GROUPE DE TRAVAIL CHARGÉ D'ANTICIPER LE MODE DE FONCTIONNEMENT DES TRAVAUX PARLEMENTAIRES EN PÉRIODE DE CRISE
Mercredi 8 juillet 2020
Présidence de M. Sylvain Waserman, président du groupe de travail
La réunion commence à quatorze heures quarante.
Je souhaiterais que nous discutions du « document martyr » qui a été soumis à votre appréciation.
S'agissant de la gouvernance en cas de crise, nous avons identifié deux options. Soit nous imaginons une espèce d'« état d'urgence parlementaire », en élaborant un corpus réglementaire ad hoc, soit nous nous reposons sur les instances de décision existantes – Conférence des présidents, Bureau – en leur offrant la possibilité de recourir à des outils particuliers en cas de force majeure. La première option soulevant beaucoup de questions juridiques, notamment sur l'articulation entre cette gouvernance spécifique – quand la déclencher ? quand y mettre fin ? – et la gouvernance pérenne, nous vous proposons de retenir la seconde.
En ce qui concerne les réponses face à une crise, nous avons dégagé quatre axes.
Premièrement, le cœur de l'activité de l'Assemblée, notamment le vote de la loi et le contrôle de l'action du Gouvernement, correspond à des fonctions essentielles à la vie de la nation, d'autant plus importantes en période de crise. Il convient donc de les préserver.
Deuxièmement, il faut adapter de manière ciblée et opérationnelle le Règlement de l'Assemblée, en permettant, en cas de force majeure, un recours très encadré à des outils numériques et le vote à distance, notamment.
Troisièmement, nous pourrions élaborer une boîte à outils. Nous en avons identifié cinq : utilisation particulière des questions écrites, qui permettraient aux députés d'interroger à une fréquence déterminée le Gouvernement, lequel répondrait beaucoup plus rapidement qu'il ne le fait actuellement ; utilisation des contributions écrites, qui permettraient aux députés empêchés de se rendre en séance publique de s'exprimer sur chaque texte, charge au rapporteur d'en faire lecture et d'y répondre au début de la discussion ; solutions techniques de débat ou de vote à distance, incluant l'outil numérique et la procédure, notamment les recours en cas de hacking ou de problème technique ; solution de débat virtuel mixte combinant présence physique et à distance ; constitution de binômes majorité-opposition pour contrôler le Gouvernement et création d'une banque de données recensant l'ensemble des travaux de contrôle du Gouvernement de manière à avoir une vue à 360° de l'action de celui-ci. La Conférence des présidents pourrait ainsi décider, en période de crise, d'activer l'un ou l'autre de ces outils.
Quatrièmement, des mesures pratiques pourraient être prises dès maintenant, qu'il s'agisse de recenser des locaux alternatifs où l'Assemblée pourrait se réunir, d'équiper des salles permettant la visioconférence, d'encourager l'utilisation par les députés d'outils informatiques fiables et souverains – sachant que chacun d'entre eux reste libre de son choix en la matière –, de sécuriser l'installation informatique de l'Assemblée ou d'améliorer la qualité du réseau.
En ce qui concerne l'adaptation ciblée et opérationnelle de notre Règlement, les deux enjeux majeurs sont la participation des députés aux débats et le vote à distance. En effet, beaucoup ont souligné que, lors de la crise du covid-19, le principal problème a tenu au non-respect de la représentation proportionnelle des différents groupes lors des débats. Quant au vote à distance, le Règlement actuel ne permet pas de l'envisager. Il conviendrait donc de le modifier en ce sens, sachant que le Conseil constitutionnel contrôle chacune de ses évolutions et que cette procédure doit respecter le principe du vote personnel et les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
Deux options se présentent. Soit la modification du Règlement comporte trois articles relatifs respectivement aux modalités de participation aux réunions de commission, aux votes à distance et aux modalités de participation à la séance publique, soit elle comporte un seul article de manière à laisser à la Conférence des présidents une certaine latitude pour adapter les modalités de discussion et de vote, y compris en recourant, le cas échéant, à des outils numériques de travail à distance.
En résumé, inventons-nous une gouvernance spécifique en cas de crise ou nous appuyons-nous sur les instances existantes ? Faut-il modifier le Règlement pour permettre le vote et le travail à distance ? Faut-il créer une boîte à outils utilisables si les circonstances l'imposent ? Enfin, quelles mesures pratiques pouvons-nous prendre dès à présent ?
Nous souscrivons à votre proposition de renoncer à une gouvernance spécifique : les instances de l'Assemblée ont montré qu'elles avaient su gérer la crise. Cependant, il nous semble important que l'entrée dans le processus et la sortie de celui-ci soient décidées à l'unanimité, comme ce fut le cas ces dernières semaines. Nous souhaitons donc qu'il soit explicitement prévu qu'un groupe peut s'y opposer.
Honnêtement, il ne me paraît pas possible que chacune des décisions prises en période de crise soit votée à l'unanimité. Que dix députés puissent décider des modalités de travail de l'ensemble de l'Assemblée serait problématique. Néanmoins, j'entends votre remarque. Je me suis en effet demandé ce qui se serait passé s'il n'y avait pas eu unanimité.
D'un point de vue constitutionnel, tout était très solide. Malgré les restrictions retenues temporairement, aucun député n'a été empêché d'entrer dans l'hémicycle, par exemple. Nous nous sommes fondés sur l'unanimité pour adopter un mode de gestion consensuel. S'il est fréquent que la raison l'emporte dans ces situations, l'entrée et la sortie du dispositif demeurent complexes.
La crise ne me paraît pas le moment le plus opportun pour s'appuyer sur la règle de l'unanimité, qui est trop paralysante alors que de nombreuses décisions doivent être prises. Il faut plutôt rechercher le consensus, et le président Ferrand a brillamment réussi à le créer.
À nouveau, changer les règles de décision nécessiterait de modifier lourdement le Règlement, ce qui ne me paraît pas souhaitable. L'adaptation du corpus réglementaire induirait trop de complexité, y compris au plan constitutionnel.
Dans l'ensemble, le document correspond à nos attentes. Je ne suis pas favorable à ce que les règles de décision qui permettent à notre institution de fonctionner par tous les temps soient modifiées : il n'y a pas de raison objective de fonctionner ou de décider différemment.
Je relève deux points importants : les dispositions de situation de crise ne doivent pas empiéter sur le temps ordinaire, et il y a une nécessité absolue d'adapter les outils à la diversité des situations des parlementaires. Bien que la distance accroisse la difficulté, chacun a à cœur d'exercer son mandat au mieux et de façon continue.
Si la crise rend nécessaires des adaptations, c'est le droit commun qui prime. L'utilisation d'outils numériques en substitution ou en complément du fonctionnement classique ne doit pas devenir une nouvelle norme. L'expérience a montré que notre matériel nécessiterait d'être mieux adapté – l'absence de caméra sur les ordinateurs des locaux de l'Assemblée a été un problème –, et que ces solutions pourraient être davantage utilisées en période ordinaire.
Comme le confirme le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 mai dernier, empêcher un parlementaire d'entrer dans l'hémicycle pour participer au débat ou défendre un amendement poserait de graves questions d'ordre constitutionnel. Que se serait-il passé si un groupe au complet avait souhaité être présent en séance ? Il faudrait l'envisager. La décision n° 61-16 DC du 22 décembre 1961 apporte quant à elle des éléments sur les dérogations au principe du vote personnel.
Je ne suis néanmoins pas favorable à l'adoption de la règle de l'unanimité, qui reviendrait à accorder un droit de veto à un groupe. Alors que notre assemblée en compte désormais dix, cela signifierait que quinze, seize ou dix-sept députés pourraient bloquer l'institution.
Je serais plutôt d'avis d'engager, au sein de nos instances régulières, une réflexion sur la définition d'une majorité qualifiée en période de crise, de l'ordre des trois quarts du nombre de députés.
Il me semble également préférable de conserver les règles existantes, moyennant quelques adaptations.
Le vote à distance doit faire l'objet d'un temps de réflexion particulier, en raison des risques qu'il comporte ; il est important que chaque groupe puisse s'exprimer sur ce sujet à fort enjeu politique.
Sur les outils se posent la question du budget alloué, et celle des connaissances techniques, auxquelles il faudrait former les députés en début de législature pour qu'ils puissent faire des choix avisés dans leurs achats de matériel.
Le télétravail ou la visioconférence sont un moyen de répondre aux problèmes posés par l'éloignement de certains élus, tels que les députés de la montagne ou des outre-mer. Au vu des difficultés rencontrées avec Zoom, ne pourrait-on envisager de réaliser un audit des différentes applications disponibles sur le marché ?
Il manque pour moi la dimension du travail en circonscription, car en période de crise notre activité ne se résume pas à celle que nous pouvons avoir à Paris, sur place ou à distance. Le rôle du député sur le territoire est alors essentiel, et il est très frustrant pour nous d'être contraints dans notre mobilité. La présence sur le terrain est importante à la fois pour nous permettre d'agir quand ça va mal et de mieux contrôler l'action du Gouvernement.
La crise modifie également le rôle des collaborateurs, à Paris comme en circonscription, où j'ai pu constater pour ma part une plus grande sollicitation de mon équipe. Il faut leur donner les moyens d'agir en soutien avec des outils adaptés, notamment pour le télétravail.
Pour en revenir à l'unanimité, il ne faut pas en avoir peur : elle a fonctionné durant la crise, et c'est une possibilité qui existe déjà dans le Règlement. Un groupe peut par exemple s'opposer à la mise en œuvre de la procédure d'examen simplifiée.
Mais le Règlement encadre très strictement les dispositions qui requièrent l'unanimité. La question est plutôt de savoir si c'est une condition nécessaire.
Puisqu'il s'agit de décider de la mise en place d'un fonctionnement d'exception, il faut y réfléchir plus avant.
Limiter les questions écrites à deux par mois par député me paraît trop restrictif en période de crise. Savez-vous combien ont été rédigées durant le confinement ? J'ai pour ma part largement dépassé mon quota habituel. C'était alors le seul moyen que nous avions d'interpeller le Gouvernement et de témoigner de notre engagement auprès de nos concitoyens.
Le stock de questions est toujours très important. Nous proposons, en cas de crise ou de force majeure, de geler les questions antérieures à la crise, de réinitialiser le droit de tirage de chaque député, et d'établir un suivi spécifique par la Conférence des présidents sur les réponses du Gouvernement, qui pourront être des réponses génériques à plusieurs questions sur un même sujet, et sur leur rapidité. C'est le moyen d'établir un dialogue différent avec l'exécutif, de mieux organiser le partage des données et d'avoir une gestion plus rationnelle de ces échanges. L'idée est de faire de cet outil issu du Règlement un moyen opérationnel de contrôle de l'action du Gouvernement en temps de crise.
En remettant le compteur à zéro, le nombre de questions autorisé serait mécaniquement augmenté. Il faudrait prévoir un nombre de questions adapté aux circonstances.
En période de crise, la question écrite est le seul moyen d'action visible du député. Il faudrait donc prévoir un nombre supplémentaire hors quota.
Les difficultés éprouvées par les députés qui assistent à cette réunion en visioconférence démontrent la nécessité d'améliorer les solutions de connexion et les applications, y compris dans nos locaux.
Le PDG d'Orange a été auditionné par la commission des affaires économiques, son entreprise propose des solutions fiables pour travailler à distance. Des outils de télécommunication doivent être intégrés dans les « boîtes à outils » prévues. Doter tout le monde de ressources communes garantirait le bon fonctionnement à distance de nos procédures et faciliterait la formation des utilisateurs.
Les procédures retenues doivent nous laisser la souplesse nécessaire pour nous adapter en situation de crise.
Nous allons commencer à détailler le contenu des différentes boîtes à outils, et il serait utile d'avoir le retour des groupes sur les éléments de principe avant la fin de la session extraordinaire.
Actons le principe d'une prochaine réunion de ce groupe de travail dans quinze jours, et que chaque groupe fasse parvenir une contribution écrite d'ici là.
N'hésitez pas à suggérer des ajouts à la liste des boîtes à outils, notre mode d'organisation modulaire le permet aisément.
La réunion s'achève à quinze heures quarante-cinq.