L'audition débute à quinze heures cinq.
Mes chers collègues, je suis heureuse d'accueillir pour cette table ronde M. Patrick Bazin, directeur de la gestion patrimoniale du Conservatoire du littoral, M. Sylvain Latarget, directeur général adjoint de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), et M. Albert Maillet, directeur « forêts et risques naturels » de l'Office national des forêts (ONF).
Notre champ de compétences est large. Il consiste à mesurer les impacts des mouvements climatiques exceptionnels. Au-delà de ce qui vient immédiatement à l'esprit, l'organisation des secours, la maîtrise du foncier, les règles d'urbanisme ou de construction, les aspects techniques, la montée du niveau des eaux, le recul du trait de côte, la fragilisation de certaines zones du fait du changement climatique sont autant de facteurs qui entrent nécessairement dans le cadre de notre étude. Les organismes que vous représentez sont indispensables à la compréhension du constat, selon lequel nous sommes confrontés à des phénomènes de plus en plus violents.
Dans un premier temps, nous souhaitons savoir comment sont anticipés ces risques au plan national et comment sont adaptées nos politiques publiques.
Le deuxième volet consiste essentiellement à analyser la gestion in situ de ces changements et phénomènes climatiques.
Le troisième volet est celui de la reconstruction. Dans les trois domaines qui nous intéressent, il me semble que vos organismes peuvent être amenés à travailler sur ces politiques publiques.
Le rapporteur de notre mission d'information va maintenant vous préciser l'objet de cette audition.
Quelles sont les missions du Conservatoire du littoral en matière de prévention des risques climatiques et d'adaptation au changement climatique ? Pouvez-vous présenter le rôle de la conservation du littoral face aux événements climatiques majeurs, à la fois en matière d'atténuation et d'adaptation ?
L'IGN a-t-il réalisé une cartographie des zones littorales vulnérables ? Quelles sont ses missions ou ses actions en matière de connaissance des impacts des événements climatiques majeurs et de prévention des risques climatiques ? Lors de la phase de gestion de crise, quelles sont les données de l'IGN qui sont accessibles par les autorités, pour les secours par exemple ? Des données de l'IGN peuvent-elles également servir de base dans les processus d'évaluation et d'indemnisation des dommages ?
Quelles sont les missions et les actions de l'ONF dans les domaines de la prévention et de la gestion des risques climatiques en zone littorale – protection du littoral, restauration des forêts ? Quelles sont les zones littorales françaises particulièrement vulnérables aux événements climatiques majeurs ? Quelles sont, dans ces zones, les différentes caractéristiques de la vulnérabilité ?
Êtes-vous associés à l'élaboration des plans de prévention des risques naturels (PPRN) ? Avez-vous mené des opérations particulières après la tempête Xynthia ? Avez-vous analysé en particulier les ouragans de cet automne ? En tirez-vous des conclusions particulières ?
Quelles seront à l'avenir les orientations prioritaires de vos travaux pour identifier les zones vulnérables face aux événements climatiques majeurs ?
Enfin, avez-vous identifié des pistes d'amélioration dans la prévention des risques climatiques et l'information des populations ?
Le questionnaire que nous vous avons envoyé est une base de discussion. Bien évidemment, vous pouvez sortir du cadre précis que vient d'évoquer le rapporteur.
Il n'y a pas de missions du Conservatoire du littoral en matière de prévention des risques climatiques inscrites dans la loi, puisqu'il est chargé d'une mission de sauvegarde de l'espace littoral sur le plan environnemental. D'une façon plus indirecte, le Conservatoire ayant quelques missions de contribution à la gestion intégrée des zones côtières, c'est-à-dire une approche assez globale de l'aménagement des zones littorales, il peut proposer des dispositions qui seraient favorables à cette adaptation au changement climatique.
Le rôle de la conservation du littoral face à la survenue de ces événements est relativement modeste en matière d'atténuation, puisque la frange littorale est assez étroite. Toutefois, il faut mentionner le rôle que peuvent jouer les mangroves qui sont des zones de captation de carbone tout à fait majeures à l'échelle de la planète. La France dispose d'un certain nombre de mangroves, notamment en Guyane et en Nouvelle-Calédonie.
C'est davantage en matière d'adaptation que le littoral a un vrai rôle à jouer. D'abord la conservation des milieux naturels du littoral permet de limiter la vulnérabilité aux aléas climatiques. On a pu constater, lors d'événements comme Xynthia ou les crues de l'Argens près de Fréjus, que les submersions marines créent des dégâts là où des enjeux sont installés. Quand on a identifié ces zones à risque et que l'on peut les protéger notamment de l'urbanisation, elles ne sont pas vulnérables et les aléas n'ont pas les mêmes conséquences que lorsqu'elles sont bâties. Certes, ce que je dis là est un truisme, mais il est important de le rappeler.
Les milieux naturels peuvent aussi accroître la résilience du littoral, c'est-à-dire sa capacité à encaisser des phénomènes majeurs en limitant les dégâts, voire en les atténuant tellement qu'il devient relativement facile de protéger les enjeux qui seraient situés en arrière. Lors d'événements climatiques, les dunes et les marais sont des zones où la mer vient dissiper son énergie. Lorsque ces défenses sont en arrière des milieux naturels, elles sont beaucoup plus efficaces, moins coûteuses et moins facilement attaquées. Une politique intégrée de conservation du milieu naturel du littoral permet dans certains cas – pas dans tous – d'accroître l'efficacité des défenses à moindre coût et de façon bénéfique pour les territoires, c'est-à-dire qu'un territoire d'aspect naturel a plus de chance de conserver ses atouts économiques, touristiques, paysagers que des territoires bunkérisés contre la mer dont les défenses peuvent devenir très vite assez inesthétiques et coûteuses.
Disposez-vous d'études qui montreraient que des espaces seraient plus résilients parce que mieux gérés en zone littorale que ceux qui sont effectivement « bunkérisés », pour reprendre votre expression ? A-t-on chiffré les services rendus par les écosystèmes littoraux ?
Nous avons commencé à le faire pour les mangroves et le long du littoral métropolitain en prenant sept ou huit secteurs que l'on appelle des unités littorales. Nous avons pu identifier un certain nombre de services de protection et de régulation. En termes d'adaptation au changement climatique, nous avons quelques éléments de réponse que nous pourrons bien sûr vous fournir, mais il n'est pas forcément facile de les extrapoler de façon globale.
Notre ambition est de détailler ces études comparatives et schémas d'aide à la décision au travers du programme Adapto en cours de démarrage et qui doit accompagner et mettre en valeur une dizaine de démarches locales avec les acteurs locaux. C'est un programme qui avance à son rythme, parce que nous ne sommes pas seuls mais avec les collectivités et les services. Il s'agit de comparer divers scénarii pour raisonner sur des projets de territoire à moyen terme, c'est-à-dire dans des secteurs plutôt ruraux, pas des secteurs urbains directement menacés.
Dans la commune dont j'ai été maire, le littoral est pour moitié un cordon naturel et pour l'autre moitié un mur de défense. En ce qui concerne le cordon littoral naturel, nous avions fait le choix d'un nettoyage manuel de la plage. Aussitôt après, des plantes s'y sont installées et des dunes se sont formées très rapidement. Mais la plage est très mobile. Dans la partie où se trouve le mur de défense, il faut sans cesse procéder à des travaux d'entretien parce que les habitations sont très proches et parce que, très souvent, les vagues qui tapent sur le mur apportent du sable, ce qui a pour conséquence que le mur se déchausse, que le couronnement faiblit. Dès que l'on construit un nouvel ouvrage pour l'améliorer, on perturbe l'équilibre hydro-sédimentaire et, là où l'on escomptait un bénéfice, on a du sable et un peu plus loin il n'y en a plus, ou inversement. Cet équilibre est assez instable. On en a déduit qu'il fallait aider la nature dans la mesure du possible, avec des méthodes douces pour des raisons esthétiques, vous l'avez dit, et d'efficacité.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le programme Adapto ? Quelle est sa durée ? Quels en sont les acteurs ?
Permettez-moi de rebondir sur ce que vient de dire le rapporteur. Il est crucial d'identifier la largeur du milieu naturel qui permet cette résilience et ces ajustements parce qu'une dune ou un marais, ce n'est pas aussi solide qu'une digue. Il lui faut donc de la largeur pour jouer son rôle. Dans les projets d'aménagement, il faut savoir quelle largeur de milieu naturel est nécessaire pour être efficace en termes de résilience et de protection des enjeux situés à l'arrière.
Vous connaissez la bande des 100 mètres de la loi « Littoral ». On aimerait lancer le concept de « bande des cent ans ». Pouvoir identifier ce qui serait mobile sur cent ans permettrait de voir venir et d'éviter de prendre des risques inutiles. Mais ce n'est pas facile à faire.
Nous avons lancé le programme Adapto il y a trois ans, et il prend vraiment sa dimension aujourd'hui grâce au programme de financement européen LIFE, le programme pour l'environnement et l'action pour le climat, qui a été adopté l'année dernière et qui va nous permettre de bénéficier de quelques moyens humains et financiers pour accompagner les démarches dont j'ai parlé, qui sont dix sites localisés dans nos dix délégations de rivage répartis selon des types de côte qui couvrent l'ensemble des rives français.
Oui, la Mana, en Guyane, qui est concernée par les mangroves et les anciens polders rizicoles qui ont été balayés par la mer et qu'il faut maintenant réhabiliter avec un nouveau projet agricole et un nouveau projet de développement écotouristique. Les autres sites concernés sont : la baie d'Authie, l'estuaire de l'Orne, la baie de Lancieux dans les Côtes d'Armor, le marais de Brouage en Charente-Maritime, l'estuaire de la Gironde, le bassin d'Arcachon, le Petit et grand Travers situé à côté de Montpellier sur une lagune de l'étang de l'Or, les anciens salins de Hyères en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, et le Lido de la Marana, à côté de Bastia en Corse.
Je suis élu de la basse vallée de l'Argens dont vous avez parlé tout à l'heure et j'ai été collaborateur à la mairie de Fréjus de 1995 à 2007 lorsqu'a été instauré le partenariat avec le Conservatoire du littoral pour la protection des étangs de Villepey. Lors des inondations, cette énorme zone tampon a subi des dommages naturels. Mais qu'une zone naturelle subisse des dommages, ce n'est pas la même chose que ce qui nous préoccupe aujourd'hui, c'est-à-dire l'agression des zones habitées ou qui ont été squattées par la suite. Nous entreprenons, avec les élus, un nouveau travail sur ce secteur-là, puisque cette zone s'est densifiée un peu sauvagement depuis 2010.
À l'époque, j'avais discuté des ressources du Conservatoire du littoral avec le conservateur régional. On m'avait dit que l'on retranchait de votre budget annuel les ressources provenant de dons ou legs. Est-ce le cas ?
En principe, non. Jusqu'à présent, nous n'avons pas eu à déplorer ce phénomène.
Les particuliers ou les entreprises ont la possibilité d'aider le Conservatoire du littoral au travers du mécanisme de la dation en paiement : les droits de succession peuvent être réglés par une donation au Conservatoire. C'est un système un peu compliqué puisque le bien passe par l'État qui le rétrocède ensuite au Conservatoire.
Je souhaitais insister sur ce système qui constitue un moyen très important de préserver des espaces et les espèces qui y sont associées et qui sont exceptionnelles, et de lutter contre les effets climatiques dans des zones qui n'ont pas lieu d'être urbanisées.
Le rôle du Conservatoire, c'est aussi de procéder à des acquisitions foncières afin de valoriser ces espaces. Quelle superficie gérez-vous actuellement ? Êtes-vous déployés dans l'ensemble du territoire métropolitain et outre-mer ? Si oui, quels sont ces territoires d'outre-mer ?
Le Conservatoire est en fait une agence foncière qui a pour mission de devenir acquéreur ou détenteur de patrimoines fonciers.
Ce patrimoine représente actuellement environ 200 000 hectares, soit 15 % du linéaire du rivage français, l'aire de compétence du Conservatoire étant la suivante : la métropole, Mayotte, la Réunion, la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, mais pas la Nouvelle-Calédonie ni la Polynésie française.
J'ajoute que ce domaine est qualifié d'inaliénable au sens où le Conservatoire ne peut pas revendre ce qu'il a acheté et l'État ne peut pas reprendre ce qu'il a donné au Conservatoire, à moins de lancer une procédure assez lourde qui passe par un décret en Conseil d'État. Cela permet de rassurer les gens qui voudraient faire des dons au Conservatoire. Lors de négociations foncières, il arrive que les propriétaires acceptent de vendre au Conservatoire parce que c'est le Conservatoire et qu'il peut leur garantir que ce patrimoine ne sera pas dilapidé.
Vous m'avez demandé si nous sommes déployés partout dans le territoire : nous sommes moins présents dans le département des Alpes-Maritimes, car nous sommes intervenus un peu tard.
C'est déjà mieux. En Corse, le Conservatoire est propriétaire d'environ 25 % du rivage.
L'Institut national de l'information géographique et forestière est un établissement public qui compte environ 1 550 agents et a un budget de près de 150 millions d'euros, dont 90 millions proviennent d'une subvention pour charges de service public sur le programme 159, les autres recettes venant de travaux réalisés principalement au bénéfice du ministère des armées, de la vente de cartes, de licences d'exploitation de données, de prestations diverses, notamment pour l'Agence de services et de paiement dans le cadre de la politique agricole commune.
L'Institut est un jeune établissement puisqu'il a été créé par décret le 1er janvier 2012. Il est toutefois héritier d'une longue histoire de ses deux moitiés de génome, la première étant l'Institut géographique national qui peut tracer ses origines jusqu'au XVIIe siècle, la seconde étant l'Inventaire forestier national qui a un peu plus de cinquante ans d'ancienneté et d'histoire.
L'Institut a pour vocation de décrire, d'un point de vue géométrique et physique, la surface du territoire national et l'occupation de son sol, d'élaborer et de mettre à jour l'inventaire permanent des ressources forestières nationales ainsi que de faire toutes les représentations appropriées, d'archiver et de diffuser les informations correspondantes. Il contribue ainsi à l'aménagement du territoire, au développement durable et à la protection de l'environnement, à la défense et à la sécurité nationale, à la prévention des risques, au développement de l'information géographique et à la politique forestière en France et au niveau international.
Vous comprenez facilement à travers ces quelques lignes que nous sommes pleinement dans le champ qui vous intéresse dans le cadre de cette mission d'information. Toutefois, l'Institut ne dispose pas de l'ensemble des compétences pour pouvoir décider seul si une zone est vulnérable ou caractériser globalement la totalité de la vulnérabilité des zones.
L'Institut a cartographié l'intégralité des zones littorales au un vingt-cinquième millième il y a plusieurs années déjà, et depuis il est passé au numérique. Nous sommes aussi chargés de déterminer la référence planimétrique et altimétrique. À cet égard, nous avons effectué un grand travail de mise à niveau des programmes planimétriques et altimétriques sur les communautés d'outre-mer que nous allons achever cette année par Saint-Pierre-et-Miquelon.
Nous avons établi, en partenariat avec le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), un produit qui s'appelle Litto 3D® donc je vous parlerai peut-être un peu plus en détail tout à l'heure. Il s'agit de données qui couvrent de façon précise les zones littorales sur près de 45 000 kilomètres carrés et qui permettent notamment d'appuyer des modèles d'inondation et de submersion marine.
Toujours en partenariat avec le SHOM, nous intervenons dans le cadre du réseau SONEL, le système d'observation du niveau des eaux littorales. Ce réseau regroupe près de 1 000 marégraphes au niveau mondial dont environ 80 sont situés en métropole ou dans les outre-mer, c'est-à-dire que presque chaque archipel, y compris en Polynésie, a au moins un marégraphe qui permet de surveiller l'évolution du niveau de la mer. Malheureusement celui de Saint-Martin ne fonctionne plus ; nous espérons pouvoir le remettre en service dans peu de temps.
Ce que fait l'IGN dans ce cadre-là, c'est simplement le rattachement au système de positionnement par satellite, le GNSS, Global navigation satellite system, ce qui permet en fait de dissocier le mouvement de la mer du mouvement de la croûte terrestre. Sans entrer dans des détails techniques, il faut savoir que quand la marée monte la terre s'enfonce, ce qui vient aggraver le phénomène de submersion.
En matière de prévention des risques climatiques, l'IGN n'a pas de mission explicitée. Nous pouvons intervenir en appui de tous les porteurs de politiques publiques qui sont concernés par la fourniture de données. Notre rôle reste de fournir et de mettre à disposition des données.
Lors de la crise d'Irma, l'ensemble de nos données a été immédiatement mis à disposition des autorités du pays et auprès des services du ministère de la transition écologique et solidaire. Les données pouvaient d'abord être téléchargées. Nous avons ensuite rendu possible, sur un site dédié, l'accès aux données dont nous disposions à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Je vous ai apporté un document qui permet un comparatif : à gauche, vous pouvez voir l'image qui a été réalisée par l'Institut géographique à Saint-Martin au tout début de l'année 2017 et à droite la première image qui a pu être acquise seulement quelques jours après la catastrophe – pour avoir des zones entièrement dénuagées, il a fallu que les satellites repassent plusieurs fois et il s'est écoulé une petite quinzaine de jours avant de pouvoir disposer de cette image.
L'outil que l'on met à disposition est bien plus précis que ce que je vous montre, mais il fallait reconnaître un peu le périmètre, le contour des îles. On peut zoomer très profondément, ce qui peut servir à évaluer les dégâts, par exemple au niveau du couvert végétal boisé ou encore montrer quelles toitures ont disparu, etc. Mais il sera beaucoup plus compliqué d'évaluer l'indemnisation des dommages. Nous avons des contacts avec les compagnies d'assurances. Pour le moment, nous les aidons plutôt à dimensionner les primes d'assurance de leurs clients qu'à travailler de façon globale sur une catastrophe majeure en vue d'indemniser des quantités importantes de maisons et de réseaux.
Je vous l'ai dit, nous ne sommes pas capables de définir seuls la vulnérabilité. Toutefois, en termes de géographie pure, certains critères permettent rapidement de deviner qu'une zone est très vulnérable. Ces critères, vous les avez cités en introduction, Madame la présidente : des côtes basses, des zones d'estuaire, des bandes littorales étroites ou des zones peu accessibles pour les secours, qui n'ont pas forcément d'aéroports à proximité ou de zones de mouillage ni de refuge évident pour la population.
Un événement climatique majeur n'est pas non plus forcément bref et intense. Vous avez cité la montée du niveau des mers et l'érosion qui sont des phénomènes majeurs qui affectent de larges portions littorales. Les événements intenses agissent toutefois comme des accélérateurs d'érosion. On voit, après chaque tempête, que le trait de côte recule.
D'un point de vue forestier, le réchauffement climatique laisse anticiper une évolution des essences d'arbres, ce qui peut aussi avoir un impact à long terme, puisqu'on n'aura plus forcément les mêmes essences. Nous n'avons pas en effet de certitudes quant aux essences qui seront présentes dans quarante, cinquante ou cent ans.
S'agissant de l'élaboration des plans de prévention des risques naturels, nous ne sommes pas systématiquement associés aux réalisations puisque notre mission consiste à fournir des données dans nos champs de compétence et à les rendre accessibles aux experts.
Nous avons parfois été sollicités pour des plans de prévention de risque d'inondation ou de submersion, notamment à base du produit Litto 3D®. Nous avons produit des modèles numériques de terrain et des simulations de montée des eaux.
Nous avons un partenariat avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l'ONF sur le cordon dunaire du littoral aquitain et nous travaillons en partenariat étroit avec le Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévention des inondations (SCHAPI). Ces derniers temps, nous travaillons beaucoup avec eux, mais pas encore beaucoup sur les zones littorales. Cela dit, nous ne faisons pas beaucoup de différence de traitement entre les zones littorales et les autres zones quand il s'agit de risques d'inondation. Nous avons ainsi volé ce week-end au-dessus de la Marne, en amont de Paris.
Nous travaillons aussi avec la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) qui fait partie de notre ministère de tutelle principal, à base de levés lidar pour l'amélioration et la connaissance fine des zones inondables. Nous avons aussi des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour leurs systèmes d'information et nous les accompagnons, ainsi que les services déconcentrés du ministère, pour qu'ils deviennent autonomes dans la gestion des données, celles-ci n'étant pas toujours simples à manipuler au premier abord.
Une fois élaborés, les plans de prévention des risques deviennent des servitudes d'utilité publique et, comme tels, doivent être déposés sur le géoportail de l'urbanisme que nous opérons aussi pour le compte de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) du ministère de la cohésion des territoires.
Venons-en aux suites de la tempête Xynthia dans l'hexagone. Nous nous sommes associés au SHOM pour produire le Litto3D, un modèle numérique altimétrique de référence continu terre-mer sur la frange littorale. Il permet de réaliser des relevés de reliefs et des mesures de profondeur sous-marine, pour avoir une connaissance précise de l'ensemble du littoral. En mer, nous allons jusqu'à une profondeur de 10 mètres, et au plus jusqu'à 6 nautiques ; et au moins 2 kilomètres à l'intérieur des terres, jusqu'à l'altitude de plus 10 mètres. Au total, cette emprise représente 45 000 kilomètres carrés.
Par ailleurs, l'État a tiré les conséquences de la tempête en remettant en cause notre modèle économique. Avant Xynthia, l'IGN devait rembourser la moitié du coût de constitution des données qui étaient préfinancées par l'État. Ainsi, les services de l'État et les collectivités locales devaient acheter une licence d'utilisation pour les données indispensables à la réalisation des plans de prévention. Or, à partir de 2011, le référentiel à grande échelle a été rendu gratuit en téléchargement pour l'ensemble des services de l'État et des collectivités territoriales. Cela a permis d'accélérer significativement la réalisation des plans de prévention, et l'équilibre financier de l'Institut a été assuré par un transfert entre programmes.
Xynthia n'est pas le seul événement dont les conséquences nous aient concernés. La tempête Klaus de janvier 2009 a conduit à l'élaboration, par le ministère chargé de la forêt, d'un plan national de gestion de crise-tempête pour la filière forêt-bois. Et l'IGN, à travers l'inventaire forestier, se trouve associé à ce plan, s'agissant notamment de la partie consacrée à l'évaluation précise des dégâts. De la même façon, le tsunami de décembre 2004 a permis le développement des dispositifs d'anticipation et d'alerte : le programme Litto3D a été utilisé par le projet ALDES d'alerte descendante, qui a été piloté par le BRGM.
À l'occasion des événements de cet automne, nous avons montré que nous étions capables de réagir de manière prompte et de devancer les attentes, en communiquant directement sur les données disponibles et en les mettant à la disposition des centres de gestion de crise et des centres de secours avec un accès protégé – pour éviter tout conflit avec la charge du réseau internet.
Après les tempêtes, le service de défense, de sécurité et d'intelligence économique (SDSIE) du secrétariat général du ministère de la transition écologique et solidaire, qui gère le centre de crise de ce ministère, nous a contactés pour recenser les experts de l'IGN qu'il pourrait mobiliser lors des prochaines crises. Nous avons également une prestation d'assistance à maîtrise d'ouvrage à leur profit pour l'outil de gestion de crise OGERIC, utilisé par le ministère et les services déconcentrés – les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) en métropole, et les directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) dans les régions et départements d'outre-mer.
Quelles sont les orientations prioritaires de nos travaux s'agissant des zones vulnérables ? Nous sommes à la disposition de toutes les autorités publiques qui estimeraient que l'on peut les aider à utiliser ou à constituer de nouveaux jeux de données, que ce soit dans le cadre de nos missions, ou dans le cadre d'un partenariat avec ces structures.
Les pistes d'amélioration que nous avons identifiées concernent moins la prévention que l'information des populations. Les données nécessaires pour cette activité ne sont pas toujours faciles à utiliser, et sont souvent très disparates. Voilà pourquoi il faudrait se mettre d'accord, en prévision d'événements majeurs, sur les jeux de données nécessaires – qu'il s'agisse de les constituer ou de les entretenir. Vous parliez de votre dispositif anti-submersion, avec un mur. Un mur, cela s'entretient. Il en est de même des données, qu'il faut mettre à jour.
Avec Litto3D, on atteint une précision altimétrique de l'ordre de 10 centimètres. C'est important, car à 10 centimètres près, les habitants de Gournay n'auraient pas été inondés. Et si vous mettez un coup de pelle dans une dune, elle peut bouger de 10 centimètres.
Il faut donc entretenir les données pour être certains que, le moment venu, on disposera des bonnes données.
Je ne reprendrai pas ce qu'on dit mes deux collègues, et je me contenterai d'apporter des compléments spécifiques à l'Office national des forêts.
Premier point : Patrick Bazin a dit que le Conservatoire du littoral est une agence foncière, eh bien, l'Office national des forêts est exactement l'inverse : nous ne possédons aucun terrain, nous ne sommes que gestionnaires de terrains.
Nous gérons donc des terrains appartenant à l'État, donc des terrains domaniaux, et dans le cas qui nous intéresse, des terrains domaniaux placés sous la responsabilité du ministère en charge des forêts. Nous sommes par ailleurs gestionnaires conseillers auprès des collectivités propriétaires des espaces forestiers et espaces naturels associés.
Deuxième point : l'ONF, de manière intrinsèque, n'a pas de mission en matière de gestion des risques. Néanmoins, en pratique, ces missions sont assez rapidement apparues dans l'activité de l'ONF, précisément en liaison avec son rôle de gestionnaire. Comme les milieux que nous gérons peuvent être le siège d'un certain nombre de risques naturels, nous nous avons cherché à être les plus efficaces possible face à ces risques : risque littoral, risque d'incendies de forêt, risques liés à la montagne, dits RTM – pour restauration et conservation des terrains en montagne – avalanches, coulées de boue, glissements de terrain, chutes de blocs, etc.
Face au risque littoral qui nous occupe aujourd'hui, nous sommes amenés à intervenir à double titre.
D'abord, en tant gestionnaires d'un certain nombre de terrains : un cordon dunaire littoral domanial de 380 kilomètres de long sur la façade Atlantique, les terrains des collectivités et les terrains du Conservatoire du littoral. Cet ensemble représente, en métropole, un linéaire d'environ 500 kilomètres. Les 380 kilomètres de terrains domaniaux étant essentiellement constitués de dunes sableuses, nous avons un solide savoir-faire en la matière.
S'ajoutent à cela un certain nombre de terrains que nous gérons dans les outre-mer, sous le même régime administratif qu'en métropole, sans oublier le cas un peu particulier des mangroves, qui sont des milieux intéressants du point de vue biologique, mais également pour leur rôle de maintien du trait de côte.
Nous sommes donc des intervenants gestionnaires, et nous avons développé, au cours des années, une technique dite de « gestion souple du cordon dunaire » qui vise, au travers d'actions de génie écologique – essentiellement des techniques de revégétalisation – c'est-à-dire sans enrochement –, à fixer globalement le cordon dunaire dans une gamme de mouvements qu'on l'autorise à faire, sans chercher à le figer – car c'est un élément naturel qui respire, qui bouge, et qui doit normalement bouger – dans des limites qui lui permettent de jouer son rôle.
Historiquement, lorsque nous avons commencé à gérer ce cordon dunaire sableux, notre mission consistait à lutter contre l'érosion éolienne, et à faire en sorte que le sable ne quitte pas les dunes pour aller ensabler l'arrière-pays – notamment les zones habitées.
Un peu plus récemment, nous nous sommes « retournés », et au lieu de regarder uniquement vers la terre, nous nous sommes mis à regarder vers la mer et à étudier – pas seuls parce que nous n'avons pas toutes les compétences – le comportement de la dune par rapport aux événements maritimes, notamment tempétueux. Nous avons donc travaillé avec le CEREMA, le BRGM, l'IGN – notamment sur les questions de cartographie – et le Conservatoire du littoral sur un certain nombre de sites pilotes qui ont été évoqués.
Nous partons toujours du même principe : apprendre à gérer au mieux le stock sédimentaire de sable, en évitant qu'il ne s'épuise ou ne se déplace au fur et à mesure des mouvements tempétueux, ou qu'il ne se déplace en fonction des modifications du trait de côte, qui interviennent à la suite d'aménagements anthropiques. Ces derniers peuvent effectivement entraîner des variations dans le régime des courants et dans la manière dont le sable se dépose. C'est notre deuxième mission historique.
Notre troisième mission, encore plus récente, est apparue juste après la tempête Xynthia. On a constaté à cette occasion que toutes les dunes sableuses n'avaient pas le même comportement et ne jouaient pas le même rôle en termes de protection contre le risque de submersion marine. L'État, en l'occurrence la DGPR, nous a alors demandé d'essayer – avec l'aide d'autres organismes – de décrire et de qualifier l'ensemble de ces dunes, non seulement par rapport à leur état d'entretien et à la manière dont le stock sableux est conservé ou pas, ce que nous faisions déjà, mais aussi en termes de fonctionnalité par rapport à un risque de submersion. Ainsi, on regarde la dune comme si c'était une pseudo-digue et on essaie de voir, parmi les dunes, celles qui sont efficaces et celles qui le paraissent moins. De fait, il faut s'assurer de compétences autres que les nôtres pour faire de telles observations, notamment à partir de modèles de submersion marine.
Cela suppose un mécanisme d'observation continue de ces cordons dunaires. En effet, avec nos partenaires, nous avons défini un certain nombre de critères, qui font qu'une dune a un effet plus ou moins efficace par rapport au risque de submersion. Il faut régulièrement parcourir le cordon dunaire pour pouvoir le décrire et repérer les endroits où ces critères sont atteints et où la dune va avoir cette fonction, et les endroits où, au contraire, ces critères ne sont pas atteints, et où l'on peut penser que la dune n'aura pas une fonction protectrice aussi forte. La difficulté tient au fait que, comme la dune vit, bouge, respire, il faut repasser régulièrement pour « recalibrer » la mesure de ces critères sur toutes ces dunes. C'est une des missions qui nous ont été confiées. Des agents gèrent ces dunes et sont présents sur le terrain pour les observer.
Telle est donc, un peu rapidement brossée, la manière dont l'Office intervient en amont des phénomènes.
En cas d'événement tempétueux, les dunes sont déstabilisées et détruites par endroits. Nous avons alors une mission de cicatrisation et de reconstitution des portions de dunes les plus maltraitées. Nous utilisons notamment des techniques douces de génie écologique, qui prennent un peu de temps, mais qui sont efficaces. Ainsi, nous accompagnons le mouvement pour que cela se passe dans les meilleures conditions.
J'ai parlé jusqu'à présent de la partie dunaire, où il n'y a pas un seul arbre, ce qui peut paraître un peu curieux pour l'Office national des forêts. Mais il se trouve que ces parties dunaires sont sous la compétence du ministère en charge des forêts. Nous les gérons, dans la mesure où ce sont des parties domaniales. Et cela a d'autant plus de sens que ces parties dunaires sont en général doublées en arrière-plan par des boisements littoraux que nous gérons également, et qu'il existe une fonctionnalité réciproque entre la dune, l'arrière-dune et ses parties boisées.
On a évoqué le risque climatique pour les forêts. Nous nous intéressons de très près à cette question qui concerne l'ensemble des forêts françaises, mais qui se présente de façon un peu particulière pour les forêts littorales, soumises à des climats à influence maritime, avec notamment des charges en sel que l'on ne rencontre pas dans les autres forêts.
Dans l'hypothèse de modifications liées au changement climatique, en particulier, de modifications un peu profondes du positionnement terre-mer en termes de niveau des eaux et des terres, on peut assister à des phénomènes de remontées de nappes salées, ce que les arbres et les forêts n'aiment pas beaucoup. Cela peut entraîner des phénomènes de dépérissement importants, dont certains s'expliquent toutefois simplement par l'évolution climatique générale.
On peut assister à des phénomènes d'affaiblissement forestier, de sensibilité plus forte des forêts à des phénomènes venteux forts, que l'on appelle des dégâts de chablis. Le fait que des forêts entières soient battues par le vent peut entraîner en chaîne des risques pour la circulation des personnes ou sur les voies de circulation, d'autant que l'on se trouve en général dans des secteurs touristiques avec des plages fréquentées, mais aussi des risques d'incendie avec la multiplication des arbres morts jonchant le sol.
Ainsi, on utilise pour les dunes des techniques de génie écologique afin de fixer le sable. Et, pour tous les autres phénomènes que j'ai décrits, on essaie de développer sur le littoral exactement les mêmes pratiques et les mêmes savoir-faire que dans d'autres types de forêts, en s'inspirant de ce que l'on a fait ailleurs, par exemple pour le risque d'incendie dans le Sud-Est, ou pour la stabilité des peuplements au vent dans d'autres zones. Nous cherchons à les appliquer directement à ces configurations.
J'ajoute que, ces façades littorales domaniales étant souvent touristiques, l'ONF a aussi une action d'aménagement de l'accueil du public : non seulement il se préoccupe des risques, mais il fait en sorte d'accueillir les populations dans de bonnes conditions. Cela lui permet, en même temps, de les informer de la manière dont sont gérées ces dunes, des précautions à prendre, de la liaison entre la gestion des dunes et la maîtrise des risques naturels associés que l'on vient d'évoquer.
Quelles sont nos perspectives ?
Je l'ai dit, nous avons noué des partenariats avec un certain nombre d'organismes : BRGM, CEREMA, IGN, Conservatoire du littoral, mais aussi avec d'autres organismes comme les universités. Nous essayons de développer avec eux des programmes d'innovation, par exemple dans les techniques d'observation du cordon dunaire, par télédétection, par drones. Nous travaillons, notamment avec l'IGN, sur la manière d'observer, sur un très grand linéaire, comment évolue un territoire. Nous essayons également d'améliorer notre capacité de prévision et de simulation par rapport aux phénomènes tempétueux en travaillant avec les universités, spécialistes des problèmes marins, ou avec le BRGM sur des questions de stabilité.
Nous essayons donc de progresser ensemble. Nos partenaires nous apportent leur savoir sur ces phénomènes. De notre côté, nous étudions l'interaction entre les informations qu'ils nous donnent, et l'action sur la dune que nous observons en tant que gestionnaire, voire l'efficacité comparée de certaines techniques par rapport à celles que l'on utilise.
Monsieur Maillet, vous avez beaucoup parlé des dunes. Intervenez-vous essentiellement sur ces espaces ? Exercez-vous aussi votre activité sur d'autres littoraux français ? Qu'est-ce que cela représente, par rapport à la totalité du littoral français ?
Vous avez aussi parlé des partenariats avec différents organismes comme l'IGN ou le Conseil national des missions locales (CNML). Pouvez-vous nous dire un mot du partenariat local avec les élus et les collectivités ? Comment les collectivités adhèrent-elles à vos actions, les anticipent-elles et les prennent-elles en compte dans leur politique de développement ?
Enfin, toujours en lien avec l'observation de ces espaces, pouvez-vous nous dire si vous êtes, ou non, présents outre-mer ?
J'ai effectivement concentré mon propos sur les dunes parce que c'est un endroit du littoral où nous avons la main en tant que gestionnaires, où nous avons une capacité d'intervention directe. C'est aussi le plus grand linéaire.
Les terrains publics en territoires rocheux, si je prends l'autre grand type de littoral, sont beaucoup moins fréquents et il y a très peu de forêts domaniales qui arrivent jusqu'à la mer. Ensuite, les problèmes qui s'y posent ne sont pas de la même nature. Par exemple, les espaces rocheux méditerranéens dont nous nous occupons sont confrontés à deux types de problèmes : les incendies de forêts, et des risques qui ressemblent beaucoup à ceux que l'on retrouve en montagne. Nous devons faire en sorte que des incendies ne viennent pas détruire la couverture végétale, donc affaiblir la capacité de tenue des sols sous végétation. Et si l'on est sur des terrains plus nus, ou si l'incendie passe et dénude le terrain, il nous faudra gérer un risque de chutes de blocs, voire de coulées de boue, qui sont moins fréquentes mais qui peuvent se produire.
Nous intervenons donc pour d'autres types de milieux littoraux. Pour autant, notre gestion n'a pas le caractère permanent de la gestion du système dunaire. Il s'agit surtout d'une gestion post-crise par rapport à des déstabilisations instantanées. Je crois que globalement, les milieux rocheux sont plus stables que les milieux dunaires, sauf événements qui les déstabilisent.
Oui, nous sommes présents outre-mer. L'ONF gère un peu moins de 11 millions d'hectares : 4,6 à 4,7 millions d'hectares en métropole et 6,2 à 6,3 millions en outre-mer, dont 6 en Guyane. La forêt guyanaise représente donc la plus grande part du terrain que nous gérons en outre-mer. Évidemment, elle n'est pas toute littorale, loin de là : il n'y a qu'un cordon littoral.
Notre intervention littorale outre-mer – souvent en partenariat avec le Conservatoire du littoral – est très souvent orientée vers les mangroves. Ce sont des milieux biologiquement exceptionnels en termes de biodiversité qui, en outre, jouent fonctionnellement un rôle très important dans la maîtrise du trait de côte – par un système de piégeage.
Vous m'avez enfin interrogé sur notre partenariat avec les élus.
En dehors des questions liées aux risques, nous avons un partenariat extrêmement dense et régulier avec les élus, tout simplement parce que nous sommes les gestionnaires de leur territoire forestier. L'ONF a le monopole de la gestion des terrains forestiers dits publics en France : forêts communales, départementales, forêts des collectivités en général. Dans ce cadre, celui de la gestion forestière, nous avons un partenariat quotidien avec des élus. Mais comme ce sont les propriétaires, ce sont eux qui décident. Nous ne sommes là que pour les conseiller, pour leur faire des plans de gestion. Cela suscite forcément une relation très étroite avec eux.
Quand il s'agit des risques, notre relation est un peu différente. Au départ, l'ONF n'a pas reçu de mission en ce domaine. Il n'en a qu'à travers son rôle de gestionnaire ou parce que l'État, qui est en charge de ces questions, lui demande d'intervenir dans sa discussion avec les élus, notamment au titre du conseil technique. Dans ce cadre, nous pouvons donc être amenés à faire part de notre connaissance, de nos savoirs, de nos observations.
Ainsi, la plupart du temps, notre relation avec les collectivités et avec les élus est une relation entre les gestionnaires que nous sommes, et les propriétaires fonciers des terrains forestiers et espaces naturels assimilés.
S'agissant de l'évolution des paysages, qu'elle soit due au changement climatique, ou tout simplement, à une évolution naturelle, observe-t-on le remplacement des pins par les chênes verts ?
Je ne sais pas s'il y a un lien de cause à effet, mais les pins sont beaucoup plus touchés par les chenilles processionnaires. Depuis quatre ou cinq ans, on n'a plus le droit de pulvériser du bacille de Thuringe par hélicoptère, et on utilise des méthodes plus douces – par le sol, par des piégeages, ou par l'installation de nichoirs à mésanges. D'où ma seconde question : est-ce que ce phénomène, qui est européen, met en danger la forêt ou les arbres qui sont fragilisés ?
L'impact du changement climatique sur la forêt française en général, notamment sur la forêt littorale, est un phénomène très complexe. Il fait l'objet de colloques qui durent des semaines, dont on ressort parfois sans avoir les idées plus claires… S'il est très complexe, c'est parce qu'il fait intervenir simultanément plusieurs facteurs, sur lesquels plane une grande incertitude.
Premièrement, que sera exactement le changement climatique du point de vue local ? On dispose d'un certain nombre de modèles qui donnent des idées de ce qu'il peut être, mais avec des variations. En moyenne, comment le climat va-t-il changer ?
Deuxièmement, quels seront les phénomènes extrêmes qui vont se produire, et à quelle fréquence ? La question est très importante pour un arbre, qui a une durée de vie très longue. Un événement exceptionnel par sa dureté qui se produit tous les siècles n'aura pas du tout le même impact qu'un événement qui se produit tous les dix ans. La réaction forestière sera très différente.
Les effets indirects des températures élevées ou basses sur l'état sanitaire des forêts sont un troisième élément. Les attaques parasitaires sur les forêts sont aujourd'hui relativement bénignes, mais elles pourraient être massives demain si les conditions climatiques devenaient plus favorables aux parasites et fragilisaient les arbres. Or, on ne traite pas une forêt, d'abord parce qu'on ignore comment le faire, mais aussi pour des raisons écologiques : face à une attaque sanitaire massive, l'unique façon de stopper la progression est d'intervenir de façon chirurgicale, en coupant les arbres dans les parties de la forêt touchées. Il nous est très difficile de prévoir comment les parasites évolueront en fonction des changements climatiques.
Enfin, ces différents facteurs se cumulent. Si la forêt peut parfaitement résister à un phénomène et s'en remettre, le couvert forestier deviendra beaucoup plus vulnérable s'il doit à la fois subir des sécheresses et une attaque parasitaire.
La substitution des espèces dépend beaucoup de ce cocktail de facteurs et de leur importance. Il est donc difficile de savoir si le chêne se substituera au pin. Ce que nous savons, c'est que les espèces rustiques sont moins sensibles à ces phénomènes. Dans la pratique, nous mélangeons le plus possible les espèces et les essences en espérant que certaines sortiront indemnes, ou peu touchées. Nous demeurons tout de même dans l'inconnu, d'autant plus que nous raisonnons à cent ou cent cinquante ans : les arbres que nous plantons aujourd'hui devront résister au climat que la France connaîtra dans plus d'un siècle.
Dans la basse vallée de l'Argens, nous rencontrons un phénomène récurrent : la fermeture de l'embouchure du fleuve. L'eau stagnante chauffe l'été ; lorsque ce bouillon de culture est déversé en bord de mer par les orages de la mi-août, la qualité des eaux marines n'est plus propice à la baignade, ce qui a une incidence grave sur le tourisme.
Lors de la grande crue de 2010, certains se sont demandé s'il ne convenait pas de procéder à nouveau au désensablement de l'embouchure et de transporter le sable là où le cordon dunaire se dégrade, notamment le long de l'ex-base aéronautique navale de Fréjus-Saint Raphaël. Mais des normes, ou des réglementations, interdisent semble-t-il le transport du sable. Pourriez-vous m'éclairer sur ce point ?
Toujours à l'occasion des inondations de 2010, on s'est rendu compte que les pare-feu, créés sur les hauteurs de la Dracénie après les incendies de 2003 et la disparition de plus de 50 000 hectares entre Vidauban et le littoral, ainsi que les oliveraies, plus nombreuses, avaient servi d'accélérateurs aux écoulements d'eau et de boue très dévastateurs.
Enfin, vous avez parlé des espèces menacées. Il se trouve que dans le massif des Maures, tout comme en Corse, ce sont les chênes-lièges qui souffrent. Pouvez-vous nous expliquer quel parasite les attaque ?
Comment qualifieriez-vous l'état de santé des littoraux ? Par ailleurs, diriez-vous que l'approche du littoral est davantage transversale, à l'image des missions qui vous sont confiées, alors qu'historiquement, les études du terrestre et du maritime étaient cloisonnées ?
Monsieur le député, l'ONF a pour mission de gérer le sable lorsqu'il est partie intégrante de notre territoire, mais je ne maîtrise pas la réglementation à laquelle vous faites allusion, et qui doit relever plutôt du transport de matériaux. Je regrette donc de ne pouvoir répondre à votre première question.
Les incendies entraînent des problématiques semblables à celles rencontrées en montagne. Lorsque le terrain est mis à nu, des phénomènes de ravinement torrentiel apparaissent avec, parfois, des chutes de blocs rocheux. La seule solution est d'obtenir, le plus vite possible, une végétalisation des territoires touchés par le feu, sachant qu'une couverture végétale ligneuse, même basse, suffit à fixer les sols. Il n'est nul besoin d'attendre que la forêt pousse pour réduire, dans un premier temps, le phénomène érosif. Fort heureusement, les forêts méditerranéennes sont assez adaptées au passage du feu, qu'il s'agisse des pins ou des chênes-lièges, lesquels sont protégés par leur écorce liégeuse et peuvent repartir si on les coupe à ras. On parvient donc à reconstituer rapidement un paysage forestier efficace contre l'érosion.
Le problème n'est pas tant le phénomène que sa fréquence de retour. S'il ne revient pas trop souvent, la nature dispose de systèmes de cicatrisation efficaces et si on l'aide, on peut obtenir de bons résultats. Mais lorsque les épisodes sont trop fréquents, la nature n'a pas le temps de cicatriser et chaque passage entraîne une dégradation plus forte encore.
Le chêne-liège témoigne de la difficulté de prévoir les effets du changement climatique. Nous assistons certainement aujourd'hui à un effet retard d'épisodes de sécheresse grave qui se sont cumulés il y a une quinzaine d'années. Ces phénomènes ont affaibli les peuplements et favorisé des attaques parasitaires secondaires. On constate un dépérissement, d'autant plus important que le peuplement forestier ne se situe pas sur un terrain riche où il pourrait se refaire une vigueur et résister.
Je ne sais si je peux qualifier l'état de santé général du littoral, mais l'ONF constate, et son analyse est partagée par le Conservatoire, que plus le fonctionnement naturel de l'écosystème sera conforté, plus il sera résistant. Cela vaut notamment pour le littoral dunaire, dont la résistance est proportionnelle à l'état de fonctionnement naturel.
Pour que ce fonctionnement écologique soit efficient, nous devons prendre en compte une multitude de facteurs et les intégrer au mieux dans notre gestion, ce qui nous amène à travailler de façon transversale.
Messieurs Bazin et Latarget, pourriez-vous nous en dire davantage sur votre partenariat avec les élus, votre perception de l'état de santé des littoraux français et la transversalité des programmes de recherche ?
De nombreuses actions sont menées en partenariat, comme la moitié de la couverture image BD ORTHO, qui est réalisée avec les régions, parfois avec les départements. Nous n'avons pas la capacité de nous démultiplier auprès des 36 000 communes, mais nous nous efforçons d'apporter notre appui à un certain nombre d'initiatives locales.
Nos trois interventions vous auront montré que nous ne travaillons pas seuls. L'appréhension d'un phénomène aussi complexe que le changement climatique et ses effets sur la zone littorale exige que nous mettions en commun nos technicités et nos compétences, aussi les échanges sont-ils multiples entre établissements publics. Les deux tutelles de l'IGN que sont les ministères dits « techniques » de la transition écologique et de l'agriculture, se parlent beaucoup et multiplient les collaborations.
Monsieur Michel-Kleisbauer, la réponse à votre question sur le désensablement de l'embouchure de l'Argens doit se trouver dans le code de l'environnement. Les cours d'eau sont protégés par diverses dispositions qui empêchent ce genre d'actions. En agissant au niveau préfectoral, il est peut-être possible d'obtenir une étude par la direction générale locale.
Si l'on ne peut prédire ce qui se passera dans cent ans, nous pouvons aider à voir ce qui est arrivé au cours des cinquante dernières années. Nous disposons d'une couverture en images de presque tout le territoire. Remontant aux années 1950, elle est d'un niveau de précision métrique tout à fait comparable à ce que nous réalisons aujourd'hui sur l'évolution du trait de côte. Notre fonds photographique est quasi entièrement dématérialisé et disponible gratuitement. Notre patrimoine cartographique remonte au milieu du XVIIe siècle. Sa précision est moins grande, mais suffisante pour savoir s'il y avait, par exemple, une forêt au même endroit. Je pense que l'on peut éclairer l'avenir en regardant le passé, notamment le passé récent, avec l'accélération du changement climatique.
Même si l'IGN gère l'inventaire forestier national, je suis bien moins compétent que mon voisin sur les questions de forêts. La forêt française croît en superficie, et pousse de plus en plus vite, principalement à cause de l'augmentation de l'ensoleillement et de l'élévation du taux de dioxyde de carbone. Mais lorsqu'il fait trop chaud trop longtemps, les arbres sont fragilisés et poussent beaucoup moins bien, comme dans la forêt méditerranéenne. Nous avons un regard sur l'ensemble de la filière bois, et pas uniquement sur la forêt domaniale.
Bien avant les premières lois de décentralisation, le législateur s'est montré visionnaire en créant, en 1975, le Conservatoire du littoral sur une base partenariale. L'établissement public est propriétaire, mais pas gestionnaire. Notre équipe, réduite, passe des conventions avec les collectivités locales – communes, départements, syndicats mixtes – et avec les établissements publics – comme l'ONF – pour la gestion des terrains.
On peut se féliciter de la présence de la propriété publique, et pas seulement du Conservatoire, sur de nombreuses parties du rivage. Comme l'a expliqué Albert Maillet, la propriété de l'État sur les dunes a préservé la région Aquitaine d'une urbanisation qui aurait pu être tout autre. Dans sa stratégie à long terme, le conservatoire a proposé un objectif, « le Tiers-naturel », que nous ne considérons pas insensé, dans la mesure où les propriétés du Conservatoire, les forêts publiques gérées par l'ONF, les réserves et les parcs nationaux représentent déjà entre 20 et 25 % du littoral.
Depuis cent cinquante ans que l'IGN trace des cartes précises de l'occupation des sols par l'homme, on constate une forte expansion de l'implantation humaine sur les littoraux. Les littoraux étaient quasiment inoccupés avant que le développement du tourisme n'entraîne une densification importante. Il suffit pour s'en convaincre de se rendre sur www.geoportail.gouv.fr : les cartes d'État-major du XIXe siècle montrent bien l'expansion de l'occupation humaine, ainsi que le caractère mobile du trait de côte.
De fait, le trait de côte a toujours été mobile, ce qui répond à la question sur notre adaptation aux changements climatiques. Lorsqu'on parle de gestion souple, il faudrait trouver un autre terme que celui de « trait » pour désigner la limite entre la terre et la mer, comme « interface » ou « bande ».
Sur le plan politique et administratif, la notion de gestion souple est compliquée, car la mobilité n'est pas inscrite dans nos lois et règlements : il est difficile de déplacer des espaces protégés. Même si la définition du domaine public maritime prend en compte une mobilité possible, il demeure difficile de penser la mobilité à travers notre arsenal juridique.
Il faut aussi changer les mentalités. Nous avons organisé un atelier sur le sujet à Montpellier en 2012, peu de temps après Xynthia, où nous évoquions déjà l'interface terre-mer, les solutions fondées sur la nature. Une élue a alors fait remarquer qu'il existait un problème psycho-social : les collectivités et les élus qui les représentent ont beaucoup de mal à imaginer qu'il faille bouger certains enjeux, accepter des allées et venues du trait de côte, chose d'autant plus difficile lorsque l'on est dans des terres basses ou des îles où la zone de retrait n'existe pas. Pour les populations et les élus, il est difficile de concevoir que le trait de côte puisse être mobile.
Si nous ne parvenons pas à changer nos représentations, nous allons au-devant de graves problèmes. La mer continue de monter ; nous disposons toutefois d'un peu de temps pour travailler sur la représentation fixe du trait de côte. Comme l'a expliqué M. Latarget, les faits démentent cette rigidité : en regardant le passé, nous voyons que le trait de côte a bougé, et nous comprenons ce qui nous attend.
Vos réflexions nous projettent dans les politiques à long terme. Si les événements climatiques imposent des mesures d'urgence, la phase de reconstruction implique d'anticiper les modifications du trait de côte pour construire autrement.
Quels enseignements tirez-vous de la situation à Saint-Martin ? On oublie souvent que l'île a déjà vécu des aléas semblables, puisqu'un ouragan a tout détruit sur son passage il y a vingt ans. Or, on a reconstruit dans les mêmes conditions. Quelles sont aujourd'hui les interactions entre l'IGN et le groupe de travail sur la reconstruction de Saint-Martin ? Vos données sont fondamentales, puisqu'elles permettent d'apprécier les dégâts de façon très précise. Aujourd'hui, elles sont essentiellement exploitées par les assurances pour chiffrer les préjudices. Pourraient-elles servir à conduire les politiques publiques en matière de reconstruction ?
Le Conservatoire du littoral est présent dans la bande des cinquante pas géométriques et dans un certain nombre d'espaces lagunaires rétro-littoraux. Nous avons constaté que la bande des cinquante pas géométriques qui n'avait pas été rétrocédée au Conservatoire a été assez massivement construite. C'est là que se trouvent les dégâts les plus importants, avec des installations rayées de la carte. Effectivement, celles-ci avaient été reconstruites récemment, après avoir été détruites par des ouragans précédents. On n'a donc pas tiré les leçons du passé.
La situation du foncier à Saint-Martin est très complexe et relativement inextricable, ce qui interdit à la collectivité de proposer des réaménagements fonciers et un urbanisme plus réfléchi. La facilité a conduit à construire sur la bande des cinquante pas géométriques, en face de la mer. Il faudrait « profiter » de la situation actuelle pour tenter de dénouer cette problématique foncière. Les terrains plus favorables à des installations touristiques ne sont pas disponibles, tandis que le laxisme dans la mise en oeuvre des réglementations de protection du littoral a permis que l'on bâtisse dans les zones à risque.
Celles-ci sont désormais connues, grâce aux cartes qui viennent d'être produites. Elles se trouvent en principe sur la bande des cinquante pas géométriques. Mais il y a peu d'espace dans cette île et si l'on ne parvient pas à dénouer la question foncière, la pression s'exercera à nouveau fortement sur le littoral.
L'essentiel des actions que nous menons avec les assurances vise plutôt à les aider à personnaliser la tarification des primes. Il est quelque peu prématuré de tirer des conclusions pour l'indemnisation, surtout lorsqu'elle est massive, comme dans le cas d'une catastrophe naturelle.
Il faut comprendre que s'il est assez facile, avec des images satellites à 70 cm, de voir si une toiture s'est envolée, il est moins évident de comprendre si les murs du bâtiment sont encore en place. De la même manière, nous avons du mal à mesurer les dégâts du couvert forestier, car il reste difficile de distinguer les arbres couchés de ceux qui demeurent debout, tant que la couleur de leur feuillage reste la même.
Nos données sont bien évidemment à la disposition du groupe de travail sur la reconstruction à Saint-Martin, mais nous n'avons pas été contactés et nous ignorons ce qu'ils en font aujourd'hui. Je pense que les responsables s'attachent pour le moment à une évaluation in situ et que les images les aideront ensuite à comparer la situation actuelle avec l'état antérieur.
Lorsqu'il s'est agi de reconstruire après le passage d'un ouragan antérieur, personne ne pensait que l'île aurait à subir à nouveau des vents d'une telle violence. Sans doute les normes n'étaient-elles pas adaptées – même les locaux de la préfecture, qui avaient certainement été reconstruits dans les règles, ont subi des dégâts importants.
Compte tenu de l'exiguïté du territoire et du nombre d'habitants qu'il faut y loger, la question reste insoluble. Il faut conduire un important travail sur la qualité des constructions, mais aussi sur les installations qui se trouvent dans la bande des cinquante pas géométriques et au-delà : avec des vagues de 15 ou 20 mètres, l'eau peut pénétrer assez loin dans les territoires. Enfin, pour protéger les populations, il faut envisager des constructions qui, sans être pour autant des bunkers, ne seraient pas enterrées pour ne pas être inondables mais seraient suffisamment solides pour résister à n'importe quel type de vent. Ce pourrait être le cas des bâtiments administratifs.
Monsieur Bazin, vous avez évoqué l'imprécision du trait de côte et le risque qu'une partie du domaine littoral soit grignotée par la mer à cause des grands phénomènes climatiques. Anticipez-vous ce risque ? Prévoyez-vous d'acquérir des terrains plus en profondeur que vous ne le faisiez autrefois ?
L'aménagement des côtes et son adaptation aux évolutions climatiques se font de façon un peu artisanale. Ces sujets mériteraient-ils d'être étudiés, dans le but, par exemple, d'accélérer la formation des dunes ?
Enfin, monsieur Maillet, l'un des objectifs de l'ONF est de faire en sorte que les forêts produisent du bois. Cela étant, certaines forêts littorales, si elles ne sont pas d'essence noble ni facilement exploitables, jouent un rôle majeur non seulement du point de vue paysager mais également du point de vue fonctionnel, beaucoup de forêts de pins ayant été plantées pour éviter que les terres ne soient envahies par le sable. Cette réalité est-elle prise en compte par l'Office ? Votre regard sur la forêt évolue-t-il en conséquence ?
En ce qui concerne les zones d'intervention du Conservatoire du littoral, nous avons demandé, il y a déjà près de quinze ans, à notre conseil scientifique quelles seraient les conséquences de l'élévation du niveau de la mer sur notre domaine. Nous avions alors établi qu'à l'horizon de 2100, l'érosion en toucherait à peine plus d'1 % et qu'elle serait concentrée sur certains sites susceptibles de disparaître mais que 20 % de notre domaine seraient soumis plus ou moins fréquemment à des épisodes de submersion marine. Nous ne considérons pas ces phénomènes comme des pertes mais comme des transformations. Notre conseil scientifique ayant considéré qu'il nous fallait être cohérents avec notre discours sur la gestion souple du trait de côte, il est prévu que le Conservatoire puisse acquérir des terrains dont on sait qu'ils seront érodés ou submersibles, dès lors que cela contribuera à une meilleure adaptation du littoral. Mieux vaut en effet que la puissance publique acquière des terrains naturels plutôt que de devoir les protéger plus tard et en faire déménager les occupants.
Menez-vous une politique proactive d'acquisitions foncières en vue d'empêcher l'urbanisation des espaces à risques ?
Oui, c'est même la fonction première du Conservatoire que de lutter contre l'urbanisation excessive du littoral – donc de créer des fenêtres de non-urbanisation sur la côte –, d'éviter son artificialisation excessive et de garantir au public la faculté d'accéder librement et gratuitement au rivage – ce qui n'était plus possible dans certains secteurs. Évidemment, nos missions, comme celles de l'ONF, ont évolué avec la demande sociale. Le Conservatoire a désormais inscrit dans ses zones d'intervention potentielle des secteurs à aléas pour y limiter l'implantation d'activités.
L'étape suivante consisterait, comme le disait M. le rapporteur, à mener une politique de préservation des rivages futurs, donc à investir plus en profondeur, là où on pense que le trait de côte va avancer. Nous l'envisageons mais ce n'est pas notre priorité car nous avons encore un peu de travail à faire sur le trait de côte actuel. C'est un objectif qui s'inscrira de plus en plus dans l'action du Conservatoire. Notre stratégie à long terme, qui est publiée sous forme cartographique, présente, à l'horizon 2050, les secteurs devant donner lieu à intervention prioritaire ou faire l'objet de notre vigilance. Ces cartes ayant été discutées avec les acteurs locaux, elles font à peu près consensus de sorte que l'action du Conservatoire dans les secteurs identifiés y est considérée comme légitime. Nous commençons à identifier sur ces cartes des secteurs en rétro-littoral, mais la question ne fait qu'émerger. Cette stratégie à l'horizon 2050 est révisée tous les dix ans. Comme nous avons commencé à évoquer cette question lors de la dernière révision en 2015, je ne doute pas qu'en 2025, la demande sociale vis-à-vis du Conservatoire ira plus loin en faveur de l'identification des rivages futurs et d'une intervention foncière ciblée pour y maintenir les mêmes équilibres que sur les rivages actuels. Cela dit, je raisonne à moyens constants.
S'agissant de la manière dont le système forestier évolue en fonction des changements climatiques attendus ou anticipés, j'insisterai sur deux points – en me concentrant sur la forêt domaniale puisque la forêt des collectivités locales ne relève pas de l'ONF. Je le disais tout à l'heure, c'est l'État qui est propriétaire de la forêt domaniale. Nous n'en sommes que les gestionnaires mais des gestionnaires un peu particuliers puisque l'État nous en cède en quelque sorte l'usufruit – même si ce n'est pas le terme exact : nous assurons toutes les dépenses de gestion et encaissons toutes les recettes du domaine.
En tant que directeur de l'ONF, je gère 1 300 forêts domaniales en France. Elles sont évidemment identifiées une par une mais je les gère en fait comme si elles étaient une seule forêt. C'est l'avantage d'avoir un établissement public national : on peut faire de la péréquation entre les forêts qui rapportent, au titre de la vente de bois comme de la chasse, et celles dont le bilan économique est moindre mais dont l'intérêt est important sur le plan touristique ou de la gestion des risques.
D'autre part, sur le plan économique, on assiste à une évolution assez rapide de la filière bois. Il n'y a plus une, mais des filières. La filière bois énergie n'est pas la filière bois d'oeuvre ni la filière bois industrie. Autrefois, vous aviez un acheteur qui faisait son affaire du bois que vous lui vendiez. Aujourd'hui, les filières ont leur logique économique propre. Elles n'ont ni le même rythme de développement ni les mêmes périodes de croissance et de creux. Par exemple, la filière bois énergie dépend très fortement des prix du pétrole et du gaz ; la filière bois d'oeuvre, pas du tout. Nous essayons donc de trouver la meilleure façon de valoriser une essence donnée dans une filière donnée et de mettre le plus de valeur ajoutée possible dans notre manière d'appréhender le bois. Il y a quelques dizaines d'années, nous vendions l'arbre en entier à un acheteur. Aujourd'hui, nous faisons du bois façonné. Nous faisons abattre l'arbre nous-mêmes et y identifions différentes parties – le tronc, les branches etc. – que nous injectons dans différents circuits de valorisation. La manière dont les forêts seront valorisées demain dépend donc non seulement de leurs caractéristiques, mais aussi de la stratégie des filières aval et des stratégies d'innovation. Il y a énormément de bois qu'on jugeait impropre à la construction il y a quelques années et qui, aujourd'hui, grâce à de nouvelles technologies de rectification, peut être retravaillé et rendu utilisable par le transformateur. Les matières forestière et industrielle ne relèvent pas des mêmes échelles temporelles. Colbert avait planté des chênes pour fabriquer des mâts pour les voiliers de guerre de Louis XIV ; on en fait aujourd'hui des barriques qui servent à certains grands noms d'alcool français pour exporter cette industrie du luxe aux quatre coins du monde – et c'est le même arbre. (Sourires)
L'audition s'achève à seize heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Réunion du lundi 5 février 2018 à 15 heures
Présents. - M. Christophe Euzet, M. Yannick Haury, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Maina Sage
Excusé. - M. Bertrand Bouyx