L'audition débute à 14 heures 10.
Mes chers collègues, nous reprenons les auditions de la commission d'enquête en entendant des membres du collectif « Vérité et justice pour Jacques et Damien ».
Le 25 juin 2011, à Feurs, dans la Loire, Damien Jamot et Jacques Tissot, salariés de la société de maintenance Feursmétal – appartenant au groupe Safe –, intervenaient dans l'entreprise voisine Valdi – filiale du groupe Eramet –, spécialisée dans le recyclage de piles, sur un site industriel où plusieurs accidents du travail avaient déjà eu lieu.
Cette nuit-là, une canalisation se rompt et l'inondation provoque l'explosion d'un four chez Valdi, soufflant 800 mètres carrés de bâtiments. Les corps de Jacques et Damien sont retrouvés sans vie dans les décombres.
Les proches des victimes ont subi un marathon judiciaire, les groupes concernés multipliant les recours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Saint-Étienne qui a reconnu la faute inexcusable de l'employeur.
Au terme de la procédure judiciaire, ces sociétés ont été condamnées par la cour d'appel de Lyon, le 28 février 2018, pour homicides par imprudence et infractions à la sécurité, à 265 000 euros d'amende pour Feursmétal, devenue CastMétal, et à 215 000 euros d'amende pour Valdi.
Nous recevons aujourd'hui : M. Jean-Luc Denis, porte-parole du collectif « Vérité et justice pour Jacques et Damien », M. Joseph Garet, trésorier, MM. Alain Roffet et Émile Denis, membres actifs.
Si les accidents du travail ne sont pas exactement au coeur du sujet de notre commission d'enquête, il m'a semblé utile de vous entendre, notamment pour apprécier comment le juge judiciaire peut réprimer et réparer les dommages professionnels, pour réfléchir aux mesures qu'il conviendrait de prendre pour éviter qu'un drame ne se reproduise, mais également pour connaître l'étendue du travail que vous avez dû réaliser pour obtenir réparation.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
MM. Jean-Luc Denis, Joseph Garet, Alain Roffet et Émile Denis prêtent serment.
Je vous remercie et je vous donne la parole pour nous présenter votre action, le parcours judiciaire de votre collectif et vos propositions. Nous poursuivrons par un échange de questions et de réponses.
Je voudrais remercier la commission d'enquête, et en particulier son président Julien Borowczyk, de nous recevoir aujourd'hui. Cette audition ne pouvait se tenir plus tôt, l'affaire venant juste de se terminer.
Les familles de Jacques Tissot et de Damien Jamot, qui viennent de vivre sept années extrêmement difficiles, s'associent à nos remerciements et souhaitent que des modifications, notamment législatives, interviennent afin que ce type d'accident n'arrive plus jamais.
Je rappellerai, tout d'abord, l'historique de la fonderie de Feurs ; je vous présenterai, ensuite, un certain nombre de propositions. La fonderie de Feurs est composée de deux entités : d'une part, Feursmétal, qui a changé de nom après l'accident, devenant CastMétal, et, d'autre part, Valdi, une fonderie où plus de 200 accidents ont été répertoriés depuis quinze ans, qui ont notamment provoqué la mort de quatre personnes et blessé gravement dix autres personnes. Je tiens à votre disposition la liste suivante :
– février 2000 : réaction chimique dans un four, éjection de métal en fusion ; 8 blessés, dont deux grands brûlés ;
– août 2000 : un artisan extérieur tombe d'un toit de la fonderie ; un mort et de la prison avec sursis pour le directeur de l'époque ;
– 2001 : accident d'un cariste dans le secteur « aciéries » : un grand brûlé ; accident de manutention : un blessé handicapé à vie ;
– mars 2002 : un ouvrier de maintenance est broyé par une décrocheuse, un autre est éventré – celui-ci gagne son procès ;
– septembre 2002 : en réparant une machine fabricant des moules, un ouvrier a la main sectionnée ;
– août 2004 : incendie dans l'un des bâtiments, crainte de fumées toxiques ; 60 personnes évacuées – riverains et salariés ;
– juin 2008 : un ouvrier glisse dans un bac d'acier en fusion et meurt ;
– mai 2010 : accident de nature radioactive ; 6 salariés contaminés ;
– octobre 2010 : explosion d'un bac à laitier, 2 blessés graves handicapés à vie – les salariés gagnent en première instance, en appel puis en cassation ;
– 25 juin 2011 : explosion due au contact d'eau et de métal en fusion, 2 morts – Jacques et Damien ;
– janvier 2015 : explosion dans la fosse de coulée du four 4 et infiltration d'eau ; huit blessés pour les mêmes raisons que le 25 juin 2011.
Ce rappel fait froid dans le dos et justifie notre présence devant votre commission, les accidents étant une véritable pathologie professionnelle dans cette entreprise multirécidiviste.
C'est donc dans ce contexte que, le samedi 25 juin 2011, à 5 heures du matin, a eu lieu ce drame qui ne doit rien au hasard et qui a coûté la vie à deux agents de maintenance, Damien Jamot, 29 ans, et Jacques Tissot, mon beau-frère et celui d'Alain Roffet, ami de Joseph et oncle d'Émile. Jacques aurait eu 62 ans aujourd'hui et serait à la retraite, puisqu'il avait commencé à travailler à 16 ans ; des éléments qui ont leur importance.
Comme elles l'avaient déjà fait dans le passé, les entreprises ont tenté, en vain, de négocier un arrangement à l'amiable et ont déclaré vouloir « aider et soutenir les familles ». En réalité, elles se sont employées, durant sept ans, à faire exactement le contraire.
Les deux familles, qui ne se connaissaient pas, et la section CGT, très active dans cette entreprise depuis toujours, se sont portées partie civile. Un appel à la création d'un collectif de soutien « Vérité et justice pour Jacques et Damien » a été lancé lors des funérailles à Saint-Étienne et à Rozier-en-Donzy, où habitait Jacques. Les dons ont afflué pendant les semaines suivant l'accident. Le collectif compte 600 personnes et a réussi à réunir les quelque 30 000 euros nécessaires aux frais d'avocat.
Vous trouverez dans les dossiers que nous vous avons amenés – complétés par les articles les plus récents – la liste de nos différentes actions qui vont d'une journée d'hommage et de soutien avec 800 personnes, à une marche lente de 300 personnes dans les rues de Feurs – l'une des plus grandes manifestations organisées –, en passant par des soirées théâtrales et des campagnes de soutien. Nous remercions d'ailleurs la mairie de Feurs qui nous a prêté des salles. Toutes nos actions ont été relayées par une centaine d'articles dans la presse locale et une cinquantaine d'émissions de radio et de télévision.
Les objectifs du collectif ont toujours été clairs : la vérité et la justice pour que plus personne ne perde la vie en voulant la gagner. Le collectif n'a jamais demandé la fermeture de la fonderie, mais le maintien des emplois doit aller de pair avec la transformation radicale des conditions de travail et de sécurité.
L'enquête a duré plus de cinq ans, pendant lesquels les familles ont respecté à la lettre le secret de l'instruction, trouvant cependant la justice bien lente. Nous avons appris, après la levée du secret de l'instruction, que la fonderie avait fait obstruction, en attaquant notamment l'expertise en première instance. Bien entendu, les sociétés ont fait appel devant la cour d'appel de Lyon et se sont pourvues en cassation.
Le procès en correctionnelle a enfin lieu à Saint-Étienne, le 26 septembre 2016. Les deux entreprises constituant la fonderie sont condamnées pour homicides involontaires, à 265 000 euros d'amende au titre de la récidive pour Feursmétal, et à 215 000 euros d'amende pour Valdi. Elles font une nouvelle fois appel ; il s'agit alors du treizième recours ou report, instances civile et pénale confondues. Le 17 janvier 2018, la cour d'appel de Lyon confirme en tout point le jugement stéphanois. Seule l'entreprise Valdi se pourvoit en cassation, mais finit par jeter l'éponge, fin avril 2018. La condamnation des deux entreprises pour homicide involontaire est donc effective et définitive depuis le 10 mai 2018.
Forts d'un énorme mouvement de soutien, de solidarité et d'empathie dans le département de la Loire, nous avons interpellé les politiques à plusieurs reprises. Tout d'abord, Mme Méadel, secrétaire d'État chargée de l'aide aux victimes dans le précédent gouvernement, puis les candidats à la présidentielle et enfin le président Macron, dès son élection. Le 2 août 2017, son chef de cabinet, M. Lauch, nous répondait, précisant que l'aide aux victimes avait notamment été érigée au rang de priorité nationale. C'est pour ces considérations humaines et après avoir rencontré M. Borowczyk, le 27 septembre dernier, que nous sommes présents aujourd'hui.
Ce qu'ont vécu les familles des victimes depuis sept ans est une situation anormale, injuste et dévastatrice. Pour elles, c'est la double peine : elles ont perdu un être cher et il leur faut se battre pour être considérées comme des victimes. Dans ce genre de drame, pas de cellule psychologique, pas de conseil juridique, pas de soutien financier et aucune aide pour les enfants, dont l'un avait 12 ans au moment du drame.
Pendant que les entreprises refusent d'assumer leurs responsabilités et gagnent du temps en multipliant les recours, ce sont les familles qui payent le prix fort, en particulier pour leur santé. Une mère et une compagne sont tombées en dépression et l'une d'elle a subi une opération grave, avec le risque de rester paralysée. Elle est en arrêt de travail depuis un an. Un arrêt en lien, selon les médecins et les chirurgiens, avec l'accident de Feurs et cette souffrance interminable. C'est la raison pour laquelle les choses doivent changer, y compris dans la loi, pour que plus jamais une famille n'ait à vivre un tel drame.
Je vous remercie de cette présentation. Il était important pour nous de vous recevoir, parce que le témoignage que vous nous apportez est, dans sa singularité, édifiant et révoltant. Vous avez parlé de considérations humaines et ce sont bien celles-ci qui doivent prévaloir.
Même si elle a ses particularités, cette affaire est aussi emblématique de situations que nous pouvons rencontrer, notamment au regard de l'inégalité qui peut exister entre les deux parties au cours des procédures judiciaires ; c'est un véritable sujet.
Vous avez appelé à des évolutions législatives, et nous sommes intéressés de connaître la nature des propositions que vous pourriez formuler.
Aucun d'entre nous n'était préparé à vivre cette situation. Un accident du travail, c'est comme un accident de la route : on sait que cela peut arriver, mais tant que l'on n'est pas concerné, on le regarde de loin.
Notre première proposition est la suivante : comment peut-on faire de la sécurité au travail une priorité nationale, comme l'est la sécurité routière ? Nous ferons souvent cette comparaison avec la sécurité routière, non pas que nous les opposions – j'ai perdu mon frère à 20 ans, dans un accident de la route –, mais les conséquences, dramatiques, sont proches.
Chaque année, dans le monde, plus de 3 millions de personnes meurent dans un accident de travail. En 2015, la France a compté 624 525 accidents et 545 morts. On compte entre 500 et 800 morts par an.
L'accident du travail est un sujet tabou qui fait rarement la une de l'actualité et qui, sur un plan judiciaire, n'est pas traité à la hauteur du problème. La réparation et l'indemnisation doivent absolument évoluer. Mme Nadine Herrero, présidente de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH), que nous avons récemment rencontrée, nous a indiqué qu'elle se battait depuis longtemps pour que les indemnités versées pour un accident du travail soient identiques aux indemnités versées pour un accident de la route ; aujourd'hui, l'écart est de 1 à 10.
En ce qui concerne le drame de la fonderie, même si les familles n'ont pas fait de l'argent leur priorité, toucher 30 000 euros pour la perte d'un mari et d'un père pose question. Les amendes ne sont clairement pas dissuasives, surtout pour les grands groupes. La semaine dernière, nous avons lu dans la presse que Disney avait été condamné à 200 000 euros d'amende pour la mort accidentelle d'un salarié…
Certes, le risque zéro n'existe pas et un accident peut arriver sur n'importe quel lieu de travail. Notre indignation concerne les entreprises multirécidivistes. Il faut s'attaquer aux causes.
Notre deuxième proposition est la suivante : la création d'une condamnation à une « obligation de soins » pour les entreprises multirécidivistes – une condamnation similaire à celle qui existe pour les citoyens qui ont des problèmes de drogue, d'alcoolisme ou de moeurs. L'idée est de transformer les amendes – qui sont perçues par l'État – en obligation d'investir dans la sécurité, avec un devis précis et un calendrier rigoureux, entraînant des condamnations supplémentaires s'il n'est pas respecté. Une idée qui a été jugée positive et pleine de bon sens par toutes les personnes à qui nous l'avons proposée – presse et politiques.
Pour reprendre le parallèle avec la sécurité routière, quand plusieurs accidents ont lieu dans le même virage, la sagesse veut que les autorités publiques modifient le virage ou imposent une réduction de vitesse à cet endroit. Le débat actuel sur les limitations de vitesse montre bien que la sécurité routière est une priorité nationale. Pourquoi ne pas s'attaquer aux causes des accidents dans les entreprises multirécidivistes ? Nous éviterions le chantage à l'emploi et à la fermeture des usines – un chantage souvent évoqué. Cela permettrait également à tous les salariés de travailler sans la peur au ventre. Parce que si nous avons parlé des familles, il faut également prendre en compte les collègues des victimes, qui sont eux aussi traumatisés. Un certain nombre d'entre eux nous disent avoir la boule au ventre à chaque fois qu'ils passent devant le bureau de Damien ou l'établi de Jacques.
Par ailleurs, il convient de se souvenir que la fonderie de Feurs a déjà été condamnée, à quatre reprises, à des amendes pour défaut de sécurité, mais pour quel résultat…
Vous soulevez des questions liées à la sécurité au travail et aux investissements sur les outils de production. Je ne connais pas la fonderie de Feurs, qui semble être très vétuste.
Oui et je voudrais ajouter des éléments à sa charge. Cette société a délocalisé en Suisse et au Luxembourg tous ses actifs, a acheté des usines en Espagne pour délocaliser la main-d'oeuvre et a changé de nom après l'accident du 25 juin 2011. Le taux d'absentéisme est de plus 10 %, le taux de vétusté de 92 % ; c'est Zola.
Cette entreprise a connu son apogée dans les années 1960, avec 800 salariés. Elle n'en compte plus que 200, 50 salariés ayant encore été licenciés l'année dernière. Il est dit d'elle dans la région que c'est une boîte qui ne respecte ni les morts ni les vivants. Elle s'est adjoint les services d'une société de communication de Lyon pour porter sa parole et nous avons vécu des événements d'un cynisme incroyable.
En 2015, alors que, comme chaque année, la section CGT de l'entreprise déposait une gerbe de fleurs en mémoire de Jacques et de Damien, l'entreprise a distribué aux salariés cette petite carte sur laquelle est écrit « CastMétal Feurs, vous trouverez à l'intérieur le responsable de votre sécurité ». Quand on ouvre la carte, on est face à un miroir. Voilà la violence et le cynisme dont cette société est capable. Mais les collègues de Jacques et Damien, comme les familles durant les sept ans de procédure, ont gardé leur sang-froid et n'ont jamais employé de termes qui auraient pu coûter cher – un piège que nous avons toujours su éviter.
Messieurs, nous avons une pensée émue pour toutes les victimes de cette société, et en particulier pour Jacques et Damien. La provocation dont vous nous avez fait part est profondément révoltante. La sécurité dans une entreprise est une question collective qui suppose un certain nombre de règles et d'investissements de la part de l'entreprise. Vous l'avez parfaitement dit, personne ne doit perdre la vie à la gagner.
Notre commission est centrée sur les maladies et pathologies professionnelles, mais j'imagine que cette entreprise n'est pas un modèle en la matière, compte tenu de ce que vous avez décrit.
Le comportement des entreprises récidivistes correspond pour moi à une attitude criminelle. Il faut à la fois les punir et les obliger à prendre des mesures pour empêcher que cela ne se reproduise. Je ne sais pas s'il faut opposer les amendes aux obligations d'investissement, mais il est certain qu'il ne saurait être permis de continuer à produire dans des conditions qui ne respectent pas la vie de celles et ceux qui travaillent.
Mes questions porteront sur la chaîne de responsabilité : l'inspection du travail, le médecin du travail, etc. En effet, il ne s'agissait pas d'un accident isolé, il y en a eu beaucoup d'autres. Alors, comment a-t-on pu en arriver là ?
Quelles ont été les procédures mises en oeuvre, suite à ces accidents ? Quels acteurs sont intervenus ?
Je suis désolé, nous ne pouvons pas vous apporter de réponses précises, ne travaillant pas dans cette entreprise.
Bien entendu, des interventions ont eu lieu, cette société étant dans le collimateur des autorités publiques depuis très longtemps ; dans la Loire, tout le monde a entendu parler de la fonderie. Jacques nous en parlait souvent. Avant l'accident, il partait travailler la peur au ventre car il rendait bien compte de ce qui n'allait pas. Nous savons tous que l'eau et le métal ne marchent pas ensemble, or il nous racontait que lorsqu'il pleuvait, le toit étant en mauvais état, de l'eau tombait dans les fours.
Par ailleurs, nous n'en avons jamais parlé durant la procédure car nous avions en face de nous des personnes importantes qui ont de gros moyens et donc de très bons avocats, mais elles ont fait témoigner une personne qui, si nous l'avions attaquée, aurait pu être condamnée pour faux témoignage. Ou encore, des scellés ont été enlevés, ce qui est strictement illégal. Tout cela pour que vous compreniez ce que les familles ont dû endurer. Mais nos collègues de la CGT pourraient vous en dire plus. Ils se battent depuis 20 ans dans cette boîte et certains l'ont payé de leur santé.
Suite à l'accident de 2015 – un accident identique à celui de 2011 et qui a causé huit blessés –, le préfet a ordonné une fermeture de trois semaines de la fonderie. Valdi, qui faisait du recyclage de piles, n'a pas rouvert. Sachant que Valdi avait d'autres activités que le recyclage de piles, notamment des activités radioactives, puisque des cas de contaminations ont été constatés.
En effet, une association de riverains et de salariés a été constituée lorsque la fonderie a annoncé qu'elle allait retraiter de la ferraille dite « faiblement irradiée » provenant de la filiale nucléaire. Nous avons posé beaucoup de questions et sommes allés jusqu'au tribunal pour que l'arrêté qui devait autoriser cette exploitation ne soit pas pris.
C'est grâce à la persévérance de tous les membres de l'association que nous avons gagné, du point de vue procédural, et la ferraille n'est jamais arrivée à Feurs. Nous avons appris durant cette lutte que Valdi avait déjà, sept ou huit ans auparavant, retraité de la ferraille faiblement irradiée, sans que personne ne le sache.
L'association a continué son action car, avant l'accident fatal qui nous intéresse aujourd'hui, les riverains ont régulièrement été victimes de pollutions « accidentelles », de poussières, d'odeurs nauséabondes, etc.
Enfin, malgré notre combat, nous n'avons jamais pu en savoir plus sur l'état des terrains qui ont été pollués par l'explosion, alors même que des morceaux de ferraille, des plaques et autres matériaux lourds ont été projetés à des centaines de mètres et qu'un nuage s'était créé. Des prélèvements ont été réalisés chez des riverains voisins de la fonderie, or nous n'avons jamais connu les résultats – ils ont été relativement cachés.
L'association, qui a soutenu le collectif, est donc toujours sur le qui-vive.
Valdi n'a donc pas poursuivi son activité après la tragédie du 25 juin 2011, tous ses bâtiments ayant été détruits. Il me semble que son usine de traitement de piles se trouve aujourd'hui près de Limoges.
S'agissant des contrôles, des manquements sont très probables. Des collègues de la CGT m'ont souvent raconté qu'ils savaient quand un contrôle avait lieu, la direction leur demandant de balayer et de ranger les ateliers.
Je le rappelle, cette entreprise avait déjà été condamnée quatre fois. Nous avons vraiment du mal à comprendre les notions de prévention. J'ai travaillé comme éducateur dans un quartier difficile et, croyez-moi, quand un jeune récidivait, je le vivais comme un échec. Nous avons tous droit à l'erreur. Mais la récidive n'est pas admissible.
Vous avez parlé, monsieur le rapporteur, d'« attitude criminelle ». C'est un terme que nous n'avons pas prononcé pendant l'enquête pour ne pas être poursuivis, mais vous avez raison.
Ici, ni la prévention primaire, pour éviter un accident, ni la prévention secondaire, pour éviter qu'il se reproduise, n'ont été respectées.
Quelle est votre troisième proposition ?
Nous demandons que les autorités publiques travaillent sur le statut de victime, en priorisant l'aspect humain de ces drames. Une réflexion, bien entendu, valable pour toutes les victimes – pas seulement au travail. En effet, dans notre société, les victimes sont toujours obligées de se battre pour que soit reconnu leur statut de victime. Que ce soit les femmes, lors de leur combat contre les hommes pour agressions sexuelles – nous l'avons vu cette année –, ou les personnes victimes d'abus sexuels au sein des églises.
Nous souhaitons aussi que, dès le premier jour, une aide matérielle et psychologique soit mise en place pour que les familles puissent avoir les capacités mentales, physiques et financières d'aller au bout de la démarche, à savoir la condamnation, condition obligatoire pour entamer un travail de deuil.
Après un drame, la famille est dans l'émotion. Si l'émotion est le moteur de la solidarité, une action immédiate doit se mettre en place par l'intermédiaire de soutiens ou d'un collectif, car la famille est « K.O. » et n'est donc pas en état de mener un combat. D'après les chiffres, plus de 80 % des procédures ne vont pas au bout. Seule, une famille ne peut se battre contre des entreprises.
Alors il est vrai que faire appel à la solidarité, le jour des enterrements, n'est pas facile, et certaines personnes n'ont pas apprécié. Mais si nous ne l'avions pas fait ce jour-là, il n'y aurait jamais eu de collectif. La réaction doit être immédiate pour que les familles aient une chance d'aller au bout de la procédure.
L'accompagnement des familles est également nécessaire pendant toute la durée de la procédure ; le collectif a assuré cette fonction pendant sept ans, auprès des deux familles qui ne se connaissaient pas avant le drame. Certaines familles pensent qu'elles ne peuvent rien faire, que l'accident est une fatalité. D'autres acceptent l'arrangement financier proposé par la société – nous ne les jugeons pas. Et quelques familles portent plainte et vont en justice. Dans ce cas, des fonds doivent être trouvés, les familles ne disposant en général pas des sommes nécessaires ; pour Jacques et Damien, près de 30 000 euros ont été réunis par le collectif.
Autre point important : comment améliorer la communication entre la justice et les familles ? Nous avons appris à nos dépens qu'il existait un véritable gouffre entre la justice et le citoyen lambda, en termes non seulement de langage – bien souvent, on ne comprend rien aux documents que l'on reçoit –, mais également de délai et de procédure. Un accompagnement devrait être prévu pour les familles : des fiches, des conseils, pour que les victimes soient orientées vers des personnes compétentes, disposées à les soutenir ; je pense aux maisons du droit, aux associations, etc. Il ne s'agit pas là d'une affaire d'argent, mais d'humanité.
Enfin, comment pourrait-on raccourcir les délais, voire limiter le nombre de recours des entreprises qui disposent de moyens illimités et pour qui le temps travaille ? Sept ans de procédure, c'est très long. Et si les deux sociétés ont accepté le verdict de la cour de cassation, c'est seulement parce qu'elles avaient plus à perdre qu'à gagner. Ce n'est certainement pas par humanité.
La situation de victime est très compliquée. Les gens ne veulent pas se plaindre, ils portent leur croix tout seuls. Nous avons presque honte, à côté, de nous battre. Le regard des autres est très difficile à supporter, notamment pour les enfants.
L'aide aux victimes devrait être un service public.
Enfin, juste pour l'anecdote, nous avons été agréablement surpris : les deux services de l'État qui nous ont le plus aidés sont les renseignements généraux et les services de police qui ont facilité notamment une manifestation interdite par la préfecture.
Je voudrais appuyer les propos de Jean-Luc, car sans un collectif, les familles n'arrivent à rien. Pour tenir dans le temps, du fait des renvois et des appels, un soutien à toute épreuve est indispensable. Nous devons pouvoir réagir à chaque coup de la partie adverse, sans connaître l'issue de la procédure.
Durant le procès, les familles revivent des moments douloureux, avec la présentation d'images difficiles à regarder ; c'est humainement insupportable. On se demande comment elles arrivent à rester debout. Les mères doivent continuer à vivre, à élever les enfants, sans savoir si elles obtiendront gain de cause, à savoir une condamnation. En tout cas, le retour de l'être aimé ne se produira pas.
Comment, aujourd'hui, faire en sorte que de tels drames ne se reproduisent plus ? Nous n'avons pas de chiffres, il serait pourtant intéressant d'effectuer une enquête sur cette entreprise, notamment pour savoir combien elle coûte à l'État à travers les arrêts de travail, les invalidités, les dépressions, les maladies, les opérations, etc. C'est un coût qui n'est pas pris en considération.
Jean-Luc l'a dit et répété, mais c'est bien grâce au collectif, qui a été moteur et qui a su s'imposer une ligne de conduite, que la procédure a abouti. Et nous pouvons nous en féliciter.
Je vous remercie sincèrement de nous accueillir aujourd'hui, car nous souhaitons qu'un changement s'opère pour que plus jamais un tel drame ne se produise. Un accident peut arriver, mais la récidive est intolérable. Et un accompagnement humain doit être prévu pour les familles.
Je suis le trésorier du collectif, il est indispensable que les familles puissent se pourvoir en justice sans avoir à avancer de grosses sommes. Nous sommes les témoins qu'un appel à la solidarité fonctionne.
Je n'ai pas de question supplémentaire à vous poser, votre réflexion était bien construite.
Vous le savez, la commission d'enquête ne couvrira pas tout le champ de votre réflexion, mais celle-ci nous permettra de replacer notre sujet dans un contexte plus global.
Vous posez d'ailleurs deux questions importantes. D'abord, la nécessité d'éliminer tous les risques professionnels qui peuvent l'être – un axe majeur de la santé au travail. Ensuite, la difficulté à faire valoir ses droits – et parfois, malheureusement, le renoncement des familles, découragées ou confrontées à trop d'obstacles.
Vous avez évoqué aussi les services publics, qui doivent aider et accompagner les citoyens dans de telles affaires.
Je vous remercie de votre témoignage et je pense que notre travail pourra faire avancer globalement certains des sujets dont nous avons parlé aujourd'hui.
Je veux également vous remercier pour votre témoignage car, même s'il est un peu à la marge de la raison d'être de notre commission, il est très éclairant par rapport à ce qui est vécu de l'intérieur et par rapport au parcours que doivent mener les familles des victimes pour faire reconnaître leurs droits.
Vos propositions ne sont pas exactement dans le champ de notre commission, mais elles auront forcément une place dans nos conclusions. Votre comparaison avec la sécurité routière, par exemple, est une remarque avec laquelle nous sommes entièrement d'accord, s'agissant notamment des indemnisations et de la prise en charge des victimes, qui doivent être équivalentes.
Par ailleurs, notre commission s'intéressera aux modalités qui pourraient être mises en place pour éviter les récidives, les accidents à répétition dans une entreprise. Un sujet qui a déjà été abordé, en lien notamment avec le système de bonus-malus pour les cotisations « accidents du travail et maladies professionnelles » (AT-MP). Nous tiendrons donc compte de vos propositions qui apportent un témoignage sur des entreprises qui, aujourd'hui, sont responsables d'accidents, parfois tragiques, et qui n'ont pas mis en place les moyens nécessaires pour que cela n'arrive plus. Manifestement, le système actuel fonctionne mal, tant pour ce qui est de la prévention que de la pénalisation.
Enfin, s'agissant de votre troisième proposition, je me souviens d'une idée abordée, me semble-t-il, par les représentants de la CGT, qui nous ont parlé d'une structure susceptible de prendre en considération les questions de sécurité et de santé rencontrées par toutes les entreprises intervenant sur un même site. On se rend compte, en effet, que le travail se fait souvent en silo et qu'il est important de pouvoir considérer le travail de différentes entreprises dans un lieu commun ou une fonction commune – une structure qui pourrait, donc, offrir du lien aux salariés.
Il s'agit en tout cas d'une réflexion qui me tient à coeur, car il est indispensable qu'une victime puisse faire valoir ses droits – dans le cas d'un accident du travail ou pour faire reconnaître une maladie professionnelle.
Nous avions déjà abordé ces questions. Votre témoignage permet, malheureusement, de les évoquer de façon plus réaliste. Vous l'avez dit, un accident peut arriver, mais une telle tragédie n'aurait jamais dû arriver, étant donné les antécédents de l'entreprise.
Si les familles ne se sont pas pourvues en justice pour l'argent, une condamnation à des indemnités est indispensable pour la reconnaissance de la responsabilité de l'entreprise. Par ailleurs, distribuer un miroir aux salariés pour leur dire qu'ils sont responsables de leur sécurité est une provocation indécente.
Il était donc important de toucher du doigt la réalité de ce que vivent les salariés sur le terrain. Nous avons entendu un grand nombre d'acteurs de la sécurité au travail et nous avons eu l'occasion de visiter un certain nombre de structures, dont ArcelorMittal à Fos-sur-Mer, mais il était important que vous soyez présents, aujourd'hui, pour témoigner de ce qui se passe après un accident.
Je vous félicite pour tout le travail que vous avez réalisé. Ce fut un moment fort en émotion et je vous en remercie sincèrement.
L'audition s'achève à quinze heures.
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Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 13 juin 2018 à 14 heures 10
Présents. – M. Julien Borowczyk, M. Pierre Dharréville, M. Régis Juanico
Excusés. – M. Bertrand Bouyx, Mme Hélène Vainqueur-Christophe