La séance est ouverte à dix heures quarante-cinq
Mes chers collègues, nous recevons ce matin M. Thierry Boisnon, président de Nokia France, M. Loïc Le Grouiec, directeur des ressources humaines, et M. Marc Charrière, directeur des relations institutionnelles.
Cette audition fait suite à l'audition des représentants des organisations syndicales de Nokia France, le 30 novembre dernier, puis à l'audition des représentants des organisations syndicales d'Alcatel Submarine Networks (ASN) tenue à huis clos, le 7 décembre.
Le rachat d'Alcaltel-Lucent par Nokia, autorisé par le Gouvernement français en octobre 2015, avait créé une certaine émotion. Cette opération, intervenue presque jour pour jour un an après la vente par Alstom des deux tiers de ses activités, mettait un point final au grand conglomérat que les plus anciens d'entre nous ont pu connaître, Alcatel-Alsthom, héritier de la Compagnie générale d'électricité (CGE). En l'espace de deux ans, c'était la deuxième entreprise du CAC40 qui passait sous le contrôle d'investisseurs étrangers, en l'occurrence le groupe finlandais Nokia.
À la différence d'Alstom, il faut reconnaître que ce mariage n'était pas une surprise tant les difficultés d'Alcatel-Lucent s'étaient accumulées. Depuis le mariage entre Alcatel et Lucent, le groupe n'avait en effet jamais dégagé de bénéfices, d'exercice en exercice.
Au moment de la fusion – fait qui a pu surprendre certains –, Nokia et Alcatel-Lucent réalisaient des chiffres d'affaires comparables, même si la profitabilité de Nokia était infiniment supérieure.
Depuis janvier 2016, Alcatel-Lucent n'existe plus : l'entreprise a été intégrée à Nokia dont elle est devenue la filiale française.
Messieurs, votre audition va permettre de dresser le bilan de la fusion intervenue en 2016. Cela est d'autant plus opportun que Nokia a récemment annoncé un plan d'économies de grande ampleur. Elle envisage de se séparer de sa filiale ASN, considérée comme particulièrement stratégique.
Le groupe Nokia, spécialisé dans la conception, la production et la commercialisation d'équipements de communication, est un champion européen avec 24 % de parts de marché mondiales et 24 milliards d'euros de chiffres d'affaires, derrière le géant chinois Huawei. Il est d'une taille comparable à celle du suédois Ericsson. Toutefois, les deux équipementiers européens ainsi que l'américain Cisco ont du mal à faire face à la concurrence chinoise, de plus en plus active sur les marchés internationaux.
Au total, les effectifs du groupe en France s'élèvent à 5 260 salariés répartis entre quatre filiales, Alcatel-Lucent International (ALUI), Nokia Solutions and Networks, ASN et Radio Frequency Systems (RFS).
Les effectifs français ont continué de fondre. Alcatel-Lucent puis Nokia France ont connu huit plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) en dix ans. Ces restructurations ont été la conséquence d'une succession de révisions stratégiques dans un marché mondialisé des équipements de communication particulièrement compétitif.
Dans le cadre de l'accord signé par le PDG de Nokia et le ministre de l'économie, qui était alors Emmanuel Macron, Nokia s'est engagé à maintenir le niveau d'emploi des deux principales filiales à 4 200 salariés pendant au moins deux ans après le rachat, soit jusqu'en janvier 2018, à condition que le crédit d'impôt recherche soit maintenu. Le groupe s'est également engagé à embaucher 500 ingénieurs supplémentaires pour la recherche et développement d'ici à la fin de l'année 2018. En outre, il avait communiqué sur le fait que la fusion lui permettrait de dégager 900 millions d'euros d'économies au titre des synergies à partir de 2019.
Le 6 septembre dernier, un nouveau plan social a été annoncé. Il aurait pour conséquence la suppression de 597 postes en France dans des fonctions de support, essentiellement sur les sites de Saclay et de Lannion.
Si le groupe Nokia a réitéré ses engagements initiaux de 2015, d'aucuns doutent qu'il les tienne. Nous aimerions savoir si ces engagements seront respectés, en particulier le maintien des effectifs à 4 200 salariés. Nous souhaiterions également avoir des précisions sur le contenu du plan d'économies et sur les moyens de parvenir aux synergies visées. Nous serions heureux d'avoir votre éclairage sur le comité de suivi mis en place à la suite de la vente d'Alcatel-Lucent : quelle est sa composition et combien de fois s'est-il réuni ?
Enfin, ne pensez-vous pas que la succession de plans de sauvegarde de l'emploi porte atteinte à l'image de Nokia et rend encore plus difficile les recrutements, notamment de jeunes ingénieurs ?
Nokia semble vouloir spécialiser sa filiale française dans trois activités principales : le développement de la 5G, la cybersécurité et l'internet des objets. La stratégie du groupe doit être détaillée dans des feuilles de route. Où en êtes-vous de leur élaboration ? Il semblerait que leur présentation ait été repoussée jusqu'à la fin du mois de février. Pouvez-vous en dessiner les grandes lignes et nous indiquer quels investissements, en cours ou programmés, ont été décidés pour atteindre les objectifs du groupe dans ces trois domaines ? Il avait été question, au moment de l'accord, de créer un fonds d'investissement de 100 millions d'euros. Où en êtes-vous ?
Les organisations syndicales se sont émues, devant nous, du fait qu'il y avait peu de Français aux postes jugés décisionnels : ainsi, le comité exécutif des Bell Labs ne compterait que des Américains. M. Marc Rouanne, qui était autrefois le patron de l'innovation chez Alcatel, n'y siège pas. Savez-vous pourquoi ?
Enfin, la vente annoncée d'ASN nous préoccupe particulièrement car cet acteur majeur du câblage sous-marin entre clairement dans le champ des actifs « stratégiques » au sens de l'article L. 151-3 du code monétaire et financier. Pourriez-vous nous indiquer, sans entrer dans les clauses relevant du « Confidentiel défense », quels engagements l'État vous a demandés ? Quelles conditions a-t-il posées pour la vente ? Pouvez-vous nous en dire plus sur la procédure ? La transaction a été annoncée au printemps et un mandat a été confié à une banque au mois de juin. Où en est-on six mois après ? Combien d'offres avez-vous reçues ? Quels critères retiendrez-vous pour choisir l'acquéreur ? Comptez-vous toujours vendre ? La question se pose car il semblerait que les offres ne soient pas à la hauteur de ce qui était visé.
Je vous rappelle que les témoignages devant les commissions d'enquêtes se font sous serment. Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander, messieurs, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Thierry Boisnon, M. Loïc Le Grouiec, M. Marc Charrière prêtent successivement serment.)
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les rapporteurs, je vous remercie de me donner l'occasion de présenter les activités de Nokia en France et dans le monde et d'évoquer la transformation que le groupe entreprend pour répondre aux défis du marché mondial. Je vous exposerai également comment nous respectons les engagements pris à l'égard du gouvernement français à la fin de l'année 2015, lors du rachat d'Alcatel-Lucent, et comment nous nous développons pour assurer la pérennité du groupe. Je terminerai en vous indiquant ce que les pouvoirs publics peuvent faire pour conforter l'industrie française et européenne des télécommunications et développer les technologies du numérique.
Le groupe Nokia crée la technologie de tous les réseaux de télécommunication et de tous les réseaux numériques du futur. Avec le rachat d'Alcatel-Lucent, il a traduit son ambition de disposer d'un portefeuille complet couvrant l'ensemble des télécommunications. Grâce à la recherche et innovation et à Nokia Bell Labs, comme sources de dynamisme, nous serons les fournisseurs des opérateurs historiques mais aussi des OTT – Over the Top –, notamment des GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon –, des gouvernements et des entreprises dans les différents secteurs verticaux.
Notre portefeuille comprend des produits essentiellement axés sur les télécommunications mais également adaptés au développement des industries et des services afin de leur permettre de répondre à leurs engagements en termes de licences à travers le monde. Cela couvre les infrastructures mobiles avec les prochaines générations de 5G qui d'ailleurs ne seront pas seulement mobiles, l'internet des objets, les applications, pour le développement desquelles nous avons créé un département spécifique, la réalité virtuelle et la réalité augmentée, des domaines de recherche très importants qui commencent à être intégrés dans des applications commerciales, la santé numérique enfin avec le rachat de Withings.
Notre place parmi les acteurs mondiaux des technologies qui connectent les hommes et les objets tient à plusieurs raisons : la taille du groupe, sa présence à l'échelle mondiale et l'importance de son portefeuille. Nokia figure aujourd'hui parmi les leaders mondiaux des technologies permettant de connecter les hommes et les objets.
En France, nous avons deux sites, Paris-Saclay et Lannion, les autres ayant été fermés. Ce sont des centres de compétences qui ne sont pas dédiés à la France mais qui accueillent des développements innovants dans divers domaines, qu'il s'agisse de la 5G, de la cybersécurité ou de l'IoT, c'est-à-dire l'internet des objets (Internet of things).
Au niveau mondial, les activités de Nokia sont structurées en six lignes de produits : produits mobiles, produits fixes, applications, produits technologiques rassemblant tous nos brevets, les produits liés à l'IP – Internet Protocol – et à l'optique.
Cela nous permet de gérer les spécificités techniques par métier, mais nous offre aussi une grande agilité : nous pouvons ajuster le développement de nos produits aux différents besoins et marchés.
Vous avez parlé du rachat d'Alcatel Lucent par Nokia en 2015. À cette époque, Alcatel Lucent était dans une situation plutôt délicate – vous l'avez précisé. L'objectif était de construire un groupe européen de taille mondiale, couvrant tous les domaines des télécoms. Par ce rachat, Nokia a protégé et pérennisé la société et lui a aussi permis de réaliser des investissements très importants dans le monde des télécoms, en France et dans le monde. L'empreinte de Nokia en France est d'ailleurs bien supérieure à ce que nécessiterait son marché local. Vous avez évoqué nos plus de 5 000 salariés : ce chiffre est bien supérieur à ce que nécessiteraient nos activités avec les opérateurs ou l'industrie en France.
Depuis le rachat, nous avons renforcé nos activités de recherche et développement (R&D) en France. La France va ainsi devenir une véritable pierre angulaire pour la stratégie mondiale du groupe. Nokia et Alcatel Lucent se sont rapprochés pour créer le leader de toutes les technologies innovantes dans le domaine des télécoms, des réseaux et les services pour un monde connecté.
Nokia est un groupe industriel plus que centenaire, un des plus anciens groupes à travers le monde : nous venons de fêter les cent cinquante-deux ans du groupe Nokia. Vous pouvez donc imaginer que notre préoccupation et notre motivation principales ne sont pas uniquement et d'abord financières. À l'aube des nouveaux réseaux virtualisés, le nouvel ensemble peut se prévaloir d'un positionnement unique pour construire en Europe le champion mondial des technologies numériques. Nous sommes les seuls capables de nous implanter sur ce créneau.
En effet, pour cela, il faut avoir un socle technologique très solide dans le secteur des télécoms, ce dont nous disposons. Nous avons pu le constituer après le rachat d'Alcatel Lucent. Nous pouvons désormais nous positionner comme un leader dans la transition vers l'internet des objets, et particulièrement vers le cloud.
Le nouvel ensemble a une capacité d'innovation sans précédent. En alliant les deux groupes, en associant l'entité des Bell Labs – un des groupes de recherche les plus importants au monde –, mais aussi Nokia Technologies, plus spécialisé dans le monde de la mobilité, nous disposons d'une force de frappe en niveau recherche et développement inégalée. Plus de 40 000 personnes travaillent au sein du groupe dans tous les domaines de recherche – recherche fondamentale, recherche appliquée et développement.
Avec ces moyens, nous sommes en mesure d'accélérer le développement des technologies futures telles que la 5G, et de nous positionner sur l'ensemble des composants des réseaux virtualisés : cloud, nouvelles technologies de big data et d'analytics, ainsi que tous les domaines d'analyse, dans lesquels nous pouvons travailler de manière très autonome.
À l'échelle internationale, la transformation du groupe nous permet de disposer de portefeuilles de produits et d'implantations géographiques très complémentaires. Nokia était extrêmement présent en Europe et en Asie, Alcatel Lucent plutôt aux États-Unis. Notre présence est maintenant renforcée partout : de manière très importante aux États-Unis, dans certains pays européens, mais aussi en Chine, et, grâce à Nokia, dans les différents pays en développement d'Asie mais également les pays en pointe comme la Corée.
Il ne reste plus que deux groupes mondiaux qui ont la capacité et le portefeuille pour se développer : l'un est européen, l'autre asiatique. Ces deux groupes sont les seuls capables d'offrir des services de bout en bout : des réseaux fixes aux développements sur le haut débit mobile, l'optique, le routage IP, les applications et dans les services du cloud.
Vous le constatez tous les jours : les consommateurs veulent de plus en plus accéder aux données, à la voix, à la vidéo ou à de nouvelles applications. Cela passe forcément par l'intermédiaire de réseaux. L'enjeu est très important pour notre industrie des télécoms française, européenne et mondiale. Nokia peut ainsi croître et investir dans les différents standards développés à travers le monde.
Aujourd'hui de nouveaux objets connectés et de nouvelles applications sont créés dans l'univers des services aux consommateurs, mais aussi dans le monde industriel, par le biais de l'internet des objets. Il ne s'agit pas de gadgets ou d'une simple mode, mais d'une transformation assez fondamentale de toutes les industries – des industries verticales, comme celles des communications, des transports, des télécoms, jusqu'au secteur de la santé. De plus en plus d'objets connectés viennent en soutien des personnels dans les hôpitaux. Des applications de développement personnel voient également le jour.
Les analystes pensent que la croissance de l'internet des objets va être extrêmement importante : on parle de 30 à 50 % de croissance sur les trois, quatre ou même peut-être dix prochaines années. Du coup, les marchés potentiels explosent à travers le monde.
Le nouveau groupe constitué par Nokia et Alcatel Lucent a donc une position unique. Il est en mesure d'assister les opérateurs dans leur transformation et leur développement, mais aussi tous les acteurs de l'internet : les GAFA, les développeurs d'applications mais aussi les grandes entreprises et le secteur public, qui ont également besoin de différents développements dans ce domaine.
Venons-en maintenant aux engagements. Quand Alcatel Lucent a été racheté par Nokia, cette dernière a pris des engagements sur le rôle de la France dans le groupe. La France, je l'ai dit, occupe une place essentielle en matière de recherche et développement. Depuis le début, Nokia entend s'appuyer sur les compétences des chercheurs et ingénieurs de notre pays, dans un très grand nombre de technologies, et plus particulièrement les mathématiques, l'intelligence artificielle et le développement d'algorithmes. La France est considérée comme un des leaders mondiaux dans ce domaine, ce qui nous permet de nous développer par rapport à nos centres de recherche – comme les Bell Labs dont nous parlerons plus loin. Notre ancrage dans l'écosystème technologique français est très fort, particulièrement dans les universités et les centres de recherche.
Je tiens à réaffirmer de manière solennelle notre volonté de respecter nos engagements. C'est important pour nous et cela correspond à une valeur fondamentale du groupe, particulièrement attaché au respect de ses engagements à travers le monde. Je vous ai parlé de l'histoire de Nokia : depuis 1865, l'entreprise s'est reconfigurée à de multiples reprises, mais a toujours su construire une relation de confiance avec ses clients à travers le monde. Nous sommes présents dans plus d'une centaine de pays et travaillons avec les plus grands acteurs du secteur des télécommunications.
M. Risto Siilasmaa, président du conseil d'administration de Nokia, et M. Rajeev Suri, notre président-directeur général, ont écrit récemment à M. Bruno Le Maire, notre ministre de l'économie et des finances, pour réaffirmer la volonté de Nokia de tenir sa parole sur l'ensemble des engagements pris fin 2015. Vous avez mentionné les réunions tenues à Bercy : nous en avons fait une petite dizaine depuis le début de l'année 2016, à raison d'une par trimestre, en alternance avec ou sans représentants syndicaux. Cela permet de suivre notre développement et notre respect de tous ces engagements.
Au-delà de ces engagements, pour toutes les raisons déjà citées, la France fait partie de la stratégie mondiale de Nokia. Nous pensons y conforter notre ancrage dans le développement des nouvelles technologies, afin d'être en mesure de réagir par l'excellence à la concurrence mondiale. Nous évoluons dans un contexte concurrentiel mondial de plus en plus éprouvant : vous avez rappelé nos multiples intégrations au cours de ces dix dernières années ; on a également assisté à de nombreuses restructurations. On estime que le marché mondial continuera à se contracter au moins jusqu'en 2020 car les opérateurs prévoient de dépenser moins dans les années à venir.
En 2016, les résultats consolidés du groupe Nokia enregistrent une perte assez conséquente de 912 millions d'euros. Pour assurer notre viabilité et la croissance du groupe à long terme, des plans de transformation ont été mis en place au niveau mondial. Ils prévoient des économies, finalement portées à 1,2 milliard d'euros suite à l'exécution du plan d'intégration. Le premier plan d'économies, vous l'avez rappelé, avoisinait les 900 millions d'euros.
Ce plan de transformation doit permettre au groupe d'investir massivement dans la recherche et le développement. Nokia investit à peu près 20 % de son chiffre d'affaires, ce qui est exceptionnel et quasi unique dans le monde des télécoms. Ces investissements sont notamment réalisés dans le domaine de la 5G, qui ne concerne plus uniquement notre division mobile, mais tous les types de réseaux – fixes, optiques, applicatifs et infrastructures.
Notre plan de restructuration impliquait initialement la suppression de 597 postes en France. Mais il ne touche que des emplois dans les fonctions centrales ou de support et ne concerne en aucun cas les emplois de R&D – qui sont en croissance en France. Lors des négociations avec les représentants des organisations syndicales, cet objectif a été ramené à 553 suppressions d'emplois – 86 sur le site de Lannion et 467 sur le site de Paris-Saclay – dont 69 sont d'ores et déjà vacants : en fait, les suppressions toucheront au bout du compte 484 postes occupés par des salariés.
Autre engagement : le maintien de l'emploi en France, soit 4 200 postes au total jusqu'à la fin 2017 ou début 2018. Nous avons été confrontés à des difficultés au démarrage du recrutement : notre objectif était de recruter 500 personnes mais le marché est très tendu dans le secteur du numérique, notamment dans les nouveaux domaines sur lesquels nous travaillons, à savoir la 5G, l'intelligence artificielle et la cybersécurité. Tous les profils que nous recherchons sont également convoités par les plus grandes sociétés à travers le monde : Google, Facebook et autres s'approvisionnent en nouvelles ressources, et particulièrement en France.
Après avoir pris la mesure de la situation et constaté que notre recrutement n'était pas suffisant, nous avons mis en place des mesures concrètes à partir du deuxième trimestre de l'année 2017. Nous avons augmenté de manière conséquente les budgets et les moyens humains consacrés au recrutement. Nous nous appuyons sur des équipes dédiées, en France comme en Europe. Nous sommes beaucoup plus présents sur les réseaux sociaux et dans les médias, afin d'attirer un plus grand nombre de candidats. Enfin, nous avons multiplié les sessions de recrutement – elles sont hebdomadaires sur notre site de Paris-Saclay, et bimensuelles sur notre site de Lannion. Dès le dernier trimestre, le nombre des candidats s'est mis à remonter. Nous sommes maintenant confiants : nous pourrons atteindre l'objectif de 2 500 personnes en R&D avant la fin de l'année 2018, sans doute avec quelques mois d'avance par rapport à l'agenda initial.
Durant les discussions qui ont abouti au dernier PSE prévoyant la suppression de 597 emplois, nous nous étions engagés avec les représentants du personnel sur les deux points suivants : aucun départ avant d'avoir atteint les 4 200 personnes dans les deux filiales concernées et aucun départ forcé pour les 2 500 ingénieurs en R&D.
Malgré les difficultés rencontrées ces dix dernières années, notre priorité a toujours été de privilégier les départs volontaires. Nous privilégions également les reclassements internes. Nous avons également mis en place des programmes de formation – à l'intérieur d'Alcatel-Lucent, mais aussi de Nokia – pour essayer de retrouver de nouveaux emplois aux salariés dont les postes risquaient d'être supprimés.
Nous accompagnons chaque salarié en leur proposant des plans spécifiques adaptés à leur situation personnelle – reclassements en interne, ou développement en externe. Le contenu de ces mesures d'accompagnement est en cours de négociation avec les organisations représentatives du personnel. Cette négociation devrait se poursuivre en début d'année 2018 et aboutir à un accord sur l'ensemble de ce plan.
Le secteur des télécommunications, nous l'avons dit, est affecté par de nombreuses réorganisations et restructurations, qui touchent l'ensemble des acteurs, que ce soient les opérateurs, les fournisseurs et particulièrement les fournisseurs d'infrastructures.
S'adapter à la transformation est indispensable. Il faut développer beaucoup plus les compétences techniques et les compétences de recherche et développement que les fonctions support de l'entreprise. Nous accordons donc une importance tout à fait particulière à la recherche, que nous développons en France autour des nouveaux axes sur lesquels nous nous étions déjà engagés à la fin de 2015 : la 5G, la cybersécurité et l'internet des objets.
J'en viens au poids de la France dans le groupe.
La gouvernance de plusieurs divisions importantes de Nokia est assurée en France. Je pense notamment à Nokia Mobile Networks, présidée au niveau mondial par Marc Rouanne. Cette division est la première du groupe et représente plus de la moitié de la R & D de Nokia. Avec la responsabilité complète du développement de la prochaine gamme de la 5G, c'est sans doute une des plus prometteuses.
Le directeur général de cette division « Mobiles », qui rend compte directement à Mac Rouanne, est aussi un Français basé en France. C'est lui qui pilote les décisions structurantes, le portefeuille, les choix stratégiques, notamment en matière d'investissements, les plans de business pour les prochaines années, et la répartition des investissements de développement à travers le monde.
Je peux également citer – c'est arrêté depuis le milieu de l'année 2017 – le vice-président de l'activité 5G. Ainsi, le directeur de tout notre business 5G mondial est basé en France. Il dirige tous les programmes de R&D, les programmes de tests et tout ce qui se rapporte à la validation, notamment celle des cas d'usage. Cela permet d'avoir en France une représentation de tous les éléments de la 5G, du développement matériel de certaines cartes électroniques au développement logiciel. Nous réalisons pratiquement la moitié de l'intégration des systèmes en France. Nous sommes en train de développer des plateformes avec certains de nos clients, dont nos clients français : nous avons signé, par exemple, un accord avec Orange pour le développement des cas d'usage. Et cela se fait en France, pas uniquement pour la France, mais pour l'Europe et pour le monde.
Vous savez que la France n'est pas le pays le plus avancé pour le développement de la 5G, que ce soit au niveau des investissements, des réglementations ou autres. Mais aujourd'hui, pratiquement 100 personnes en France travaillent sur les développements mondiaux de la 5G aussi bien pour l'Asie que pour l'Amérique.
Quant aux Nokia Bell Labs, si leur siège historique est à Murray Hill, leur deuxième site mondial est en France, où se trouve une part significative de leurs employés.
Au cours de l'année 2017, nous avons travaillé à mettre en place une activité complémentaire. Conformément aux engagements que nous avions pris avec le Gouvernement, la France devait accueillir une direction significative des Bell Labs. Nous avons donc décidé d'y installer une nouvelle direction, celle de l'intelligence artificielle. Son directeur rendra directement compte au président des Bell Labs monde. Il sera chargé de structurer et générer les développements et la recherche autour de l'intelligence artificielle à partir de la France, avec une couverture mondiale.
C'est un engagement très intéressant. Nous apprécions beaucoup l'investissement français et les actions de l'État qui ont été menées dans ce domaine. Nous avons des relations très étroites avec Cédric Villani qui développe ce plan d'intelligence artificielle. Par l'intermédiaire de nos investissements dans les universités et dans les différents groupes de travail, nous sommes très proches des développements qui vont se faire, et qui, je l'espère, permettront aussi bien à Nokia qu'à la France de se développer dans ce domaine.
Parlons maintenant du deuxième site de Nokia, celui de Lannion.
Lannion accueille un pôle d'expertise, validé au moment du rachat d'Alcatel-Lucent, sur la cybersécurité. Ce n'est pas un pôle unique, dans la mesure où l'on développe sur ce site bien d'autres technologies de réseaux et d'importantes activités de service. Les activités globales occupent près de la moitié des effectifs. Néanmoins, nous souhaitons nous développer plus particulièrement dans le domaine de la cybersécurité, ce qui renforcera encore notre ancrage à la France et singulièrement à la région Bretagne. Nous avons donc renforcé l'équipe dédiée de R&D sur certains de nos produits et nous sommes en train de recruter des personnels complémentaires.
Nous avons également mis en place une plateforme unique, qui permet de tester et de valider nos solutions réseaux. Cette plateforme a été réalisée en collaboration avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) ; c'est là que nous validons de bout en bout toutes les solutions de télécoms que nous avons vendues à nos opérateurs. Ainsi, notre conformité vis-à-vis la régulation au niveau de la sécurité passe par le site de Lannion, avec un investissement de plateforme conséquent au niveau des infrastructures, mais aussi des différentes compétences.
Nous nous impliquons aussi dans le « Pôle d'excellence Cyber », dont j'occupe personnellement la vice-présidence européenne ; cela permet à ce pôle de se développer en Europe et en coopération avec différents pays européens. Nous contribuons aussi à des partenariats « public-privé » en matière de cybersécurité, pour soutenir l'objectif de souveraineté numérique de l'État – car la cybersécurité en est un élément clé.
Au-delà de ses évolutions internes, Nokia est un acteur clé du développement de l'écosystème numérique français. Cela nous paraît de nature à contribuer positivement à l'excellence française et à intensifier la coopération entre les différents acteurs tels que les opérateurs publics et privés de télécommunications. Ainsi, nous participons au développement de nouvelles activités à Lannion dans le cadre de l'Institut de recherche technologique « b-com », que nous soutenons.
Mais nous ne voulons pas seulement nous cantonner au seul domaine de la recherche et du développement en France. Nous avons également décidé, ces derniers mois, de créer une entité par l'intermédiaire de la société IRIS. Cette société a vocation, dans un premier temps, à gérer la supervision des réseaux en France, et des réseaux mobiles – notamment pour les opérateurs. Nous avons déjà procédé à trente-sept embauches, qui seront validées dans le cours de l'année 2018 et qui permettront de trouver des postes et des niveaux d'emploi dans le groupe différents des postes de chercheurs que nous développons par ailleurs.
J'ai mentionné tout à l'heure le rachat, pour un montant de 170 millions d'euros, de la start-up française Withings, spécialisée dans les objets connectés, particulièrement dans le domaine de la santé. Cette société doit constituer le socle du développement mondial de la division Healthcare de Nokia, qui sera elle aussi dirigée depuis la France. Il s'agit d'un investissement très bénéfique pour l'emploi : Withings a pratiquement crû de 50 % depuis que nous en avons fait l'acquisition.
Nous investissons très fortement dans l'écosystème français par le biais de start-up, en lien avec ce que promeut l'État dans le cadre de la French Tech. À ce jour, nous avons investi plus de 30 millions d'euros sur les 100 millions que vous évoquiez, monsieur le président, par l'intermédiaire de notre fonds NGP Capital.
J'en viens plus spécifiquement à la question des partenariats académiques dans le domaine de la recherche. Nous venons d'en annoncer un avec l'Institut des hautes études scientifiques (IHES), de Bures-sur-Yvette, pour des projets très spécifiques, notamment en mathématiques. Nous contribuons aussi à de nombreuses chaires d'enseignement supérieur, par exemple au sein de ParisTech pour les connected cars et la cybersécurité, en collaboration avec Renault : nous essayons de développer tous les maillages industriels dans ce domaine.
Point très important, nous assurons la présidence du pôle de compétitivité Systematic à Paris-Saclay, qui rassemble autour de Jean-Luc Beylat 750 innovateurs dans des systèmes complexes. C'est une sorte de Silicon Valley à la française – j'espère d'ailleurs que ce terme disparaîtra un jour et que Paris-Saclay deviendra plutôt la référence.
Nous sommes aussi très impliqués dans les Instituts de recherche technologique (IRT), notamment « b-com » et nous voulons nous développer dans le pôle de compétitivité breton « Images & Réseaux ».
Nous sommes très engagés dans l'animation des écosystèmes numériques. Dans le cadre de Nokia Paris-Saclay, nous avons créé un grand centre d'incubation, appelé « Le Garage ». Il permet de faire de la création interne, mais aussi d'apporter un support à des start-up. Nous avons aussi créé un FabLab très actif, en association avec certaines réalisations au plan régional.
À travers toutes ces actions, Nokia se considère comme un partenaire des pouvoirs publics pour la numérisation de la vie économique et sociale, ainsi que pour l'accès au très haut débit dans le cadre de l'aménagement du territoire, en particulier la mobilité 5G. La couverture de notre site de Paris-Saclay vient d'être lancée : nous passons ainsi à la phase de prototypage, ou pilote, dans laquelle de nombreux tests sont réalisés.
Nous voulons aussi multiplier les interactions avec les universités et les jeunes, avant même qu'ils ne deviennent ingénieurs – nous travaillons beaucoup avec les écoles.
Cet ensemble d'actions a pour vocation de rayonner à l'international. Une grande partie des produits et des infrastructures que nous développons ne sont pas uniquement liés à la France – c'est notamment le cas de certains accords universitaires.
Pour conclure, je tiens à réaffirmer notre ferme volonté de tenir les engagements pris au moment du rachat, fin 2015. Je suis convaincu que la transformation du groupe conforte et assure la pérennité de notre présence en France, comme c'est le cas aujourd'hui. Il y aura certes des départs de salariés du fait de la restructuration et des changements dans nos métiers, mais j'insiste sur notre volonté d'accompagner au mieux chacun, selon sa situation personnelle. C'est ce que nous avons fait dans tous les plans précédents, qu'ils concernent Nokia ou Alcatel-Lucent. Par ailleurs, cette transformation se traduit par la création d'emplois à forte valeur ajoutée : en trois ans, nous recruterons bien plus que les 500 ingénieurs, c'est-à-dire le niveau sur lequel nous nous étions engagés. Il y a des départs, mais aussi des remplacements et des besoins concernant des qualifications nouvelles. Nous voulons créer de l'emploi dans les bassins où nous sommes présents, en Île-de-France avec Paris-Saclay, ou en Bretagne à Lannion.
Notre transformation nous permet de mieux contribuer à l'écosystème numérique français, autour des pôles d'excellence mondiaux que nous avons implantés en France : la 5G, la cybersécurité et l'internet des objets, qui fera l'objet d'un accent particulier en 2018. Sous l'impulsion de la French Tech, mais aussi dans le cadre des plans de souveraineté – nous assurons la présidence de celui qui concerne les télécoms – et en concertation avec les instances de régulation, nous sommes persuadés que la France continuera à jouer un rôle majeur dans le groupe Nokia pour les technologies d'avenir.
Je me réjouis également du travail engagé par les pouvoirs publics pour faire en sorte que la France devienne un pôle d'excellence numérique au plan mondial. Nous soutenons les différentes actions entreprises dans ce cadre. Nous avons aussi besoin de votre soutien pour que les enjeux de souveraineté numérique soient respectés par tous les acteurs et pour qu'un cadre réglementaire soit créé en la matière. Nokia est prêt à renforcer sa participation à la nouvelle stratégie industrielle de l'État et à contribuer au remplacement des différents réseaux du secteur public dans les années à venir – nous avons à cet égard un portefeuille pratiquement complet.
L'innovation doit continuer à être encouragée en France par des dispositifs de soutien qui ont montré leur valeur, comme le crédit d'impôt recherche.
Enfin, je forme le voeu que la coopération entre Nokia et l'écosystème français du numérique se renforce dans un esprit de bénéfice mutuel.
Je suis à votre disposition pour répondre à toutes les questions.
Afin d'être sûr de ne pas mélanger les flux et les stocks, j'aimerais savoir si votre objectif de 2 500 emplois comprend les 500 postes d'ingénieurs supplémentaires auxquels vous avez aussi fait référence.
Et il n'y a pas de doute que cet objectif de 500 postes supplémentaires sera tenu, si je comprends bien…
Je n'ai pas une vision très claire des moyens permettant de réaliser les synergies attendues. Elles étaient initialement évaluées à 900 millions d'euros, mais je comprends qu'elles atteindraient plutôt 1,2 milliard.
J'imagine – et j'espère – qu'elles ne concernent pas que la France. Comment comptez-vous procéder, sachant que les 597 suppressions de postes prévues ont finalement été ramenées à 484 ? Quelles sont les autres mesures d'économies programmées dans le cadre du groupe et, potentiellement, sur le territoire français ? J'aimerais également savoir ce qui se passera au-delà des deux années sur lesquelles vous vous êtes engagés.
Nous sommes vraiment sur une très bonne trajectoire pour atteindre le montant de 1,2 milliard d'euros.
La France n'est pas le seul pays concernée, même si elle contribue avec les suppressions de postes. Il y a de nombreuses restructurations dans le monde.
L'activité de Nokia concernait essentiellement les réseaux mobiles. Une grande partie de celle d'Alcatel-Lucent, que nous avons reprise dans son ensemble, portait aussi sur les réseaux mobiles. Dès le début de l'année 2016, il a été décidé de consolider les deux portefeuilles, ce qui a dégagé des économies potentielles très importantes pour les supports de produits, le développement et la R&D que nous avons est recentrée sur une seule gamme de produits, d'où de nouvelles économies majeures.
Une deuxième source d'économies est liée à notre mode opératoire : le groupe Alcatel-Lucent avait plutôt des Headquarters mondiaux, dont un en France, alors que l'organisation de Nokia est davantage répartie entre pays, en fonction de sept marchés géographiques – les États-Unis, l'Europe, l'Amérique latine, l'Afrique et d'autres marchés en Asie. Nous sommes beaucoup plus agiles et nous avons réalisé un certain nombre d'économies avec la consolidation de toutes les équipes de support, qu'il s'agisse de l'avant-vente ou de la partie commerciale qui a connu de considérables transformations.
Nous avons digitalisé toute cette dernière partie – nous avions très peu de supports numériques, mais nous avons ensuite développé des sales forces.
Nous sommes maintenant arrivés à une étape marquée par la consolidation d'un nombre beaucoup plus important de systèmes. On pense généralement à Nokia et à Alcatel-Lucent, mais nous sommes en réalité issus de Motorola, de Siemens, de Nokia, d'Alcatel, de Lucent et d'autres entreprises encore – je pourrais en citer dix. Le regroupement de nos systèmes et des activités de support ou d'achat, notamment informatiques, est l'occasion de réaliser de nombreuses économies. Les investissements nécessaires sont colossaux, mais cela permet d'atteindre en deux ou trois ans d'intégration les objectifs que nous nous fixons.
S'agissant de la contribution de Nokia France, très concrètement, il n'y aura pas à court terme d'autres éléments majeurs que le PSE sur les fonctions-support dans les sites de Saclay et de Lannion ?
Rien n'est planifié, mais c'est un marché extrêmement dynamique. À quoi ressemblera-t-il en 2020 ou en 2022, quand on commencera à installer la 5G dans le monde et en France ? Ce n'est guère défini pour le moment. Nous avons une activité majeure en France avec les opérateurs de télécoms – nous les fournissons d'ailleurs tous les quatre, ce qui est rarement le cas ailleurs dans le monde – et nous espérons beaucoup nous développer dans les industries verticalisées, comme les transports et l'énergie, qui comptent en France des acteurs mondiaux extrêmement importants. Nous espérons avoir une activité très importante avec eux dans les trois ou quatre années qui viennent. Cela nous conduit à envisager une tendance au maintien de l'activité ou à la croissance, plutôt qu'au repli, pour les fonctions de vente, de déploiement de réseau et de support.
Je voudrais revenir sur ASN, que vous n'avez pas évoqué. Cette filiale, par ses activités de fabrication de câbles optiques sous-marins, notamment transatlantiques, et ses droits de propriété, est un opérateur d'« importance vitale » au sens du code de la défense. Lors de la vente, quelles sont les précautions que l'État vous a demandé de prendre afin d'assurer l'indépendance de cette structure ? Par ailleurs, quelles sont les intentions de Nokia à l'égard d'ASN ? Nous n'avons pas le sentiment que cette activité soit au coeur de votre stratégie, qui est davantage tournée vers le mobile. Y a-t-il un risque de vente par morceaux ? C'est évidemment l'une des principales préoccupations. S'agissant des brevets, Nokia serait-il prêt à accepter certaines copropriétés en cas de fusion ?
L'activité ASN était en vente avant même que Nokia ne reprenne Alcatel-Lucent. Quand nous avons repris ce groupe, la décision a été prise de s'assurer que l'entité ASN serait pérenne, ce qui n'allait alors pas forcément de soi. Aussi, depuis deux ans, la situation pour ASN s'est-elle très sensiblement améliorée sur plusieurs points, en particulier en ce qui concerne sa situation financière : ASN avait perdu sa première place mondiale – qu'elle a désormais reprise. ASN n'était pas vraiment une structure indépendante : de nombreuses fonctions support étaient gérées par le groupe. Notre première décision a donc été de nous assurer que cette entité soit réellement pérenne. ASN est désormais beaucoup plus autonome.
Le groupe Nokia, vous l'avez mentionné, n'est pas exclusivement centré sur l'activité mobiles ; notre activité couvre l'ensemble des télécoms : infrastructures optiques, IP – secteur que j'ai maintenu – et structures fixes. Reste que l'activité d'ASN s'apparente plus à celle d'un câblier, qu'il s'agisse de la production du câble, de son implémentation, de son déploiement à travers le monde, ou de l'activité électronique autour des terminaux.
L'intention de Nokia, au début de l'année, était de vérifier s'il y avait une possibilité de vendre l'activité ASN. Nous avons toujours considéré que nous ne vendrions pas à tout prix : nous voulions nous assurer de la capacité de l'entité à être pérenne. C'est pourquoi nous avons plutôt tendance à imaginer une solution avec un industriel et à penser que l'investissement ne doit pas être seulement financier, ce qui permettrait vraiment à ASN de pérenniser, j'y insiste, son développement technologique. Nous sommes en train de discuter avec plusieurs acteurs sur le marché. Les questions que vous avez posées, concernant la pérennisation d'ASN, l'ont également été par l'État. C'est pourquoi plusieurs scénarios ont été envisagés, qui vont de la vente du périmètre complet d'ASN ou seulement de celle d'une sous-partie de la partie électronique. Les offres que nous recevons en ce moment concernent plutôt l'ensemble du périmètre d'ASN. Ces discussions, en cours, sont très compliquées, notamment en ce qui concerne les droits des brevets.
La recherche et développement est actuellement en partie assurée par les Bell Labs et nous sommes en train d'examiner, en interne, comment pérenniser ce support, si c'est nécessaire, et mettre à disposition de la nouvelle entité tous les moyens qui permettront cette pérennisation. C'est notre engagement.
Y a-t-il des contradictions internes, en particulier entre les branches américaine et française ?
Il n'y a pas de contradictions. Le marché évolue. Nous avons discuté de manière très transparente avec les différents partenaires de l'État, parmi lesquels le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) qui garantit le respect de nos engagements les plus confidentiels afin de ne pas enfreindre la souveraineté de l'État. Je présume que l'État mettra tout en place pour s'assurer que le prochain propriétaire de cette entité respectera les mêmes engagements de souveraineté – en tout cas, ASN en aura tous les moyens.
Ma première question porte sur l'engagement aux termes duquel la R & D serait pilotée à partir de la France. Les syndicats, lorsque nous les avons reçus, ont soulevé plusieurs questions à cet égard et je leur ai alors promis de vous les poser. Dans le rapport annuel 2016 de Nokia, à la page 61, on peut lire : « Marc Rouanne, currently Chief Innovation and Operating Officer, will become Président of the Mobile Networks business group » et, un peu plus loin : « Marcus Weldon, currently Président of Nokia Bell Labs and Chief Technology Officer, will join the Group Leadership Team and retain current responsibilities. » Pouvez-vous nous aider à voir plus clair sur cet engagement, quel est le poids réel de M. Rouanne dans le pilotage de la R&D ? Quel est le poids des Français en général dans la stratégie technologique et dans la R&D au sein de Nokia ?
Ma deuxième question concerne ASN. Les syndicats, là encore, nous ont fait part d'un certain nombre d'interrogations que ce soit sur le calendrier – entre une sortie assez directe et une sortie plus progressive, par tranches –, ou sur les options de vente – vente globale ou vente à la découpe. Quels sont les risques les plus forts, selon vous, en termes de marché, de préservation de l'emploi, des savoir-faire de chacune de ces options ?
Troisième point, vous l'avez souligné : la 5G va reconditionner le marché des transports et des infrastructures. Ce standard va se pérenniser, cette technologie nous permettre d'entrer dans un nouveau monde numérique – celui de la réalité augmentée, des applications virtuelles, de services inédits pour les entreprises. Mais qui sera le payeur du modèle économique induit par la 5G ? Quels risques implique la difficulté à faire émerger un modèle économique rentable et profitable, notamment dans un contexte où celui des opérateurs pose lui-même question ? Quelles sont dès lors vos perspectives de marché par rapport au payeur et par rapport aux clients ?
Quatrièmement, les syndicats que nous avons auditionnés nous ont assuré que des sociétés telles que Cisco aux États-Unis ou Huawei et ZTE en Chine bénéficiaient de soutiens étatiques importants et notamment d'une protection de leur marché intérieur. N'avez-vous pas le sentiment que nous ne jouons pas forcément à armes égales avec ces sociétés ? Ne sommes-nous pas dans une situation où la réciprocité n'est pas la meilleure possible en ce qui concerne la libre circulation des capitaux et les investissements étrangers ? Quel est votre point de vue d'industriel français sur la question ?
Ma dernière question porte sur la politique industrielle de la France. Quel est, là encore, votre regard d'industriel français sur le sujet ? Quels sont les critères qui permettent de définir une industrie stratégique en France aujourd'hui ? Quelle est la palette des outils dont dispose l'État pour renforcer sa politique industrielle, depuis le plus simple – l'État est un client – jusqu'au plus fort, si l'on peut dire – l'État devient actionnaire ?
Vous êtes revenu sur un changement d'organisation important : Marc Rouanne, pendant toute la première année de la restructuration, exerçait les fonctions de Chief Innovation and Operating Officer (CIOO), à la tête d'une organisation chargée des opérations, de l'innovation, de la recherche, et comprenant le Chief Technology Officer (CTO). Marcus Weldon travaillait au sein de l'organisation de Marc Rouanne à ce moment-là, laquelle comptait quelque 2 000 à 3 000 personnes, la moitié dans le secteur opérationnel et l'autre moitié en R&D, pour le dire très rapidement.
Notre engagement était d'avoir en France une responsabilité mondiale en matière de R&D. Marc Rouanne a pris la présidence de « Mobile Network », fonction grâce à laquelle il a la responsabilité de plus de 50 % de la recherche mondiale ; on est donc passé de quelque 1 000 personnes à environ 25 000 à travers le monde. Cette responsabilité de Marc Rouanne est venue s'ajouter à celle qu'il exerçait antérieurement.
Dans nos discussions avec nos partenaires, nous avons fait valoir qu'il était important qu'une partie du développement soit dirigée à partir de la France – outre Marc Rouanne lui-même, son directeur général-adjoint est français et le patron de la partie 5G de développement mondial est basé lui aussi en France.
C'est donc, j'y insiste, depuis la France que sera déployée la 5G à l'échelle mondiale. Autrement dit, l'influence de la France, depuis le début de l'année, s'est considérablement accrue.
Au-delà, il vient d'être décidé qu'un des directeurs travaillant sous l'égide de Marcus Weldon – CTO et président des Bell Labs –, en l'occurrence le directeur mondial de l'intelligence artificielle au sein des Bell Labs, serait installé en France, ce qui permettra à notre pays de peser fortement sur le développement sans oublier la recherche – fondamentale en ce qu'elle permet de susciter les activités du futur. Ce qui répond à votre première question.
Votre deuxième question, à propos d'ASN, est difficile à traiter dans la mesure où nous sommes, je l'ai dit, en pleine discussion. Je l'ai évoqué, différents scénarios ont été envisagés et l'un tend à l'emporter sur les autres, mais je ne puis vous en dire davantage. Pour ce qui est de la conservation de l'emploi, il faut savoir qu'il s'agit d'un marché des plus indépendants. L'une des raisons pour lesquelles nous le considérons plutôt comme « satellite » par rapport à notre coeur de métier tient au fait que de nombreuses activités sont des activités de déploiement et qu'elles sont très cycliques : les engagements de développement des consortiums qui investissent dans le câble se font sur plusieurs années – ce qui implique de nombreuses années de négociation et de nombreuses années de déploiement.
Les GAFA, par leur développement mondial, créent sans doute une nouvelle demande qui sera elle-même, pense-t-on, porteuse de croissance dans les années 2020-2025, mais une croissance davantage « lissée » que précédemment. Cette évolution permettra aux câbliers – au demeurant très peu nombreux – de « lisser » eux aussi leur activité à travers le monde.
La 5G n'est plus un standard comme le furent la 2G, la 3G et la 4G : ce nouveau standard va permettre de complètement restructurer les réseaux des télécoms, qu'il s'agisse de la partie terminale, avec la partie « mobile », ou de la partie « transport ». Il faudra en effet ajouter des capacités énormes. La 5G permettra également un déploiement beaucoup plus dense, à raison d'un million d'objets connectés par kilomètre carré, soit cinquante fois plus qu'aujourd'hui avec la 4G. En outre, apparaîtront de nouveaux cas d'usage spécifiques dans le domaine industriel : on pourra séparer les réseaux 5G en différentes couches afin de dégager une rentabilité d'une tout autre nature. Les investisseurs dans la 5G seront donc différents de ceux d'aujourd'hui.
Évidemment, les opérateurs actuels seront partie prenante. Comme je vous l'ai précisé tout à l'heure, c'est public avec un opérateur, mais pas avec d'autres, donc je n'en parlerai pas. Nous discutons aujourd'hui sur les cas d'usage. Il est évident que si l'on reprend les mêmes cas d'usage qu'aujourd'hui pour faire de la voix, de la donnée, et la connexion d'un mobile, ça ne marchera pas. Ce qu'il faut, ce sont des cas d'usage totalement différents, des réseaux autonomes. Il y aura probablement dix fois plus d'objets connectés qu'il n'y a de mobiles aujourd'hui, nous allons vraisemblablement atteindre 50 milliards d'objets connectés. Il y aura forcément des cas d'usage qui permettront de récupérer la donnée en temps réel.
Beaucoup de cas d'usage se font sur le temps réel et la réalité virtuelle ; mais c'est seulement grâce à la 5G que nous aurons des objets connectés permettant réellement de faire de la réalité virtuelle. Les besoins physiologiques de l'homme imposent un temps de latence, c'est-à-dire un temps de rafraîchissement de l'image, inférieur à 2 ou 3 secondes, sinon nous sommes malades. Pour que des écrans puissent afficher de la réalité virtuelle en descendant à moins d'une milliseconde, il faut la 5G. Nous commençons à voir des applications de réalité virtuelle ; mais dans les cinq à dix ans à venir, nous en aurons beaucoup plus.
Je suis d'accord, des questions se posent sur le modèle économique, au moins à très court terme, mais nous avons bon espoir que l'efficacité de la gestion du spectre soit nettement améliorée avec la 5G, surtout sur les bandes de fréquences qui sont utilisées. Nous discutons avec l'ARCEP et avec d'autres organismes de l'État pour savoir comment nous allons aborder ces sujets, et nous aurons des modèles économiques qui n'ont pas encore été découverts.
À propos de Huawei, vous connaissez sans doute ma position. J'ai rappelé dans mon mémo que nous étions deux groupes mondiaux à ce niveau dans le monde, l'un asiatique, et nous-même. Il est clair qu'aux États-Unis, certaines sociétés n'ont pas le droit de répondre à certains appels d'offres. C'est ainsi… Faut-il aller jusqu'à ce point ? L'État peut sans doute aider, dans un contexte de souveraineté, au regard de la sécurité nationale. L'ANSSI est un acteur très important et développe un contexte qui permet de qualifier nos équipements et les solutions sur lesquelles nous travaillons. Pour certains marchés, qu'il s'agisse de marchés d'État ou de marchés passés par de grandes entreprises françaises, la réglementation devrait pouvoir imposer des contraintes de sécurité pour certaines de nos infrastructures ; nous y serions évidemment très favorables. Nous avons énormément investi dans ce domaine et cela permettrait de réguler le marché de manière intéressante.
Qu'est-ce qu'un acteur industriel stratégique ? Tout ce qui va permettre de développer l'économie mondiale est à mon sens stratégique. Les télécoms n'ont jamais été aussi importantes pour le développement économique, et le seront sans doute encore plus dans le futur. Plus aucune transaction ne se fait sans digital, plus rien ne se fait sans accès à un réseau – infrastructure fixe, transport via l'IP ou réseau mobile. Les télécoms, de manière générale, seront une clé pour le développement économique. Les fournisseurs des télécoms, les acteurs tels que les opérateurs, et tout ce que nous pourrons développer dans le domaine de l'internet des objets, qui va aussi être majeur dans la transformation économique de nos activités verticales, peuvent être considérés comme des acteurs stratégiques en France.
En 2013, Alcatel a gagé ses 29 000 brevets, d'une valeur de 5 milliards d'euros, contre un prêt de 2 milliards auprès de Goldman Sachs et du Crédit suisse. Que sont devenus ces brevets ? Les avez-vous intégralement récupérés ? Si c'est le cas, à combien les valorisez-vous aujourd'hui ?
Deuxième question, sur les brevets d'ASN. Vous dites que vous êtes prêts à laisser partir des brevets qui lui permettront de fonctionner en cas de vente ; quels sont les brevets développés depuis le rachat d'ASN par Nokia ? S'agit-il encore de brevets développés par Alcatel et ASN avant le rachat ?
Nous avons aujourd'hui racheté tous les brevets ; ils sont chez Nokia, et leur gestion constitue la principale activité de la division Nokia Tech. Une grande activité de valorisation de ces brevets se développe à travers le monde, et ce point a été totalement réglé avant même le rachat par Nokia.
Je ne peux pas répondre directement à la question sur leur valorisation ; vous devez pouvoir trouver l'information dans nos bilans, mais si c'est nécessaire, nous pourrons revenir plus précisément sur ce point.
Pour ce qui est d'ASN, il y a de multiples manières de travailler sur les brevets. ASN utilise beaucoup de brevets dans le domaine de l'optique. De nombreux brevets ont été développés par les Bell Labs qui développent continuellement de nouvelles technologies encadrées par des brevets. ASN travaille avec des brevets anciens, qui datent d'Alcatel, d'Alcatel-Lucent, et maintenant de Nokia. Certains brevets sont à l'intérieur d'ASN ou ont été développés par des équipes dédiées à ASN.
Je n'ai pas dit que nous transférerions les brevets, mais qu'ASN aurait tous les moyens pour opérer de manière pérenne dans le temps. Partant de là, plusieurs types d'accords sont possibles : soit les brevets sont transférés, soit des droits d'utilisation des contrats sont contractualisés, un certain nombre de choses sont en discussion, mais aucune décision n'a été prise en ce domaine. Ce que je dis, c'est qu'ASN aura les moyens de se développer dans le futur.
Nous avons reçu les syndicats d'ASN et de Nokia-Alcatel. À les entendre, les synergies attendues n'étaient pas si faciles à mettre en oeuvre et la culture d'entreprise était bien différente entre Nokia et Alcatel. Vous qui êtes des spécialistes des réseaux, voyez-vous des solutions pour améliorer la connectique en interne ? Des améliorations sont-elles attendues ? Allez-vous faire évoluer un management qui semble déconcerter les Français ?
Je souhaite revenir sur le développement de la cybersécurité ; c'était un des engagements que vous avez pris dans le cadre des négociations avec Bercy. La création du pôle mondial de cybersécurité a été confirmée, mais le nombre de recrutements reste relativement faible. Confirmez-vous vos ambitions sur ce projet ? Pouvez-vous faire un point sur la coopération annoncée avec Thales ?
En préambule, je souhaite appuyer les propos de notre collègue sur le plan de restructuration. Si nous nous félicitons tous que les engagements seront tenus en matière d'embauche d'ingénieurs, il ne faut pas oublier que 500 personnes risquent de perdre leur poste. Il nous est remonté que les méthodes des ressources humaines pouvaient sembler un peu brutales. On peut imaginer que le dialogue social tel que le conçoivent les Français ne s'exprime pas exactement de la même façon au sein du groupe Nokia. En tant que députés, nous souhaitons appeler votre attention sur les inquiétudes dont nous ont fait part les salariés visés par ce plan.
Nous avons bien entendu vos engagements pour assurer la pérennité du fonctionnement d'ASN, mais pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la propriété intellectuelle, qui demeure chez Nokia Tech, dans l'éventualité du rachat par un nouvel actionnaire ? Le schéma envisagé prévoit-il un temps de transition qui permettra d'ancrer dans la durée votre engagement d'assurer la pérennité ? En cas de bascule un peu trop brutale, si ASN n'a plus accès à la propriété intellectuelle, on peut douter que sa pérennité soit garantie. Comment comptez-vous gérer cet aspect dans le temps ?
Nous comprenons que le schéma privilégié porterait plutôt sur l'ensemble du périmètre, cela inclut bien le fait de conserver les usines ? Enfin, pourriez-vous nous donner une quelconque assurance que la représentation syndicale d'ASN sera associée, d'une manière ou d'une autre, au schéma de reprise ?
La cybersécurité est un domaine assez compliqué. Il se développe, mais les éléments permettant de pérenniser l'activité sont difficiles à développer. Nous avons confirmé à de multiples reprises la présence d'un centre de cybersécurité en France.
Deux activités ont été pérennisées, centrées à Lannion. La première est le développement de produits ; vingt postes ont été ouverts pour développer les produits à Lannion, et nous sommes en phase de transfert et de recrutements sur ces activités. Il manque quatre postes, nous en avons maintenant plus d'une quinzaine. Certains sont issus de transferts d'autres activités, nous avons formé les gens pour faire ce développement.
Nous avons aussi décidé d'ouvrir une antenne de Bell Labs à Lannion, centrée sur le domaine de la cybersécurité, incluant la virtualisation, car c'est le vrai problème de la cybersécurité sur les réseaux virtuels. Nous allons avoir dix chercheurs à Lannion sur ce sujet.
Je ne vous cache pas qu'il n'est pas simple de faire venir des chercheurs de ce calibre à Lannion… Les postes sont ouverts, nous avons procédé à des recrutements, nous participons à différents forums à travers la Bretagne de même qu'à de nombreux salons dédiés à cette activité. Tous les acteurs de la cybersécurité en France savent que nous sommes en phase de recrutement sur ces postes.
C'est aussi pour cette raison que nous sommes aussi impliqués dans B-Com, car un certain nombre de ces chercheurs seront liés aux activités de B-Com en Bretagne, à Rennes. Nous parrainons aussi des promotions dans les écoles de cybersécurité, nous essayons vraiment de nous insérer dans le milieu économique complet, de la formation à la recherche, pour créer cette entité. Mais cela ne suffira pas. Notre ambition va bien au-delà de la mise en place de ces deux pôles : car même si nous en avions l'intention, cela ne tiendrait pas dans le temps. Ces huit, dix ou douze chercheurs dédiés ne resteront pas s'il ne se crée un véritable noyau à Lannion. Nous avons donc l'intention d'aller beaucoup plus loin, de pérenniser quelque chose, de voir comment construire un développement complet en cybersécurité, avec des personnes du service, de la certification, des différentes nouvelles activités qui se développent… C'est à Lannion que se font les tests, en collaboration avec l'ANSSI ; l'ANSSI travaillant beaucoup plus sur des réglementations autour de l'accès radio et dans ce domaine, les besoins seront sans doute amenés à se compléter au niveau de Lannion. Notre engagement d'avoir ce nucleus à Lannion est définitivement ancré, avec des postes ouverts, et cela va se développer.
Notre coopération avec Thales provient du fait que nous leur avions cédé des activités, justement dans le domaine de la cybersécurité. Nous avons l'intention de travailler avec eux sur un certain nombre de sujets pour le développement de nos propres produits de télécoms. Thales travaille sur des marchés liés à la cybersécurité dans son ensemble. Nous travaillons avec eux en tant que fournisseurs d'une partie de solutions intégrées, par exemple sur les télécoms dans une centrale nucléaire. La sécurité doit être appréhendée de bout en bout. Avec Thales nous discutons beaucoup de l'intégration de nos propres produits, de la 5G dans des systèmes intégrés.
Pour ce qui est d'ASN, je ne peux malheureusement pas revenir beaucoup plus sur ce qui concerne la propriété intellectuelle. Il s'agit de discussions clés avec les potentiels repreneurs. Je le redis, la nouvelle entité aura les moyens d'opérer à long terme ; c'est notre souhait et notre engagement. La question des usines ne s'est jamais vraiment posée. Dans notre stratégie, nous avons décidé il y a un certain temps déjà de ne plus avoir d'usines ; il serait donc très étonnant que nous gardions une usine pour une activité que nous vendrions.
Nous avons des échanges réguliers avec les différents représentants des salariés, spécifiquement avec ceux d'ASN. Il n'y a aucune raison que le dialogue ne se poursuive pas après la reprise. Nous avons pris en considération certaines de leurs remarques, entre autres le fait qu'il fallait adopter une position qui soit maintenue à travers le temps. Pendant un temps, nous ne savions pas trop si nous allions vendre cette partie. Nous attendons actuellement une offre qui nous permette de considérer que la société sera pérenne ; nous ne voulons pas nous séparer à tout prix de cette entité. La démarche, depuis le deuxième trimestre, est en tout cas de chercher un acheteur. Si nous ne trouvions pas de solution, il faudrait prendre la décision – rapidement, en début d'année prochaine – d'arrêter le processus de vente. Dans ce cas, ASN serait un asset de Nokia et, de ce fait, serait pérennisé pour un certain temps. Il ne faut pas que les 700 personnes de cette entité soient toujours en train de se demander s'ils seront vendus ou non.
Je laisse le directeur des ressources humaines vous en dire un peu plus sur le dialogue social.
Le dialogue social était quelque chose d'extrêmement important dans le groupe Alcatel-Lucent, il l'est aussi et plus encore dans le groupe Nokia. J'en veux pour preuve que nous signons régulièrement avec nos organisations syndicales des accords, et mes homologues français nous envient plutôt à cet égard. Je cite pêle-mêle les accords sur l'égalité professionnelle, les accords sur le handicap, et nous avons signé ensemble une charte LGBT de L'Autre Cercle à la mairie de Paris, la semaine dernière : nous étions la seule entreprise à avoir avec nous dans la salle nos organisations syndicales. Je les ai du reste saluées au passage car c'était extrêmement important.
Ce dialogue social permanent est chez Nokia le maître d'oeuvre. Nous avons eu, notre président l'a rappelé, à parcourir ensemble un certain nombre de plans de sauvegarde de l'emploi (PSE). Le succès de la pérennisation de l'emploi pour nos salariés est notre leitmotiv et suit deux axes : tout d'abord, le dialogue social et des mesures d'accompagnement très significatives, ensuite une mise en oeuvre le plus rapidement possible. Dans ce cadre, nous avons décidé avec les organisations syndicales d'ouvrir, par anticipation, ce que l'on appelle un point information conseil (PIC), qui permet déjà aux salariés de prendre contact avec un organisme qui nous aide à trouver des solutions pour le développement personnel des salariés, soit en interne soit en externe, certains de nos salariés ayant des projets en externe ambitieux. Toute la partie correspondant au livre I et aux mesures d'accompagnement est travaillée avec nos organisations syndicales. Ces mesures ont fait leurs preuves puisque, dans le dernier PSE, qui se termine, l'ensemble des organisations ont signé le livre I et les mesures d'accompagnement, ce qui a été remarqué par la DIRECCTE ; et depuis, ces mesures ont prouvé leur efficacité, puisqu'à l'heure où je vous parle, une solution a été trouvée pour toutes les personnes concernées. C'est aussi notre objectif pour le PSE actuel.
Il est certain qu'au début de l'année 2016, Alcatel-Lucent a vécu une transition profonde. Depuis des générations, ce groupe était dirigé à partir de la France. La situation devient très différente dès lors qu'il n'y a plus de headquarter au sens classique dans le pays. Cela étant, la situation est particulière dans le groupe Nokia qui fonctionne beaucoup plus que les autres avec des directions décentralisées. La France a effectivement perdu le siège de la présidence du groupe : notre président est en Finlande, le groupe est basé à Helsinki ou travaille son président, mais nos Business Group sont basés aux États-Unis, en France – et la présidence des réseaux mobiles en France est extrêmement importante –, en Espagne, en Belgique. Aucune entité de ce niveau n'est située en Finlande.
Évidemment, les décisions sont réparties dans le monde et les organisations syndicales ne manquent pas de souligner. Il y a indéniablement eu un changement d'organisation. Nous essayons de définir différemment le dialogue social dans un périmètre beaucoup plus français : de nombreuses discussions ont porté sur la responsabilité de la France pour la direction de certains comptes dans le monde, par exemple en Afrique, mais, alors que la France a eu historiquement des activités commerciales dirigées vers ces pays, ce n'est plus du tout le modèle opératoire qui prévaut désormais. Le périmètre d'action a changé. Il faut s'y adapter. Le mode opératoire également a changé, du fait de la transformation digitale de chacun des groupes. De nombreuses fonctions, comme celles de la logistique, sont de plus en plus soit réalisées par des partenaires, soit purement et simplement numérisées.
La totalité des presque cinq cents postes que nous supprimons ne sont pas recréés : ils disparaissent carrément de l'organisation. L'anticipation en la matière est compliquée, mais nous nous y essayons toujours plus et nous avons mis en place des programmes pour expliquer les effets de la digitalisation en termes d'emplois, de postes, d'éducation et de formation.
Nous comprenons ce qui nous est dit. Nous avons conscience que nous avons une culture différente. Nokia a une culture par objectifs très différente de celle d'Alcatel-Lucent. Le groupe sait par ailleurs prendre rapidement des décisions – c'est probablement ce qui explique sa longévité depuis 152 ans. Il sait surtout mettre ces décisions en oeuvre de façon extrêmement rapide. Cette réactivité choque les personnels d'Alcatel-Lucent, même au-delà de la France. Aujourd'hui les décisions prises sont exécutées. Elles sont même parfois assez brutales : lorsque nous avons constaté qu'une partie de l'activité vidéo, avec la caméra OZO, ne donnait pas les résultats attendus, nous l'avons immédiatement interrompue. C'est une nouvelle culture, qui permet parfois d'être beaucoup plus agile.
Conscients de la nécessité de faire comprendre ce changement de culture, nous avons voulu intensifier notre communication interne. Au mois d'octobre dernier, nous avons organisé un événement sur le site de Saclay : le « 5G Smart Campus Event ». Nous avons présenté aux 4 000 personnes qui y travaillent toutes les nouvelles technologies dans lesquelles nous investissons, à travers à une cinquantaine de « démos ». Cet événement a permis à chacun de comprendre à quelle vitesse les nouvelles technologies se développent et évoluent. Il a aussi permis à ceux qui y assistaient d'accompagner cette transformation. Lorsque Nokia a repris Alcatel, nous avons reformé, en moins de neuf mois, 1 300 personnes sur les 4 000 du site de Paris. On n'avait jamais vu cela dans le secteur des télécoms. Ces personnes, qui ont changé d'activité, ont été formées à la nouvelle technologie 5G. Lorsque l'on touche de cette manière 1 300 personnes sur 4 000, cela crée inévitablement des tensions et des changements ; nous nous efforçons d'y prêter toute notre attention.
La séance est levée à midi trente.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 21 décembre 2017 à 10 h 30
Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Dominique David, Mme Olga Givernet, M. Guillaume Kasbarian, M. Bastien Lachaud, M. Hervé Pellois, Mme Natalia Pouzyreff, M. Frédéric Reiss
Excusé. - M. Éric Girardin