour faire la transition entre cette facilité et la suivante, qui est actuellement en préparation à Bruxelles. Une nouvelle aide est prévue pour les quatre années à venir.

La France y prend toute sa part au travers de ses opérateurs. Nous suivons particulièrement trois projets. L'un, coordonné par Expertise France, a été sélectionné fin mai 2019 par la facilité. Il s'agit d'un projet de formation professionnelle pour les jeunes Syriens et Turcs vulnérables. Il vise à renforcer les moyens de subsistance et les perspectives d'emploi pour les réfugiés syriens et pour les communautés d'accueil. Un autre projet, piloté par l'Agence française de développement, couvre la construction de l'hôpital de Dörtyol. Ce projet de 40 millions d'euros doit permettre de soulager la pression pesant sur les infrastructures de santé. L'Agence française de développement soutient également un projet d'adduction d'eau et d'assainissement couplé à une assistance technique dans six provinces turques pour un montant de 147 millions d'euros. Un fort poids pèse sur les municipalités turques. La ville de Gaziantep, par exemple, a accueilli 500 000 réfugiés syriens pour une population totale de 2 millions d'habitants. La ville s'est donc retrouvée à devoir assurer des services pour un quart supplémentaire de sa population.

En conclusion, la déclaration du 18 mars 2016 a permis une nette décrue des arrivées irrégulières dans l'Union européenne en provenance de Turquie. Cela est plutôt une réussite. La Turquie continue de faire face à une pression migratoire importante, mais dont la nature a évolué. Dans la période précédente, les flux provenaient majoritairement de Syrie. Désormais, les flux sont majoritairement constitués par des Afghans, en général entrés de façon irrégulière par la frontière orientale. Certains Africains essaient même désormais de passer la frontière iranienne. Cela montre que les routes du trafic humain cherchent malheureusement toujours de nouveaux moyens de contourner les barrières.

En Turquie, les réfugiés syriens sont largement stabilisés et voient pour beaucoup leur avenir en Turquie. Cela pose un problème social et politique important dans un contexte de dégradation de la situation économique. Les dernières élections municipales au printemps 2019 ont montré que la migration est devenue un thème du débat politique intérieur, autour du discours sur « trop de migrants » dans un contexte économique compliqué. Le risque de tensions sociales internes est bien réel. Cela constitue un élément supplémentaire pesant sur les prises de décisions des autorités turques.

La crise du Covid-19 a fortement fragilisé les populations réfugiées ou migrantes, notamment car ces populations dépendent beaucoup de l'économie informelle. Cela accentue le risque d'incitation au départ. Cela nous conduit à travailler avec la Turquie pour nous assurer que le maintien de l'assistance européenne à la Turquie pour l'accueil des réfugiés continuera de permettre à canaliser ces flux.

Enfin, ce levier migratoire ne peut plus être considéré comme un moyen de pression sur l'Union européenne. La carte de la menace de l'ouverture des frontières ne peut être jouée qu'une fois. Elle ne sera pas facile à remettre en œuvre dans le contexte d'apaisement des relations entre l'Union européenne et la Turquie. Toutefois, le risque d'instrumentalisation reste bien présent.

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La Turquie joue un rôle important dans ce que l'on appelle la crise migratoire en Europe. Celle-ci comprend quatre fronts.

Le premier front se situe au Maroc. Il s'y joue une guerre hybride dans laquelle les migrants sont utilisés comme des armes.

Le second front concerne le passage par les autres pays du Maghreb, et notamment la Libye. Ce passage est très dur car les hommes et les femmes qui l'empruntent sont violés trois à quatre fois. Cela est important à prendre en considération lorsqu'il s'agit d'aborder leur arrivée en Europe.

La troisième entrée a été empruntée par des centaines de milliers de réfugiés syriens arrivés sur les côtes européennes, principalement en Grèce, en 2015. Cet afflux massif et rapide a bouleversé la politique d'asile de l'Union européenne et a suscité de nombreuses réactions. À l'époque, la majorité des pays européens a refusé l'accueil digne. Ils ont préféré payer 6 milliards d'euros plutôt que d'accueillir les migrants. En faisant cela, nous avons envoyé un message à Erdogan et nous avons montré que nous étions faibles face à la Turquie. Je pense que nous sommes face à une dictature hybride. Cette dictature turque fonctionnant par la force ne comprend que la force. Je considère donc que nous avons commis une faute à l'époque car nous avons montré notre faiblesse face à un dictateur. Bien sûr, les paroles sont faciles et je comprends que la pratique sur le terrain est complexe.

Enfin, le dernier front s'est ouvert au nord en Biélorussie. Lors de notre rencontre avec les autorités polonaises et lituaniennes et avec l'opposition biélorusse, nous avons clairement constaté que le président biélorusse poursuivait le chantage fait par Erdogan. Depuis quelques semaines, il achemine des avions de migrants avec des visas touristes depuis Istanbul ou Baghdad jusqu'à la frontière avec des pays membres de l'Union européenne (Lituanie, Pologne). Les autorités biélorusses connaissent le règlement de Dublin et ils en tirent largement profit.

Je voudrais vous entendre sur la coopération gréco-turque en mer Égée, ainsi que sur le panorama de la gestion des frontières turques avec l'Iran, l'Irak et la Syrie.

Quelles relations entretenez-vous avec l'État turc aujourd'hui ? Comment cet État se comporte-t-il avec l'ambassade de France ? Je pose cette question car j'ai vu leur comportement évoluer ces quatre dernières années à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).

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Hervé Magro, ambassadeur de France en Turquie

Je ne rentrerai pas dans le jugement sur la nature du régime turc. Je pense qu'il faut distinguer certaines pratiques et provocations auxquelles nous avons dû faire face ces dernières années et le poids réel pesant aujourd'hui sur la Turquie. Il faut bien prendre en compte les raisons pour lesquelles l'Union européenne et la France se sont engagées sur la facilité européenne en faveur des réfugiés en Turquie. Il faut comprendre que la Turquie porte un poids énorme en matière de migrations. Il s'agit d'un problème majeur que nous devrons traiter avec la personne au pouvoir dans le pays, quelle que soit la manière dont celle-ci se comporte. Je ne suis pas sûr qu'un autre pays puisse facilement supporter ce poids.

La frontière syrienne est aujourd'hui quasiment fermée. Les flux ont été en partie bloqués, mais il est difficile d'empêcher le passage, malgré tous les murs et les barrières que le gouvernement souhaite dresser.

La même chose se fait à la frontière iranienne : un mur se construit de la frontière nord-est jusqu'à la province de Van. Cette région montagneuse de Van connaît une forte poussée migratoire. Un projet de soutien à la mise en place de systèmes de caméras et de détection tout le long de la frontière est en cours avec l'Union européenne. Les autorités turques sont déterminées à faire avancer ce projet de mur. L'on peut bien évidemment discuter de l'efficacité de ces murs, car tous les pays sont en train de s'enfermer entre des murs. Le sujet du renforcement de la frontière interviendra certainement dans les discussions sur la mise en œuvre du nouveau paquet d'aide à la Turquie jusqu'en 2024, car celle-ci pose à l'heure actuelle le plus de problèmes.

À la frontière gréco-turque, les choses se sont considérablement améliorées lorsque l'on étudie les chiffres. Il demeure néanmoins toujours un désaccord sur la mise en œuvre de l'accord entre la Turquie et l'Union européenne, notamment s'agissant des réadmissions. Les Turcs considèrent qu'ils ne doivent s'occuper que des migrants arrivés sur les îles grecques et non ceux admis en Grèce continentale. Le Conseil européen, dans ses dernières conclusions, a pris note des travaux préparatoires en vue de la tenue des dialogues à haut niveau. Nous espérons mettre en place dialogue à haut niveau sur les migrations assez rapidement à la rentrée pour évoquer ces différentes questions, qui font pour l'instant partie des sujets de désaccord.

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Vous avez évoqué plus tôt les migrants venant d'Afrique. Quelle connaissance avons-nous de ces filières migratoires ? Le fait que les investissements turcs soient particulièrement dynamiques sur le continent africain amène-t-il de mauvaises intentions pour structurer des filières de passeurs ? Je souhaiterais en savoir davantage sur les filières turques sur le continent africain s'agissant des migrations illégales.

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Hervé Magro, ambassadeur de France en Turquie

Nous suivons en effet cette filière de près. Elle n'est pas la filière privilégiée pour l'immigration africaine. La stratégie turque de faire d'Istanbul un hub international, lancé il y a une quinzaine d'années, ainsi que le contexte d'ouverture de nouvelles relations commerciales avec le continent africain et la levée d'obligation de visas pour certains partenaires commerciaux de la Turquie, contribuent à structurer des filières. Celles-ci utilisent l'aéroport d'Istanbul comme point d'entrée. Des communautés africaines importantes vivent aujourd'hui à Istanbul, et certaines cherchent ensuite à passer en Europe. Cela est compliqué par voie aérienne car les vols entre Istanbul et Paris sont strictement contrôlés. Il est à ce jour difficile d'accéder à des chiffres précis sur cette filière.

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Vous avez indiqué que quatre milliards d'euros ont été versés sur les six milliards d'euros prévus.

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Hervé Magro, ambassadeur de France en Turquie

Quatre milliards d'euros ont été décaissés et deux milliards d'euros ont été engagés.

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La renégociation en cours va-t-elle prendre en compte les dysfonctionnements que vous avez évoqués ? Cet accord s'appuie-t-il sur d'autres paramètres que les seuls paramètres migratoires ?

Les relations entre les populations turques et syriennes sont plutôt intéressantes, notamment en raison du taux élevé de scolarisation. Avons-nous des leçons à recevoir de la Turquie en matière d'accueil ?

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Hervé Magro, ambassadeur de France en Turquie

Des discussions sont en cours à Bruxelles sur un paquet de projets d'assistance à la Turquie. Par ailleurs, des discussions plus politiques auront lieu dans le cadre du dialogue à haut niveau destiné à évoquer l'accord de 2016 entre l'Union européenne et la Turquie. Cet accord porte sur un certain nombre de points – comme les visas et les réadmissions, par exemple – et pas seulement sur la facilité. Des discussions budgétaires traiteront donc de la poursuite de l'assistance aux projets d'une part ; des discussions politiques porteront sur la mise en œuvre de toutes les composantes de l'accord d'autre part. Les Turcs souhaitent par exemple évoquer la question de la libéralisation des visas. Ces discussions auront lieu à plus haut niveau entre les autorités turques et les instances de l'Union européenne.

S'agissant de la gestion des réfugiés, nous avons sans doute d'importantes leçons à tirer de l'expérience turque. Les plus hautes autorités turques ont fait preuve dès le départ d'une forte volonté d'intégrer ces migrants de la meilleure des façons possibles. Ils ont mis à disposition de gros moyens pour éviter le simple accueil dans les camps. Cette stratégie turque était assumée et s'est développée sans doute aussi avec l'idée, au départ, que la crise syrienne serait résolue à une échéance plus ou moins rapide et que ces réfugiés rentreraient chez eux. Quand les autorités turques se sont aperçues que cela ne serait certainement pas le cas, elles ont déployé une politique volontariste pour mettre en place des services pour ces migrants. Les municipalités ont joué un rôle important dans ce dispositif.

Les Syriens sont arrivés dans une période de boom économique important pour la Turquie, ce qui a facilité leur absorption et leur capacité à trouver du travail sur le sol turc. Le pays d'origine est aujourd'hui le problème pour tous ces migrants. La Turquie s'est substituée sur le plan social et économique à leurs pays d'origine. Les migrants se sont presque naturellement intégrés ; ils ne sont pas allés plus loin que la Turquie, d'autant qu'ils se trouvaient très près de leur propre pays. La croissance économique importante a été un facteur capital dans cette intégration. Aujourd'hui, la situation économique se dégradant, les tensions sociales peuvent revenir.

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Vous avez indiqué qu'autour d'un million de personnes seraient en situation irrégulière. Ce volume est estimé sur la base du nombre d'interpellations faites. Sur quels critères ces interpellations sont-elles conduites ? Les personnes interpellées étaient-elles prises en charge par des réseaux ou cherchaient-elles à partir seules ? S'agit-il de familles ou de jeunes mineurs ou majeurs ?

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Hervé Magro, ambassadeur de France en Turquie

Il existe deux catégories. S'agissant des origines les plus lointaines (comme l'Afrique), il s'agit souvent de tentatives individuelles. En ce qui concerne les filières afghanes, les témoignages d'organisations non gouvernementales (ONG) travaillant sur l'accueil des migrants dans la région de Van témoignent de filières organisées avec des tarifs différenciés selon les services proposés. L'on retrouve dans ces filières beaucoup de familles avec des enfants en bas âge, qui subissent des problèmes de sévices en cours de route. Les enfants arrivent souvent dans des situations difficiles. Les ONG travaillant à la frontière iranienne sont soutenues par le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) à l'arrivée. Les familles sont souvent dispersées par l'intervention de la police turque. D'après l'association chargée de l'accueil des migrants à Van, la moitié des migrants dont ils s'occupent sont des femmes et des enfants.

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Je vous remercie, monsieur l'ambassadeur. Je relève les aspirations ottomanes du gouvernement actuel d'Erdogan vers les pays arabes, qui perturbent les relations de la Turquie avec ces pays. Cette région est stratégique et nous n'avons pas fini de parler de la Turquie.

La réunion se termine à onze heures.