La commission a procédé à l'examen de la proposition de résolution de M. Christian Jacob tendant à la création d'une commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'Alstom, d'Alcatel et de STX, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé (n° 271), sur le rapport de M. Guillaume Kasbarian, rapporteur.
La commission est saisie de la proposition de résolution de M. Christian Jacob tendant à la création d'une commission d'enquête, dont l'intitulé est ci-dessus mentionné. Le président du groupe Les Républicains ayant fait connaître son choix d'exercer à cette fin le droit de tirage de son groupe prévu en application de l'article 141, alinéa 2 du Règlement, il revient à la commission de vérifier si les conditions juridiques sont réunies.
Pour éviter tout malentendu, je reprends les propos du président en insistant sur le fait que nous ne siégeons pas pour débattre du fond, mais uniquement pour apprécier si les conditions juridiques permettant la création de la commission d'enquête sont réunies.
M. le président Christian Jacob, M. Olivier Marleix et plusieurs de leurs collègues ont déposé, le 11 octobre 2017, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'Alstom, d'Alcatel et de STX, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé.
En application de l'article 140, alinéa 1, du Règlement de l'Assemblée nationale, « les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». Il appartient donc à la commission des affaires économiques de se prononcer sur cette proposition.
M. Christian Jacob, président du groupe Les Républicains, a choisi d'utiliser le pouvoir confié à certains présidents de groupe par l'article 141, alinéa 2, du Règlement, qui dispose que « chaque président de groupe d'opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l'exception de celle précédant le renouvellement de l'Assemblée, la création d'une commission d'enquête ».
Dans le cadre de ce « droit de tirage », comme le prévoit l'article 140 du Règlement, la commission compétente doit uniquement vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d'enquête sont réunies, sans se prononcer sur l'opportunité de la commission d'enquête. Aucun amendement au texte de la proposition de résolution n'est recevable. Par la suite, si la commission estime que les conditions requises pour cette création sont réunies, la conférence des présidents prendra acte de la création de la commission d'enquête.
Les conditions requises sont au nombre de trois. Tout d'abord, l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose que « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». Cette condition est réitérée à l'article 137 du Règlement, qui prévoit que les commissions d'enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».
Dans le cas présent, la proposition de résolution vise à créer une commission d'enquête chargée d'examiner les « décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'Alstom, d'Alcatel et de STX ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé ». À la lecture de cet intitulé, les objectifs que la commission entend poursuivre apparaissent décrits avec une précision suffisante, qu'il s'agisse du champ de ses investigations ou des propositions qu'elle pourrait être amenée à formuler.
En deuxième lieu, l'article 138 du Règlement prévoit l'irrecevabilité de « toute proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête ayant le même objet qu'une mission effectuée dans les conditions prévues à l'article 145-1 ou qu'une commission d'enquête antérieure, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l'une ou de l'autre ». La proposition de résolution remplit ce critère de recevabilité. Certes, l'Assemblée nationale a eu l'occasion de s'intéresser à la politique industrielle plusieurs fois lors de la XIVe législature. La commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement en est une illustration. L'objet de ses travaux différait toutefois de celui de la commission d'enquête que les députés Les Républicains appellent aujourd'hui de leurs voeux.
Enfin, le I de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose qu'« il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ». L'application de cette disposition est précisée de la manière suivante par l'article 139 de notre Règlement : « Le dépôt d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est notifié par le Président de l'Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la justice. Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. » Interrogée par le Président de l'Assemblée nationale, Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir qu'à sa connaissance aucune poursuite judiciaire n'a été engagée sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition de résolution.
En conclusion, selon votre rapporteur, la création d'une commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'Alstom, d'Alcatel et de STX, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé, est, d'un point de vue juridique, recevable.
Je vous remercie. La parole est maintenant aux membres de la commission, en commençant par les représentants des groupes politiques.
Après un cycle d'auditions intéressantes sur l'industrie et des échanges nourris sur les fusions d'entreprises françaises, notre commission se réunit donc pour examiner la recevabilité juridique d'une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur ce sujet. Il ne s'agit pas de débattre de l'opportunité ou du bien-fondé de cette commission d'enquête, mais la formulation de la proposition de résolution nous y invite et rien ne nous interdit de rappeler le contexte.
Comme mes collègues du groupe La République en Marche, au nom duquel je m'exprime, je retiens de l'audition du ministre de l'économie et des finances, M. Bruno Le Maire, et du président-directeur général d'Alstom, M. Henri Poupart-Lafarge, l'idée que sur les marchés mondiaux, théâtres de luttes économiques intenses où les États et la diplomatie jouent un rôle significatif, seuls des groupes d'une taille critique peuvent rivaliser avec leurs concurrents.
Pendant de nombreuses années, l'Union européenne, sous prétexte de favoriser la concurrence intra-européenne et la compétitivité, a considéré avec réticente la construction de grands champions industriels européens. Cette approche peut avoir une pertinence ou une rationalité économique pour les marchés nationaux ; mais, parce que les marchés sont mondiaux, cette doctrine a souvent nui à l'émergence de champions de taille mondiale. Le président Emmanuel Macron l'a rappelé plusieurs fois, notamment dans son discours à la Sorbonne. Pendant ce temps, les champions chinois ou américains ne nous ont pas attendus, et concurrencent aujourd'hui nos champions nationaux de manière aussi rude qu'inéquitable. Pour bâtir une souveraineté européenne efficace et forte, nous n'avons d'autre choix que de construire une puissance économique et industrielle au niveau européen.
Le groupe Les Républicains propose la création d'une commission d'enquête parlementaire chargée d'examiner les décisions de l'État actionnaire en matière de politique industrielle. Nous ne sommes pas certains qu'une commission d'enquête soit l'outil le plus utile pour réfléchir à cette question passionnante – une mission d'information parlementaire aurait peut-être été plus appropriée –, mais nous respectons ce choix sans réserve, comme nous respecterons toujours et sans limitation tous les droits des oppositions. C'est une exigence démocratique à laquelle nous sommes très attachés, comme l'ensemble de nos collègues républicains, sur tous les bancs. Le Parlement est le lieu où les oppositions doivent s'exprimer, et les commissions d'enquête sont consubstantielles au pouvoir du Parlement.
La recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête ayant été confirmée par notre rapporteur, les députés du groupe La République en Marche participeront activement et assidûment à ses travaux.
Je prends la parole au nom du groupe Les Républicains. Nous nous sommes placés dans le sillage des fusions-absorptions malheureuses d'Alstom par Siemens, d'Alcatel par Lucent et de STX par Fincantieri, mais aussi d'expériences plus heureuses. Ainsi du rapprochement entre PSA et Opel qui s'est fait en faveur du constructeur français, ou de la fusion Renault-Nissan, et de bien d'autres encore, qui ont concerné des fleurons industriels moins connus, des entreprises de taille intermédiaire et de belles petites et moyennes entreprises (PME) positionnées sur des acquis stratégiques forts, et qui les ont mis dans une situation concurrentielle avantageuse.
La commission d'enquête permettra de débattre de la politique industrielle du pays, de certaines fusions qui ne manquent pas de nous interroger sur le sort des salariés, inquiets pour leur avenir, sur le futur des écosystèmes locaux formés avec les équipementiers et les sous-traitants ou encore sur les éventuelles synergies avec les universités et les centres de recherche. Ce débat est nécessaire. Certes, nous avons déjà procédé à des auditions, mais elles se déroulent selon une procédure codifiée qui ne nous permet pas d'approfondir toutes les questions. Nous pourrons, cette fois, examiner véritablement la politique industrielle française. Il revient bien sûr au Gouvernement de fixer un cap politique, mais il appartient au Parlement de l'aider à fixer ce cap. Nous utilisons le « droit de tirage » pour dégager du débat à venir des propositions constructives pour la politique industrielle de la France.
Nous pourrons ainsi évoquer le rôle de Bpifrance comme levier de l'État pour peser dans l'économie, ou orienter la voie suivie en matière de recherche industrielle. Interrogée hier en commission élargie sur les raisons justifiant la baisse de 32 millions d'euros des crédits destinés à la recherche industrielle, la ministre de l'enseignement supérieur n'a pas répondu. Or ces crédits permettaient d'accompagner les projets de recherche et développement montés par les entreprises et de financer les 68 pôles de compétitivité, qui sont autant de facilitateurs de l'innovation, partout sur le territoire, dans différents domaines d'intérêt stratégique ; ils contribuent à la préservation de nos fleurons industriels français ou des entreprises implantées en France. En résumé, la commission d'enquête donnera l'occasion d'un grand débat sur la politique industrielle française.
Les conditions juridiques requises pour créer la commission d'enquête étant remplies, le groupe Les Constructifs ne s'opposera pas à la proposition de résolution. Sur le fond, on n'a constaté une – très faible – progression nette des emplois industriels en France que sur deux des dix-sept dernières années. Autrement dit, des emplois industriels ont été détruits sur l'ensemble de la période. En 2015, l'affaire Alstom-General Electric a mis en lumière la difficulté que nous éprouvons à conserver des activités stratégiques – en l'espèce, des turbines nucléaires. Elle a aussi montré que la bataille industrielle planétaire en cours conduit certaines entreprises à utiliser tous les leviers de la guerre économique pour mettre la main sur les actifs de sociétés étrangères – je pense à General Electric prenant la main sur les actifs d'Alstom qui l'intéressaient.
Nous devons être capables de préserver notre souveraineté dans certains domaines stratégiques, et ainsi de maîtriser notre destin. Je pense naturellement à l'énergie, mais aussi au numérique, qui transforme la société par l'utilisation des données personnelles des citoyens européens et par la capacité que donneront sous peu les algorithmes de l'intelligence artificielle de prendre des décisions à la place des humains.
Nous devons garder certaines compétences industrielles en France et en Europe, faute de quoi l'impact en matière économique et d'emploi pèsera sur notre capacité de conserver la maîtrise de notre destin.
Le groupe Les Constructifs se félicite de la création de cette commission d'enquête. Elle permettra certainement de trouver des pistes d'amélioration en matière de compétitivité industrielle, si bien que la France pourra porter au niveau européen certains enjeux de souveraineté. Cela vaut en particulier pour ce qui a trait au numérique car aujourd'hui, étant donné le poids de la Chine et des États-Unis dans ce secteur, nous ne maîtrisons pas la chaîne de production des données.
La recevabilité juridique de la proposition est incontestable, et le groupe Nouvelle Gauche en reconnaît l'opportunité et la nécessité. Dans un contexte de guerre économique, nous avons assisté dans un passé récent à l'utilisation de procédures visant à déstabiliser des entreprises auxquelles on met le « couteau sous la gorge ». Les enjeux sont tels que le Parlement doit se mêler de ce qui se passe dans les coulisses du pouvoir. Cela peut aider l'exécutif à agir comme il le faut, et à se défendre. Les stratégies nécessaires – celles d'alliances entre égaux pour constituer des champions de taille européenne ou internationale – ne sont malheureusement pas mises en oeuvre. Les engagements pris sur le maintien des sites et des emplois sont souvent à très court terme ; ils participent plutôt, hélas, de la chronique de démantèlements annoncés. À cela s'ajoutent des enjeux majeurs de souveraineté énergétique, déjà évoqués par mes collègues.
Il faudra aussi, comme l'a souligné M. Julien Dive, étudier les réussites, telle la fusion entre PSA et Opel, tout en sachant que la doctrine de la Commission européenne relative à la concurrence empêche la constitution de champions européens.
Nous ne voterons pas contre la proposition de résolution, pour les raisons que j'ai dites et parce que l'expérience des législatures passée nous a appris que les missions d'information et les auditions « classiques » ne suffisent pas ; pour traiter les choses au fond, une commission d'enquête est nécessaire.
Le groupe La France insoumise ne s'opposera pas à la proposition de résolution ; il est même très favorable à la création de cette commission d'enquête. Parce que la Commission européenne l'interdit, il n'est plus possible, depuis le milieu ses années 1980, de mener une politique industrielle sur le continent, et nous en payons les pots cassés. Chaque fusion-acquisition nous a été vendue comme l'occasion de créer des champions internationaux, avec très peu de conséquences sur l'emploi – après quoi on a assisté à une série de démantèlements, tels ceux de Péchiney et d'Alcatel. L'histoire ne doit pas se répéter et si, en y mettant son nez, le Parlement lève quelques lièvres, tant mieux.
Comment ne pas déplorer l'improvisation qui semble avoir présidé à la « fusion » entre Alstom et Siemens et qu'a laissée transparaître la surprise de General Electric apprenant que des actifs du groupe leur seraient remis ? Que penser de la faveur qui semble avoir été faite à l'entreprise Bouygues par l'État, qui en décidant de ne pas exercer l'option d'achat sur 20 % d'actions du groupe, a consenti à ses actionnaires de très confortables dividendes ? Comment ne pas s'interroger sur les suites données aux engagements pris auprès des salariés de General Electric-Alstom d'augmenter le nombre des emplois alors qu'à Grenoble toute une partie de la fabrication a été supprimée ? Comment, enfin, ne pas examiner en détail le procès fait à Alstom aux États-Unis, procès qui ressemble plus qu'à tout autre chose à une manoeuvre protectionniste visant à casser les champions européens ? Si le même procédé est maintenant utilisé contre Airbus, comme cela menace, il y a de quoi être inquiet. Telles sont les questions que nous souhaitons voir posées dans le cadre de la commission d'enquête.
Pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, la recevabilité juridique et politique de la proposition de résolution est évidente. En ma qualité de rapporteur pour avis du budget de l'industrie, je mesure que la « casse industrielle » n'a malheureusement épargné aucune filière ni aucun territoire, au point que je me demande si ceux qui rêvent d'un pays sans usine ne sont pas plus nombreux que ceux qui pensent possible le renouveau de la politique industrielle. La fusion d'Alstom et de Siemens met en jeu de graves questions de souveraineté nationale, et même de souveraineté militaire pour ce qui concerne la fusion entre STX et Fincantieri étant donné l'effet domino qu'elle aura sur DCNS, devenu Naval Group. Tout cela doit être appréhendé. Trop souvent, les fusions ont pour objet principal d'effacer des doublons ; elles ont donc un impact inévitable sur l'emploi et sur les sites industriels. Élu d'une circonscription qui couvre le site d'Eu, j'ai mesuré les dégâts provoqués par la fusion entre Alcatel et Lucent.
La commission d'enquête servira aussi à obtenir des dirigeants, dont le président d'Alstom, des réponses engageant leur responsabilité. Elle devra également entendre les représentants des salariés, dont il ne faut jamais sous-estimer la capacité à promouvoir des solutions visant à défendre l'emploi ; la voix du peuple doit pénétrer dans ces murs.
Il nous appartiendra aussi de vérifier si les intérêts financiers de l'État ont été préservés au moment où a été définie l'option d'achat des actions de Bouygues, et si les promesses faites dans le cadre d'un accord dont nous ne connaissons pas les termes précis et qui prévoit la préservation par Alstom-Siemens des sites en France seront tenues au-delà de quatre ans.
Enfin, cette commission d'enquête en appelle d'autres. Mon ami Jean-Paul Lecoq, député du Havre, soutient que nous devons y voir plus clair sur la connivence éventuelle entre le cimentier Lafarge et des activistes qu'il aurait financés dans des pays où règne le terrorisme. Il considère que, si les délits sont avérés, étant donné leur extrême gravité, il faudrait envisager la nationalisation de cette entreprise – l'État, qui cède les bijoux de famille, devrait avoir les moyens de le faire pour réserver l'avenir d'un cimentier symbole de la souveraineté française dans ce domaine. Par la voix de notre collègue Fabien Roussel, les élus communistes contribueront de manière constructive aux travaux de la commission d'enquête.
Je me réjouis que cette commission d'enquête soit constituée. J'avais, avec d'autres collègues, réclamé sa création sous la précédente législature parce que je ne comprenais pas pourquoi Alstom, fleuron de l'industrie française en bonne situation financière, avait été cédé pour partie à General Electric. Désormais, c'est le reste de l'entreprise qui est cédé à Siemens. Le résultat de ces opérations est, quoi qu'on nous raconte, la prise de contrôle totale des Américains sur la branche « Énergie » du groupe et, demain, des Allemands sur la branche « Transport ».
La commission d'enquête est l'instrument approprié pour obtenir les réponses aux questions que nous nous posons. Le droit et la justice des États-Unis ont été instrumentalisés à des fins de déstabilisation d'Alstom. C'est la cinquième fois que General Electric rachète une entreprise étrangère après qu'elle a été déstabilisée par des poursuites judiciaires, et c'est bien entendu tout à fait par hasard qu'un arrangement a été trouvé avec la justice américaine immédiatement après que l'accord de fusion a eu lieu, Alstom payant une amende et la justice américaine renonçant à ses poursuites. Que s'est-il passé en vérité aux États-Unis ? Que pouvons-nous faire pour éviter que, demain, d'autres entreprises françaises soient à leur tour déstabilisées puis rachetées par des entreprises étrangères ?
Il faut aussi s'interroger sur les responsabilités de ceux qui étaient à la tête des entreprises considérées au moment où ces opérations se sont déroulées. Le président d'Alstom, Patrick Kron, est parti avec un chèque de 4 millions d'euros en poche mais, il y a trois semaines, un cadre dirigeant du groupe a été condamné à trente mois de prison par un tribunal américain. Personne ne s'intéresse à son sort et pendant ce temps, M. Emmanuel Macron – ou plutôt M. Patrick Kron (Sourires), mais le lapsus est révélateur, car M. Emmanuel Macron a aussi une part de responsabilité dans ce qui est advenu – coule de longues vacances.
Il faudra mesurer le rôle des intermédiaires et notamment des banquiers d'affaires, ainsi que celui de l'État, qui n'a pas été à la hauteur. Toutes ces interrogations devront trouver des réponses, tout comme ce qui concerne le suivi des engagements pris en termes d'emploi dans des secteurs stratégiques que l'on ne doit pas abandonner. La commission d'enquête devra définir comment recréer les conditions d'une politique industrielle en France afin que l'on ne revive pas ces disparitions de fleurons industriels qui auraient pu devenir des champions français ou des champions européens pilotés par des Français.
La question qui se pose est celle des conditions de ces prises de contrôle, avec l'entrechoquement d'intérêts publics et privés. Le choix aurait pu être fait par l'État de ne pas lever l'option d'achat des titres Bouygues ; cela aurait permis de monter au capital d'Alstom à hauteur de 20 % et le risque financier aurait été nul, puisque les perspectives de plus-value étaient certaines et que plusieurs centaines de millions d'euros de dividendes auraient financé l'opération. C'est la question de la stratégie industrielle française qui se pose ; des pactes existaient qui permettaient de réaliser ce rapprochement en contrôlant ses conséquences, sans forcément contraindre les entreprises à maintenir des emplois pendant quatre ans comme on l'a fait, ce qui peut toujours être contre-productif in fine.
Un pays qui se désindustrialise est économiquement en danger. Ce type de fusions induit le risque de voir des industries et des champions nationaux disparaitre, ce qui est anxiogène. Ces questions méritent d'être traitées au fond, avec une plus grande implication de notre part que celle qui résulterait de simples auditions. Des va-et-vient politiques, aussi bien du précédent Gouvernement et du Gouvernement actuel, ont eu lieu, qui ont eu des conséquences industrielles, notamment dans le cas d'Alstom ; des personnages clés de l'État, dont l'actuel Président de la République, ont joué un rôle essentiel. La commission d'enquête aura le mérite de lever les doutes et de déterminer la responsabilité de chacun, dans le secteur public comme dans le secteur privé, et la suite donnée aux engagements pris sera scrutée de très près dans les années à venir.
Les conditions juridiques permettant la création de la commission d'enquête étant réunies, je ne doute pas que le rapporteur aura toute la pugnacité nécessaire pour faire avec nous toute la lumière sur ce dossier.
Je me suis prononcé, en ma qualité de rapporteur, sur la seule recevabilité de la proposition de résolution. À titre personnel, je n'ignore pas que les questions que vous avez posées intéressent hautement les Français car elles touchent à leur emploi et à leurs conditions de vie. La commission d'enquête sera l'occasion de dresser le bilan des fusions-acquisitions qui, comme le rappellent les auteurs de la proposition dans l'exposé des motifs, ont aussi concerné Technip, Lafarge, Morpho et Nexter Systems. Certaines de ces opérations ont été heureuses, d'autres moins. Est-ce que des investissements directs étrangers impliquent systématiquement une destruction d'emplois, une perte de souveraineté, une disparition de compétences, un transfert de savoir-faire ? Voilà le bilan que nous souhaitons dresser.
Parce que nous voulons formuler des préconisations constructives visant à améliorer la politique industrielle française, je souhaite que la future commission d'enquête évite quelques écueils, le premier étant de prétendre apporter les réponses au moment de poser les questions. Si l'on crée une commission d'enquête, c'est pour permettre une étude fouillée ; résistons donc à la tentation de conclure avant terme. Gardons-nous, d'autre part, de conclusions qui ne seraient pas fondées sur des faits et des chiffres objectifs, renonçons à nous saisir de cas particuliers anecdotiques pour les ériger en généralité. Soyez assurés que je mènerai comme vous ce travail avec toute la pugnacité requise pour parvenir à un bilan et à des préconisations.
Je vous appelle à constater la recevabilité juridique de la proposition de résolution de MM. Christian Jacob, Olivier Marleix et plusieurs de leurs collègues (n° 271).
Se prononçant en application de l'article 140, alinéa 2, du Règlement, la commission constate à l'unanimité que les conditions requises pour la création de la commission d'enquête demandée par le groupe Les Républicains sont réunies.
Après que la conférence des présidents aura pris acte de ce vote, la commission d'enquête, qui comptera trente membres, sera constituée au cours de la première quinzaine de novembre.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 25 octobre 2017 à 9 h 30
Présents. – M. Damien Adam, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Barbara Bessot Ballot, Mme Anne Blanc, M. Yves Blein, M. Éric Bothorel, M. Jean-Claude Bouchet, M. Alain Bruneel, M. Jacques Cattin, M. Sébastien Cazenove, M. Dino Cinieri, M. Yves Daniel, M. Rémi Delatte, M. Michel Delpon, M. Nicolas Démoulin, Mme Marguerite Deprez-Audebert, M. Fabien Di Filippo, M. Julien Dive, Mme Stéphanie Do, Mme Christelle Dubos, Mme Sophie Errante, M. Daniel Fasquelle, Mme Valéria Faure-Muntian, Mme Pascale Fontenel-Personne, Mme Véronique Hammerer, Mme Christine Hennion, M. Antoine Herth, M. Sébastien Jumel, M. Guillaume Kasbarian, M. Jean-Luc Lagleize, Mme Laure de La Raudière, Mme Célia de Lavergne, Mme Marie Lebec, M. Sébastien Leclerc, Mme Annaïg Le Meur, M. Roland Lescure, Mme Monique Limon, M. Richard Lioger, M. Didier Martin, M. Max Mathiasin, Mme Graziella Melchior, Mme Emmanuelle Ménard, M. Jean-Baptiste Moreau, M. Mickaël Nogal, M. Jérôme Nury, Mme Valérie Oppelt, M. Éric Pauget, Mme Anne-Laurence Petel, M. Dominique Potier, M. Benoit Potterie, M. Richard Ramos, M. Vincent Rolland, M. François Ruffin, M. Jean-Bernard Sempastous, M. Éric Straumann, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Bénédicte Taurine, Mme Huguette Tiegna, M. André Villiers
Excusés. – M. Philippe Bolo, M. Paul Christophe, M. José Evrard, M. Serge Letchimy
Assistait également à la réunion. – M. Michel Zumkeller