Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 13 novembre 2018 à 17h00

Résumé de la réunion

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  • OCDE
  • États-unis

La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur « la gouvernance de la mondialisation mise à l'épreuve ».

La séance est ouverte à dix-sept heures.

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Je suis très heureuse de recevoir le secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), José Angel Gurría. Monsieur le secrétaire général, vous avez été nommé en 2006, après avoir occupé les fonctions de ministre des affaires étrangères puis de ministre des Finances et du budget dans votre pays, le Mexique. Vous effectuez aujourd'hui votre troisième mandat quinquennal à la tête de l'OCDE.

La situation actuelle du monde nous a amenés à centrer cette réunion sur la gouvernance de la mondialisation et sur sa mise à l'épreuve. C'est un thème d'actualité qui a été au centre des commémorations de la fin de la Première Guerre mondiale et du Forum pour la paix, que le Président de la République française a souhaité organiser, où vous êtes d'ailleurs intervenu sur la question de l'accroissement des inégalités.

Une délégation de la commission des affaires étrangères était la semaine dernière à New York. Nous avons assisté à un débat très intéressant du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU) consacré au multilatéralisme. À l'évidence, il n'existait pas de consensus parmi les présents sur ce qu'il importe de faire ensemble et sur les moyens pour parvenir à un ordre mondial stable et équitable. Nous savons pourtant à quel point c'est essentiel.

Vous avez un jour, dans l'un de vos discours, défini la mission de l'OCDE de la façon suivante : « formuler des propositions d'action fondées sur des observations factuelles et élaborer des normes et lignes directrices internationales en vue d'améliorer le fonctionnement de l'économie mondiale ».

À l'ère des crises économiques, sociales et écologiques, du défi migratoire, des menaces liées au terrorisme et à la cybercriminalité, de la montée des unilatéralismes, vous nous direz si cet objectif est toujours le vôtre ; s'il convient d'être optimiste – raisonnablement – et quelles actions mène l'OCDE pour mettre, comme vous aimez à le répéter, la mondialisation au service de tous. Vous nous expliquerez également quels sont les principaux obstacles, nouveaux ou pas, que vous devez surmonter. Vous nous direz enfin, car nous sommes attentifs à tirer des conséquences de chacune de nos auditions, comment, nous parlementaires, nous pourrions éventuellement vous aider dans votre mission.

Créée en 1961, l'OCDE est longtemps apparue comme un club des démocraties occidentales développées. Elle a su depuis lors, c'est heureux, s'ouvrir à des pays émergents avancés, dont certains ont rejoint les rangs des pays riches, comme le Mexique, la Corée du Sud, la Turquie et le Chili. Cependant, avec 36 membres, l'OCDE ne représente toujours qu'une partie de la communauté internationale et la majorité des nouvelles puissances montantes n'en sont pas membres. Nous aimerions aussi connaître votre appréciation sur ces puissances montantes, et savoir s'il est possible de les considérer – je pense particulièrement à la Chine – comme des alliés objectifs ou non, du multilatéralisme.

Enfin, parmi tous les sujets que l'OCDE est amenée à traiter, quelques-uns font l'objet de travaux réguliers au sein de notre commission. Je pense notamment à la lutte contre l'évasion et la fraude fiscale, le contenu et l'évaluation de l'aide publique au développement ou encore la prise en compte des normes environnementales dans l'action publique et le commerce international. Nous serions heureux de vous entendre sur ces points.

Monsieur le secrétaire général, comme vous le voyez, les thèmes de discussion ne manquent pas. Après votre propos introductif, vous pourrez engager le dialogue avec les commissaires.

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Je vous remercie de m'avoir invité. Je suis déjà venu parler devant vous – ou plutôt certains d'entre vous, la démocratie étant… dynamique. (Sourires.) À l'OCDE, nous avons toujours considéré que travailler avec les parlementaires était essentiel pour établir la connexion entre les initiatives de coopération internationale et la vie quotidienne des citoyens.

Deux fois par an, le réseau parlementaire mondial de l'OCDE, espace d'échanges pour des parlementaires du monde entier, se retrouve à notre siège à Paris. Une fois par an nous nous retrouvons dans un autre pays. Puisque, de façon symbolique, le Parlement français est le « parlement hôte de l'OCDE », nous avons toujours collaboré de façon étroite avec lui. Hier encore, nous rencontrions le Président du Sénat.

À quelle épreuve est donc confrontée la gouvernance de la mondialisation ? En premier lieu, chacun a à l'esprit les fortes tensions que subit le commerce mondial. Tensions entre les États-Unis, la Chine et l'Europe, remise en cause de l'ALENA suivie de la renégociation d'un accord entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, remise en question, par certains, de l'efficacité de l'OMC, Brexit, cette discorde commerciale révèle que nous sommes à un moment critique de la gouvernance économique mondiale.

L'OCDE a d'ailleurs revu à la baisse ses prévisions de croissance mondiale. Nous établissons des prévisions formelles en novembre, mais aussi des prévisions informelles en mars et septembre. Il y a quatre ou cinq mois, notre prévision pour 2019 était de 4 %. Dès septembre, nous avons ramené la prévision à 3,7 % pour 2018 et 2019. Dans quelques jours, nous publierons notre prévision pour l'année. Nous allons aussi donner notre prévision pour 2020, et cette tendance se poursuivra, alors qu'auparavant on pensait que le décollage observé allait durer un peu plus longtemps.

La croissance du commerce mondial est, d'ordinaire, du double de celle de l'économie. Avec une croissance économique de 3,7 %, celle du commerce devrait être de 7 % à 8 %. Fin 2017, elle était de 5 %, ce qui était satisfaisant après des années de stagnation ou de très faible croissance. Dans la première moitié de 2018, cette vitesse de croissance est passée à 3 %. Bref, les échanges commerciaux ne jouent pas le rôle de locomotive qu'on attendrait. Le phénomène est plus général : on investit pour produire afin de vendre. L'incertitude commerciale freine l'investissement, socle de la croissance de demain. Cela, on le mesure déjà, depuis six mois, parce que les menaces qui pesaient ont commencé à se réaliser.

Les chiffres que je viens de citer ne sont pas encore inquiétants en eux-mêmes. Néanmoins, des mesures protectionnistes additionnelles engendreront une baisse de l'investissement, de l'emploi, de la croissance, et du bien-être. Il est donc fondamental que l'on s'attelle collectivement à continuer à faire fonctionner ce système sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qu'il faut renforcer et non affaiblir.

Au-delà, il faut approfondir l'analyse pour comprendre les tendances au repli. Bien sûr, les entorses aux règles du jeu, les distorsions du marché n'aident pas à construire la confiance entre pays. Mais les causes de la crise actuelle sont plus profondes. Laissez-moi tenter de les expliquer par ce que j'appellerais un effet de ciseaux à trois bandes : D'abord, une accélération de la mondialisation et des changements technologiques ; ensuite, une croissance des inégalités ; en troisième lieu, des politiques nationales plus contraintes et une gouvernance économique mondiale qui n'ont pas suffisamment évolué vers un nouveau modèle de croissance plus inclusive et une meilleure gestion des flux entre les pays.

D'abord, au cours des trois dernières décennies, la mondialisation a progressé rapidement, facilitée par, et facilitant le changement technologique. Les flux d'échanges et d'investissement direct étranger sont passés respectivement de 17 % et 0,9 % du PIB mondial en 1990 à 28 % et 3,2 % en 2016, soit en moins d'une génération. Ces échanges ont permis de faire des gains de productivité et d'innovation, de sortir de la pauvreté des centaines de millions de personnes, et de mieux intégrer les pays émergents.

Mais on constate que cela ne suffit pas à convaincre les populations. Si l'expression d'opinions négatives à l'égard de la mondialisation n'est pas nouvelle, c'est la première fois en quatre-vingts ans que des gouvernements de grandes économies avancées prennent des mesures à l'encontre du processus de libéralisation des échanges.

Comment le comprendre ? Tout d'abord, le revenu réel disponible médian des ménages n'a que très lentement progressé depuis vingt-cinq ans dans de nombreux pays de l'OCDE ; parallèlement, certaines dépenses essentielles telles que le logement, l'éducation et la santé ont connu une hausse durable, réduisant d'autant le pouvoir d'achat des classes moyennes.

On le constate plus encore depuis la crise de 2008, dont les conséquences se font encore sentir – chute de la croissance, destruction d'emplois, accroissement des inégalités, défiance envers les institutions et responsables politiques, parlements, partis, banques, multinationales, montée d'une attitude de cynisme général en particulier chez les jeunes. Les perspectives pour les 40 % de la population en bas de l'échelle de revenus se sont obscurcies dans de nombreuses économies avancées, tandis que les revenus et le patrimoine des plus aisés ont continué de croître. De plus, plus de la moitié des emplois créés depuis le milieu des années 1990 concernent des formes de travail avec des contrats atypiques, euphémisme pour dire que ces contrats apportent moins de sécurité aux travailleurs. Enfin, la faiblesse du taux de chômage moyen dans les pays de l'OCDE, qui est de 5,3 % en moyenne, dissimule qu'il existe un nombre élevé de travailleurs à temps partiel qui aimeraient travailler à plein temps ou qui ont arrêté de chercher du travail.

Doit-on en conclure, comme certains le font, que les échanges économiques sont à l'origine de ces difficultés ? Le commerce est-il coupable ?

Les études montrent que la mondialisation a contribué à la réduction de la part du travail dans le revenu national – la masse salariale représente une moindre part du produit intérieur brut (PIB) – et que la croissance des échanges a eu, comme c'est attendu, des coûts de transition pour certains travailleurs, certaines entreprises et certaines régions. Par ailleurs, le changement technologique rapide, comme à d'autres moments de l'histoire, perturbe aussi les économies et le marché du travail. Néanmoins, il n'y a là rien d'ingérable par les politiques publiques nationales dans des économies ouvertes.

Dans ce cadre, l'OCDE accomplit un travail important depuis de nombreuses années sur un nouveau modèle de croissance inclusive. Elle a publié, en juin 2018, son Cadre d'action pour la croissance inclusive, qui recommande des actions sur plusieurs thèmes : l'investissement dans les personnes et les localités et régions, le soutien au dynamisme des entreprises et à un marché du travail inclusif, et la prise en compte préalable de ce qui relève de l'inclusion et de la redistribution dans les politiques publiques. Nous avons aussi lancé hier au Forum de Paris sur la Paix, avec Emmanuel Faber, président-directeur général (PDG) de Danone, et Jeffrey Sachs, célèbre universitaire américain, la nouvelle plateforme de l'OCDE « Entreprises pour la croissance inclusive », qui proposera un ensemble de recommandations sur la manière dont les entreprises peuvent agir afin de maximiser la croissance inclusive.

Mais aujourd'hui, il ne s'agit pas seulement d'améliorer les politiques nationales. La mondialisation et l'interconnexion des pays ont créé un certain nombre d'enjeux qui ne peuvent plus être traités qu'au niveau mondial, ce qui demande l'adhésion de toutes les grandes économies. Comment gérer les migrations, le commerce, l'investissement, le changement climatique, sinon de façon multilatérale ? Essayer de le faire seul, ou même en bilatéral, c'est méconnaître la nature des défis à relever. C'est le cas pour la fiscalité à l'échelle globale. L'OCDE y travaille beaucoup, avec le projet sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices – Base Erosion and Profit Shifting (BEPS). Le transfert de bénéfices permet l'optimisation fiscale. Le problème est que c'est tout à fait légal.

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L'Assemblée a adopté, il y a quelques semaines, un texte relatif au BEPS.

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Vous avez bien fait. Dans l'OCDE, un groupe parlementaire s‘occupe de la politique fiscale.

S'ajoute à cela le problème de la concentration des entreprises, notamment mais pas seulement dans le secteur du numérique, avec une logique du the winner takes most, qui peut réduire la concurrence sur le marché, ce qui se fait toujours au détriment du choix des consommateurs. Sur le sujet de la concentration, notre inquiétude s'étend avec l'utilisation croissante des big data.

Il existe aussi une face sombre de la mondialisation : elle permet aux activités criminelles de prendre des chemins transfrontaliers et de jouer des failles de la coopération internationale. C'est le cas des cyber-attaques, mais aussi du commerce illicite ou de la corruption. L'OCDE a renforcé ses moyens d‘action dans ces domaines.

Enfin, nous continuons à travailler sur les enjeux traditionnellement globaux. Dans le domaine du développement, nous approfondissons notre soutien à la mise en oeuvre des Objectifs de Développement Durable et nous approfondissons nos travaux sur le financement mixte du développement. Et le défi multilatéral par nature est le changement climatique. Or on constate une perte du sens de l'urgence. Un récent rapport des Nations unies montre toute la différence entre une augmentation de la température moyenne de 1,5 degré et une augmentation de 2 degrés, qui affectera des dizaines de millions de personnes dans le monde. Or la trajectoire actuelle nous conduit à une augmentation de 3 degrés. Quand le Président de la République française appelle à un One Planet Summit, il se heurte à des réticences : pourquoi une réunion supplémentaire ? Mais il faut insister car le temps passe. Entre 2015 et 2018, en simplement trois ans, il s'est produit énormément de choses sur le plan climatique. À partir de 2020, on va procéder à une évaluation quinquennale des résultats. Il est certain qu'on constatera que nous avons pris du retard, un retard très dangereux.

Je voudrais dire un mot encore sur le problème de l'égalité entre les femmes et les hommes. Ce sujet s'impose à nous aujourd'hui. Mais dans le domaine du numérique, la situation est très mauvaise. C'est en effet un monde d'hommes. Il est peu probable qu'ils attachent à cette égalité entre femmes et hommes toute la place qu'elle mérite. L'OCDE, pour sa part, a proposé des solutions concrètes pour faire face à cet enjeu.

Au passage, j'indique aussi que nous avons aussi rapproché notre travail du G20, notamment lors de l'organisation au niveau parlementaire du premier « P20 », il y a quelques jours à Buenos-Aires. Ce renforcement du réseau parlementaire facilitera l'information et incitera peut-être les parlements à prendre de nouvelles initiatives au niveau international.

La France exerce un puissant leadership dans le renforcement de la gouvernance mondiale.

L'OCDE, bâtie sur le plan Marshall, le dialogue transatlantique et l'économie ouverte de marché, mais aussi l'ensemble du système multilatéral, a besoin qu'elle continue dans cette direction. La liberté des échanges et le changement technologique ont ouvert de nouveaux horizons et sont incontournables pour améliorer le bien-être. Mais, comme disait Victor Hugo, « tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité ». C'est à travers une meilleure gestion des flux mondiaux que l'on retrouvera la confiance citoyenne, que l'on a perdue, ce qui nous coûte beaucoup. Et cela ne peut se faire qu'avec un renforcement de la coopération internationale. J'espère pouvoir compter sur votre aide et vous invite à participer à la prochaine réunion du réseau parlementaire de l'OCDE les 21 et 22 février 2019 à notre siège à Paris.

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Soyez assuré que notre commission y enverra une délégation.

Je donne maintenant la parole aux parlementaires.

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Monsieur le secrétaire général, je vous remercie, au nom des députés du groupe La République en Marche, pour cette présentation particulièrement intéressante. Elle fait écho au travail que mène notre commission pour mieux appréhender la complexité des relations commerciales ou internationales, au prisme de l'économie. La mission de l'OCDE est, selon l'organisation elle-même, de « promouvoir les politiques qui amélioreront le bien-être économique et social partout dans le monde ». L'environnement est le défi majeur auquel nous sommes confrontés. Nombreux sont ceux qui alertent sur les conséquences du réchauffement climatique sur le modèle économique. Nous avons eu, la semaine dernière, une audition passionnante à ce sujet avec Pascal Canfin, directeur de WWF France, ancien ministre délégué à la coopération et au développement, ainsi qu'avec le contre-amiral Loïc Finaz, directeur de l'École de guerre.

Quel rôle peut jouer l'OCDE dans cette nécessaire promotion d'une croissance verte ? Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur l'attitude des États-Unis qui ont annoncé leur retrait de l'accord de Paris et sur la position de la Chine qui semble avoir pris conscience de sa grande vulnérabilité face au changement climatique et de l'impératif de faire évoluer son modèle économique ?

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Nous avons beaucoup collaboré avec Pascal Canfin. L'OCDE s'est préoccupée d'environnement pour la première fois en 1968 et travaille sur le climat depuis une trentaine d'années. Nous sommes donc familiers du sujet. Évidemment, cela nous préoccupe que la première puissance mondiale décide de ne pas participer à l'effort commun défini par l'accord de Paris. Mais cela ne signifie pas forcément que le pays ne remplira pas ses objectifs. En effet, il faut compter avec la position des gouverneurs de certains États, de maires de grandes villes, et sur le fait aussi que le système éducatif inculque une « culture verte » et produit de citoyens convaincus de l'importance des questions d'environnement. Des entreprises font désormais leur promotion à l'embauche en se présentant comme « vertes », de même qu'elles font valoir qu'elles sont des equal opportunity employers pour les femmes, et on regarde quelle place tient dans leur bilan le charbon, qui n'est pas un actif d'avenir, dans la perspective des évolutions technologiques et réglementaires.

Une autre difficulté concerne le phénomène migratoire. Les États-Unis ont été le seul pays de l'ONU à ne pas approuver en juillet le Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulée, que l'Organisation internationale pour les migrations proposait d'adopter formellement lors d'une conférence internationale en décembre. La Hongrie en a profité pour emboîter le pas, les autres membres du pacte de Visegrád disent qu'ils feront des référendums sur la question, la Suisse également, l'Autriche a annoncé qu'elle ne participerait peut-être pas et d'autres pourraient suivre.

La Chine représente un problème intéressant. Elle a ses contradictions internes, mais la pollution est telle depuis quelques années à Pékin et à Shanghai qu'ils ont pris conscience du problème et que cela va nous faciliter la tâche.

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Je vous remercie, au nom de l'ensemble des députés du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, pour votre intervention. J'ai deux questions.

On raisonne beaucoup sur les indicateurs de croissance comme ceux que vous avez mentionnés. Mais une tendance forte, incarnée notamment par notre Président de la République, est de dire : oui à des accords de libre-échange supplémentaires à condition que le respect de l'accord de Paris sur le climat en fasse partie, de sorte que ce développement du commerce international ait moins d'impact environnemental que la moyenne des échanges. Les pays membres de l'OCDE, qui sont parmi les pays les plus développés, ont une forte responsabilité à cet égard. L'OCDE développe-t-elle des indicateurs de croissance verte ? Celle-ci fait l'objet de bien des incantations, mais j'ai le sentiment que bien souvent, on continue à se fixer pour objectif simplement le taux de croissance.

S'agissant, en second lieu, du BEPS, la logique actuelle de la souveraineté fiscale conduit à des différences de structures dont résulte l'optimisation fiscale. Mais est-ce que les pays qui en auraient le plus besoin, collectivement, ne sont pas ceux qui appliquent le moins les outils et bonnes pratiques ? N'y a-t-il pas là une espèce de jeu de jeux de dupes en ce qui concerne le fair-play fiscal ?

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Des indicateurs de croissance verte ? Absolument. Nous avons été les premiers à les proposer et aussi à en construire.

Quant à l'optimisation fiscale, il y a désormais une centaine de pays qui pratiquent l'échange d'informations et une centaine de milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires ont été identifiés auprès de contribuables repentis. Il n'y a plus où se cacher, car les paradis fiscaux ont quasi-disparu, notamment par la fin du secret bancaire en matière fiscale grâce à nos travaux à travers le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales. Les parlements ont signé des accords qui incluent Jersey, Guernesey, l'île de Man, mais aussi les Pays-Bas et l'Irlande, qui échangent des informations régulièrement. Pour les multinationales, les administrations fiscales vont bientôt disposer de l'information permettant de chiffrer leurs bénéfices et les impôts qu'elles payent grâce aux « déclarations pays par pays ».

Le gros problème reste la taxation du numérique. Bruno Le Maire s'en est fait le champion, mais d'autres pays européens ne voient pas forcément l'urgence, d'autres encore, en Europe ou ailleurs, sont contre : les avis divergent quant aux conséquences fiscales de la digitalisation. Néanmoins, tous les pays mêmes ceux qui contemplent des solutions temporaires et de court terme s'en sont remis à une initiative de l'OCDE. Nous allons donc continuer le travail en 2019 et proposer en 2020 une solution, mais tous ensemble, au niveau mondial. Par définition, aucun pays ne peut rester en dehors.

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

La transparence existe déjà : une centaine de pays s'y sont engagés par leur législation et cent milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires ont été identifiées grâce à des programmes de communication volontaire et des enquêtes à l'étranger. Pour les entreprises, le mouvement commence, mais nous sommes pratiquement prêts.

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Je vous remercie, monsieur le Secrétaire général, au nom des députés du groupe UDI, Agir, Indépendants, pour votre exposé qui s'enrichit au fil de vos réponses. Je voudrais revenir sur trois points que vous avez abordés.

Vous avez parlé d'un moment critique – le mot est faible – dans la gouvernance de la mondialisation. Pouvez-vous développer votre vision du multilatéralisme ? Est-elle optimiste ou pessimiste ? Quel avenir lui voyez-vous, au regard de ce qui se passe actuellement ?

Ensuite, la fraude fiscale, et j'ajouterai volontiers le financement du terrorisme, est une question d'importance souvent évoquée au plan international, sans qu'on n'en voit jamais de traduction concrète. L'OCDE a-t-elle des propositions à avancer dans ce domaine et, si c'est le cas, lesquelles ?

Enfin, la taxation des « GAFA » intéresse beaucoup notre commission, et en tant que rapporteur sur le prélèvement européen, je pense m'exprimer en son nom en vous demandant de nous en dire plus. Dire qu'il faut tous aller sur la même voie, jusqu'à présent cela a souvent été une façon de ne pas l'emprunter. Il faut avancer sur une proposition. C'est très important pour l'Europe et pour les Européens, au moment du Brexit.

Enfin, vous avez évoqué l'OMC, mais je suis resté un peu sur ma faim. Quelles sont vos propositions pour renforcer l'OMC ?

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Comment gérer les échanges commerciaux, comment gérer les flux transfrontaliers, si ce n'est de manière multilatérale ? Comment gérer les migrations aussi ? Aujourd'hui, c'est un sujet de division partout. M. Babiš, en République Tchèque, a mis neuf mois pour former un gouvernement, M. Rutte aux Pays-Bas sept mois, Mme Merkel, qui fut le pilier de la stabilité européenne, a mis cinq mois. Et voyez les résultats des élections en Italie, en Suède, en Autriche, la fragmentation des forces politiques en Espagne. Partout s'exprime une angoisse, une forme de mécontentement envers toutes les institutions, une volonté de changement coûte que coûte, même sans savoir où il conduit. Le Brexit en est sans doute le meilleur exemple : 60 % des jeunes, dont l'avenir était en jeu, n'ont pas voté. La défiance envers les institutions s'étend à la démocratie elle-même, ce qui est très dangereux. Plus dangereux encore que de voter pour n'importe quel changement, il y a le fait de ne pas voter.

Puisque vous évoquez le terrorisme, s'est tenue à l'OCDE en avril dernier une grande conférence ministérielle sur la lutte contre le financement du terrorisme, organisée à l'initiative du président Macron qui en a assuré l'ouverture. L'OCDE abrite le secrétariat du groupe d'action financière (GAFI), qui s'emploie à identifier et neutraliser les flux de financement illégaux, voire criminels, liés au trafic de personnes, au trafic de drogue, à la corruption. C'est là une action permanente. En ce qui concerne les « GAFA », il ne faut pas se limiter à ces quatre entreprises : c'est toute l'économie qui s'est digitalisée et nous devons essayons de parvenir à des règles fiscales plus adaptées. Il importe donc énormément de trouver un moyen de faire face aux évolutions technologiques, mais dans une totale cohérence pour que personne n'en joue afin d'obtenir des avantages artificiels.

Enfin, l'OMC est bien l'institution sur laquelle il faut compter pour résoudre les conflits commerciaux, grâce à son organe de règlement des différends. Or actuellement, certains pays bloquent la nomination de juges dans cet organisme. En même temps, ils se plaignent que l'OMC met trop longtemps à traiter des conflits. Mais s'ils en bloquent le fonctionnement, comment l'OMC pourrait-elle être plus efficace ?

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Monsieur le secrétaire général, j'aimerais revenir sur un élément aujourd'hui éclipsé par l'actualité, mais que le groupe Socialistes et apparentés juge primordial pour assurer la justice fiscale, qui est la lutte contre l'évasion fiscale des multinationales.

Leurs méthodes scandalisent la société civile. Bruno Le Maire, le ministre de l'économie, avait annoncé une taxe comprise entre 2 % et 6 % à l'échelle européenne, ce qu'avait d'ailleurs confirmé la Commission européenne, tandis que l'Allemagne, quant à elle, souhaite des discussions plus internationales. Depuis, plus de nouvelles. Pourtant, même le Royaume-Uni a annoncé une taxe à 2 % d‘ici 2020.

On se focalise sur les « GAFA », mais ils ne sont que le symbole de ces multinationales maîtresses dans l'art de l'évasion fiscale. Les différents pays semblent vouloir faire cavalier seul pour mettre en place ce type de taxation. L'OCDE ne pourrait-elle pas être le cadre idéal, au vu du poids des pays qui la composent, pour mettre en place une taxation ambitieuse des « GAFA » et mettre fin à cette injustice ?

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Nous le sommes en effet, et nous avons un mandat pour agir en ce sens. Nous sommes très actifs, avec plusieurs groupes qui se consacrent exclusivement à cette question : comment taxer non les seuls « GAFA », mais tout le secteur numérique, qui compte de plus en plus d'entreprises partout. Vous évoquez la taxe de 2 % à 6 % que promeut Bruno Le Maire. Il existe aussi une proposition de directive de la Commission européenne pour instituer une taxe de 3 % non sur les bénéfices, mais sur les ventes, soit une forme d'impôt sur la consommation. Qu'adviendra-t-il d'ici le 1er janvier ? Nous verrons, mais la discussion continue, de façon très dynamique. Un aspect intéressant est que, au-delà de l'Europe, les États-Unis, avec leur réforme fiscale, ont totalement changé de position et participent à ces discussions sur une position très ouverte, flexible même, pour trouver des solutions d'ensemble. L'Allemagne va plus loin en proposant d'instaurer une taxation minimale qui dissuaderait les entreprises de faire leur marché fiscal. Déjà, l'Irlande a démantelé son système ; les Pays-Bas ont suivi, ainsi que le Royaume-Uni, et les États-Unis ont fait leur réforme fiscale. Les Britanniques ont décidé de créer une taxe de 2 % à partir de 2020, mais si l'OCDE propose une solution acceptable pour eux, ils s'y joindront. De même, la proposition de directive européenne comporte une clause suspensive au profit d'une initiative de l'OCDE. Nous travaillons donc avec tous les pays pour trouver une solution commune, mais dans un climat et avec une volonté politique, et même des possibilités techniques, bien meilleurs. Je suis désormais bien plus convaincu qu'il y a quelque temps que nous allons y parvenir pour 2020, soit le délai imparti à l'OCDE. Pendant soixante-dix ans, on a tenu à éviter la double imposition. Mais ce faisant, on a créé une situation de double non-imposition, qui n'était pas acceptable.

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Je prends la parole au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, d'abord pour vous remercier, monsieur le secrétaire général, de vous exprimer en français, et pour vous dire aussi que l'OCDE me laisse perplexe. Je lis parfois dans Le Figaro des articles qui commencent par « selon l'OCDE » pour justifier le développement de politiques toujours plus libérales. Mais dans L'Humanité, journal que j'aime beaucoup (Sourires), d'autres articles commencent aussi par « selon l'OCDE » pour expliquer qu'il faut développer des politiques de lutte contre les injustices, l'Organisation apportant les arguments qui démontrent que notre société va mal et qu'il faut instaurer des règles plus humaines. Quel est donc cet organisme à géométrie variable, ce monstre à plusieurs têtes, qui peut servir une politique capitaliste mais aussi, éventuellement, une politique communiste ou du moins un changement de société ?

J'ai donc prêté une grande attention à vos propos, et j'en ai tiré diverses conclusions. D'abord, que vous allez contribuer à chasser les délinquants financiers, ce qui n'est pas mal ; mais comme tous les autres délinquants que l'on chasse d'un lieu, ils en chercheront un autre pour mal faire, et vous devez donc anticiper leurs prochains mouvements. J'ai aussi compris que vous alliez chasser les délinquants environnementaux, ou en tout cas tenter de proposer des règles internationales à cette fin, parce qu'il y a pas d'autre solution. Mais ces règles s'opposent parfois à l'enrichissement : j'ai du mal à comprendre comment on peut concilier protection de l'environnement et action en faveur du climat d'une part, augmentation des profits et enrichissement de certains d'autre part. Comme, parfois, cela est incompatible, vers quoi, « selon l'OCDE », faudrait-il aller ?

Il y a aussi la question des injustices et de la misère grandissante, y compris dans les pays riches, dont la France, où l'on voit les prémices d'une rupture. Vous recommandez la redistribution de la richesse nationale par le biais des politiques publiques, mais l'on sent bien qu'en réalité le compte n'y est pas. Serait-ce que, « selon l'OCDE », certaines des recommandations que vous auriez faites aux États n'auraient pas été respectées, ce qui explique la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui ? Il n'est pas rassurant de vous entendre dire que vous alertez sur le changement climatique depuis cinquante ans… Depuis combien de temps expliquez-vous que la persistance des injustices, la misère grandissante dans le monde et les questions non traitées de l'émigration provoqueront des problèmes ? En bref, comment les recommandations de l'OCDE s'imposent-elles ?

Ma dernière question porte sur le projet traité contraignant en cours de discussion sur les multinationales et les droits de l'homme. « Selon l'OCDE », quel chemin faudrait-il prendre pour faire aboutir ce texte ? Comment pourriez-vous favoriser des progrès en ce domaine ?

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Mettre en oeuvre « des politiques meilleures pour une vie meilleure » : telle est la mission de l'OCDE et telle est son ambition. Cela en fait-il un organisme à géométrie variable selon la manière dont la presse rapporte ses études ? En réalité, certaines politiques ont démontré, indépendamment des idéologies, être meilleures que d'autres parce que plus faciles et moins coûteuses à mettre en oeuvre et donnant des résultats plus satisfaisants. Si l'on ne peut recommander les mêmes politiques à tous les États, on peut dans certains cas retenir celles qui ont le mieux réussi dans quelques pays, les adapter et voir si elles fonctionnent ailleurs. Notre rôle n'est pas de dire aux Français comment gouverner la France : leur Gouvernement le sait mieux que nous. En revanche, nous pouvons tendre un miroir et demander : « Aimez-vous ce que vous voyez quand vous vous comparez aux autres nations ? Voulez-vous améliorer les choses ? ». Notre contribution consiste à tendre le miroir, à établir un diagnostic et à dire « les meilleures pratiques sont celles-là et elles peuvent fonctionner en France, en Grèce, au Mexique… ». Nous faisons des propositions, puis l'exécutif et le Parlement disposent en ayant en main tous les éléments possibles sur une centaine de sujets, dont l'environnement et la fiscalité. Ainsi, vous avez mentionné la croissance, la productivité et la redistribution des richesses ; on ne peut s'en tenir ni à la productivité et à la croissance seules, car cette option a échoué, ni à la redistribution seule car cela a échoué aussi. Nous savons, parce que nous l'avons mesuré, que la politique qui marche le mieux en ce domaine est celle qui lie les trois éléments.

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Nous sommes dans un monde étrange, dans lequel les États-Unis, partisans du multilatéralisme, remettent en cause cette doctrine dont une Chine au gouvernement communiste se fait le défenseur. Dans le même temps, la mondialisation crée l'éclatement de la chaîne de valeur. L'économie du numérique, dématérialisée, rendant la chaîne de valeur difficilement traçable, certaines entreprises ne payent pas suffisamment d'impôts au regard du chiffre d'affaires et des bénéfices réalisés sur le territoire européen. Quelles conséquences sociétales peut provoquer, en Europe, cette optimisation fiscale ?

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

L'OCDE est née après la Deuxième Guerre mondiale sous le nom d'Organisation européenne de coopération économique (OECE). Il s'agissait, avec l'aide du plan Marshall, de reconstruire l'Europe. Cela a été fait en dix ans, ce qui est très rapide, parce que le continent avait toute la matière grise dont elle avait besoin ; ce qu'il lui fallait, c'étaient des briques et du mortier, une aide pour se rebâtir physiquement. L'OCDE est donc née de l'exercice par les États-Unis d'un multilatéralisme actif, généreux et intelligent. Par la suite, qu'il s'agisse du commerce, des investissements ou de la question climatique, les États-Unis ont toujours été au centre des grandes initiatives internationales : on l'a vu lors de la création de l'Organisation des Nations unies, de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), de l'OMC ou de l'Organisation internationale du travail (OIT). La difficulté tient maintenant à ce que les États-Unis prennent la voie du bilatéralisme, sinon de l'unilatéralisme : alors que toutes les organisations internationales ont été créées et financées pour trouver des solutions globales, le joueur principal décide d'emprunter la route inverse. Cela complique considérablement la vie des institutions, des pays et des citoyens, comme le montre un exemple récent.

En 2016, le sommet du G20 réuni à Hangzhou a décidé la création d'un forum mondial auquel la Chine et les États-Unis ont accepté de participer, chargé de déterminer comment réduire l'excédent international de production d'acier. Certains pays, contrevenant aux règles du marché, faussaient la concurrence en vendant leur production sous le prix de revient. Mais que constate-t-on à présent, sinon l'imposition unilatérale de droits de douane sur l'acier chinois par les États-Unis ? Autrement dit, certains des États qui ont créé une instance multilatérale chargée de régler un problème grave, à l'origine de la fermeture de nombreuses usines et de la perte de milliers d'emplois dans le monde, ont décidé au terme de la troisième ou quatrième réunion de cet organe d'engager une guerre commerciale, alors même que les barrières tarifaires ne permettront pas de réduire les surcapacités. Cette contradiction manifeste est très dommageable, les solutions bilatérales étant moins efficaces que le multilatéralisme.

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Vous avez mentionné la contraction de certains indices au cours des derniers mois, soulignant que le commerce ne joue plus son rôle de locomotive mondiale, ce qui a un impact sur les investissements nécessaires à la croissance. Et, même si elle est toujours à un niveau faible, l'inflation est repartie. Dans ce contexte, pensez-vous opportun l'arrêt de l'assouplissement quantitatif – quantitative easing – programmé par la Banque centrale européenne (BCE) pour décembre 2018 ?

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Je suis très reconnaissant aux banques centrales de la politique monétaire qu'elles ont menée. Eût-elle été autre que la situation serait sans doute beaucoup plus grave qu'elle ne l'est. J'étais dans la pièce quand M. Mario Draghi a lancé la phrase désormais célèbre : « La BCE est prête à faire tout ce qu'il faudra – whatever it takes – pour préserver l'euro. » Mais la BCE ne s'est pas engagée la première dans une politique monétaire souple ; avant elle, à mesure que la crise prenait de l'ampleur, il y avait eu les États-Unis, puis le Royaume-Uni, et après la BCE, il y a eu le Japon. Au début de la crise, les dirigeants européens la considéraient comme un problème américain ; six mois plus tard, ils la décrivaient comme un problème anglo-saxon, mais à peine avaient-ils ces mots prononcés, elle était devenue européenne…

Cette souplesse monétaire était opportune, mais il est également sage de revenir à la normale. Les États-Unis ont commencé de le faire les premiers, après avoir consacré des milliards de dollars à la création d'une usine à emplois – ils en créaient 200 000 par mois il y a six ans déjà, sous l'administration Obama, et cela continue, parce qu'avec des taux directeurs à zéro, la Réserve fédérale avait soutenu la reprise beaucoup plus tôt que la BCE. Deux ans plus tard, ce fut le tour de l'Europe, et un an après, du Japon, et la normalisation va continuer. On s'habitue à des taux artificiellement bas, mais il est bon de revenir à un peu plus d'inflation – et je dois vous dire que c'est la première fois de ma vie que je vois faire tant d'effort pour rechercher une inflation comprise entre 2 % et 4 %, qui montrera que l'économie est revivifiée. J'appuie les politiques monétaires menées par les banques centrales ; si elles ne sont pas simultanées, c'est que, n'ayant pas commencé en même temps, elles ne finiront pas en même temps non plus.

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J'ai eu à connaître de la mise en oeuvre de la notion d'« établissement stable » adoptée en 2015 par l'OCDE et dont on vient de reporter l'application. Se diriger maintenant vers l'imposition des entreprises multinationales de l'économie numérique en fonction du service rendu, n'est-ce pas signer l'échec de l'imposition de l'établissement stable ?

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Ce n'est pas un échec mais l'admission d'une réalité nouvelle. La notion d'établissement stable signifie que si une entreprise dont le siège social est sis 95 rue de Grenelle à Paris réalise un bénéfice de 4 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 100 millions d'euros, elle payera 500 000 euros d'impôt sur les sociétés au fisc français. Mais aujourd'hui, une société peut ne pas être physiquement présente sur le sol français tout en y réalisant des milliards d'euros de chiffre d'affaires. C'est pourquoi il faut repenser la définition de l'établissement stable, qui ne doit plus s'appliquer seulement à une présence matérielle. La règle d'or doit être que les impôts sont payés là où les bénéfices sont réalisés. Ainsi s'explique l'idée d'un taux de taxation minimum ; les États membres de l'Union conserveraient leur souveraineté en matière fiscale mais éviteraient la concurrence fiscale entre eux. C'est une actualisation de la notion d'établissement stable.

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On a placé de grands espoirs dans la définition de l'établissement stable. Vous nous parlez aujourd'hui d'actualisation, mais le BEPS que nous avons ratifié tout récemment est assis sur la notion définie en 2015 ; la nouvelle version que vous évoquez, fondée sur l'identification du lieu où le service est rendu, semble être tout autre chose. Par ailleurs, quelle est la force juridique des recommandations de l'OCDE ?

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Il faut, pour répondre aux défis spécifiques que pose la digitalisation de l'économie, s'accorder sur où l'impôt doit être payé et en fonction de quoi. Les États doivent s'accorder, tous, pour ne plus permettre aux multinationales plus digitales, grâce à l' ingénierie comptable de payer pas ou peu d'impôts..

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Cette audition est filmée. Si un habitant de la banlieue de Monterrey, au Mexique, nous regarde, il se dit que non seulement il y a un mur physique entre le Mexique et les États-Unis mais que ces derniers sont en train de construire un mur général d'isolationnisme ; il se dit aussi que l'OCDE lutte contre les paradis fiscaux, mais qu'il y a encore les Panama Papers et les Paradise Papers. Si un sidérurgiste dunkerquois nous regarde, il se dit que l'OCDE combat la surproduction d'acier chinois et essaye d'équilibrer la production internationale pour qu'il ne perde pas son emploi, mais qu'il existe encore probablement à Guernesey une holding au nom bizarre – Victor Hugo, peut-être ? (Sourires) – où d'anciens aciéristes ont discrètement concentré leurs avoirs. D'autre part, pratiquement aucun pays de l'hémisphère Sud n'est membre de l'OCDE ; que leurs habitants et leurs gouvernements peuvent-ils penser de l'Organisation ? La considèrent-ils comme une sorte de conseil de maîtres de forges, ou comme un organisme qui les défend aussi, bien que défendant le commerce international occidental ? Il en va de l'ordre mondial.

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Je précise que, pour ce qui est des taxes et de l'économie numérique, les États-Unis sont disposés à des solutions multilatérales ; cela facilitera beaucoup les choses. Les administrations de MM. Obama, Bush et Clinton ne manifestaient pas un intérêt excessif pour la question car à l'époque les grandes entreprises du numérique étaient toutes américaines ; depuis lors, des entreprises chinoises gigantesques ont vu le jour.

Les Panama Papers et les Paradise Papers ont confirmé le manque de transparence des mouvements financiers, mais la divulgation de cette masse d'informations montre l'affaiblissement du secret bancaire. Ceux qui se cachaient pour ne pas payer leur dû ne le peuvent plus puisque, désormais, cent administrations fiscales, dont celles des États-Unis, du Royaume-Uni, pour ne citer qu'elles, pratiquent l'échange automatique de renseignements. C'est ainsi que 100 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires ont déjà été identifiés et sont en train d'être récupérés, soit 250 fois ce que coûte l'OCDE – autant dire que nous sommes l'affaire la plus rentable de tous les États membres ! En réalité, les scandales répétés nous aident en provoquant un sentiment d'urgence, les fraudeurs se disant « si je suis pris, je serai pénalisé mais si je me dénonce, on trouvera une solution ». Il en est résulté un nombre considérable d'aveux spontanés aux administrations fiscales, et à la suite beaucoup d'argent récupéré par les États. Les mentalités ont changé.

La manière dont a été traitée la question des surcapacités mondiales de production d'acier est un exemple de contradiction ultime : le G20, Chine et États-Unis compris, se mettent d'accord pour créer un forum chargé de trouver une solution multilatérale – que l'on n'organise pas, avant d'en venir à une décision unilatérale.

Enfin, tous les pays du monde ne sont pas membres de l'OCDE, mais nous définissons des normes de manière qu'elles s'appliquent partout. Nous travaillons avec une centaine de pays non membres, dont beaucoup – Brésil, Pérou, Argentine, Roumanie, Bulgarie, Croatie… – veulent nous rejoindre. Même la Chine se rapproche de nous. La crédibilité du G20 est de plus en plus forte et beaucoup de pays non membres de l'OCDE appliquent les normes que nous avons définies.

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« Nous sommes confrontés à des défis que nul ne peut résoudre seul. Nos pays sont connectés ; nos destinées liées, nos solutions entremêlées », avez-vous dit, monsieur le secrétaire général, lors du dernier forum de l'OCDE. Souscrivant sans réserve à ce propos, j'aimerais connaître votre opinion sur le Brexit. Une dépêche nous apprend à l'instant qu'un projet d'accord aurait été trouvé entre l'Union européenne et le Royaume-Uni ; on ignore encore s'il sera ratifié et, quels qu'en soient les termes, le Brexit ne sera pas sans conséquences sur la gouvernance mondiale.

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Demain, à 14 heures, à Londres, Mme Theresa May soumettra le texte au conseil des ministres. Ce n'est que le début d'un processus dont nous ignorons encore quel sera l'aboutissement.

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Que dire du Brexit, sinon que l'on déploie une énergie considérable pour parvenir, au terme d'un remarquable gaspillage de temps et d'argent, à une situation plus mauvaise pour toutes les parties que ne l'est le statu quo ? J'en éprouve une grande frustration, moi qui ai combattu le Brexit autant que je l'ai pu en expliquant que ce serait une taxe sur le bien-être des Britanniques, de certains Européens et, dans une moindre mesure, du reste du monde. J'ai été affligé de constater que de nombreux jeunes Britanniques ne sont pas allés voter alors que leur avenir était en jeu ; je suis sûr qu'ils le regrettent terriblement. Mme Theresa May a dit il y a quelques semaines que 95 pour cent des problèmes étaient résolus et que seule restait pendante la grande question de la frontière avec l'Irlande. J'ignore quelle solution a finalement été retenue, mais elle devra être discutée par les Britanniques entre eux demain, après-demain et le jour suivant encore ; et si des ajustements ont lieu, il faudra voir ce qu'en pensera l'Union européenne. Néanmoins, la nouvelle qu'un projet d'accord a été trouvé est une bonne nouvelle.

Le Brexit est une self-inflicted wound, une balle que le Royaume-Uni s'est tiré dans le pied sans raison et sur un fondement mensonger, puisque le débat a porté d'une part sur l'immigration à un moment où le Royaume-Uni acceptait, par choix, l'arrivée de 250 000 immigrants non-européens, d'autre part sur la « tyrannie réglementaire de Bruxelles » – une réglementation communautaire qui laissait pourtant au Royaume-Uni l'espace suffisant pour avoir des règles plus souples qu'ailleurs.

Dans les années 1970, je vivais dans le Yorkshire, où les bourgs comptaient d'innombrables immigrés venus travailler dans l'industrie textile ; bien des gens changeaient de trottoir en les voyant. Ce sont eux qui ont décidé le Brexit, et c'est triste. Il faudrait un deuxième référendum. Mes services ont publié une étude évaluant les coûts du Brexit – et malheureusement cette estimation est trop modeste au regard de la réalité. Réjouissons-nous donc de la nouvelle d'un accord de principe car, une fois la décision prise, il faut s'efforcer qu'elle ait les conséquences les moins coûteuses possibles.

Mon fils aîné vit avec femme et enfants au Royaume-Uni. Il y paye ses impôts et il a voulu acquérir la nationalité britannique, comme 75 % des résidents étrangers qui habitent autour de Cambridge et qui se considèrent Anglais, Européens et citoyens du monde. Mais, vingt kilomètres plus au Nord, 75 % des habitants se sont prononcés en faveur du Brexit. M. Cameron a commis plusieurs erreurs : avoir promis la tenue d'un référendum ; avoir honoré cette promesse alors que les circonstances avaient changé ; avoir perdu le référendum parce que son gouvernement est entré en campagne contre le Brexit comme s'il s'agissait d'élire une reine de beauté alors qu'il était question de rien moins que l'avenir du pays. Quant aux travaillistes, ils ont considéré que l'affaire concernait les conservateurs. On retirera de cet épisode deux enseignements : il faut se méfier des référendums ; toutes les informations doivent être mises sur la table pour que les citoyens puissent prendre une décision éclairée.

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Ce n'a pas été le cas, et vous aurez compris que nous considérons tous ici que le départ du Royaume-Uni n'est pas une bonne nouvelle pour l'Union européenne, qui se trouve amputée. J'ajoute que pas un mot, pendant la campagne du référendum, n'a porté sur les sujets qui ont été au coeur des négociations, telle la question de la frontière avec l'Irlande.

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Un chapitre du document retraçant les principaux thèmes abordés lors de la réunion du Conseil de l'OCDE au niveau des ministres est consacré au respect des engagements souscrits au titre du programme de développement durable à l'horizon 2030. [On y lit que « les membres ont appelé l'OCDE à jouer son rôle […] pour accompagner les gouvernements des différents pays dans leurs efforts de mise en oeuvre ». Á cet égard, l'Objectif 16.9 appelle les États à « garantir à tous une identité juridique, notamment grâce à l'enregistrement des naissances ». C'est que la délivrance d'un acte d'état civil conditionne l'accès de l'individu à de nombreux autres droits, si bien que, sans enregistrement universel des enfants, tous les autres Objectifs du développement durable (ODD) resteront chimériques. Notre commission a créé une mission d'information sur les enfants sans identité ; je serais heureuse que vous-même, monsieur le secrétaire général, ou l'un de vos proches collaborateurs vienne nous dire les actions que l'OCDE peut entreprendre à ce sujet.

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José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

J'accepte volontiers votre invitation, madame. J'y répondrai en personne si je le peux ; sinon, je dépêcherai un de mes collaborateurs qui connaît la question. Nous appuyons les dix-sept Objectifs du développement durable et nous travaillons à les transformer en 169 cibles et 230 indicateurs, car ce qui n'est pas mesuré ne peut être géré. Ce qui est en jeu, c'est la citoyenneté et ses attributs – le droit à la santé, à l'éducation, à l'alimentation – mais, comme vous le dites très bien, tout enfant doit pour commencer avoir une identité afin d'être intégré dans la société. C'est le sens ultime des Objectifs du développement durable, beaucoup plus importants que ne l'étaient les Objectifs du millénaire pour le développement car ils valent pour tous les pays et non pas seulement pour les moins développés d'entre eux. C'est une obligation partagée à laquelle chaque État doit contribuer. Mais nous y sommes très mal préparés parce que le processus a été très politisé, ce qui a conduit à multiplier les objectifs, péchant peut-être par excès d'ambition. Nous verrons ce qu'il en sera. Pour l'heure, nous sommes en ordre de bataille, y compris pour l'enregistrement des enfants à l'état civil.

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Je vous remercie, monsieur le secrétaire général, pour la qualité, la franchise et la sincérité de ces échanges, qui expriment la force de vos convictions. Votre détermination est essentielle à tous ceux qui oeuvrent ensemble à un meilleur équilibre du monde.

La séance est levée à dix-huit heures dix.

Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 13 novembre 2018 à 17 heures

Présents. - M. Frédéric Barbier, Mme Annie Chapelier, M. Alain David, Mme Laurence Dumont, M. Christian Hutin, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Nicole Le Peih, M. Maurice Leroy, M. Denis Masséglia, Mme Bérengère Poletti, Mme Isabelle Rauch, Mme Marielle de Sarnez, Mme Liliana Tanguy, M. Sylvain Waserman

Excusés. - M. Lénaïck Adam, Mme Clémentine Autain, M. Bruno Bonnell, M. Moetai Brotherson, Mme Mireille Clapot, M. Bernard Deflesselles, M. Christophe Di Pompeo, Mme Anne Genetet, M. Éric Girardin, M. Philippe Gomès, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, M. Bruno Joncour, Mme Sonia Krimi, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Hugues Renson, M. Joachim Son-Forget, Mme Sira Sylla

Assistaient également à la réunion. - M. Christophe Lejeune, M. Jean-Luc Warsmann