La séance est ouverte à dix-sept heures dix.
Nous sommes ravis d'accueillir M. Jean-Pierre Hauet, président du comité scientifique, économique, environnemental et sociétal de l'association Équilibre des énergies. Il est accompagné de M. Sébastien Joly et de M. Olivier Lagrange, chargés de mission.
Cette audition est enregistrée et fait l'objet d'un compte rendu.
Je laisse notre rapporteur introduire cette séance.
Cette mission d'information a pour objectif d'identifier les freins à la transition énergétique et les moyens de les lever pour accélérer cette transition. Nous nous sommes fixé une méthode de travail. Dans un premier temps, nous voulons mieux comprendre ce qu'est la transition énergétique, ce que sont les objectifs et les enjeux, qui sont les acteurs. Il s'agit d'une sorte d'écosystème de grande ampleur.
Dans cet esprit, nous essayons de comprendre comment se fait la production d'énergie, filière par filière, quelles sont les nouvelles formes de consommation, dans les transports et la construction, et aussi comment on économise cette énergie. Nous cherchons, dans chaque cas, à identifier les freins, fiscaux, législatifs, réglementaires, mais aussi sociétaux, technologiques et financiers.
C'est dans ce cadre que nous avons souhaité vous entendre.
Je vous remercie de nous accueillir. Notre association, créée en 2011, a cette originalité de rassembler des participants très divers, de grands acteurs du monde de l'énergie – EDF, RTE, Enedis – mais aussi de la construction, comme Vinci et Bouygues, de la mobilité – Renault-Nissan et Volkswagen – ainsi que des représentants d'organisations professionnelles, du Fonds social de l'habitat (FSH) et d'associations de consommateurs, comme Familles de France et autres. Ce cercle, assez diversifié, s'est donné pour objectif de proposer et de promouvoir des actions allant dans le sens d'une société décarbonée. Nous nous intéressons en général à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), mais travaillons en ce moment sur deux grands domaines, les bâtiments, neufs et existants, et la mobilité propre pour les véhicules légers.
S'agissant de notre vision de la transition énergétique, nous sommes satisfaits des trois grands objectifs fixés par la loi du 17 août 2015, soit la réduction des émissions de gaz à effet de serre ; la réduction des consommations d'énergie finale ; le développement des énergies renouvelables. Le premier objectif est, à nos yeux, une priorité absolue pour parvenir à une économie décarbonée. Les deux autres objectifs sont des moyens d'y parvenir. En particulier, la notion d'économie d'énergie, née lors de la crise de 1973-1974 est, aujourd'hui, beaucoup plus difficile à appréhender. L'énergie économisée n'a pas la même valeur selon la période à laquelle elle est économisée ou a été produite, et économiser une énergie carbonée est évidemment plus efficace.
Si la transition énergétique doit promouvoir les énergies décarbonées quelle que soit leur forme, électricité, à partir de l'hydrogène à condition qu'elle soit décarbonée, bois, géothermie, etc se pose le problème de la façon de la comptabiliser. La question n'a pas évolué depuis de très nombreuses années. Or, il serait important de revoir certains usages qui ne sont pas bénéfiques pour la transition énergétique. Surtout, le système de conversion de l'électricité en énergie primaire par l'utilisation – depuis 1972 – d'un coefficient de 2,58 par kilowattheure pénalise tous les usages de l'électricité, y compris les plus performants. Par exemple, une pompe à chaleur peut être très efficace, dans les statistiques ce n'est pas son coefficient réel qu'on utilisera mais celui de 2,58. Or l'électricité est sans doute, à l'heure actuelle, le vecteur le plus important pour passer à l'énergie décarbonée. Pénaliser son développement pose problème. Nous espérons donc une évolution, en particulier il faudrait que dans toutes les réglementations on passe du coefficient de 2,58 a minima au coefficient de 2,1, préconisé par la Commission européenne dans la directive sur l'efficacité énergétique en cours de publication.
Cela dit, on sait que la stratégie bas carbone n'est pas respectée, et même que les écarts tendent à s'accentuer. Les résultats concernant les émissions de CO2 fin 2017 n'étaient pas bons, et sans avoir le détail, je pense que cela vaut pour le bâtiment comme pour les transports. Les moyens réglementaires et fiscaux dont on dispose sont-ils appropriés pour essayer de rattraper cet écart ? Probablement pas, au vu de la tendance. De notre point de vue, il est donc urgent d'agir dans deux directions complémentaires : l'efficacité énergétique afin de réduire les consommations d'énergie finale ; la migration massive vers les énergies décarbonées.
Notre association, qui s'occupe à la fois du bâtiment et des véhicules, constate que la situation est paradoxale. S'agissant des transports, la réglementation, qui traduit la réglementation européenne, est extrêmement stricte en ce qui concerne les émissions de CO2, mesurées en grammes par kilomètre. Les 115 grammes ont été atteints en 2015, on devrait passer à 90 grammes en 2020, ce qui sera beaucoup plus difficile pour les constructeurs, et on devrait obtenir des économies de 15 % en 2025 et de 30 % en 2030. C'est une incitation essentielle qui pousse les constructeurs à développer les véhicules électriques ou hybrides rechargeables, avec des pénalités très élevées à la clé. En revanche, pour le bâtiment, la réglementation date d'il y a quinze ans, quand les émissions de CO2 n'avaient pas la même importance. On en reste là à la notion d'énergie primaire qui est purement statistique, quand ce qui compte c'est ce que paye le consommateur et les émissions de CO2. Nous plaidons donc pour que l'on revoie en profondeur toute cette réglementation dans le sens voulu par la loi de transition énergétique, c'est-à-dire la prise en compte de la consommation finale et des émissions de CO2.
Il faut donc agir sur le bâtiment. S'agissant du neuf, la construction est régie par la réglementation thermique dite RT 2012, qui présente certains avantages, mais n'a permis aucun progrès sur la réduction des émissions de CO2 puisqu'elle ne tient pratiquement pas compte de leur bilan. Notre association a donc présenté des propositions écrites de modifications. Il s'agit non seulement d'ajuster le coefficient de 2,58, mais de tenir compte de la numérisation qui permet une gestion active de l'énergie, la programmation, la détection d'une présence dans les lieux ou d'une fenêtre ouverte etc. Ces techniques ne sont pas encore incluses dans la réglementation, alors qu'on peut en attendre des économies de 15 % à 30 %.
Une nouvelle réglementation, la RT 2020, est en cours d'expérimentation. Elle reprend largement le contenu de la RT 2012 et ce que j'ai dit à ce propos est donc valable également. Mais la RT 2020 introduit les émissions de carbone, quoique de façon peu claire. Un bâtiment produit des émissions de carbone à la construction, puis ensuite pendant l'exploitation, qui peut durer entre cinquante et cent ans. Il faut, comme dans l'industrie, distinguer « Capex » et « Opex » – capital expenditure et operational expenditure –, c'est-à-dire disposer d'un bilan lors de l'investissement initial puis d'un bilan d'exploitation. Or, ce critère carbone est un cocktail qui mélange les deux. Nous plaidons pour qu'on les différencie clairement et qu'on fixe des niveaux de performance qui évoluent avec le temps, et qui soient incitatifs.
S'agissant ensuite des bâtiments existants, le problème est énorme. La rénovation des patrimoines immobiliers est un des premiers problèmes qui se pose à la Nation. En raison du coefficient de conversion en énergie primaire dont je parlais, on privilégie, pour améliorer la performance énergétique, le gaz par rapport à l'électricité : c'est une économie dans les statistiques, pas une économie réelle. Nous proposons deux mesures concrètes. En premier lieu, trois millions de foyers sont encore équipés de chaudières à fuel – à mazout disait-on autrefois – qui consomment dix millions de tonnes et émettent du CO2 à proportion. On pourrait remplacer les trois quarts de cette consommation grâce à des pompes à chaleur hybrides, qui n'ont pas d'impact sur la pointe électrique. Nous allons essayer de promouvoir dans les prochains mois ce grand programme, qui suppose un encadrement réglementaire et incitatif. En second lieu nous avons hérité du chauffage électrique qui fut très utilisé dans les années 1990 pour chauffer à peu de frais des logements de médiocre qualité. Aujourd'hui un million et demi de foyers se chauffent ainsi – ou ne se chauffent pas assez, d'ailleurs, car cela revient cher et que les logements sont mal isolés. Il faudrait d'une part procéder à une isolation minimale et remplacer les vieux convecteurs – les « grille-pains » – par des radiateurs à performance énergétique avec une régulation moderne, une programmation, un pilotage à distance. Selon nos études, dans les logements munis de ces équipements modernes, la température moyenne est de 17 degrés. Cela montre que si l'on donne aux gens la possibilité de régler leur chauffage de manière conviviale, ils le font, et l'on gagne au moins deux degrés.
J'en viens aux transports. À l'évidence, la voiture électrique est la solution pour aller dans le sens d'une économie moins carbonée et d'une pollution moindre. Mais son rythme de développement ne permet pas d'atteindre les objectifs que l'on affiche. Ce rythme est relativement modeste parce que le choix de véhicules offerts est insuffisant, ce qui relève de la responsabilité des constructeurs. Mais nous pensons aussi qu'il faut donner au véhicule électrique plus de commodité d'usage et un rayon d'action. Nous ne parlons pas d'autonomie et de capacité de batterie. Donner du rayon d'action, c'est permettre aux gens, quand ils en ont besoin ou envie, d'aller plus loin que leurs trajets quotidiens. Cela pose le problème des infrastructures de recharge. Nous militons pour qu'elles fassent l'objet d'un grand programme. Il existe entre 25 000 et 28 000 points de recharge publics. Nous considérons que, d'ici 2022, il en faudrait 200 000 – dans un nombre moindre de stations bien sûr – en interopérabilité avec le smartphone. Ici se pose l'éternel problème de la poule et de l'oeuf : ces infrastructures ne sont pas rentables sans utilisateurs, et ceux-ci attendent les infrastructures. Elles deviendront rentables à terme, mais en attendant l'investissement atteint quand même 2 milliards d'euros. Nous plaidons pour un schéma directeur de la mobilité électrique et des infrastructures de recharge. Dans le privé, il y a aussi de très importants obstacles à l'installation des bornes. En particulier dans les copropriétés, le droit à la prise, qui existe, est très difficile à exercer. Entre 90 % et 95 % des ventes de voitures électriques aux particuliers concernent des gens qui ont des maisons individuelles et un certain niveau de vie. Il faut aussi encourager l'insertion du véhicule électrique dans le bâtiment, développer les synergies entre les toits photovoltaïques, qui vont se développer et le rechargement des véhicules électriques. Pour cela, il faut des démonstrations et une tarification appropriée en fonction de la puissance appelée. Je n'ai pas le temps de m'appesantir, mais alors qu'on ne parle que de kilowattheures, il faudrait davantage parler de kilowatts.
Je vous remercie pour cet exposé synthétique et efficace. Pourriez-vous expliquer plus en détail ce qui relève du coefficient de conversion en énergie primaire, et ces chiffres de 2,58 et de 2,1 ?
Lorsqu'on a commencé à faire des bilans énergétiques dans les années 1970, on utilisait le gaz, le pétrole, le charbon, énergies assez comparables, au point qu'on les exprimait en tonnes équivalent charbon. L'électricité s'est développée et on s'est demandé comment l'agréger aux autres. À cette époque, 70 % de l'électricité était produite par le charbon. On a pris comme critère le rendement, à savoir que pour produire un kilowattheure d'électricité, il faut autant de tonnes de charbon. En 1972, on a considéré que le rendement moyen des centrales thermiques en France – le fuel était arrivé, mais il n'y avait pas de nucléaire – était de 38,7 %. On a décidé de comptabiliser un kilowattheure électrique en le divisant par ce rendement, ce qui donne le coefficient de conversion de 2,58. Puis est arrivé le nucléaire et on s'est demandé comment comptabiliser cette énergie – je peux le raconter car j'étais alors rapporteur général de la commission de l'énergie au Commissariat général du Plan. Le cabinet du ministre s'en occupait aussi, avec pour objectif d'atteindre une autonomie énergétique de 50 % en 1980. Le moyen d'y arriver était de gonfler la part du nucléaire dans le bilan énergétique, et cela, grâce au fameux coefficient de 2,58 en traitant les centrales nucléaires comme des centrales thermiques classiques. Puis, quand il a fallu passer à l'internationalisation des bilans énergétiques, on s'est aperçu qu'on ne pouvait pas traiter toutes les sources de la même façon. Tout ne pouvait être aligné sur le thermique. Alors, on a remis les centrales hydrauliques à 1 au lieu de 2,58, mais pour le nucléaire a quand même gardé ce coefficient. On a fonctionné ainsi pendant des années avant de décider que l'important, ce n'était plus le nucléaire, mais les économies d'énergie. Sous cet angle, le nucléaire était un facteur de pertes dans le bilan énergétique, ceux qui étaient hostiles au nucléaire ont milité pour qu'on conserve ce taux de conversion de 2,58. Cela n'a plus guère d'importance dans la mesure où la production à partir du nucléaire est figée à 63,4 gigawatts et qu'on n'a pas l'intention de la modifier actuellement. Donc, pour toutes les énergies nouvelles, qui sont des énergies renouvelables, le kilowattheure produit est affecté dans le bilan national du coefficient 1. Pourquoi utiliser ce coefficient 1 dans le bilan national, mais un coefficient de 2,58 dans l'utilisation ? Il faut évidemment revoir cette question.
Je n'ai pas connaissance des derniers travaux sur la PPE, mais j'ai cru comprendre que, pour parvenir à une société décarbonée en 2050, il faut développer les usages de l'électricité. On n'y arrivera pas si l'on ne revient pas sur ce coefficient de 2,58, qui était un outil statistique que, progressivement, on a utilisé comme une arme réglementaire.
Je comprends le sens général de votre propos.
Élu en milieu rural, je vois bien qu'on rénove des bâtiments publics, mais pour une rénovation correspondant au label « bâtiment basse consommation » (BBC), il y a encore un travail de conviction à mener. On construit même des logements neufs qui ne sont pas à la pointe pour l'isolation et les économies d'énergie. Vous avez décrit les mesures contraignantes pour les véhicules. Quel serait l'ensemble de mesures propres à adopter de même pour la construction et la rénovation ? Le compteur Linky, par exemple, est-il un bon outil ? Peut-on, selon vous, remplir l'objectif de 500 000 logements rénovés que fixe la loi de transition énergétique ?
Je reviens d'abord sur le logement neuf. S'agissant de l'isolation et de la qualité du bâti, la réglementation actuelle est satisfaisante et va même au-delà de ce qu'on peut justifier sur le plan économique. Aller au-delà, dans le neuf, serait du gaspillage de ressources.
En revanche, à nos yeux, ce qui favorise l'économie décarbonée, soit l'électricité et les pompes à chaleur, n'est pas suffisamment encouragé en raison du coefficient de 2,58. On ne donne pas non plus assez d'incitation à l'utilisation des technologies actives, comme le pilotage et la programmation. Le compteur Linky doit permettre de consommer de préférence quand cela pose moins de problèmes à la collectivité. Encore faut-il que la tarification évolue dans ce sens. Or cela se fait timidement. Certains fournisseurs ont proposé des tarifs de week-end, mais c'est peu de chose.
Pour le bâti existant, le problème est bien plus considérable, car il s'agit avant tout d'investissement. Pour parvenir aux objectifs de la transition énergétique, les efforts devraient porter, à égalité, sur deux domaines ; le premier est l'amélioration du bâti lui-même par l'isolation, le double vitrage – avec le problème de financement ; le second est, comme dans le neuf, d'encourager les systèmes de production d'énergie décarbonée et les systèmes actifs de gestion avec, de nouveau, le compteur Linky.
On sait combien il est difficile de faire voter des travaux dans une assemblée de copropriétaires. En Suède par exemple, toutes les copropriétés ont des fonds de travaux bien supérieurs à ce qui existe en France, et elles ne rechignent pas à les utiliser. Mais l'amélioration du bâti ne se justifie pas seulement par les économies d'énergie. Il faut aussi faire valoir le meilleur confort, et la plus-value patrimoniale, pour faire passer ces mesures.
Je partage tout à fait ce que vous venez de dire. En Haute-Savoie, il n'y a aucune difficulté à vendre ou revendre les appartements. Donc la rénovation, et notamment l'obtention d'un diagnostic de performance énergétique (DPE) qui soit correct, n'apporte pas grand-chose. Il faudrait trouver comment valoriser ces améliorations sur le marché.
Vous soulevez un problème sur lequel nous travaillons aussi, qui est la réforme du DPE. Il faut qu'il soit plus fiable, et même opposable, comme le plan « Bâtiments durables » le propose, ce qui accroîtrait la plus-value du bien à la revente. Les idées ne sont pas nombreuses, et il faut faire attention à ne pas se lancer dans des DPE trop ambitieux : qui va payer pour les faire ?
C'est une belle construction, qui a créé un mouvement, notamment chez les professionnels. Les artisans et installateurs qui appartiennent à notre association trouvent que ce n'est pas mal et permet de mieux convaincre le client. Mais à y voir de près, la mécanique est très lourde et sa philosophie est un peu bizarre : elle se fonde uniquement sur la réduction des consommations. Mais de réduction en réduction, jusqu'où va-t-on ? Vous connaissez l'image d'Alphonse Allais : en enlevant une cuillère d'eau chaque jour de l'aquarium, le poisson s'habituerait sans doute. Mais finalement le poisson ne s'est pas habitué…
Donc, c'est une lourde mécanique avec un impact très faible. Sans avoir d'idée arrêtée, nous pensons qu'il faut retravailler ce sujet. À l'origine, il y a la directive européenne sur la qualité de l'énergie, qui suggérait comme action soit des certificats soit une taxe. On a créé les certificats, puis la contribution énergie-climat. Actuellement, seule la France et l'Espagne ont recours aux certificats et seule la France a les deux, certificat et taxe. C'est peut-être beaucoup.
En effet, il y a pléthore de dispositifs en faveur de la rénovation ou des économies d'énergie, sans qu'ils soient toujours bien lisibles. Quels leviers, plus forts, préconiseriez-vous pour mieux favoriser la rénovation énergétique ?
S'agissant des particuliers, je crois que le crédit d'impôt pour la transition énergétique est une mesure bien visible. Faut-il le transformer en prime, je ne sais pas. On peut aussi discuter de son assiette. En tout cas, il vaut la peine de le conserver, en l'orientant vers les bonnes actions. Il y a aussi toute la réglementation dont j'ai parlé, et qu'il faut toiletter pour l'orienter vers la priorité actuelle, qui est la réduction des émissions de CO2. Au-delà de cela, pour les bâtiments publics, et plus généralement le tertiaire, se pose la question du financement des gros travaux. Je n'ai pas de solution à offrir et cela dépasse un peu les compétences de notre association. Dans le logement social, on a fait des choses remarquables car les offices sont les gestionnaires uniques et capables de prendre des décisions. Ce n'est pas le cas pour les copropriétés. Il faut chercher comment obtenir un consensus sur une action dont la rentabilité est à long terme. Je n'ai pas de solution miracle, j'en conviens.
En couverture du n° 4 de votre magazine EdEnmag figure une maison en bois. Est-ce une voie à encourager ?
Il faut en effet encourager les usages du bois – pas seulement pour la construction – car c'est l'un des moyens d'aller vers une société décarbonée. C'est d'ailleurs le cas aujourd'hui. Simplement, il ne faut pas en attendre trop. Souvent les gens s'arrêtent sur une seule solution et ne voient que par elle. Le bois a ses avantages, mais la ressource est limitée. Cela fait bien longtemps qu'on dit qu'il faut encourager la forêt française, mais la contribution du bois au bilan énergétique est passée de 10 à 12 millions de tonnes équivalent pétrole en dix ans. Attention aussi aux emplois multiples : avec cette ressource limitée il ne faut pas croire qu'on va faire du bois d'oeuvre, de construction, du bois de chauffage ou de la pyrolyse pour produire du gaz de synthèse.
Vous avez indiqué que, soumis à de fortes contraintes, les constructeurs se tournent tous vers l'énergie électrique qui est fortement décarbonée. Avant cette audition, nous avions un débat et j'ai eu le sentiment que nous passions à côté d'une solution possible, l'hybride avec le E85, un biocarburant qui utilise très peu de pétrole. Vous êtes-vous penché sur le sujet ?
C'est une vraie question, qui porte sur l'hybride rechargeable en général, l'E85 étant certainement alors un meilleur choix. Même chez les constructeurs cela fait débat, car l'hybridation a quand même des inconvénients. C'est plus compliqué, car il faut deux motorisations, cela prend de la place et on renonce aux gains de maintenance. De toute façon, le carburant hybride ne tombera jamais au zéro carbone, même en utilisant de l'E85, en raison des limitations en ressources. Nous menons une grosse étude à ce sujet et nous pensons que l'hybridation est plutôt une solution transitoire jusqu'à ce que, dans une dizaine d'années, le véhicule électrique, moins couteux et plus simple, l'emporte. À en croire les dernières déclarations de Renault, les constructeurs automobiles s'orientent vers la même conclusion.
À votre avis, quels sont les freins au développement du photovoltaïque, pour les industriels. Les artisans sont-ils bien formés ? Qu'en est-il des leviers fiscaux ?
Le photovoltaïque a connu un développement remarquable, même en France. S'agissant des maisons individuelles, je crois que les toitures photovoltaïques vont se banaliser, même si tous ne partagent pas ce sentiment dans notre association.
L'industrie française de production de panneaux photovoltaïques est réduite à sa plus simple expression – si même elle existe encore. Il nous reste les équipements de conversion électrique, pour lesquels Schneider semble bien placé, et l'installation. Mais pour la fabrication des panneaux, la partie est perdue depuis une quinzaine d'années. J'ai dirigé il y a bien longtemps Photowatt, une filiale de la Compagnie générale d'électricité (CGE). Au centre de recherche d'Alcatel, nous faisons beaucoup de recherches sur le photovoltaïque ; cela n'a pas pris car les Français n'ont pas la culture de la grande série – il en est de même pour les écrans plats. Le génie français est plutôt de faire des choses complexes, des TGV, des Airbus. La production à des millions d'exemplaires bon marché, cela ne figure pas dans nos gènes. Au risque de vous décevoir, on aura du mal à remonter la pente.
En revanche, s'agissant de l'utilisation, ma conviction personnelle est que les panneaux photovoltaïques vont se banaliser à l'horizon 2025-2030 dans la construction. Le photovoltaïque produit de l'énergie quand le soleil brille – pardonnez cette lapalissade. Les étés seront de plus en plus chauds. On ne vous voue pas aux gémonies parce que vous avez l'air conditionné dans votre voiture ; dans les bureaux, il faut l'air conditionné pour le confort du personnel, sinon gare à la productivité. Mais le refroidissement dans les logements, c'est encore un luxe, un péché. Pourtant, y travailler valorise les panneaux photovoltaïques. Par ailleurs, les véhicules électriques sont souvent au garage, et près d'endroits où il y a des panneaux photovoltaïques. Leur couplage est tout à fait imaginable, et on passerait mieux le pic électrique du soir si l'on relâchait l'électricité stockée dans les véhicules. Il y a donc là des évolutions à poursuivre dans la construction, en fonction aussi de la réglementation – je ne reviens pas sur le coefficient de 2,58. La grande série se répand, les artisans commencent à s'habituer. On peut être relativement optimistes.
Pour les grandes surfaces de toitures, le photovoltaïque est bien pour les centres commerciaux, qui ont des besoins de conditionnement toute la journée. La réglementation doit l'encourager. En revanche, les centrales photovoltaïques, dont il existe quelques exemplaires en France, doivent rester dans le domaine concurrentiel et les appels d'offres tels qu'ils fonctionnent aujourd'hui nous paraissent satisfaisants.
Pour la maison individuelle, c'est la démonstration, la réglementation, le rôle que peut jouer l'ADEME pour banaliser des idées qui finiront par s'imposer.
Plus que cela, c'est de l'ordre de l'expérimentation et un peu de la réglementation. À l'heure actuelle, pour ce qui concerne la construction, cette réglementation n'est pas de nature à favoriser le recours au photovoltaïque.
La séance s'achève à dix-sept heures cinquante-cinq.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 11 octobre 2018 à 17 h 00
Présents. - Mme Anne-France Brunet, M. Michel Castellani, Mme Jennifer De Temmerman, M. Julien Dive, M. Bruno Duvergé, Mme Véronique Riotton, Mme Nathalie Sarles
Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Guy Bricout, M. Stéphane Buchou, M. Jean-Luc Fugit, M. Christophe Jerretie, M. Adrien Morenas