Publié le 13 janvier 2022 par : M. Breton, M. Hetzel, M. Gosselin, Mme Bassire, M. Aubert, M. de la Verpillière, Mme Corneloup, M. Sermier, M. Reiss, M. Cattin, M. Cinieri.
I. – Rédiger ainsi l’alinéa 5 :
« Dans ce cas, le ou les parents sont également invités à consentir eux-mêmes à l’adoption de l’enfant dans les conditions de l’article 348‑3 du même code, après avoir été informés que la décision de faire bénéficier l’enfant d’un projet d’adoption, la définition du projet d’adoption, simple ou plénière suivant les circonstances particulières à la situation de l’enfant, ainsi que le choix des adoptants éventuels sont assurés par le tuteur, avec l’accord du conseil de famille en application de l’article L. 225‑1 du présent code.
II. – En conséquence, compléter l’alinéa 6 par la phrase suivante :
« Celui-ci doit également mentionner que les parents ont été informés des délais et conditions dans lesquels ils peuvent rétracter leur consentement selon les deuxième et troisième alinéas de l’article 348‑3 du code civil. »
L’article L. 224-5 du CASF tel qu’adopté en Commission des Lois supprimerait la possibilité, pour les parents qui remettent expressément l’enfant à l’ASE en vue de son admission en qualité de pupille de l’État, de consentir à son adoption. Ils seraient donc appelés à consentir uniquement à l’admission de l’enfant en qualité de pupille. Cette admission implique la possibilité – mais non la certitude – d’une adoption (2/3 des pupilles de l’Etat ne sont pas placés en vue de leur adoption), puisqu’en tout état de cause, c’est un projet de vie « pouvant être un projet d’adoption » qui sera formé pour le pupille. L’éventuel consentement à l’adoption serait, dans tous les cas, donné par le conseil de famille.
Cette modification est contradictoire avec la nouvelle rédaction de l’Article 348-4 du code civil qui vise le consentement donné à l’adoption par les père et mère [on oublie qu’il faut dire « les parents »].
Pour nombre de professionnels, ne plus demander aux parents de consentir à l'adoption constituerait un grave retour en arrière, un retour au procès-verbal « d’abandon », d’avant la loi du 6 juillet 1984 qui, précisément, a conçu l’invitation faite aux parents de consentir à l’adoption comme un moyen de garantir que la remise de l'enfant a été décidée par la famille en toute connaissance de cause. Depuis des décennies, les professionnels, qui évoquent la remise en vue d’adoption, s’emploient à positiver la démarche des parents, « invités,» donc, à l’occasion de la rédaction du procès-verbal de remise, à « consentir à l’adoption de l’enfant ». Ce faisant, les parents participent à la première étape de sa nouvelle vie.
Cette disposition nous semble en outre discriminatoire pour les enfants remis à l’ASE qui ne sauront pas si leurs parents avaient le souci de leur avenir dans une nouvelle famille : même si les lois ne mentionnent plus le mot, ils auront été abandonnés.
En tout état de cause, énoncer que le consentement à l’adoption des parents légaux est inutile et que le consentement à l’admission en qualité de pupille est suffisant pour permettre le placement de l’enfant en vue de son adoption, constitue un contresens juridique.
En effet, les textes internationaux et la jurisprudence tant de la Convention des Droits de l’Homme (CEDH) que de la Cour de Cassation rappellent constamment que le consentement à l’adoption du ou des parents ou encore du représentant légal de l’enfant doit être recueilli régulièrement de manière éclairée et après la naissance de l’enfant, pour que l’adoption puisse être prononcée. Les débats autour du superflu et confus article 7 de la PPL ont démontré le caractère nécessaire du recueil de ce consentement, pierre angulaire de la construction juridique de toute filiation adoptive, qui risque de s’écrouler si cette pierre fait défaut.
C’est d’ailleurs ce qui risque d’arriver pour la centaine d’enfants remis au service de l’ASE par leurs parents de naissance au titre du 2° et du 3° de l’article L 224-4 du CASF. Ce sont les enfants dont la filiation est établie et connue. Leur admission en qualité de pupille de l’Etat ne fait pas disparaître le lien de filiation : les parents restent les parents.
Or si le texte adopté en commission est voté, non seulement les parents ne seraient plus invités à consentir à l’adoption, mais ils ne seraient pas informés des délais et conditions dans lesquels ils peuvent rétracter leur consentement (y compris à celui de l’admission de l’enfant au statut de pupille.
Les conséquences seraient dramatiques pour les enfants.
En qualité de parents, l’article L 224-6 (inchangé) prévoit qu’ils peuvent demander à reprendre l’enfant immédiatement dans un délai de deux mois. Mais à défaut d’information sur cette possibilité et ce délai, celui-ci ne peut pas commencer à courir… Les parents pourront donc demander la restitution immédiate.
Et même à considérer que le délai de 2 mois a pu commencer à courir et qu’il a expiré, les parents peuvent encore demander la restitution ; si le tuteur refuse avec l’accord du conseil de famille, ils peuvent saisir le tribunal judiciaire. En principe, cette demande n’est recevable que jusqu’au placement en vue d’adoption. Mais pour que le placement puisse faire obstacle à la demande de restitution, encore faut-il qu’il soit régulier. A défaut de consentement des parents, il est plus que vraisemblable que, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droit de l’homme relative à l’article 8 de la Convention, la Cour de cassation affirmerait de nouveau que le pouvoir de consentir à l’adoption relevant du pouvoir des parents, le placement n’est pas régulier et ne peut pas produire d’effet.
Ce type de conflit douloureux, opposant la famille chez laquelle l’enfant a été placé en vue de son adoption et les parents de naissance [le plus souvent un père informé de la naissance et de la remise de l’enfant à l’ASE tardivement] existe déjà. La nouvelle rédation de l’article L 244-4 ne ferait que les favoriser.
On pourrait penser que si l’adoption est déjà prononcée, elle ne pourra pas être remise en cause en mettant en avant l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais l’étude de la jurisprudence de la CEDH de ces 10 dernières années démontre que dans la pesée des intérêts en présence, le poids de la filiation biologique est souvent déterminant.
Par conséquent, outre qu’il faut avoir conscience des dimensions sociales et psychologiques de la suppression du consentement des parents, pour eux-mêmes et pour l’enfant (l’aspect positif du geste des parents, à savoir lui donner la chance d’avoir une autre famille sera anéanti), on ne peut pas ignorer la fragilité de la situation des pupilles de l’Etat pour lesquels leurs parents n’auraient pas donné leur consentement à l’adoption. Le Sénat, qui en avait pris conscience, avait adopté un texte repris dans notre amendement.
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