Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du jeudi 22 octobre 2020 à 11h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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L'audition débute à 11 h 55.

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Nous poursuivons nos auditions des fédérations d'entreprises privées, pour savoir comment les acteurs économiques participent à la prise en charge des questions de santé environnementale, avec M. Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques de France Chimie. Vous êtes aujourd'hui accompagné de Mme Marie Zimmer, responsable management de produits, de M. Constantin Dallo, toxicologue et responsable santé-environnement, et de M. le Docteur Patrick Lévy, médecin conseil de France Chimie.

France Chimie est l'organisation professionnelle qui représente les entreprises de la chimie en France. L'utilisation des produits chimiques et la surveillance des expositions qui en découlent ainsi que le souci de leurs impacts montrent l'attention croissante portée aux préoccupations de santé environnementale. Comment les enjeux de santé publique et environnementale sont-ils pris en compte par les entreprises de la chimie ?

(M. Philippe Prudhon, Mme Marie Zimmer, M. Constantin Dallot et M. Patrick Lévy prêtent successivement serment.)

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Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques de France Chimie

France Chimie représente l'ensemble des industriels de la chimie en France, et joue donc un rôle majeur dans la prévention et la réponse aux impacts de nos activités industrielles et de nos produits sur la santé et l'environnement.

Le secteur de la chimie en France regroupe 3 300 entreprises, dont 94 % de petites et moyennes entreprises (PME) et très petites entreprises (TPE), emploie 170 000 salariés, et représente un chiffre d'affaires global de l'ordre de 70 milliards d'euros par an. Avant la crise, notre secteur présentait depuis dix ans une croissance régulière. Pendant la crise, il a fait preuve d'une grande résilience, en approvisionnant le pays en masques et en dispositifs médicaux, et en réorientant ses outils industriels vers la fabrication de gel hydroalcoolique. De nombreuses personnes ont ainsi vu l'intérêt d'avoir des sites industriels en France pour servir nos concitoyens.

Toutefois, nous constatons que la crise sanitaire a durement frappé l'activité de notre pays, qui recule de 15 % alors que la moyenne européenne est à 5 %, et que l'Allemagne annonce un recul de 3 %. Nous devrons compenser cet écart dans les prochains mois, et nous avons toute confiance en notre capacité d'innovation pour relever ce défi. En effet, la chimie est un secteur à forte valeur ajoutée, qui propose à la fois des médicaments, des molécules pour les produits d'hygiène et sanitaires, des matériaux à haute performance pour le bâtiment, l'automobile et l'aviation. La chimie participe également à de nombreuses innovations en faveur de la transition écologique, telles que les éoliennes, les panneaux photovoltaïques et les batteries des voitures électriques.

Ces innovations sont corrélées, dans un premier ordre, à la maîtrise de l'impact de nos activités et produits sur la santé et l'environnement, et cet engagement est clairement affiché par notre secteur industriel. Il s'agit de gérer les impacts de nos usines et d'encadrer la réglementation et la mise sur le marché de nos produits. Concernant les sites industriels, une réglementation européenne s'applique aux industries chimiques, notamment par le biais de la réduction des émissions industrielles prévue par la directive relative aux émissions industrielles (IED) du 24 novembre 2010. La réglementation française impose également d'utiliser les meilleures technologies disponibles afin de réduire au maximum les émissions dans l'air. Des compléments de réglementation existent concernant les émissions dans l'eau et le traitement des déchets industriels, voire leur recyclage.

Concernant les produits chimiques, notre industrie est soumise à la réglementation la plus stricte et la plus ambitieuse du monde, le règlement Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques (REACH) du Parlement européen et du Conseil, adopté le 18 décembre 2005. Ce règlement vise à évaluer et encadrer la mise sur le marché des produits chimiques, et cet enjeu nous concerne tout particulièrement. Le règlement REACH établit des procédures pour collecter et évaluer les substances. Dans ce cadre, les entreprises collectent un grand nombre de données afin de les transmettre à l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), qui se charge ensuite d'évaluer la conformité de ces substances et de vérifier que les risques relatifs à ces substances sont correctement appréhendés. À ce jour, 23 000 substances ont déjà été enregistrées dans REACH, ce qui en fait la base de données la plus riche au monde concernant les propriétés des substances chimiques. Nous nous félicitons que cette base soit utilisable par tous, car elle est consultable par le grand public sur internet.

Si une substance possède des propriétés intrinsèques potentiellement dangereuses, elle peut toujours être utilisée, mais exclusivement pour ces propriétés-là. Par exemple, un acide est utilisé parce qu'il est corrosif. Néanmoins, l'analyse des risques de ces produits doit être correctement menée. Sinon, la mise sur le marché fera l'objet de restrictions. Ainsi, l'évaluation des agences et la décision des autorités quant à la circulation et la restriction d'une substance en France et en Europe se basent sur ces critères réglementaires, établis au niveau européen. En outre, le système REACH est fondé sur le renversement de la charge de la preuve. Il incombe à l'industriel de fournir suffisamment de données pour prouver l'innocuité de son produit dans le cadre d'une utilisation normale. Il doit également décrire les risques potentiels. REACH inclut également des obligations de traçabilité, mais nous y reviendrons plus tard.

Une autre réglementation importante est le règlement relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances chimiques et des mélanges (CLP), adopté par le Parlement européen le 31 décembre 2008, qui impose de classer toutes les substances chimiques selon la classification qu'elle impose. Il existe également d'autres réglementations plus ciblées pour les jouets, les cosmétiques, les dispositifs médicaux, qui sont des produits en contact direct avec le consommateur. Enfin, il existe une réglementation sur l'exposition potentielle des salariés de la chimie.

Vous voyez ainsi combien le cadre réglementaire européen est riche dans le domaine de la chimie. La Commission européenne en a d'ailleurs fait le constat dans sa nouvelle politique. Les industriels s'inscrivent dans une démarche de progrès, notamment grâce aux outils numériques qui semblent pertinents pour améliorer la traçabilité des substances et la communication en temps réel qu'attendent les consommateurs.

L'industrie de la chimie prend également à bras-le-corps la problématique des perturbateurs endocriniens et des nanomatériaux, ce pour quoi elle a massivement investi dans la plateforme publique-privée sur la pré-validation des méthodes d'essai sur les perturbateurs endocriniens (PEPPER) pour caractériser les perturbateurs endocriniens en vue de les supprimer le plus rapidement possible. Nous n'aurons pas d'état d'âme à substituer les perturbateurs endocriniens avérés. En revanche, nous avons besoin de poursuivre la recherche et de collecter des données supplémentaires sur de nombreuses substances pour décider avec certitude de leur substitution.

Bien que la France déploie une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE), il nous importe que la France porte cette stratégie au niveau européen pour aligner la réglementation de tous les pays européens. Nous avons été très impliqués dans la stratégie nationale, en rédigeant un guide de substitution des perturbateurs endocriniens, et en contribuant à la plateforme PEPPER. La Commission européenne a présenté le 14 octobre 2020 sa stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques, avec des enjeux très importants, mais l'on compte déjà de nombreuses avancées au niveau européen. Il reste à s'assurer que les produits importés subissent les mêmes contrôles que ceux fabriqués en Europe, de manière à protéger les consommateurs européens.

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Vous avez évoqué le règlement REACH, qui encadre la mise sur le marché des produits chimiques. Actuellement, selon les chiffres de la Commission européenne, 84 % des citoyens européens sont inquiets de l'impact sur leur santé des produits chimiques présents dans les objets du quotidien. Quelle est la réponse de France Chimie à cette inquiétude légitime ? Comment travaillez-vous, avec la Commission européenne, dans le projet de refonte du règlement REACH ? Par ailleurs, que pensez-vous de son objectif de garantir un environnement sans aucune substance toxique à l'horizon 2030 ?

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Marie Zimmer, responsable management de produits de France Chimie

Je vous donnerai tout d'abord quelques dispositions générales sur REACH. Ce règlement permet de collecter de nombreuses informations sur les substances chimiques, grâce à un processus d'enregistrement qui en a enregistré 23 000, comme l'a dit M. Prudhon. REACH prévoit un processus d'évaluation pour renforcer les connaissances sur les substances suspectes, et s'assurer de la conformité des dossiers. Il comprend aussi des processus de réglementation et d'interdiction des substances jugées dangereuses. Celles-ci peuvent être interdites, et éventuellement bénéficier d'une autorisation limitée à certaines utilisations, ou faire l'objet d'une restriction ciblée.

En réponse à votre remarque sur l'impact des produits chimiques du quotidien, je pense qu'il est nécessaire de mieux communiquer auprès des consommateurs européens sur les réglementations qui protègent actuellement leur santé et l'environnement. Toutefois, tout dépend de la définition de la substance dangereuse, qui reste floue. Certaines sont utilisées à titre particulier et jouent un rôle spécifique dans le produit. Dans le cas où une substance est avérée dangereuse, il convient de s'interroger sur les possibilités de substitution. Les substituts ne sont peut-être pas présents en quantité suffisante sur le marché européen, ou bien leurs impacts ne sont pas encore suffisamment évalués. Parfois, la substitution peut être regrettable.

En conclusion, la présence de substances dangereuses doit être mise en parallèle avec la notion de risque. Le risque est avant tout lié à l'exposition des citoyens, mais il n'est pas un danger dans l'absolu. Ai-je répondu à votre question avec suffisamment de détails ?

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Vous y avez répondu partiellement. Vous ne m'avez pas répondu concernant votre participation et votre positionnement dans la discussion avec la Commission européenne.

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Marie Zimmer, responsable management de produits de France Chimie

Pour l'instant, nous participons en tant que fédération française au sein du Conseil européen de l'industrie chimique (CEFIC), dont nous sommes adhérents. Nous contribuons à notre échelle en tant que partie prenante pour soumettre des propositions sur l'évolution des réglementations. Nous sommes bien sûr favorables à ce que l'amélioration des impacts sur la santé et l'environnement soit intégrée dans la stratégie européenne, et à ce qu'une discussion ait lieu entre les parties prenantes pour que les dispositions de la Commission européenne soient mises en œuvre de façon juste et pertinente, pour les citoyens comme pour les acteurs économiques.

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Vous n'avez pas répondu à la dernière partie de ma question. Comment pensez-vous atteindre l'objectif fixé par la Commission européenne de garantir un environnement sans substance toxique d'ici 2030 ? La raison d'être de vos entreprises est pourtant de fabriquer des substances potentiellement dangereuses pour la santé.

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le docteur Patrick Lévy, médecin conseil de France Chimie

L'idée de pouvoir parvenir à un environnement totalement exempt de substance dangereuse est probablement une vue de l'esprit. Nous avons besoin de substances actives pour produire des produits chimiques. Nous ne pouvons pas tout produire avec des molécules simples comme de l'eau. Nous avons besoin de substances réactives qui, par définition, peuvent avoir une réaction avec le vivant, mais le plus important n'est pas là.

Ce qui compte le plus pour nous est la notion de risque. Il ne faut pas confondre les propriétés intrinsèques des substances, l'exposition et le risque sanitaire. Par exemple, le bois est un matériau inerte qui ne présente aucun risque pour la santé, bien qu'il émette quelques composés organiques volatiles. Cependant, dès lors que vous coupez la planche de bois, vous émettez des poussières potentiellement cancérigènes.

Il en est de même avec les substances chimiques. Après transformation dans les usines pour en faire des objets de la vie quotidienne, elles ont, la plupart du temps, perdu leur réactivité chimique. Il faut ainsi distinguer la manipulation industrielle d'une part, et le risque d'exposition pour le consommateur d'autre part. En usine, nous continuerons sans doute de manipuler des produits dangereux dans des installations prévues à cet effet, avec une grande maîtrise des risques. En revanche, les produits mis sur le marché, de natures complètement différentes, et dans lesquels les substances chimiques sont emprisonnées, ne provoqueront aucun risque d'exposition pour les consommateurs. Il ne faut pas confondre exposition, risque et danger, selon les conditions d'utilisation des produits.

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Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques de France Chimie

Cette distinction doit être posée afin de comprendre la réalité que les mots traduisent. Le secteur industriel a déjà pris un certain nombre de décisions pour améliorer la situation. Il y a un an et demi, nous avons été sensibles aux critiques reçues sur la qualité des dossiers REACH, et le secteur a donc décidé de revoir les dossiers d'enregistrement. Ils étaient déjà conformes à l'époque de leur création, et ils le sont encore aujourd'hui. Cependant, les méthodes ont beaucoup évolué en dix ans et nous avons accumulé davantage de connaissances. Nous pouvons ainsi mieux documenter les dossiers d'enregistrement. Nous avons donc pris l'engagement de rouvrir un certain nombre de dossiers afin de réduire toujours plus les impacts des produits chimiques sur la santé et l'environnement.

Toutefois, la réglementation évolue. Par exemple, les nanomatériaux n'étaient initialement pas détaillés dans REACH, puis le règlement a progressivement intégré les spécificités de ces matériaux pour mieux les décrire et faire avancer la connaissance. Concernant les perturbateurs endocriniens, comme je l'ai déjà dit, nous n'avons aucun état d'âme à substituer ceux qui sont avérés. En revanche, nous avons besoin d'approfondir la recherche et les tests pour tirer des conclusions sur les substances simplement suspectées d'être des perturbateurs endocriniens.

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Si je comprends bien votre réponse, vous appliquez strictement la réglementation. Quant à la qualification des substances dangereuses, vous contestez l'amalgame entre risque, exposition et danger réel. De fait, je vous poserai une question simple. France Chimie se sent-elle réellement concernée par les problématiques de santé environnementale ? Monsieur Lévy, vous êtes médecin, vous avez donc prêté serment dans votre vie de médecin et vous êtes engagé à protéger la santé de la population. Au sein de France Chimie, comment appliquez-vous le principe de précaution qui découle du serment d'Hippocrate ?

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Patrick Levy

France Chimie est à l'avant-garde sur ces sujets. Notre fédération a mis en place dès 2004 une commission consacrée aux questions de santé environnementale, pour sensibiliser ses adhérents, effectuer une veille et assurer notre représentativité dans diverses instances. Nos actions, qui sont conformes à mes engagements personnels en matière de protection de la santé, ont contribué à faire progresser ces questions au niveau national. Nous avons été force de proposition pour tous les programmes nationaux de santé-environnement (PNSE). Nous ne sommes pas du tout dans une logique de contestation. Au contraire, notre fédération souhaite être force de proposition dans ce débat sociétal. Récemment, nous avons élaboré un guide de substitution des substances chimiques, et nous avons contribué à l'amélioration des méthodes de caractérisation des perturbateurs endocriniens dans le cadre de la plateforme PEPPER. Notre fédération est à l'avant-garde sur ces sujets. Elle porte encore des mandats nationaux et européens, et elle participe à la construction des positions du CEFIC, qui est force de proposition dans les discussions européennes.

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Quelles propositions concrètes avez-vous faites dans le cadre des politiques publiques françaises et européennes ? Quand je vous ai interrogés sur votre position quant à l'objectif d'élimination de toute substance toxique dans un horizon relativement proche, vous avez répondu que cet objectif ne vous semblait pas réalisable.

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Patrick Levy

Nous souhaitons distinguer les utilisations destinées au grand public de celles qui sont destinées la manipulation en usine. Nous vous avons affirmé notre volonté de substituer les perturbateurs endocriniens qui génèrent des risques d'exposition pour le grand public. Nous sommes donc favorables pour traiter les perturbateurs endocriniens avec une approche comparable à celle appliquée aujourd'hui aux produits cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction. Il s'agit bien d'une proposition concrète.

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Jusqu'où allez-vous dans l'examen de la toxicité des produits ? J'ai cru comprendre que vous vous limitiez aux perturbateurs endocriniens avérés. Votre repère serait donc cette qualification du produit, et c'est seulement à ce moment-là que vous lanceriez une recherche de substitution.

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Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques de France Chimie

Nous n'avons aucun état d'âme à mettre en place des actions immédiates pour substituer les perturbateurs endocriniens avérés. En revanche, il convient d'accumuler des données et des résultats avant de décider de substituer les perturbateurs endocriniens présumés. C'est pourquoi nous avons investi dans la plateforme publique-privée PEPPER, car nous avons besoin de méthodes standardisées à l'échelle mondiale pour tirer des conclusions. Tant que nous ne pouvons pas décider, nous devons approfondir la recherche sur ces substances. Si une substance est finalement confirmée comme dangereuse par la recherche, alors nous la supprimerons comme tout perturbateur endocrinien avéré.

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Vous dites rechercher des produits de substitution dès lors que les perturbateurs endocriniens sont avérés, mais vous n'entamez pas cette recherche sans preuve d'un lien de causalité entre la substance et la santé. Ainsi, comment France Chimie travaille-t-elle avec la recherche française et les grandes agences scientifiques de santé environnementale telles que l'Agence nationale de santé publique (SPF), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) et l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) ? Quel jugement portez-vous sur leur fonctionnement ? Par ailleurs, quel niveau de preuve exigez-vous avant d'entamer une recherche de substitution ?

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Patrick Levy

Notre fédération professionnelle regroupe plusieurs entreprises adhérentes qui sont concurrentes. Dès lors, nous devons être très prudents quand nous entamons une démarche de substitution, compte tenu de nos obligations de respect du droit de la concurrence. Nous ne pouvons pas initier des démarches qui pourraient favoriser certains adhérents plutôt que d'autres. S'il est plus facile d'intervenir au sein de fédérations sectorielles spécifiques, nous sommes, pour notre part, une très grande fédération. Ainsi, nous travaillons avant tout sur les processus de substitution, notamment en rédigeant un guide qui énumère les paramètres à prendre en compte dans la recherche de substitution, en termes de méthodologie, de sécurité, de faisabilité et d'acceptabilité par les utilisateurs. Nous n'agissons pas directement pour la substitution d'une substance particulière, car cela serait contraire à nos engagements envers nos adhérents.

S'agissant de notre contribution à la recherche et de nos relations avec les grands organismes de santé environnementale, la plateforme PEPPER est le projet le plus concret à ce jour, qui associe l'ensemble de ces acteurs. Nous participons également à des programmes européens et internationaux, à l'exemple du programme d'initiative de recherche de long terme (LRI) porté par le CEFIC pour financer des actions de recherche fondamentale sur les perturbateurs endocriniens et d'autres substances. Nous suivons également de près le déploiement du programme européen pour la recherche et le développement Horizon 2020, en contribuant aux travaux sur la biosurveillance au sein du pôle national du programme européen de biosurveillance humaine (HBM4EU), et au niveau européen. Nous suivons de près l'ensemble des travaux menés dans notre secteur, conformément à nos missions en tant que fédération professionnelle.

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Votre contribution est-elle principalement financière ou humaine ? Avez-vous des laboratoires de recherche ?

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Patrick Levy

Elle est de nature financière pour le programme LRI et la plateforme PEPPER. Elle peut être éventuellement scientifique, même si les processus d'expertise déployés par les agences publiques nous mettent légalement à l'écart. Nous aimerions pourtant contribuer à l'expertise collective, car nous possédons des connaissances uniques sur les produits et des compétences rares en toxicologie et écotoxicologie, mais nous sommes peu entendus par les agences.

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J'entends votre proposition de contribuer aux processus de recherche des grandes agences nationales. Cependant, il est difficile d'être juge et partie. Comment pourriez-vous participer à un processus de recherche national tout en gardant l'objectivité nécessaire ?

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Patrick Levy

Nous sommes partie prenante, et nous souhaitons garder ce statut. Toutefois, nous demandons à être entendus au cours du processus d'expertise. Nous ne demandons pas à participer au cœur de l'expertise, mais nous souhaitons faire valoir nos points de vue dans le cadre de la consultation des parties prenantes.

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Monsieur Dallot, pouvez-vous nous apporter d'autres informations sur la stratégie de Franche Chimie en matière de santé environnementale ? Avez-vous une politique clairement affichée ? Est-elle compatible avec les politiques publiques nationales ?

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Constantin Dallot, toxicologue et responsable santé environnement de France Chimie

Le pôle santé-environnement, dont je suis responsable, est transverse car il regroupe l'ensemble des problématiques de toxicité sur l'homme et l'environnement, la caractérisation de cette toxicité, l'évaluation des risques, mais aussi les installations industrielles et l'utilisation finale des produits. Le but de nos travaux est de collecter ces informations et d'échanger afin de dégager des actions. À titre d'exemple, les émissions des installations industrielles et les risques suscités par les produits appellent deux réponses réglementaires différentes, même si elles sont imbriquées. Grâce à la connaissance toxicologique des comportements et des impacts des substances dans les milieux, nous pouvons arriver à trouver des synergies entre les divers sujets réglementaires. Quand nous entamons une démarche de mise en place d'une réglementation relative à la santé environnementale, nous sommes amenés à entrer en relation avec différents experts pour apporter une expertise et des connaissances toxicologiques aux pouvoirs publics.

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Vous parlez de caractérisation de la toxicité. Vous devez savoir qu'une révolution copernicienne a eu lieu en toxicologie, depuis que l'on sait que la dose ne fait plus le danger, et qu'il devient nécessaire de prendre en compte les effets cocktail, c'est-à-dire l'addition des expositions au cours d'une vie humaine. Comment France Chimie se positionne-t-elle face à cette évolution de la connaissance en toxicologie ? Vous vous référez souvent à la réglementation, mais nous savons désormais que les normes officielles ne correspondent plus aux derniers constats de la recherche médicale.

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Constantin Dallot, toxicologue et responsable santé environnement de France Chimie

À vrai dire, je ne suis pas tout à fait d'accord avec votre constat. Ce genre de changement de paradigme tient plus du marketing que de la réalité scientifique. Les études considérant tout le cycle de vie ne datent pas d'hier dans le domaine de la toxicologie réglementaire.

Les effets cocktail sont une problématique croissante ces dernières années. L'évaluation des risques en toxicologie était moins mûre il y a quelques années, comme tous les autres domaines scientifiques, et les problématiques se complexifient au fil du temps. Nous manquons encore de méthodes pour évaluer la toxicité des mélanges de substances. Toutefois, notre industrie participe au développement de méthodes, en collaboration notamment avec l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui a déjà beaucoup avancé sur l'évaluation des effets combinés. Cette agence a mis en place une méthodologie pour évaluer les risques sur la base des mécanismes d'action mis en jeu par différentes molécules auxquelles nous pouvons être exposés simultanément.

De son côté, l'industrie a organisé des ateliers sur des études de cas particuliers, de façon à évaluer la robustesse des méthodes édictées par l'EFSA. Actuellement, nous menons un projet de facteur de sécurité générique afin de prendre en compte les effets des substances en mélange. L'industrie se mobilise pour trouver des résultats fins et pertinents. En tant qu'industriels, nous souhaitons que notre domaine progresse vers plus de sécurité, pour les humains comme pour l'environnement, mais nous ne voulons pas ajouter des contraintes si celles-ci ne sont pas pertinentes. Il convient d'optimiser nos efforts, dans une démarche de coconstruction.

Enfin, concernant la remise en cause de la notion de dose, je pense effectivement que la dose ne fait pas le danger, puisque le risque est la combinaison entre le danger et l'exposition. Néanmoins, la notion de dose reste pertinente dans l'immense majorité des évaluations de risques.

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Les autres experts universitaires et scientifiques que nous avons auditionnés ont tenu un discours tout autre. Ils estiment que l'addition des produits chimiques est la grande problématique de notre époque. Vous entendre contester les affirmations d'éminents toxicologues me laisse pensive. Je comprends que vous puissiez manquer de méthodes pour apporter la preuve de l'exposome. Cependant, la communauté scientifique s'accorde à reconnaître que nous sommes exposés tout au cours de notre vie à des additions de substances chimiques, et cela relève du bon sens. Je suis quelque peu surprise par votre position. L'exposome est désormais entré dans les politiques publiques françaises et dans le PNSE.

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Constantin Dallot, toxicologue et responsable santé environnement de France Chimie

Je ne conteste pas la notion d'exposome, mais je maintiens que la dose reste un concept pertinent dans la recherche pour un grand nombre de substances. Il est faux d'affirmer que la dose ne fait pas le danger pour toutes les substances. Je vous invite à lire les travaux de l'EFSA, auxquels l'ANSES a largement contribué. Un rapport entier a été publié, après une revue exhaustive de la littérature sur le sujet de la sécurité alimentaire, et il conclut que la question des relations dose-réponse non monotones (DRNM) n'est toujours pas tranchée, en particulier pour les perturbateurs endocriniens. Je ne remets pas non plus en cause, pour ce qui concerne l'évaluation des risques des substances en mélange, l'existence des effets combinés. Il s'agit en effet d'un grand chantier de recherche pour les prochaines années, auquel France Chimie veut évidemment contribuer, dans le but d'optimiser les efforts communs.

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Patrick Levy

Actuellement, il n'existe aucune preuve scientifique solide qui puisse remettre totalement en cause le principe de Paracelse. Cette conviction qui est la nôtre est renforcée par les évaluations scientifiques de l'EFSA. Nous attendons des preuves complémentaires. Par ailleurs, l'industrie a beaucoup de difficultés à évoluer dans un contexte d'incertitude scientifique. Les industriels ont besoin de visibilité et de robustesse scientifique pour prendre des décisions de substitution. Comment peuvent-ils engager un changement de procédé alors que l'incertitude scientifique demeure sur les effets des produits ?

Enfin, nous ne contestons évidemment pas les effets combinés ni la notion d'exposome, qui associe l'ensemble des voies d'exposition sur la durée de vie d'un individu. L'exposition à des substances multiples peut effectivement produire des effets combinés. Nous pouvons nous référer aux expériences issues de la pharmacologie, notamment les effets combinés des médicaments et de l'alcool, parfois antagonistes, parfois synergiques. Il en est de même pour les produits chimiques. De ce fait, il n'est pas envisageable de rajouter des contraintes tout en s'affranchissant des résultats scientifiques. Les effets additifs, antagonistes ou synergiques, dépendent des substances mélangées mais aussi des moments de la vie au cours desquels nous sommes exposés. Ces questions nécessitent donc une approche scientifique robuste.

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Avez-vous des propositions pour améliorer les politiques publiques de santé environnementale en France ?

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Patrick Levy

Nous défendons depuis longtemps la hiérarchisation des priorités en matière de santé publique. Aujourd'hui, nous prenons en compte les risques physiques, chimiques, biologiques, mais nous n'avons pas l'impression que le même niveau de priorité soit donné aux risques sanitaires avérés pour la population. La hiérarchisation des risques fait encore défaut.

En outre, de nombreuses initiatives sont lancées sur des bases scientifiques fragiles. Je pense notamment aux opérations de sensibilisation et de formation de la population, qui mériteraient de s'appuyer sur des connaissances scientifiques plus robustes.

Enfin, nous remarquons la nécessité de coordonner nos actions au niveau européen, ou du moins que les actions déployées en France soient compatibles avec la réglementation européenne. Il s'agit d'un gage d'efficacité impératif pour nous en matière de politiques publiques visant les produits chimiques.

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Je comprends que France Chimie représente les industriels de la chimie. Toutefois, les personnes ici présentes ont-elles conscience qu'elles défendent aussi les intérêts de la population française ? La santé est au cœur des préoccupations des Français, et l'impact de l'industrie sur notre santé n'est plus à démontrer, même s'il reste à le mesurer précisément. J'aimerais donc savoir si vous êtes réellement impliqués dans la préservation de la santé environnementale, car vous êtes aussi concernés par les impacts industriels en tant que citoyens.

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Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques de France Chimie

En effet, nous sommes aussi des pères et mères de famille. Pendant le confinement, notre industrie s'est mobilisée pour produire du gel hydroalcoolique, montrant l'importance de garder des sites industriels sur notre territoire afin de servir nos concitoyens.

Par ailleurs, 8 % de nos effectifs sont consacrés à la recherche et développement, l'innovation consistant à réduire les impacts des produits chimiques sur la santé et l'environnement. Nous sommes conscients que nous avons un rôle majeur à jouer dans la transition écologique, et que le sujet de la santé environnementale ne dépend pas uniquement d'une spécification chimique ou physique. Elle est une dimension fondamentale de nos préoccupations, et nous misons essentiellement sur la recherche et développement pour vous proposer des produits et matériaux toujours plus sûrs.

L'audition s'achève à 12 h 50.