Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Réunion du mardi 4 juin 2019 à 15h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité́, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale auditionne général Laurent Tavel, directeur des soutiens et des finances de la gendarmerie nationale.

L'audition commence à quatorze heures cinquante-cinq.

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Mes chers collègues, nous entendons le général Laurent Tavel, directeur des soutiens et des finances de la gendarmerie nationale. Cette direction est en charge du pilotage des crédits budgétaires alloués à la gendarmerie, c'est-à-dire le programme 152, tant pour les dépenses de personnels que pour les dépenses de fonctionnement, d'intervention ou d'investissement.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(Le général Laurent Tavel prête serment.)

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Mon général, je voudrais que vous abordiez les questions de budget, d'effectifs, d'immobilier et d'équipement. Quel serait, selon vous, le budget supplémentaire nécessaire pour que la gendarmerie effectue ses missions de manière plus sereine, pour que ses gendarmes habitent dans de meilleures conditions et qu'ils disposent d'équipements dignes de ce nom ?

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Laurent Tavel

Avant de répondre à vos questions, je voudrais soumettre à votre analyse quelques points que je considère comme fondamentaux. La direction des soutiens et des finances (DSF) est effectivement la direction en charge de l'économie des moyens de la gendarmerie, c'est-à-dire que ses missions s'articulent autour de la recherche de la meilleure allocation possible des ressources. Cette recherche s'applique aussi bien aux effectifs – je dispose pour cela d'une sous-direction de l'organisation et des effectifs, qui conçoit les normes d'organisation des unités et la politique des effectifs – qu'aux problématiques immobilières – traitées par la sous-direction de l'immobilier et du logement – qu'aux ressources financières qui relèvent de la sous-direction administrative et financière. Ces trois domaines sont étroitement liés entre eux. Bien que le périmètre de la DSF ait beaucoup évolué depuis une dizaine d'années, avec notamment en 2014 la création du service de l'achat des équipements et de la logistique (SAELSI) et des secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI), je dispose toujours d'un ensemble de leviers cohérent pour faire fonctionner et accompagner la transformation d'un réseau territorial dense de 3 100 unités, relais puissant des politiques publiques liées à la sécurité et à la cohésion des territoires. Ce réseau s'étend en métropole, en Outre-mer, mais aussi dans des territoires urbains, suburbains et périurbains (74 % des forces de gendarmerie y exercent leur mission) ainsi que dans les périmètres ruraux.

La gendarmerie maintient ses effectifs même si des dissolutions d'unités ont pu être[CJ1] prononcées dans le passé. L'existence et le maillage territorial de ce réseau d'unités remonte à 1720. Il est toutefois parfaitement compatible avec l'innovation et la transformation en matière d'action territoriale.

L'enjeu pour la gendarmerie nationale est constant : maintenir dans les territoires de métropole et d'outre-mer un haut niveau de service public et de sécurité en accompagnant un environnement humain, social et administratif en mutation. Cela impose de tenir compte des évolutions démographiques, puisque la zone gendarmerie, depuis 2012, a absorbé un million d'habitants supplémentaires ce qui représente approximativement les deux tiers de l'augmentation de la croissance démographique en France. Sous l'impulsion des lois de décentralisation et de modernisation, la gendarmerie cherche à adapter son dispositif pour adhérer aux caractéristiques de sa zone de compétence. Les évolutions récentes des métropoles et des communes nouvelles impactent effectivement notre organisation territoriale.

Concernant la présence sur les territoires et la police de sécurité du quotidien (PSQ), la gendarmerie a rationalisé ces dernières années son dispositif territorial. Elle a fermé des unités aux locaux souvent vétustes et inadaptés, ou encore situés en zone de police nationale, tout en maintenant ses effectifs, y compris dans les territoires ruraux. De nouveaux dispositifs, tel l'outil NEOGEND, automatisent le travail des personnels et améliorent la présence et le contact sur le terrain. Par exemple, 227 dispositifs d'appui interdépartemental sont instaurés dans 44 groupements de gendarmeries départementales : ils concernent plus de 2 500 militaires et permettent désormais de s'affranchir du cloisonnement des limites départementales pour assurer la continuité de l'action de la gendarmerie. Autre exemple, les brigades territoriales de contact : les 41 brigades territoriales de contact dans les secteurs les plus isolés renforcent la présence visible de la gendarmerie et le lien avec la population. Dernier exemple, depuis le 1er juin dernier : l'expérimentation de brigades multimissions sur quatre sites. Cela ouvre la réflexion sur le décloisonnement opérationnel des moyens et des compétences jusque-là répartis entre les unités territoriales pour la sécurité publique générale, les unités motorisées pour la sécurité routière et les unités de recherche pour la police judiciaire.

La gendarmerie doit donc concilier les contraintes liées à ses implantations territoriales – qu'il n'est pas question de remettre en cause – avec celles résultant de la mobilité quotidienne des personnes et des biens. L'organisation du service se pense désormais en termes de décloisonnement, d'expérimentation, de déconcentration et d'intelligence locale. Un large pouvoir d'initiative est, dans ce cadre, laissé aux commandants territoriaux pour organiser leurs unités, pour renforcer leur efficacité opérationnelle et rompre avec les logiques de guichets pour aller vers le citoyen.

L'immobilier est un sujet important et la clé de voûte de ce dispositif. Le logement qui est concédé par nécessité absolue de service rend possible l'application des sujétions imposées par le statut militaire des gendarmes, notamment l'obligation de servir en tout temps et en tout lieu, c'est-à-dire une obligation de disponibilité qui emporte des contraintes supérieures à celles prévues pour des corps civils. Ce n'est pas le temps de travail des militaires qui est encadré, mais leur temps de repos, et ce dernier ne comprend pas de majoration particulière pour le travail de nuit ou le dimanche. Ce caractère structurant du logement explique les efforts consentis pour améliorer l'immobilier domanial.

Nous avons connu un effondrement des investissements immobiliers puisque le budget d'investissement qui s'élevait à 618 millions d'euros en autorisations d'engagement en 2007, a connu un point historiquement bas à 6 millions d'euros en 2013, soit un centième du budget de 2007. Le parc est composé d'environ 34 000 logements domaniaux sur 76 000 logements (le différentiel, ce sont des logements locatifs [TSL(SD2]qui sont entrés dans un cycle de vieillissement). Ce retard d'entretien doit être comblé.

Les budgets d'investissement sont en hausse depuis 2015, année où un plan d'urgence de l'immobilier de la gendarmerie a été doté de 80 millions d'euros. Alors que la dotation était donc de 6 millions d'euros en 2013, puis de 12 millions en 2014, ce plan a permis de relancer une dynamique de réhabilitation que nous cherchons à préserver tout en développant la protection des casernes. Pour 2019, ce budget est de 105 millions d'euros.

Des efforts ont aussi été réalisés dans d'autres domaines. Pour les véhicules – qui représentent un point essentiel compte tenu du maillage territorial de la gendarmerie – les acquisitions de ces dernières années, oscillent entre 2 700 et 3 000 véhicules, pour un parc total de 31 000 véhicules, toutes catégories confondues. C'est un chiffre comparable à celui de la police nationale. Ces acquisitions nous ont permis d'enclencher une phase de diminution de l'âge moyen de notre parc opérationnel qui avait beaucoup vieilli entre 2012 et 2017. Depuis 2018, l'âge moyen a diminué puisqu'on est passé de 8,2 années en 2017 à 7,4 en 2018. Les efforts de ces dernières années ont ainsi permis d'inverser la tendance enregistrée depuis le début des années 2010.

Le deuxième secteur prioritaire est celui du renforcement des unités territoriales et la mise en œuvre de la police de sécurité du quotidien. Les effectifs augmentent : 2 500 effectifs entre 2018 et 2022, plus 135 effectifs fléchés pour le renseignement territorial, ce qui fait un total de 2 635 effectifs prévus sur la période du quinquennat. Ces effectifs supplémentaires vont permettre de renforcer les départements prioritaires et notamment ceux qui n'avaient pas bénéficié de renforts malgré la hausse continue de la population dans la zone de compétence de la gendarmerie. C'est un axe fort qui permet d'accompagner les départements prioritaires ou ceux qui avaient du retard par rapport à l'accroissement de la population.

L'outre-mer est également une priorité importante. Là aussi, nous avons des dynamiques démographiques qu'il faut accompagner par des effectifs supplémentaires.

Nous continuons de consacrer également des effectifs à l'outil de formation. On a créé tout récemment une nouvelle école de gendarmerie à Dijon après en avoir fermé quatre à la fin des années 2000.

Enfin, nous renforçons les soutiens qui avaient été diminués dans les années passées, notamment pendant la période de révision générale des politiques publiques, en particulier en matière d'immobilier.

Nous pouvons aussi nous appuyer sur un budget important consacré à la réserve opérationnelle puisque l'année dernière nous avons pu notifier 78 millions d'euros de crédits de réserve opérationnelle, alors qu'ils étaient de 41 millions en 2014, de 52 millions en 2015 et de 66 millions en 2016. L'effort est donc maintenu.

Il s'agit de faits significatifs qui interviennent dans un contexte où la contrainte budgétaire s'est renforcée et où la gendarmerie ne s'exonère pas des objectifs de redressement des comptes publics. Le respect de la loi de finances initiale est un impératif, et comme vous le savez, nous avons pris des mesures de pilotage pour tenir cet engagement, notamment au cours de l'année 2018. « Commander c'est choisir » et je dois admettre qu'en 2018, nous avons beaucoup choisi, en particulier pour maîtriser la trajectoire des dépenses de masse salariale.

La cause n'est pas à rechercher dans une mauvaise gestion, mais plutôt dans les limites de la construction budgétaire, qui s'appuie sur l'observation du passé, lequel ne se répète pas toujours, et sur des hypothèses prospectives, qui elles aussi ne se vérifient pas toujours. L'impact anticipé [TSL(SD3]des départs en retraite ou des mesures nouvelles ne se vérifie pas forcément lors de l'exécution. Pour améliorer nos prévisions et notre modèle de construction budgétaire, des travaux importants ont été conduits ces derniers mois. Ils sont partagés avec le secrétaire général du ministère de l'Intérieur et la direction du budget. [TSL(SD4]Je suis tout à fait confiant dans notre capacité collective à parvenir à davantage « sincériser » notre budget, comme en atteste d'ailleurs la démarche qui a consisté à diminuer la mise en réserve des crédits puisqu'elle est passée de 8 % en 2017 à 3 % en 2018 avant d'être reconduite à ce même niveau 2019. Je considère que tous ces points vont dans le bon sens.

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Avez-vous des difficultés de recrutement ?

Par ailleurs, l'application des onze heures de repos prévus par la directive européenne de 2003 a-t-elle posé des problèmes ? Avez-vous dû, pour compenser, recruter des gendarmes ? Y a-t-il à l'étude de nouveaux plans de répartition de compétences géographiques police-gendarmerie comme cela a pu exister dans le passé ?

Concernant les véhicules, les choses s'arrangent : entre 2 700 et 3 000 véhicules sont remplacés chaque année. Est-ce suffisant pour remplacer le parc dans les délais impartis c'est-à-dire en moins de huit ans ?

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Laurent Tavel

En 2016, il y a eu, pour l'ensemble de la gendarmerie, une baisse d'activité liée à la question des temps de repos, mais une nouvelle réorganisation du travail a permis de limiter l'impact de la baisse d'activité et sa traduction en équivalents temps plein travaillé (ETPT). Cela avait donné lieu à un rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA). Aujourd'hui ceci est parfaitement intégré dans l'organisation du service. Hormis en période de pics, comme par exemple celle des manifestations de gilets jaunes pendant laquelle on peut augmenter un peu les repos physiologiques, la gendarmerie a absorbé l'application des onze heures de repos.

Des redéploiements de zones de compétence entre la police et la gendarmerie ont été opérés dans le passé. Depuis quelques années, il n'y en a pas eu de nouveaux, mais cela ne signifie pas qu'il s'agit d'un arrêt définitif. Les échanges se poursuivent entre la police et la gendarmerie. Plusieurs propositions qui sont faites et à ma connaissance, on est dans les « starting-blocks » sur certaines opérations de redéploiement.

Sur la question des véhicules, nous considérons qu'un renouvellement du parc à hauteur de 3 000 véhicules par an permettrait de maintenir et rajeunir l'âge moyen. On en voit les effets concrets depuis 2018. Il faut maintenir cet effort. Si on retombait à un niveau inférieur à 2 000 véhicules, on aurait de nouveau une inversion et un vieillissement du parc. L'immobilier et les véhicules sont des priorités budgétaires. En 2019, nous expérimentons l'externalisation des transports par autocar dans deux écoles de gendarmerie. À la fin de l'année, nous verrons si nous poursuivons cette externalisation et si nous la généralisons à l'ensemble des écoles. Une expérimentation comparable sera faite à partir du mois de septembre pour les transports en autocar des gardes républicains. Selon les résultats, l'expérience pourrait être généralisée dès 2020.

Nous pensons donc à des alternatives pour renouveler notre parc sans être systématiquement propriétaires. L'externalisation peut également comprendre le soutien. Par exemple, les autocars de la garde républicaine sont soutenus à Satory près de Versailles ce qui implique des délais de transport. Une externalisation complète de la prestation pourrait être intéressante.

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Aujourd'hui le budget de la gendarmerie est d'environ 8,8 milliards d'euros, dont 7,4 millions sont consacrés aux personnels et 1,1 million au fonctionnement. Vous avez parlé de la mise en réserve 3 %. Aujourd'hui, sur quels budgets porte, de fait, la mise en réserve ?

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Laurent Tavel

Au sein du budget de la gendarmerie, la masse salariale représente un poids de dépenses très important : 85 % des crédits. Ceci rend la capacité de manœuvre très limitée. Les 15 % restants, c'est-à-dire un peu plus de 1 300 millions d'euros en 2019, sont des crédits qui couvrent les dépenses de fonctionnement et d'investissement. Dans ces crédits, il y a une part importante de dépenses obligatoires, celles sur lesquelles nous sommes contractuellement engagés. Par exemple, les loyers de la gendarmerie s'élèvent à plus de 500 millions d'euros, ce qui sur 1 300 millions d'euros représente une part importante. Or, on ne peut pas faire porter la mise en réserve des crédits sur des dépenses obligatoires. Le taux de mise en réserve de 3 % qui s'applique à l'ensemble des crédits hors titre 2, devant être positionné sur les seules dépenses manœuvrables, le pourcentage appliqué à ces dernières peut en réalité représenter beaucoup plus. Parmi les dépenses manœuvrables, figurent par exemple, l'immobilier, les achats de véhicules ou le budget de fonctionnement des unités élémentaires.

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Quelle est la part des dépenses manœuvrables et quelle est celle des dépenses obligatoires ?

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Laurent Tavel

On considère que la part manœuvrable représente un peu moins de 40 % de l'ensemble des dépenses du hors titre 2, pour 60 % de dépenses obligatoires. Donc effectivement, appliquer un taux de 3 % à un périmètre de 40 % du budget, conduit sur ce périmètre à un taux de mise en réserve qui « tangente » les 8 %. C'est une difficulté et je dois identifier en début d'année sur quoi va porter cette mise en réserve.

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Cette mise en réserve – qui est débloquée en fin d'année puis récupérée l'année suivante – vous permet-elle d'effectuer des achats complémentaires, en particulier des véhicules ?

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Laurent Tavel

La réserve de précaution prévue par la loi organique relative aux lois de finances a été réduite à 3 % en 2018. En 2019, une réserve ministérielle de 1,5 % est venue s'y ajouter. Nous avons donc 3 % de réserve de précaution et 1,5 % de réserve ministérielle.

La différence entre les deux, c'est que pour la réserve ministérielle le dégel est garanti puisque la décision émane du ministre de l'Intérieur. Nous avons l'assurance qu'il le fera au bon moment pour faire face aux aléas qui peuvent survenir au sein du ministère ; c'est le principe de l'autoassurance.

Ces 1,5 % représentent 20 millions d'euros et la réserve de précaution représente 40 millions d'euros.

Les échanges sur les 40 millions d'euros de réserve de précaution ont lieu en fin de gestion, à l'automne, quand on commence à avoir une idée assez précise de la fin de l'année et que l'on a identifié les aléas auxquels on a pu être confronté au cours de l'année. Nous justifions nos besoins, ou les aléas tels la crise des gilets jaunes, qui ont généré des dépenses supplémentaires imprévues. Le dégel, qui n'est pas automatique, peut être décidé par le ministère de l'action et des comptes publics. Il se fait bien sûr en liaison avec le ministre de l'intérieur. Le dégel, s'il est décidé, peut être total ou partiel. Depuis 2006, le dégel a pu être de 90 % ou se limiter à 15 % ou 20 % du total des crédits mis en réserve. Chaque année est différente et nous devons à chaque fois justifier de nos besoins.

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Quand l'autorisation de dégel arrive, avez-vous le temps d'engager des dépenses avant la clôture budgétaire ?

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Laurent Tavel

Oui. En règle générale, les autorisations de dégel sont données vers le mois de novembre. Si des crédits sont dégelés pour acheter des véhicules, par exemple, on a tout à fait le temps de passer des commandes avant la fin de l'année.

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Général, vous nous avez parlé des limites de la construction budgétaire. Je voudrais parler des moyens que vous envisagez pour « sincériser » la programmation budgétaire. Quels sont les moyens que vous comptez mettre en place pour ne plus avoir de problèmes dans la planification des dépenses de l'année ?

Pourriez-vous également nous en dire plus sur les renforts des soutiens immobiliers ?

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Laurent Tavel

La démarche de « sincérisation » du budget est un sujet sur lequel nous travaillons beaucoup notamment pour améliorer la prévision de nos besoins et de notre dépense. Concernant les dépenses de titre 2, donc de masse salariale, nous avons engagé des travaux en 2018, qui se sont poursuivis en 2019, pour améliorer à la fois nos propres outils de prévision de la dépense, mais également l'outil qui sert à la construction du budget. Nous souhaitons le rendre beaucoup plus fiable afin d'avoir une maille plus fine et mieux calculer le budget de l'année en « N + 1 ». Aujourd'hui, l'outil construit le budget sur trois années, selon les budgets exécutés de l'année « N – 1 », les dépenses de l'année « N » et les prévisions de « N + 1 ». Une simple petite erreur sur des périmètres de l'ordre de 4 milliards d'euros de dépenses peut être problématique. Il y a donc un travail de fiabilisation de l'outil de construction et une amélioration de nos prévisions qui est en cours. Sur le titre 2, nous sommes donc dans une démarche de « resoclage » du budget. On essaie aussi d'améliorer nos prévisions en termes d'entrées et de sorties des effectifs. Là encore, si nous n'avons pas des données très fiables sur les prévisions de départs à la retraite pour l'année « N + 1 », cela impacte le coût de la masse salariale en plus ou en moins. La prévision est une aide précieuse pour « sincériser » l'expression des besoins et elle doit être partagée avec les services du ministère de l'Intérieur et avec la direction du budget.

Pour les soutiens immobiliers, nous renforçons la chaîne au niveau du département. Nous avons des sections des affaires immobilières qui gèrent l'ensemble du parc immobilier du département. Un travail important a été conduit il y a trois ans. Nous avons opéré un audit complet et nous renforçons les sections des affaires immobilières au niveau du département par 60 à 80 effectifs nouveaux sur quatre ans.

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Mon général, il y a aujourd'hui des compagnies dans des logements insalubres et indignes. Il y a pourtant des outils performants à la disposition des collectivités, des promoteurs et des bailleurs qui leur permettent de répondre à la demande. Il est vrai que des décisions, souvent politiques, peuvent rendre difficiles des opérations d'aménagement, de réhabilitation ou de construction nouvelle. Vos représentants sur le terrain font en sorte de mobiliser les collectivités et les bailleurs, pour qu'elles réalisent enfin de nouvelles casernes. Disposez-vous de moyens suffisants pour y parvenir ? Aujourd'hui, logement est un sujet important pour le gendarme qui joue en termes de recrutement et de fidélisation. Comment luttez-vous contre la lenteur des décisions politiques ?

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Laurent Tavel

L'immobilier c'est un sujet important. Certaines casernes ne répondent pas aux standards de normes actuels. Nous disposons d'une bonne connaissance de notre parc, nous avons des outils et les sections des affaires immobilières sont au plus près du terrain. Elles ont une connaissance parfaite de la situation du parc immobilier du département. Nous avons un travail de priorisation à faire afin de traiter d'abord les casernes qui se trouvent dans les situations les plus urgentes.

Le système est mixte. Les casernes dont nous ne sommes pas propriétaires et pour lesquelles nous payons des loyers sont généralement de petites casernes, souvent des brigades territoriales, composées de 6 à 40 gendarmes. Ces logements locatifs qui représentent la part la plus importante des logements, sont dans un état général plutôt correct. Il y a des loyers à acquitter, mais les propriétaires, les collectivités locales, entretiennent leur parc et initient un dossier de reconstruction quand les casernes deviennent vieillissantes. Le décret de 1993 permet à la fois à la collectivité locale d'apporter une subvention de 18 % à 20 % d'un coût plafond révisé trimestriellement et d'encadrer les loyers qui seront de 6 % de ce coût plafond. C'est donc un système gagnant-gagnant avec les collectivités locales. Il faut simplement disposer d'un terrain qui réponde à nos besoins. Le référentiel de construction existe et généralement les dossiers sont traités de façon fluide.

Le décret de 2016 est lui destiné aux opérations avec les offices publics d'habitation à loyer modéré. La différence avec le décret de 1993 est de deux ordres : la suppression du plafond de 40 logements et l'encadrement des loyers à 7 % du coût plafond. C'est aussi une règlementation qui fonctionne très bien. Il y a aujourd'hui presque une centaine de dossiers élaborés sous le mode du décret de 2016 et près de 1 800 unités-logement sont en cours. Il y a aussi parfois des montages mixtes.

Des difficultés peuvent exister localement. Elles sont souvent liées à un problème domanial et à des obstacles juridiques. Si le terrain appartient à l'État, celui-ci doit le déclarer inutile et il sera ensuite affecté à une force régalienne.

Pour les casernes domaniales, on est vraiment dans une logique de priorisation des interventions. On dispose d'un budget d'une centaine de millions d'euros cette année. Il faut intégrer aussi les besoins de sécurisation des casernes, mais ce budget nous permet de réaliser des travaux de maintenance lourde pour 3 500 à 4 000 logements par an. Ce qui est important, c'est d'avoir une visibilité au moins sur cinq ans, de manière à donner des perspectives à nos personnels qui habitent encore dans des casernes qui ne sont pas dignes. Il faut pérenniser ce budget dans la durée à la différence de ce qui s'est produit dans le passé et ainsi éviter l'effet « yo-yo », entre des périodes avec des budgets très élevés suivies d'un effondrement.

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Combien faudrait-il rajouter au budget de la gendarmerie, dans le cadre d'un plan pluriannuel, pour que d'ici la fin de la législature, nous disposions d'un parc immobilier domanial correct, d'effectifs et d'équipements suffisants pour les gendarmes départementaux et pour la gendarmerie mobile ?

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Laurent Tavel

La question est simple mais la réponse ne l'est pas autant. Il faudrait faire un effort supplémentaire sur l'immobilier. Tripler les budgets serait irréaliste, et il faut également prendre en considération la capacité à mettre en œuvre les opérations, sinon on sera dans l'incapacité de dépenser ce budget supplémentaire. Il faut aussi être réaliste, aujourd'hui nous avons un budget qui nous permet de remplir nos missions mais nous avons besoin de visibilité. La future loi de programmation de la sécurité intérieure sera l'occasion de faire une revue de l'ensemble de nos besoins, de les exprimer et de voir s'ils peuvent être pris en compte.

Concernant le nombre de gendarmes par escadron, des décisions récentes ont été prises. Le directeur général a décidé non pas d'augmenter le nombre d'escadrons – je rappelle que 15 escadrons ont été supprimés entre 2010 et 2011 avant que ne soit recréé un escadron en 2016 – mais d'augmenter le nombre de gendarmes par escadron. Aujourd'hui, un escadron est composé de 110 gendarmes et cet été on va passer à 115. Nous avons 109 escadrons, cela représente donc un effectif supplémentaire de 500 gendarmes dont la majorité proviendra du redéploiement des effectifs affectés dans vingt-deux pelotons de gendarmerie mobile créés il y a trois ans. Ce projet s'inscrit dans une démarche d'autonomisation plus grande des escadrons afin de les rendre plus disponibles.

Malgré cette contrainte budgétaire, nous avons réussi à dégager en début d'année 2019 près de 2 millions d'euros pour acheter des effets de protection individuelle pour les gendarmes départementaux qui ont dû participer à des actes de maintien de l'ordre même si ce n'est pas leur métier. On a ainsi pu déployer trente lots de protection individuelle dans chaque groupement de gendarmerie départementale qui se charge ensuite de les répartir au niveau des compagnies ou des pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) qui sont engagés face aux manifestations de gilets jaunes et aux actes de violence qui sont commis en marge de ces manifestations.

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Mon général, vous êtes un spécialiste du budget mais dans cette réponse vous n'avez donné aucun chiffre ! D'après vous quel serait le montant nécessaire pour la gendarmerie ?

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Laurent Tavel

Donner un chiffre revient à figer les choses. Pour l'immobilier, 50 millions d'euros supplémentaires chaque année seraient un effort déjà très conséquent au-delà duquel notre capacité à le traiter ne serait pas garantie. Mais c'est vrai que cet effort nous permettrait d'accélérer la remise en état de nos casernes domaniales.

Pour les véhicules, l'achat de 3 000 véhicules par année représente un budget qui tangente les 65 millions d'euros. C'est ce que nous avons cette année et la reconduction de ce budget nous permet de renouveler nos véhicules.

Nous avons par ailleurs d'autres sujets à moyen terme comme le remplacement des véhicules de maintien de l'ordre de la gendarmerie mobile qu'il faudra réaliser dans les deux à trois années à venir. Nous exprimerons ce besoin dans la loi de programmation de sécurité intérieure si elle se confirme. Il s'agira de budgets importants, mais ces équipements dureront pendant quinze ans. C'est donc un rythme différent qui demandera un effort pendant trois, quatre, cinq ans et dont les effets perdureront pendant dix ans.

L'audition s'achève à quinze heures et quarante minutes.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Réunion du mardi 4 juin 2019 à 15 heures

Présents. - Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Michel Fauvergue, M. Jean-Marie Fiévet, M. Denis Masséglia, M. Christophe Naegelen