Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Réunion du mardi 21 mai 2019 à 17h40

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • autisme
  • milieu
  • milieu ordinaire
  • ordinaire
  • scolarisation
  • trouble
  • unité

La réunion

Source

Mardi 21 mai 2019

L'audition débute à dix-sept heures quarante.

Présidence de Mme Jacqueline Dubois, présidente de la commission d'enquête

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La commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005, procède à l'audition de Mme Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme, Mme Mylène Girard, secrétaire générale, et Mme Marine Redersdorff, chargée du dossier École inclusive.

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Nous poursuivons nos auditions par celle de la délégation interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme. Je souhaite donc la bienvenue à Mme Claire Compagnon, déléguée interministérielle, à Mme Mylène Girard, secrétaire générale, et à Mme Marine Redersdorff, chargée du dossier École inclusive.

Le Président de la République a lancé le 6 juillet 2017 une concertation en vue d'un quatrième plan « autisme » après ceux de 2005, 2008 et 2013. Cette concertation a débouché sur une stratégie nationale pour l'autisme, couvrant la période 2018-2022.

Mme Compagnon a été nommée déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme, par décret du 26 avril 2018, afin de piloter la mise en oeuvre de cette stratégie.

Conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander, mesdames, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mmes Claire Compagnon, Mylène Girard et Marine Redersdorff prêtent successivement serment.

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Bonjour et bienvenue. Vous connaissez le périmètre de la commission d'enquête, ce qui l'a déclenchée et l'ambition qu'elle s'est fixée. Notre objectif est d'étayer un diagnostic partagé, qui soit d'une certaine façon irréfragable, sur les points forts et faibles, mais aussi sur les marges de progression de la politique de transition inclusive. Tel est l'état d'esprit dans lequel nous vous recevons.

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Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme

Merci de me donner l'occasion d'exposer devant vous les travaux que nous menons aujourd'hui pour mettre en oeuvre la stratégie nationale pour l'autisme. Vous avez resitué la chronologie des plans successifs et le fait qu'aujourd'hui nous sommes engagés dans une stratégie nationale. Confrontés à l'augmentation de la prévalence des troubles du neurodéveloppement, dont l'autisme fait évidemment partie, nous sommes en effet engagés dans une stratégie d'action qui couvre plusieurs domaines, notamment la recherche et la formation professionnelle, qu'il s'agisse des personnels de l'Éducation nationale ou des personnes oeuvrant dans les champs de la santé, de la culture et du sport.

Cette stratégie répond à plusieurs ambitions, au premier rang desquelles celle de remettre la recherche au coeur de la politique publique. Je dis cela parce qu'en particulier dans le champ de l'autisme, notre pays a connu très longtemps, et connaît encore aujourd'hui, une certaine difficulté à percevoir de façon pertinente ce qu'est l'autisme et, surtout, ce que doit être l'accompagnement des enfants et de leurs familles. Il était donc important de réaffirmer cette priorité.

La deuxième ambition est tout aussi essentielle, et rejoint la préoccupation de votre mission : il s'agit d'intervenir le plus précocement possible auprès des enfants : c'est tout l'enjeu de la précocité du repérage et du diagnostic, si possible avant sept ans révolus car en matière de troubles du neurodéveloppement, il est nécessaire d'agir vite, avant même le diagnostic formel, avant la notification MDPH, et d'agir au coeur du milieu de vie des enfants – domicile, lieux d'accueil de la petite enfance, école –, à plus forte raison au vu de l'obligation de scolarisation des enfants à trois ans en cours d'examen par le Parlement. Il est essentiel que l'école soit aussi un lieu de repérage et d'identification des enfants qui ne vont pas bien au regard des troubles du neurodéveloppement pour, une fois le diagnostic posé, accompagner ces enfants dans une scolarité inclusive en milieu ordinaire.

La troisième ambition est le soutien à la citoyenneté des adultes, des familles, et la reconnaissance de leur expertise, ce qui passe notamment par le rattrapage de notre retard en matière de scolarisation. C'est un engagement extrêmement fort, car tous les enfants autistes ne sont pas scolarisés aujourd'hui, et quand ils le sont, c'est sur une durée faible, comme le soulignait le rapport conjoint de l'IGAS et de l'IGEN, remis en 2017, et qui comportait une partie importante consacrée à l'école. L'enjeu est triple : scolarisation en milieu « le plus ordinaire possible », avec l'accompagnement nécessaire, pour une durée suffisante, acceptable, et d'une façon adaptée aux besoins particuliers des enfants atteints de troubles du spectre autistique.

Nous avons proposé une palette de dispositifs pour la scolarisation de ces enfants. Notre priorité est de scolariser les enfants tout petits, le plus tôt possible, en milieu ordinaire. Cela suppose de doter l'Éducation nationale des moyens nécessaires pour accompagner correctement ces enfants.

Sont ainsi prévus des dispositifs de scolarisation en maternelle, dits « unités d'enseignement en école maternelle » (UEMA). Cette mesure avait été inscrite dans le troisième plan autisme, et a permis à ce jour l'ouverture de 112 unités, comportant 7 enfants chacune, avec une perspective d'inclusion en milieu ordinaire. C'est-à-dire que l'on accompagne ces enfants de sorte qu'au fur à mesure de leur évolution, de leurs acquisitions, de leurs apprentissages, ils aient progressivement des temps de présence dans leur classe de référence, accompagnés ou non par des éducateurs. Il s'agit d'un effort très important, puisque nous en avons prévu 180, dont 30 doivent ouvrir à la rentrée 2019. Sur les 30 ouvertures prévues, 10 sont certaines, et 8 lieux sont en cours d'identification. La recherche de locaux est en effet l'un des problèmes concrets que nous rencontrons. Pour permettre une ouverture à la rentrée prochaine, il faut conjuguer, sur un même calendrier et un même territoire, l'implication de l'école, celle de la collectivité, celle de l'ARS pour choisir la structure médico-sociale qui accompagnera les enfants présents dans l'école.

L'autre mesure importante, et nouvelle, est la création, dans le même esprit, d'unités d'enseignement élémentaire dédiées à l'autisme, les UEEA : elles doivent accueillir au sein d'une école un groupe d'enfants avec des moyens renforcés sur le plan médico-social, qui permettra de faire de l'inclusion dans la classe de référence et d'inscrire les enfants dans un parcours très accompagné.

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Vous avez évoqué le forfait pour prise en charge précoce. C'est une formule intéressante, mais nous avons été interpellés par des associations de parents dont les enfants sont atteints de troubles de l'attention ou de troubles « dys », qui aimeraient que ce soit plus tardif, car c'est plutôt entre 6 et 10 ans qu'entre zéro et 7 ans que l'on détecte ces troubles. Comment articuler les deux ?

Vous plaidez également pour une scolarisation aussi précoce que possible, mais les enfants autistes qui sont scolarisés aujourd'hui ne le sont qu'à temps partiel. Nous savons que chaque enfant est différent, car porteur d'un trouble spécifique. Doit-on avoir une politique globale, ou faut-il l'ajuster au cas par cas, expliquer que certains pourront bénéficier d'un temps complet et d'autres de mi-temps, de temps partagés entre un établissement médico-social et une unité d'enseignement spécifique, voire une classe ordinaire ?

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On nous annonce une crise sanitaire sans précédent, eu égard aux difficultés d'apprentissage des générations futures. Je suis désolé de poser la question si brutalement, mais croyez-vous que nous serons en mesure, sur un plan qualitatif et quantitatif, d'accueillir de façon continue tous ces enfants ?

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Hier, j'ai rencontré dans ma circonscription du Calvados un collectif de parents, dont les enfants ne sont pas autistes mais porteurs de handicaps. Ces parents témoignent d'une certaine inquiétude, que partagent sans doute les parents d'enfants autistes, quant à une inclusion trop rapide en milieu scolaire ordinaire. Quelles sont aujourd'hui les garanties d'accompagnement qui peuvent rassurer ces familles et ces enfants ? Vous avez parlé de durée d'enseignement en milieu ordinaire : quelle serait, selon vous, la durée qui permettrait d'assurer l'égalité entre les enfants autistes et les autres enfants ?

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Vous avez évoqué la création d'unités d'enseignement au sein des écoles élémentaires. A-t-on recensé les besoins au niveau national et dispose-t-on de données chiffrées ?

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Vous avez fait état, je crois, d'un délai moyen de 446 jours pour obtenir un diagnostic en centre de ressources sur l'autisme. Comment, concrètement, réduire ce délai, qui n'est évidemment pas acceptable, ni pour les enfants ni pour les familles ?

Vous annoncez d'autre part la mise en place dans chaque territoire d'une plate-forme d'intervention et de coordination « Autisme TND » de deuxième ligne, chargée d'organiser rapidement les interventions des différents professionnels libéraux. Où en est la mise en oeuvre de ce dispositif dans chaque territoire ? Où cela traîne-t-il le plus, et pourquoi ?

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Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme

Le forfait précoce est un dispositif extrêmement important, inscrit par le Gouvernement comme l'une des priorités de la délégation interministérielle. Pour quelles raisons ? D'abord celle des délais, que M. le rapporteur évoquait voici un instant, mais aussi – c'est le corollaire – celle des enfants diagnostiqués trop tardivement. Nous avons, si je peux me permettre cette image un peu péjorative, une « fenêtre de tir », car ce que l'on sait aujourd'hui sur la plasticité cérébrale nous oblige à intervenir vite pour limiter les sur-handicaps. C'est donc une priorité pour nous.

On sait aujourd'hui que, dans le champ de l'autisme, il est possible de diagnostiquer des enfants entre 10 et 24 mois, car on a tous les éléments nécessaires. Pour d'autres troubles du neurodéveloppement – je pense aux troubles « dys » mais vous avez cité les TDAH et on pourrait parler d'autres troubles –, c'est potentiellement plus tard, sous une réserve de taille : celle des cas les plus graves, qui nécessitent toute notre vigilance. Je veux bien entendre les associations lorsqu'elles disent que, pour le plus grand nombre, on peut continuer de les diagnostiquer après six ans, mais vous me permettrez de penser que, pour les cas plus graves, il faut que ce soit avant – toute la littérature scientifique montre que, dans certains cas, c'est possible. Donc, notre effort va dans ce sens.

Avec l'appui des scientifiques et des professionnels concernés, nous avons développé un outil qui sera rendu public dans les semaines à venir : un algorithme d'aide au repérage des signes d'alerte. Quand un enfant, à un certain âge, ne passe pas de la station assise à la station debout, ne babille pas, ne regarde pas dans les yeux, n'attrape pas, n'arrive pas à faire entrer un objet dans un autre, cela doit alerter un professionnel, et l'amener à agir. C'est le sens de ces plateformes de deuxième niveau : elles doivent être un relais pour les professionnels de la petite enfance, pour les structures d'accueil familial, les enseignants, les médecins généralistes, qui vont pouvoir repérer ces enfants et les orienter au bon endroit.

Si l'on veut donner une vraie bouffée d'oxygène à un dispositif qui est actuellement saturé, qui connaît des délais d'attente très longs, il faut faciliter la participation des professionnels libéraux. Non seulement la structure qui le permet existe, mais on va en outre faciliter le recours aux professionnels libéraux en solvabilisant les familles, grâce à des dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019, pour qu'elles puissent faire face aux dépenses liées à ces bilans et à ces interventions précoces. C'est un élément important.

On voit la crainte, chez les associations de professionnels des autres troubles du neurodéveloppement, d'être mis à l'écart d'un dispositif qu'elles reconnaissent pertinent et utile. C'est pourquoi Mme Cluzel a dit et écrit qu'une seconde phase de négociation serait ouverte pour prévoir l'accompagnement de ces enfants. Mais on change là de registre, car lorsque les enfants sont plus grands, les acteurs du repérage et de l'accompagnement ne sont pas forcément les mêmes. C'est là que l'école est déterminante, et cela rejoint le thème de votre mission. Dans les mois à venir – je ne peux vous dire aujourd'hui à quelle date car notre plan d'action n'est pas encore mis en place – on étendra donc ce dispositif aux enfants plus âgés.

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Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme

Pour terminer sur cette question des plateformes de deuxième niveau, mes collaboratrices me disent toujours que je suis obsédée par ce délai de 446 jours, qui a encore augmenté entre 2016 et 2017, puisque nous en sommes à 457 jours. Nous avons pris la mesure de ce problème, d'autant que lorsque j'étais en fonctions à l'IGAS, j'ai conduit la mission d'évaluation des centres de ressources pour l'autisme. On voit aujourd'hui, hélas, que personne ne s'est vraiment emparé du rapport IGAS-IGEN et de ses recommandations.

Nous avons décidé de mettre en place une mission d'audit et de réorganisation de l'activité de ces centres de ressources, afin de comprendre pourquoi les délais sont si longs. Certaines raisons sont assez simples du point de vue organisationnel : un facteur d'engorgement est l'absence de compétences de niveau 1 et 2, mais aussi le fait que les processus de diagnostic sont identiques pour tous les enfants, et qu'ils sont parfois extrêmement longs et protocolisés. Il nous a semblé que, dans un certain nombre de situations, des diagnostics plus rapides pourraient être posés pour un certain nombre de cas qui ne posent pas de problème d'interprétation.

Il y a aussi la question des moyens. La circulaire ministérielle de mars dernier détaille l'ensemble des moyens médicaux-sociaux et sanitaires affectés aux ARS pour la mise en oeuvre de la stratégie autisme. Les moyens de la délégation sont renforcés, notamment pour l'action auprès des personnes adultes, et nous demanderons des moyens supplémentaires après avoir travaillé avec les centres de ressources à une amélioration de leur fonctionnement. Il ne semble pas pertinent d'accorder des moyens supplémentaires à des organisations qui ont à faire la preuve d'un fonctionnement plus efficace en matière de diagnostic. C'est un travail qui nous occupera au cours de l'année 2020.

Un élément nous est inconnu : l'impact de la mise en place de la plateforme de niveau 2 sur l'activité des centres de ressources. Un chiffre a attiré mon attention : plus de cinq de ces centres ont aujourd'hui une activité de diagnostic plus importante auprès des adultes que des enfants. L'activité des centres de ressources se réoriente clairement vers les demandes concernant des adultes. Nous devrons tirer des conclusions de cette dynamique en termes de fonctionnement, avant de déterminer les moyens nécessaires.

Vous dites que chaque enfant est spécifique au regard de la scolarisation, et vous avez raison. C'est bien pourquoi la stratégie nationale a prévu différentes réponses pour s'adapter à toutes les situations. Il y a ainsi des dispositifs en école maternelle et élémentaire, avec des moyens extrêmement importants – il faut se rendre compte qu'un enfant pris en charge en maternelle, c'est du 1 pour 1, voir du 1,5 pour 1. Quand l'Éducation nationale met 1 euro dans un dispositif, nous en mettons dans la dimension médico-sociale. Des structures très renforcées en termes d'accompagnement doivent répondre aux besoins des enfants les plus lourdement atteints. Ce sont des enfants non verbaux, avec des troubles du comportement, sans communication avec leur environnement du fait de l'absence du langage.

Certains enfants, heureusement, peuvent être en milieu ordinaire moyennant un accompagnement par AVS, individuel ou mutualisé. D'autres ne pourront pas suivre de scolarité et auront besoin d'aller dans une structure spécialisée. D'autres encore voudront aller à un moment dans des structures plus protégées, adaptées à leurs difficultés. Nous essayons de mettre en place des dispositifs qui répondent à la diversité des troubles et aux besoins particuliers des enfants. La difficulté consiste à répondre de manière équitable sur l'ensemble du territoire à l'ensemble de ces besoins.

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Je me permets de rebondir, car ce que vous venez de dire est important. Ces parents voient leur enfant plonger dans un milieu nouveau, le milieu scolaire ordinaire, et nourrissent une forte inquiétude sur la transition entre l'institut et l'école. Il est important d'expliquer que c'est du cas par cas, qu'il ne s'agit pas d'une injonction, mais bel et bien d'un accompagnement puisque toutes les situations n'ont pas la même gravité. Pour les parents, il y a aussi un impact psychologique.

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Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme

J'entends plusieurs choses lors de mes rencontres avec les associations, avec les familles.

Aujourd'hui, certains parents ne sont pas sécurisés quant à la continuité du parcours de leurs enfants. C'est à nous de leur donner des garanties, et nous avons une marge de progrès importante en la matière.

La deuxième chose que j'entends, c'est la satisfaction des familles lorsqu'elles arrivent à l'école en même temps que les autres, qu'elles voient leur enfant entrer et sortir par la même porte que les autres, aller en récréation ou à la cantine avec les autres, bref, être traité comme tous les autres. C'est aussi ce qui ressort des évaluations portant sur les enfants scolarisés en maternelle : le fait que les enfants, mais aussi les parents, aient une vie comme celle des autres. Quand l'enfant est pris en charge toute la journée, on peut travailler, avoir une vie à côté, faire des choses, souffler à certains moments. C'est ce que j'entends de la part des familles.

Pour autant j'entends aussi la crainte que, du fait d'une école de plus en plus inclusive, on fasse sortir les enfants des structures spécialisées même s'ils y sont bien. Il faut donc garantir et maintenir ce qui fonctionne et qui donne satisfaction. C'est un préalable.

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Mylène Girard, secrétaire générale de la délégation interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme

Nous avons beaucoup évoqué le sujet de la durée optimale de scolarisation avec les associations dans le cadre de l'élaboration des cahiers des charges des UEE. Il y a eu des débats, bien sûr, mais ce que j'ai entendu de la part des associations s'occupant de l'autisme était à peu près ceci : on revient de tellement loin, sur la scolarisation comme sur sa durée, qu'il faut absolument poser le principe du temps plein, du temps complet, mais celui-ci doit s'entendre comme un projet au sein de l'école, avec la garderie, la cantine et le périscolaire. Cela veut dire que, quand on monte une unité de cette nature, on forme tous les personnels concernés par les temps de l'accompagnement, y compris les dames de la cantine, le gardien, les personnels administratifs, etc. L'exigence ne porte donc pas uniquement sur l'enseignant de la classe ou le personnel médico-social. Si l'UEE devait être une unité à l'écart de l'école, on n'aurait pas répondu à une partie de l'ambition.

L'idée consiste à avoir un dispositif de qualité, posant le principe du temps complet moyennant des adaptations, car on sait que certains enfants ont des temps d'accompagnement par des professionnels médicaux, par exemple des orthophonistes, ce qui peut conduire à devoir sanctuariser d'autres moments de la semaine que le mercredi. Ainsi, en Rhône-Alpes, une UEE récemment ouverte a sanctuarisé le lundi après-midi. La cible est donc un temps complet avec une ambition de qualité, reposant sur l'idée que les parents de ces enfants doivent avoir la même vie que les autres parents. J'ai entendu des associations de familles dire : « On est prêts à payer des fournitures comme les autres, mais, pendant les vacances scolaires, on veut avoir des vacances comme les autres, parce qu'il y a des frères et soeurs » C'est une demande fondamentale : être considéré à l'égal des autres citoyens.

C'est dans cet esprit-là qu'a été construit le dispositif avec les associations. Nous étions plutôt partis sur l'idée d'un temps complet, mais, comme l'a dit Claire Compagnon, dès lors qu'un enfant n'est pas bien dans une UEMA ou dans une UEEA, on va essayer de comprendre pourquoi. Certains enfants retournent en IME, d'autres rejoignent le milieu ordinaire parce que ça fonctionne très bien.

Six UEEA ont ouvert entre septembre 2018 et janvier 2019 ; nous avons donc moins de recul que sur les UEMA. Nous avons fait un travail important pour élaborer un questionnaire, afin d'analyser le fonctionnement de ces premières unités. Nous sommes vraiment en mode expérimental, et il est prévu d'ouvrir 45 unités d'ici 2022.

Il nous faut donc observer ce qui marche et ce qui ne marche pas. Le cahier des charges initial, l'effectif était 10 enfants, mais nous nous sommes rendu compte que c'était trop et le bas de la fourchette a été abaissé à 7 enfants. Nous nous sommes engagés avec les associations à ne pas prendre le risque d'un accompagnement dégradé. Quand un enfant a des troubles trop importants ou des comorbidités, il n'est pas question de lui imposer l'école s'il ne s'y trouve pas bien.

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Je trouve très positif d'avoir des unités intégrées dans des écoles ordinaires, car cela permet de faire varier en fonction de chaque enfant le degré d'intégration au milieu ordinaire. Pour l'avoir vécu dans un collège comportant une ULIS, je me souviens d'un enfant qui n'était pas capable d'être scolarisé en milieu ordinaire ; ça n'aurait pas été lui rendre service ; par contre, il allait à la cantine, participait aux ateliers théâtre et aux activités périscolaires. Les enfants du collège, où il y avait aussi une SEGPA, étaient habitués à voir des enfants qui n'étaient pas forcément comme eux, mais qui étaient parfaitement intégrés à l'école. C'est vraiment un modèle très positif, car il offre à chaque enfant une meilleure adaptation, permettant une progression.

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J'ai une question sur les AVS-I et les AVS-M, car on voit bien la tendance à vouloir mutualiser les AVS, et j'ai envie de connaître votre opinion sur le sujet. L'argument invoqué, en un sens assez légitime, est de faire gagner l'enfant en autonomie dans l'optique d'une future intégration en primaire, puis en collège, sans AVS, même si on peut aussi penser que ce n'est pas tout à fait la finalité.

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Dans le cadre du plan autisme, on commence à se rendre compte, sur le terrain, de la nécessité d'évoluer : certains IME qui accompagnaient autrefois les enfants en situation de handicap mental se tournent maintenant vers ces troubles-là. Des organisations se mettent en place pour accompagner le plus tôt possible les enfants atteints et leurs familles. Quelles sont, selon vous, les dispositions qui permettraient de favoriser ces initiatives, finalement bénéfiques pour les écoles elles-mêmes ?

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J'ai tellement bousculé le ministère tout à l'heure que la présidente ne veut plus me donner la parole…

J'ai une question, mais peut-être ne serez-vous pas en situation d'y répondre. La France compte actuellement six UEEA en école élémentaire ; j'en ai une dans ma ville, pour laquelle le maire et moi-même nous sommes grandement mobilisés, et la ministre en annonce dix supplémentaires ; considérez-vous que ce soit à la hauteur des besoins des territoires ?

Par ailleurs, je mesure, au fur et à mesure de nos travaux, à quel point nous devons veiller à ne pas culpabiliser les parents. La transition inclusive est évidemment souhaitable, car elle vies à permettre une meilleure scolarisation en milieu ordinaire – c'est l'objet même de la commission d'enquête. Mais il faut aussi prendre garde à ne pas culpabiliser les familles qui ont fait d'autres choix pour leur enfant, y compris parce que, dans sa situation, la scolarisation en milieu ordinaire serait une violence.

Je veux attirer votre attention, à ce moment de nos travaux, sur la nécessité d'être attentifs aux familles. La transition vers l'école inclusive ne doit pas servir de justification à une perte de moyens pour les IME, comme on s'en inquiète par chez moi, et sans doute aussi ailleurs. Je voudrais savoir ce que vous en pensez, car c'est au coeur des préoccupations de notre commission d'enquête.

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Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme

L'action des AVS est un sujet compliqué pour toutes sortes de raisons. Je ne vous ferai pas l'affront de revenir sur les problèmes de statut, de rémunération, de précarité : vous connaissez évidemment tout cela par coeur. La question de l'individualisation et de la mutualisation doit s'envisager en gardant en tête les finalités dont je parlais et la diversité des besoins particuliers des enfants : ce critère doit être prépondérant. Il faut que tous ces enfants aient un PPS, ce qui suppose de disposer des éléments permettant d'évaluer et de prendre en compte les besoins particuliers, et ce de façon suffisamment précise pour outiller les professionnels qui accompagnent les enfants et les familles. Je n'ai pas de position de principe sur la question, même si je sais bien qu'il y a derrière tout cela des considérations de budget, et que les familles éprouvent des craintes. Nous souhaitons faire évoluer les MDPH et l'Éducation nationale sur ces sujets.

Avec la stratégie nationale pour l'autisme, nous ouvrons des chantiers lourds, qui vont restructurer des dispositifs entiers : adaptation de la formation des professionnels, changement de pratiques, de registres culturels. Je pense notamment au trouble comportemental, sujet extrêmement important qui est encore insuffisamment pris en compte.

Un autre sujet, lié au précédent, est la recherche du meilleur lieu de scolarisation lorsque les enfants peuvent et doivent être scolarisés. Vous en avez parlé, chacun de façon différente, et je crois, pour ma part, que la place des enfants est à l'école. Je ne sais pas ce qui, pour les enfants, constitue la plus grande violence, mais ce que j'entends et lis tous les jours, c'est que le fait qu'un enfant ne puisse pas aller à l'école ordinaire – sous réserve, bien sûr, des modalités d'accompagnement qui conviennent – est une violence à son égard. Notre stratégie consiste à faire en sorte que le plus grand nombre d'enfants puissent être scolarisés dans les mêmes structures, dans les mêmes milieux que la population générale. C'est bien sûr une intention générale, qui doit être mise en regard des différences de situation individuelle. Certains enfants autistes ne peuvent aller pas à l'école ordinaire parce qu'ils présentent des troubles et des difficultés considérables. Mais faut-il se laisser arrêter par cela ? Ne doit-on pas plutôt mettre en oeuvre les accompagnements et les dispositifs qui permettent le repérage précoce, pour éviter les sur-handicaps, afin qu'à terme ils présentent moins de troubles du comportement ? Tel est bien notre objectif. Ma fonction me place dans une tension permanente entre ce principe et la gestion des situations individuelles, qui me fait dire que certains enfants en très grande difficulté n'ont pas la vie que l'on peut souhaiter pour eux.

C'est dans le cadre de cette stratégie que nous essayons de favoriser une transformation de l'école, des établissements médico-sociaux, des structures d'hébergement, de sorte que toutes les personnes prises en charge retrouvent une citoyenneté qu'elles ont peu ou mal connue ces dernières années. Pour cela, des mesures qui ont été prises, des dispositifs, des accompagnements existent, mais il faut aussi apporter aux parents des assurances quant à la prise en charge de leurs enfants dans l'avenir, lorsqu'ils ne seront plus là. Ce sont des enjeux majeurs, auxquels nous devons répondre en termes d'allocation de moyens, de transformation des structures. Faut-il, aujourd'hui, continuer à créer des unités de scolarisation dans un certain nombre d'établissements qui accueillent des enfants plus petits ? Je ne suis pas persuadée que cela doive être notre réponse pour l'avenir.

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Un certain nombre d'associations s'inquiètent des moyens individuels et spécifiques de prise en charge de leurs enfants et notamment en ce qui concerne le dispositif « services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées » (SERAFIN-PH) – vous me corrigerez si je me trompe. Est-ce que vous avez des réponses à nous apporter ?

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Vous n'avez pas répondu complètement au rapporteur, et j'ai une dernière question. Vous avez parlé de transformation de l'école ordinaire, des structures médico-sociales et d'hébergement, tout en insistant sur la nécessité de garantir un accueil de qualité tout au long de la vie. Selon vous, combien faudra-t-il de temps ? Il faut avancer. Quatorze ans après la loi de 2005, quel temps se donne-t-on pour devenir une société inclusive dès la naissance, tout au long de la vie, et en tout cas au moment de l'école et de l'université ?

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Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme

S'agissant des dispositifs renforcés spécifiques à l'autisme, 112 existent et fonctionnent aujourd'hui en maternelle. Il y en aura 30 supplémentaires à la rentrée 2019 et un peu moins de 300 au total à l'issue des quatre ans de la stratégie 2019-2022. Quant aux unités d'enseignement en école élémentaire, il y en a 45, dont six ont été ouvertes entre septembre 2018 et janvier 2019 ; dix doivent ouvrir à la rentrée 2019.

Est-ce suffisant ? Il est clair que non. Ce sont des dispositifs complexes, qui s'adressent à des enfants en grande difficulté. Mais rien ne nous empêchera, s'ils font preuve de leur efficacité, de solliciter un arbitrage financier auprès des institutions et du Gouvernement pour obtenir des moyens supplémentaires.

Il y a aussi quelque chose dont on parle assez peu, mais qu'il est intéressant de savoir : aujourd'hui, certaines ARS prennent l'initiative de créer des dispositifs supplémentaires sur leurs moyens.

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Mylène Girard, secrétaire générale de la délégation interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme

Celle d'Île de France, par exemple, compte créer six UEE de plus, sous réserve que l'Éducation nationale arrive à libérer les six enseignants nécessaires. Cela veut dire que les ARS, dans certaines régions, arrivent à dégager des moyens pour aller au-delà de l'ambition nationale. Nous soutenons ces initiatives.

Il s'agit d'un dispositif de petit format, évidemment insuffisant à l'échelle nationale : 45 unités créées sur quatre ou cinq ans, cela ne fait même pas une unité par département. Mais l'avantage, c'est qu'on va pouvoir les déployer correctement au cours des premières années. Car ce n'est pas simple de monter une unité. En zone urbaine, où les besoins sont les plus criants, les écoles ont beaucoup de mal à trouver des locaux. Les projets sont faciles à monter sur le papier, mais les problèmes de logistique et de partenariat, en réalité, sont redoutables. Mieux vaut donc commencer petit. Ensuite, on va à l'arbitrage, en faisant valoir que ça fonctionne et que c'est efficace. Dans certains territoires, les besoins sont moindres, tout simplement parce qu'il n'y a pas de médecins pour diagnostiquer et qu'il n'y a donc pas d'enfants éligibles. Les territoires ont des besoins masqués car les enfants ne sont pas identifiés. Nous devons donc travailler aussi sur ces axes-là. On va faire petit, essayer de faire bien, pour faire plus ensuite.

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Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme

Pour mettre en oeuvre la stratégie nationale pour l'autisme, nous avons eu 344 millions d'euros de moyens nouveaux. À titre de comparaison, le troisième plan autisme, qui venait à expiration en 2017, était doté de 205 millions d'euros de moyens nouveaux, dont 185 millions correspondant à des moyens médico-sociaux pour la création de places dans des dispositifs pour enfants ou adultes. À ces 344 millions s'ajoutent environ 53 millions correspondant à un reliquat du troisième plan, destinés à la création de places pour des adultes. Nous avons des moyens supplémentaires provenant d'autres enveloppes que celle de la stratégie nationale, notamment celle qui finance la politique générale du handicap.

Ce sont ainsi plus d'une centaine de millions d'euros supplémentaires qui sont dédiés à la scolarisation des enfants et des adolescents, mais aussi à l'accès à l'université. Cela inclut l'accompagnement médico-social, mais aussi les moyens, en personnel et en formation, que met à disposition l'Éducation Nationale. C'est une enveloppe importante : il est important que les moyens d'accompagnement soient là, car il ne sert à rien de scolariser les enfants si, par ailleurs, on ne les soutient pas quand ils sont à domicile et si l'on n'aide pas les familles dans leur vie quotidienne, notamment grâce aux SESSAD.

Le champ d'action et les progrès à faire sont immenses, et les moyens doivent être à la hauteur de ces besoins considérables. Nous avons cependant des marges au niveau des ARS, qui proposent, construisent, mettent en oeuvre de nouveaux dispositifs de scolarisation. Sans doute avez-vous entendu parler des classes d'autorégulation, qui permettent de scolariser des enfants en milieu ordinaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Non, mais nous allons malheureusement être obligés de conclure cette audition. Vous ne m'avez pas répondu sur la question du nombre d'années qui seraient nécessaires : pouvez-vous nous faire une dernière réponse qui soit une note d'espoir, une direction ?

Permalien
Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme

Je peux prendre appui sur ce qui s'est fait dans d'autres pays. Il a fallu quinze ans au Québec pour transformer le secteur médico-social, faire disparaître les vieilles structures d'hébergement et d'hospitalisation pour enfants atteints d'autisme et mettre en place des dispositifs d'accompagnement des familles. Quand on connaît la topographie du Québec, on voit les difficultés auxquelles ils ont dû être confrontés !

Un changement culturel majeur s'est opéré dans notre pays, dans ses structures sanitaires, médico-sociales, scolaires. Mais la situation des adultes dans les établissements psychiatriques est aussi un sujet à part entière, que la délégation interministérielle doit prendre à son compte. Un délai de quinze ans me paraît donc raisonnable.

L'audition s'achève à dix-huit heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 21 mai 2019 à 17 heures 30

Présents. – Mme Géraldine Bannier, M. Bertrand Bouyx, Mme Blandine Brocard, Mme Danièle Cazarian, M. Marc Delatte, Mme Béatrice Descamps, Mme Jacqueline Dubois, Mme Marianne Dubois, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Olivier Gaillard, M. Sébastien Jumel, Mme Mireille Robert, Mme Sylvie Tolmont

Excusés. - M. Christophe Bouillon, Mme Nathalie Sarles, Mme Michèle Tabarot