Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Réunion du jeudi 16 septembre 2021 à 15h30

Résumé de la réunion

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  • détention
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Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Jeudi 16 septembre 2021

La séance est ouverte à quinze heures trente.

(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)

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Chers collègues, nous auditionnons maintenant, en visioconférence, M. Marcelo Aebi, chef du projet « Statistiques pénales annuelles du Conseil de l'Europe » (SPACE).

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La commission d'enquête a pour objet d'étudier l'impact de la surpopulation carcérale que connaît depuis de nombreuses années notre pays sur la réponse pénale, sur la radicalisation ou encore sur la réinsertion des détenus. Il nous a également été demandé de faire un focus sur les délinquants mineurs.

Cela nous amène à traiter de questions aussi variées que le parc immobilier, les ressources humaines, les conditions de détention, l'encellulement individuel, les différents régimes d'incarcération, la violence, la laïcité et la sécurité en prison – vaste programme que nous étudions depuis hier à travers des auditions telles que la vôtre, qui peuvent nous apporter des éclairages intéressants.

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Marcelo Aebi, chef du projet SPACE

Je commencerai par répondre au questionnaire que vous m'aviez envoyé, avant de vous donner quelques chiffres.

En ce qui concerne la méthodologie suivie par le projet SPACE, nous travaillons sur la base de deux questionnaires : l'un pour l'enquête SPACE I, qui s'intéresse aux services pénitentiaires, l'autre pour l'enquête SPACE II, qui concerne notamment les services de probation – lesquels peuvent porter des noms différents selon le pays. La procédure est la même dans les deux cas : nous élaborons le questionnaire, qui est approuvé par consensus par le Conseil de l'Europe, puis nous l'envoyons aux services concernés.

Le projet a vu le jour en 1983 ; il était alors dirigé par Pierre-Victor Tournier. Pour ma part, je m'en occupe depuis 2002. Nous avons tissé un réseau de correspondants nationaux, qui évolue en permanence du fait des changements intervenant dans les administrations.

Les réponses aux questionnaires sont traitées à Lausanne par une équipe composée de trois personnes : moi-même ainsi que deux criminologues, généralement des doctorants, qui m'assistent dans ce travail. Si nous décelons des incohérences dans les chiffres communiqués – par exemple une différence entre le nombre total des personnes incarcérées et l'addition des sous-catégories, notamment celle des prévenus –, nous demandons des clarifications au pays concerné. La procédure est donc longue, et le Conseil de l'Europe compte quarante-sept États membres. Qui plus est, certains ont plusieurs administrations pénitentiaires.

Le projet est cofinancé par le Conseil de l'Europe et l'Université de Lausanne, laquelle prend le relais lorsque le temps de travail que moi-même et mes collaborateurs y consacrons excède l'enveloppe accordée par le Conseil de l'Europe.

En ce qui concerne les indicateurs retenus, nous partons du stock, c'est-à-dire du nombre de personnes détenues, en prenant pour date de référence le 31 janvier de chaque année. Nous déclinons ensuite ce total, entre autres en fonction du sexe et du statut des détenus – nous distinguons ainsi ceux qui sont en détention préventive. Nous classons les détenus faisant l'objet d'une condamnation définitive selon la durée de la peine. Un autre indicateur concerne ce que nous appelons le flux, c'est-à-dire le nombre de personnes qui entrent en prison chaque année.

Le stock et le flux sont souvent confondus, alors que ces deux indicateurs donnent des informations complètement différentes. Par exemple, en Europe, le 31 janvier, la proportion parmi les détenus de personnes condamnées pour homicide était de 12 % en moyenne. Cela ne signifie pas que chaque année 12 % des nouvelles incarcérations sanctionnent des homicides, ce qui serait énorme : en réalité, le flux des personnes entrant en prison chaque année pour homicide représente moins de 0,1 % des nouvelles incarcérations, mais ces détenus y restent longtemps, et les peines longues finissent par s'accumuler. Le stock augmente donc, même si le nombre des personnes qui entrent en prison chaque année est stable.

Nous récoltons aussi ce que nous appelons des métadonnées, qui nous aident à comprendre comment les données sont récoltées dans les différents pays européens. La question ne se pose pas seulement dans le domaine de la criminologie : dans le cadre de la pandémie, on a vu que la manière de comptabiliser les infections variait d'un pays à l'autre. En l'occurrence, certaines catégories d'informations sur les détenus sont recueillies dans certains pays mais pas dans d'autres. Nous récoltons toutes ces informations afin d'avoir des données aussi comparables que possible.

La situation tend-elle à s'améliorer ou à se dégrader ? Encore faut-il se mettre d'accord sur ce que l'on entend par là. Je m'en tiendrai aux sens communs de ces termes : l'« amélioration » correspondrait à une diminution de la population et de la densité carcérales, tandis qu'une « dégradation » signifierait qu'elles augmentent.

Je vais maintenant partager avec vous quelques données que vous m'avez demandées. Certaines d'entre elles figurent dans les deux publications que je vous ai déjà transmises et qui présentent la situation en janvier 2020, soit avant la pandémie. Nous aurons dans quelques mois les données de l'année 2021. Nous ne disposons pas de données précises concernant la radicalisation en prison, car le phénomène est beaucoup plus difficile à mesurer.

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Cette carte représente la population carcérale dans les différents pays d'Europe. Plus la couleur est foncée, plus la situation est mauvaise. C'est dans la partie est du continent que l'on trouve les chiffres les plus élevés.

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En ce qui concerne le taux d'incarcération, la France se situe juste au-dessus de la médiane européenne, avec 105,3 détenus pour 100 000 habitants. Le pays se trouve dans la moyenne.

Dans l'ensemble de l'Europe, la tendance, depuis 2008, est plutôt à la diminution de la population carcérale, comme le montre le schéma suivant, qui se rapporte aux dix dernières années. La France, pour sa part, a suivi une évolution un peu différente.

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Si l'on en croit les prédictions de la criminologie, notamment celle d'orientation marxiste, c'est pendant les périodes de crise économique que les taux d'incarcération devraient augmenter – cela renvoie à l'idée ancienne selon laquelle les détenus forment une part de l'« armée de réserve industrielle ». Or tel n'est plus le cas dans les sociétés hautement développées, probablement parce que, du fait des systèmes de sécurité sociale, la pauvreté extrême a disparu, ainsi que la délinquance fondée uniquement sur le besoin économique.

Les taux d'entrée et de sortie de prison ont eux aussi diminué entre 2010 et 2019.

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Le pourcentage de femmes dans la population carcérale est toujours très bas, comme on le voit dans le document suivant.

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En Europe, on compte en moyenne 5,6 % de femmes en prison. Si ce taux est bas, c'est notamment parce qu'on va en prison pour des délits violents et que ces derniers sont l'apanage des jeunes hommes. Cela n'a rien à voir avec le matriarcat et le patriarcat : les hommes sont plus violents que les femmes. De même, ils sont en général plus impliqués que les femmes dans les délits liés au trafic de drogue.

Depuis quelques années, nous récoltons le pourcentage de détenus âgés de 50 ans et plus.

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En France, le taux est relativement bas – 12 %, contre 26 % en Italie, pays où la proportion est la plus élevée, ce qui s'explique notamment par la présence de détenus liés à la criminalité organisée, contre lesquels sont prononcées des sentences très lourdes.

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Si l'on se concentre sur les détenus âgés de 65 ans et plus, la France apparaît dans la partie basse de la distribution : leur proportion y est de 2,2 %. On pourrait dire que la population carcérale française est relativement jeune.

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En revanche, s'agissant de la densité carcérale, la France figure parmi les pays dépassant le plus la capacité prévue. Le 31 janvier 2020, la France comptait 115 détenus pour 100 places de détention.

Vous m'aviez interrogé sur le pourcentage de détenus n'ayant pas fait l'objet d'une condamnation définitive : voici les données.

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Avec un taux de 30 %, la France fait partie des pays où la part de ces détenus est relativement élevée.

Détention provisoire et surpopulation carcérale sont souvent liées, comme vous l'ont sans doute expliqué d'autres experts. De fait, en France, il semble que les établissements les plus touchés par la surpopulation soient ceux où l'on trouve des personnes en détention préventive.

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En ce qui concerne le pourcentage de détenus étrangers, la France est dans la moyenne européenne, avec 23,2 %, loin de pays comme la Suisse, qui en compte près de 70 %, ou même la Grèce ou l'Autriche, qui dépassent les 50 %.

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Du point de vue de la durée moyenne de la détention, la France se trouve également plus au moins dans la moyenne européenne.

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Nous disposons aussi du taux de détenus par membre du personnel. En France, le ratio est de 1,7.

Voici maintenant l'évolution du taux d'incarcération en France, de 1983 jusqu'au 1er janvier 2021.

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Vous le voyez, il manque les données pour l'année 2018, faute de réponse. En 2007 avait été votée la loi introduisant des peines planchers. La conséquence en est immédiatement visible. Cela renvoie au problème du stock et du flux que j'évoquais tout à l'heure : plus les peines imposées sont longues, plus la population carcérale augmente. La suppression des peines planchers par une autre loi, en 2014, se traduit par une diminution. En tout cas, c'est ainsi que j'interprète ces résultats. Si je ne désigne pas ces lois par les noms des ministres qui les ont conçues, c'est parce qu'elles ont été votées par le législateur : elles n'appartiennent pas à une personne en particulier.

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La densité carcérale diminue. C'est une conséquence indirecte de la pandémie, pendant laquelle on a observé une diminution de la délinquance. Nous disposons déjà des données pour le mois de janvier, mais je ne suis pas en mesure de vous dire quelle est la situation en septembre. La presse fait état d'une augmentation, mais je ne sais pas sur quelles sources se fondent les journalistes pour l'affirmer et, de mon côté, je n'ai pas encore récolté les données.

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Le taux d'entrée en prison a lui aussi diminué, évidemment. La chute est même plus marquée que dans le cas de l'indicateur précédent.

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Jusqu'en 2015, le pourcentage de détenus étrangers était en diminution. Depuis lors, on a observé une légère augmentation, mais il reste aux alentours de 20 %, ce qui correspond à la moyenne des pays d'Europe.

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La proportion de femmes oscille entre 3 % et 4,5 %. Il ne faut pas se laisser tromper par la diminution : avant comme après, le pourcentage est très bas. Je ne saurais tirer aucune conclusion de l'évolution qui apparaît ici.

Pour terminer, je voudrais vous parler du taux de personnes en probation.

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En France, on compte 265 personnes ayant fait l'objet de sanctions alternatives et de libérations conditionnelles pour 100 000 habitants.

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En comparaison, comme on le voit dans ce document, il y a 105 personnes incarcérées pour 100 000 habitants.

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On obtient, concernant la France, un ratio de 252 personnes en probation pour 100 détenus.

Il n'est plus possible d'étudier la situation dans les prisons sans regarder ce qui se passe du côté des sanctions alternatives. Depuis des années, ces dernières sont présentées comme la panacée. Or on s'aperçoit que ces sanctions ne remplissent pas le rôle censé être le leur : au lieu d'être des alternatives, elles sont utilisées comme des sanctions supplémentaires. À travers elles, des personnes qui avant leur création n'auraient pas été envoyées en prison se retrouvent placées dans un système de contrôle. C'est une réalité des sociétés modernes.

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Merci pour cette présentation très intéressante. Il est important pour nous de disposer de ces statistiques : nous dialoguons beaucoup, nous parlons de ces questions, mais il n'est pas si fréquent que l'on nous donne des chiffres comme ceux-là.

Vous accomplissez un travail considérable. Comment travaillez-vous ? Comment votre équipe est-elle organisée et de quels moyens humains disposez-vous ?

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Marcelo Aebi, chef du projet SPACE

Nous sommes une toute petite équipe, composée de trois personnes. J'ai commencé à m'occuper en 2002, alors que j'étais professeur à l'université de Séville. J'y ai ajouté la partie relative aux métadonnées, sans laquelle les comparaisons n'ont pas de sens.

En 2005, faute de ressources, le Conseil de l'Europe a envisagé de ne pas le poursuivre. J'ai alors demandé de l'aide à mon université, ce qui nous a permis de tenir pendant sept ans. Ensuite, une réaction a quand même eu lieu pour soutenir ces statistiques. À partir de ce moment-là, nous avons retrouvé un financement du Conseil de l'Europe, mais il n'est pas suffisant au regard du temps qu'il faut consacrer au projet. En effet, vous l'avez compris, nous avons énormément de données à traiter. Par ailleurs, les contrats de nos collaborateurs, à l'université, ont une durée limitée : ils font leur thèse pendant cinq ans puis doivent laisser la place à d'autres. Ces dernières années, je travaillais avec Mme Tiago pour SPACE I ; j'aurai une nouvelle collaboratrice l'année prochaine, Mme Molnar. Pour SPACE II, je travaille avec M. Hashimoto.

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Grâce à vous, nous avons découvert des chiffres précis. Nous disposons également de comparaisons entre pays et, s'agissant de la France, de comparaisons dans le temps, ce qui est toujours éclairant : devant une photographie à un instant t, on veut toujours faire mieux, mais la comparaison permet de voir le chemin parcouru, et la confrontation avec la situation chez ses voisins permet tantôt d'être plus exigeant, tantôt de savoir se satisfaire de ce que l'on fait correctement.

J'ai beaucoup aimé le temps philosophique que vous nous avez offert quand vous vous êtes demandé ce que l'on pouvait considérer comme étant une amélioration de la situation carcérale. Vous êtes parti de l'hypothèse selon laquelle la baisse de la pression carcérale sur les établissements et sur les personnels constituait une amélioration. À cet égard, pourriez-vous revenir plus précisément sur ce que vous disiez s'agissant de la France ? Vous constatiez que la pression carcérale y restait forte, que la surpopulation persistait malgré l'utilisation accrue des peines alternatives. Selon vous, ces dernières sont plutôt des peines complémentaires ou supplémentaires. Est-ce à dire que ce n'est pas le cas dans les autres pays européens, qui n'ont pas non plus la même balance entre probation et détention ?

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Marcelo Aebi, chef du projet SPACE

La France n'est pas le seul pays où l'on observe ce phénomène. Le Royaume-Uni est dans la même situation – je pense notamment à l'Angleterre et au Pays de Galles. La France fait partie des pays qui utilisent énormément les sanctions alternatives – consistant à soumettre les personnes qui en font l'objet à diverses formes de contrôle –, sans que cela influe sur la taille de la population carcérale. En effet, comme vous l'avez vu, les changements de tendance à cet égard sont clairement liés aux modifications de la législation. On a l'impression que, si ces modifications n'étaient pas intervenues, les sanctions alternatives n'auraient pas permis d'arrêter l'augmentation de la population. Certes, il ne s'agit là que d'une hypothèse, mais c'est ainsi que procède la science.

Ce qui détermine le niveau de la population carcérale, c'est la durée des peines. Il est vrai qu'une personne commettant un acte violent reçoit rarement une sanction alternative et que, concrètement, il n'est pas facile de la libérer. Par ailleurs, il y a la pression populaire – même si je me méfie des conclusions hâtives sur ce point : on considère que la population demande toujours plus de sanctions, mais ce n'est pas nécessairement vrai ; il faudrait le mesurer. Les peines de prison pour trafic de drogue sont elles aussi très lourdes. Or la seule recette pour réduire la population carcérale est de diminuer la durée des peines. C'est une décision très difficile à prendre. Je ne suis pas un criminologue idéaliste ou utopiste : je comprends très bien qu'il soit difficile de faire passer ce message.

Si l'on entend réduire la durée des peines, il faut aussi s'intéresser aux résultats de la recherche, y compris dans d'autres domaines, comme les neurosciences. Celles-ci nous apprennent un certain nombre de choses sur les mécanismes de l'agression chez l'être humain. Je vous recommande vivement, à ce propos, le livre de Robert Sapolsky qui s'intitule Behave, – ce que l'on pourrait traduire par « comportez-vous bien ».

Depuis les années 2000, circule l'idée selon laquelle il faudrait appliquer aux mineurs de 16 ou 17 ans les mêmes peines qu'aux adultes. Or la recherche montre qu'à cet âge le développement du cortex préfrontal, c'est-à-dire la partie du cerveau qui nous empêche de prendre des risques, n'est pas terminé. C'est ce qui explique qu'à l'adolescence nous fassions tous des choses complètement folles : le système limbique nous pousse à agir sans que la barrière qu'oppose le cortex préfrontal soit formée.

Je ne dis pas qu'il ne faut pas sanctionner les jeunes, mais ce qui est sûr, c'est qu'il est impossible de leur demander d'agir comme des adultes. L'évolution du cortex préfrontal dure jusqu'à l'âge de 25 ans, ce qui correspond d'ailleurs au seuil légal fixé par les Romains. Par ailleurs, chez les filles, le développement du cortex préfrontal a lieu deux ans plus tôt. Là encore, les Romains avaient introduit cette différence dans leur système juridique.

Les filles sont donc plus mûres. On se dit souvent que si les filles, à l'adolescence, cherchent des garçons plus âgés, c'est parce que ces derniers ont davantage d'argent. Il n'en est rien : c'est tout simplement parce que les garçons ayant le même âge qu'elles sont plus stupides… Il y a derrière ces phénomènes des réalités que l'on est désormais en mesure d'observer grâce à l'imagerie par résonance magnétique. Je ne sais pas pourquoi ces recherches sont complètement ignorées. Dans certains pays, on abaisse l'âge légal pour conduire, alors que le développement du cerveau des jeunes n'est pas encore achevé.

Quoi qu'il en soit, les sanctions pour les mineurs doivent être différentes de celles visant les adultes. Il est possible de travailler sur la question en expliquant qu'il y a un âge à partir duquel la violence diminue, et que l'on peut donc se demander si cela vaut la peine de garder les jeunes en prison, d'autant que cela coûte de l'argent – ce dernier argument est rarement utilisé dans les débats en France, contrairement à la Suisse.

En ce qui concerne le trafic de drogue, c'est un peu la même chose : dans la mesure où le marché se renouvelle rapidement, il faut évaluer si les personnes sont susceptibles de se positionner sur un nouveau segment. Si ce n'est pas le cas, on peut légitimement se demander s'il est vraiment nécessaire de prononcer à leur encontre des peines de plus de quinze ans. Il est vrai que cela exige de mener un travail d'évaluation, y compris s'agissant de la réhabilitation de ces personnes – question que vous avez également soulevée.

À cet égard, qu'en est-il de l'évaluation extérieure – je laisse de côté les autoévaluations – des effets de la détention sur la réinsertion ? Il y a du chemin à faire. En France, on n'a pas l'habitude de travailler avec l'université autour de ces enjeux. Depuis Michel Foucault, les intellectuels ont tendance à critiquer le pouvoir. Il faudrait, selon moi, développer les collaborations pour trouver un soutien scientifique, loin de l'idéologie.

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Avez-vous réussi à mettre en corrélation les conditions de détention – en particulier la surpopulation et le taux d'encadrement – et la réinsertion ? Quel serait, selon vous, le facteur le plus important pour améliorer la réinsertion : la taille de la cellule ou les activités proposées aux détenus – qu'il s'agisse de leur donner du travail, de favoriser leur éducation ou de préserver leur santé ? Avez-vous des chiffres concernant la réinsertion et la récidive ? Nous-mêmes, nous avons énormément de mal à en trouver. Avez-vous des études ou des indicateurs qui nous permettraient de faire des suppositions sur ces aspects ?

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Marcelo Aebi, chef du projet SPACE

Sur le site web du projet SPACE, nous avons rassemblé énormément d'études portant sur la récidive. Leur principal point commun, si je puis dire, c'est que chacune utilise une méthodologie différente… Il est très difficile de mesurer la récidive : faut-il prendre en compte les réincarcérations ou les nouvelles condamnations ? Parfois, les périodes d'observation sont très courtes.

En moyenne, au bout de dix ans, environ 50 % de la population condamnée a récidivé, mais cela varie beaucoup en fonction du type de délit : les délits violents ont un certain profil, les atteintes aux biens en ont un autre.

Il n'y a pas de recette magique. Souvent, on donne en exemple les pays nordiques, qui investissent beaucoup dans les prisons, y compris en affectant un personnel nombreux. Mais la réalité de ces pays n'est pas la même que celle de la France. Par exemple, vous avez parlé de radicalisation. Le phénomène est moins marqué là-bas qu'en France. Cela dépend de l'histoire de chaque pays, de la manière dont celui-ci s'est développé, en particulier s'il a eu un empire et des colonies.

Il faut mener des programmes et les évaluer. Il n'est pas simple de trouver un emploi pour une personne incarcérée, notamment parce que le monde change. Ainsi, une personne entrée en détention en 2007, avant l'apparition des smartphones, et qui en sort plus de dix ans après se trouve confrontée à un monde n'ayant plus rien à voir avec celui qu'elle connaissait. En même temps, il est vrai qu'on ne peut pas donner librement accès à internet en prison.

Quoi qu'il en soit, il importe de réfléchir à ce que les détenus pourront faire à leur sortie de prison. Or cela pose aussi la question de l'évolution de l'économie. Tous les métiers sont en train de changer. Certains métiers manuels disparaissent même. Ceux qui les exercent appartiennent aux couches sociales dans lesquelles la violence est la plus répandue, même s'il est vrai qu'elle existe dans tous les milieux. Autrement dit, ces personnes sont également les plus touchées par la crise. Il convient donc de réfléchir à ce qu'il est possible de faire pour elles. Certes, il y a le secteur de la restauration, où l'on trouve toujours du travail, mais on ne peut pas former que des cuisiniers… Trouver un emploi pour une personne sortant de prison suppose de mener une réflexion sur le marché du travail. C'est d'autant plus difficile que l'on ne sait pas comment celui-ci va évoluer – si on le savait, tous les problèmes économiques seraient déjà résolus.

S'il n'y a pas de recette magique, une chose est certaine : plus on investit et plus on évalue les dispositifs, mieux les choses se passent. Le problème est qu'il est difficile de mener cette évaluation. Les personnes qui travaillent en prison et sont en charge de ces programmes sont en général très impliquées, elles ont une fibre sociale et veulent aider les détenus. Certes, c'est là une des conditions de la réussite des programmes, mais cela peut avoir pour conséquence que les personnes en question sont un peu réticentes à l'égard d'universitaires qui viennent évaluer leur démarche et leur disent parfois que même si ce qu'elles ont fait est très bien, tel ou tel détenu a récidivé. Quoi qu'il en soit, il faut, à mon avis, introduire cette culture de l'évaluation. Mais cela prendra du temps.

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Merci beaucoup, monsieur Aebi, pour ces explications très intéressantes. Il était également très instructif pour nous de découvrir le projet SPACE, qui prend en compte de nombreux indicateurs se rapportant au domaine que nous étudions.

La réunion se termine à seize heures.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Philippe Benassaya

Excusés. - M. Alain David, M. Stéphane Trompille